D’abord je tiens à remercier de tout cœur mes aimables lecteurs : le nombre de visites sur mon site est maintenant quatre fois plus élevé qu’en début d’année. J’espère continuer à maintenir votre intérêt. Tout en gardant fermement ma référence à l’ensemble des textes fondamentaux, j’ai choisi depuis le post 42 de développer mon analyse des systèmes politiques qui étouffent nos libertés dans l’esprit d’en desserrer l’étau. Je ne juge pas de la sincérité des hommes qui croient servir le peuple en faisant de la politique : le respect et l’amour fraternel sont dus à tous les humains. Mais nous devons nous libérer des clergés profanes comme des clergés religieux. Pour cela, il faut partir des textes sur lesquels ils s’appuient et affirmer notre autonomie de conscience, de connaissance et d’interprétation. C’est le sens que je donne à la laïcité : récuser l’obscurantisme sectaire de tous les clergés.

Commençons par les réformes évoquées par le président élu en 2017 dans son adresse au Parlement dont la plupart se sont concrétisées dans un projet de loi constitutionnelle présenté par le premier ministre Philippe quand le parti du président disposait d’une majorité absolue. Mme Braun-Pivet, récemment élue présidente de l’Assemblée Nationale (AN), en était la rapporteure. Ce projet déposé le 9 mai 2018 a avorté après moins de deux semaines de travail et une dizaine d’auditions, il n’y aura aucune publication de rapport ni de conclusions.

Des réformes difficiles sont indispensables, mais il faut procéder autrement, ce qu’avait envisagé le président : « si cela est nécessaire, je recourrai au vote de nos concitoyens par voie de **référendum **». Il y avait deux réformes majeures dans ce projet : la réduction de 30% de l’effectif des trois assemblées constitutionnelles, Parlement et CESE, et le « pacte girondin » qui ébréchait l’uniformité centralisatrice pour s’adapter à la situation de la Corse et de la Réunion, ce qui nécessitait une réforme de la Constitution.

Ce post se concentrera sur la réduction des effectifs des assemblées qui va évidemment à l’encontre des intérêts des partis et des élus en poste. La réduction s’accompagnait pour l’AN d’une dose de proportionnelle et pour le CESE d’une redéfinition de son rôle pour le transformer en « Chambre de la Société Civile » avec l’introduction d’une dose de citoyens tirés au sort.

1 L’adresse au Congrès du président le 3 juillet 2017

Après les législatives de juin 2017, le nouveau président présente le 3 juillet au Congrès parlementaire les grandes orientations de son quinquennat et son analyse de la situation française. J’en citerai de larges extraits parce que la pensée du président réélu en 2022 sera déterminante sur les réformes à venir. Ce discours a été longuement réfléchi et s’avère prémonitoire quand le président veut « convaincre tous ceux qui attendent, qui nous font confiance du bout des lèvres, qui n’ont pas voté, ou que la colère et le dégoût devant notre inefficacité ont conduit à des choix extrêmes d’un bord ou de l’autre de l’échiquier politique ». Il parle avant la colère des gilets jaunes d’octobre 2018, qui le décidera à lancer le Grand débat national de janvier 2019, et les législatives de 2022 qui verront la poussée des extrémismes de droite et de gauche.

Le chef de l’Etat évoque « son impatience d’agir » en contraste avec les années « immobiles où le peuple français a montré son impatience à l’égard d’un monde politique trop souvent fait de querelles et d’ambitions creuses » Il affirme : « J’ai toujours considéré que le peuple français était plus sage et plus avisé que beaucoup ne le croient…notre mission historique n’est pas dévolue à un petit nombre. Elle est dévolue à tous car chacun y a sa part ». Il souhaite « une administration plus déconcentrée, qui conseille plus qu’elle ne sanctionne, qui innove et expérimente plus qu’elle ne contraigne ». Qui ne serait d’accord avec ces propos ?

« Le premier principe doit être la recherche d’une liberté forte. En matière économique, sociale, territoriale, culturelle, notre devoir est d’émanciper nos concitoyens. Je crois à l’esprit des Lumières, notre objectif est bien l’autonomie de l’homme libre, conscient et critique ». « La liberté forte c’est toujours, en France, la liberté de conscience, la liberté intellectuelle, morale, spirituelle. L’éducation et la culture en sont les clés, elles sont au cœur de mon action car rien n’est jamais acquis. Les progrès de l’obscurantisme nous rappellent ainsi à l’idéal des Lumières. Et la laïcité en est l’indispensable corollaire ».

« Notre peuple n’est pas formé d’un peu plus de soixante millions d’individus qui cohabiteraient. Il est indivisible, précisément parce que ce qui le tient est plus fort que de simples règles ou que des organisations, c’est un engagement qui fait que notre citoyenneté n’est jamais abstraite et froide mais qu’elle est pleine et entière par ce lien fraternel qui nous unit et dont nous devons retrouver la vigueur. Nous devons substituer à l’idée d’aide sociale, à la charité publique, aux dispositifs parcellaires, une vraie politique de l’inclusion de tous. Ne vous y trompez pas, cette question est la plus profonde, la plus sérieuse qui soit, parce que notre société est aujourd’hui divisée entre les égoïsmes tentés par les sirènes de la mondialisation et les donneurs de leçons qui voudraient qu’on oublie toutes les contraintes du réel pour s’occuper d’une partie de la société ».

« Redonner toute sa place à l’intelligence française, c’est aussi se refuser aux incohérences qui nous minent par un véritable effort de réflexion collective. Nous ne pouvons pas continuer d’affirmer notre attachement aux principes de l’asile en nous abstenant de réformer en profondeur un système débordé qui ne permet pas un traitement humain et juste des demandes de protection émanant d’hommes et de femmes menacés par la guerre et la persécution, ceux qu’on appelait en 1946 les combattants de la liberté ».

« Redonner sa place à l’intelligence française, c’est faire de notre pays le centre d’un nouveau projet humaniste pour le monde, le lieu où l’on concevra, créera une société qui retrouve ses équilibres : la production et la distribution plutôt que l’accumulation par quelques-uns, l’alimentation saine et durable, la finance équitable, le numérique au service de l’homme, la fin de l’exploitation des énergies fossiles et la réduction des émissions. La France n’est pas un pays qui se réforme, la France est un pays qui résiste aussi longtemps qu’il est possible de ne pas réformer, un pays qui se cabre quand on lui parle mal, quand on ne lui explique pas, quand on ne le respecte pas, quand on ne parle pas à sa dignité et à son intelligence ! »

« Ce ne sont pas les Français qu’il faudrait désintoxiquer de l’interventionnisme public, c’est l’Etat. Il faut protéger les plus faibles sans les transformer en mineurs assistés permanents de l’Etat, de ses mécanismes de vérification et de contrôle. Tout sera fait pour rendre aux Français leur autonomie confisquée. Redonner sa place à l’intelligence française, c’est permettre à chacun, à chaque territoire de réussir, de s’engager ».

Pour bonifier notre démocratie dans les années qui viennent, le mieux est de réfléchir à partir de ce discours programme, car le président réélu dispose des leviers essentiels pour faire bouger le système politique. Ses déclarations seront examinées à la Lumière de la Parole contextualisée à la France d’aujourd’hui. Le post 59 parlera des initiatives du président pour impliquer le peuple : le Grand Débat National et la Convention Citoyenne pour le Climat. Le post 60 parlera de l’intelligence française comme effort de réflexion collective. La fraternité, l’accueil des réfugiés et les crises migratoires seront le sujet du post 61. Enfin le terrorisme islamiste et la laïcité (que je qualifie de laïcité d’obscurantisme) seront évoqués dans le post 62.

2 Les réformes du projet de loi (abandonné) de 2018 « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace »

Ce projet reste dans le cadre mental de la démocratie représentative ; c’est un texte fourre-tout avec 36 articles (trait d’humour ?) portant sur des sujets assez disparates.

Dans son « exposé des motifs », ce projet de loi constate « l’épuisement du système politique », le « rejet d’une certaine manière de concevoir l’action politique », l’attente par « nos concitoyens d’une mutation de nos mœurs et de nos pratiques » et « d’élus en phase avec la société rendant compte clairement des politiques qu’ils mettent en œuvre ». Cette « aspiration démocratique très forte s’est conjuguée avec des modes d’engagement citoyen inédits grâce au développement sans précédent de technologies de l’information et de la connaissance, qui sont également le vecteur d’une accélération du temps politique ».

« Une actualisation de la Ve République qui préserve ses traits fondamentaux, est une nécessité. Ce projet s’inscrit dans une réforme institutionnelle plus vaste, les lois pour la confiance dans la vie politique de l’été 2017, centrées sur l’exemplarité des élus. Il inclut des mesures sans révision de la Constitution : la diminution du nombre de parlementaires ; l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle pour les députés ; l’interdiction du cumul des mandats électifs au-delà de trois mandats consécutifs ».

Les effectifs parlementaires seraient réduits de 30 %, 404 députés (contre 577) et 244 sénateurs (contre 348). Le Sénat serait intégralement renouvelé en 2021 afin que la réduction des effectifs s’applique en même temps. Le redécoupage des circonscriptions législatives respectera le principe d’égalité devant le suffrage, l’intégrité des limites communales et des cantons sauf ceux de plus de 60 000 habitants. A l’Assemblée nationale 15 % de son effectif, 61 députés, sera élu au scrutin de liste national à la représentation proportionnelle. Les professions de foi des listes seront dématérialisées mais resteront consultables en mairie.

L’affaire Benalla (post 56 §3) perturbe les débats. Le 20 juillet, tous les présidents des groupes d’opposition de l’Assemblée nationale réclament qu’Édouard Philippe vienne s’expliquer. Le Premier ministre dénonce une « obstruction parlementaire ». Le 22 juillet, l’examen de la réforme constitutionnelle est suspendu jusqu’à nouvel ordre. Après avoir défendu un huis clos sauf pour le ministre de l’Intérieur, la majorité accepte la publicité des auditions, qui commencent le 23 juillet, présidées par Yaël Braun-Pivet.

Les groupes Les Républicains, La France insoumise, le PS, le Parti communiste, le Rassemblement national quittent la commission d’enquête le 26 juillet, dénonçant un « sabotage » par le groupe La République en marche qui ne juge pas nécessaire de procéder à l’audition de « toute la chaîne hiérarchique » de l’Élysée et du ministère de l’Intérieur. Yaël Braun-Pivet porte plainte contre les messages de menaces et d’injures sexistes et antisémites dont elle est victime sur les réseaux sociaux depuis le début de l’enquête sur l’affaire Benalla. Sans connaître les discussions de couloirs, je pense que cette affaire fut un prétexte opportun pour l’obstruction parlementaire des députés qui ne voulaient pas tailler dans leur effectif.

3 La question du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Au Palais d’Iéna siège tranquillement la troisième assemblée constitutionnelle, le Conseil économique, social et environnemental. Il est saisi par le Gouvernement et donne son avis sur des projets de loi, d’ordonnance ou de décret. Beaucoup se demandent à quoi servent ses rapports, seule production visible d’un travail à peine visible pour un coût trop élevé, une situation souvent critiquée par la Cour des Comptes. Les appels à supprimer le CESE et ses antennes régionales CESER n’ont jamais abouti, or ils contribuent à discréditer le monde politique dans l’opinion publique. Ils sont accusés de consolider des corporatismes, de financer abusivement des permanents d’organisations syndicales ou associatives, d’assurer une préretraite dorée pour des personnalités en fin de carrière, et de servir de renvoi d’ascenseur à des amis politiques.

Le rapport du Sénat de 2009 (https://www.senat.fr/rap/r08-389/r08-389.html) laisse dubitatif et conclut par : « Le CESE se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Trop longtemps cantonné dans un anonymat relatif, il se voit offert (avec la loi de 2008) l’opportunité d’affirmer son statut d’assemblée constitutionnelle ». Plus d’une décennie après, le CESE n’a toujours pas convaincu de son utilité réelle.

Pour mieux comprendre ce que fait ce CESE, on peut lire l’article bien documenté de 2019 : « écrire à l’image de son institution de Thomas Lépinay (https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2019-4-page-33.htm). Il rappelle qu’il est d’abord apparu comme Conseil national économique en 1925 puis s’est réincarné (Conseil économique, Conseil économique et social) avant d’être intégré à la Constitution de 1958. Il décrit la « routinisation du travail rédactionnel de conseillers issus de syndicats ou d’associations qui ont souvent mené des négociations. L’écriture du rapport dépend des configurations des sections, de la trajectoire de leurs membres, de la relation qui s’instaure entre le président de section, le rapporteur, les administrateurs et les membres de la section ». Ils écrivent un rapport faisant consensus interne avec un minimum d’efforts.

« Déconcertés par la définition peu précise de l’institution et sa relative marginalité, les conseillers et les fonctionnaires ne savent pas à qui ils s’adressent dans l’écriture du rapport ». En réunions de section, ils parlent d’écrire pour un monde administratif, ou pour le grand public (un rapporteur : « Il faut avoir le grand public comme objectif, nos recommandations seront pillées par nos interlocuteurs, les ministères, par les journalistes, mais aussi par des gens de toute sorte, ce sera la reconnaissance de la valeur ajoutée du Conseil »), pour les partenaires sociaux (une présidente de section : « C’est aussi une saisine pour les partenaires sociaux. Il faut oser y confronter nos points de vue pour y mettre des propositions innovantes et utiles »), pour TF1, pour l’Ifremer…

T. Lépinay affirme « qu’au palais d’Iéna, les luttes internes sont permanentes, du fait du caractère parlementaire de l’institution, et s’expriment au cours des processus de coécriture ». Le CESE est une assemblée hétéroclite de privilégiés débattant dans une atmosphère confinée, très éloignée de ce que l’on pourrait attendre d’une institution favorisant un débat collectif éclairant le gouvernement ou l’opinion publique. Que pourrait donc faire une petite dose de citoyens tirés au sort dans cette galère ?

Le CESE est une institution d’un autre âge, quand le roi consultait les corporations. Comme les dinosaures, le mieux serait qu’il disparaisse. C’est au peuple d’en décider après une délibération nationale et un référendum pour en tirer les conclusions.

4 Les propositions du président pour le CESE et son idée d’un CNR

Le président voulait faire du CESE une « Chambre du futur, où circuleront toutes les forces vives de la Nation », un « forum de notre République », réunissant « toutes les sensibilités et compétences du monde de l’entreprise et du travail, des entrepreneurs comme des syndicats, des salariés comme des indépendants, des associations et des ONG pour le présenter à la représentation nationale ». Le projet de loi prévoyait d’abord de remplacer le CESE par une « Chambre de la participation citoyenne », appellation modifiée après l’avis du Conseil d’Etat en une « Chambre de la société civile » pour éclairer le Gouvernement et le Parlement, organiser la consultation du public et traiter les pétitions, pour être le carrefour des consultations publiques et de la participation citoyenne en associant les pétitionnaires et, au besoin, des citoyens tirés au sort.

Dans son avis, le Conseil d’Etat « ne voit pas d’objection à l’expression société civile. Il fait référence au livre blanc sur la gouvernance européenne pour la qualifier comme « incluant notamment les organisations syndicales et patronales ainsi que les associations qui défendent les intérêts et valeurs de leurs membres dans tous les domaines de la vie civile, y compris religieux ». Il ajoute que cette nouvelle Chambre de représentants de la société civile ne peut comprendre de personnalités désignées en fonction de leurs compétences ou expériences individuelles (comme c’est le cas au CESE actuel) et propose pour ne pas allonger les délais législatifs que ses avis sur les projets de loi soient facultatifs, sa consultation étant obligatoire.

Après l’abandon du projet le président revient avec un projet de Conseil national de la refondation (CNR) annoncé durant la campagne législative. Son objectif est de réunir « les forces politiques, économiques, sociales associatives, des élus des territoires et des citoyens tirés au sort pour créer une vaste concertation autour des réformes ». Il reste dans sa logique de centralisation. Le CNR serait chargé de mettre en avant ses cinq objectifs de campagne : l’indépendance (industrielle, militaire, alimentaire), le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics pour l’égalité des chances et la renaissance démocratique avec la réforme institutionnelle.

Les réactions des oppositions sont immédiates et virulentes contre cette idée. Convié à l’Élysée le 22 juin pour la première réunion consacrée au pouvoir d’achat, le président du Sénat, G. Larcher décide de ne pas venir. Contacté par franceinfo, l’Elysée n’a pas précisé de quelle manière le CNR s’emparerait de ces missions ou présenterait les résultats de ses réflexions : « le président a donné une impulsion, une orientation générale. Ce sera à la Première ministre et au gouvernement de s’en emparer, de s’appuyer sur ces travaux et de les rendre opérationnels. » Le projet de CNR est donc reporté à la rentrée, ce qui permettra aux différents acteurs de réfléchir.

Je vois mal comment ce CNR réussirait dans une configuration à peine différente du CESE, grosse assemblée hétéroclite destinée à débattre de sujets disparates et à produire des rapports pour les pouvoirs.

Il faut aller résolument vers une démocratie délibérative au lieu d’une timide démocratie participative. Le prochain post reparlera de la pertinence d’instaurer des Hautes autorités citoyennes.