La remarquable unité des premiers musulmans leur a permis de survivre à la hargne meurtrière de leurs opposants mecquois et tient à trois facteurs :

  • Le Coran, qui a été révélé progressivement par l’intermédiaire de l’ange Gabriel entre 610 et 632. Le Créateur a veillé à sa bonne transmission et y apporta quelques modifications, des versets qu’Il décida d’abroger (2/106).
  • Le sage prophète, qui a bien guidé le peuple arabe auquel il a été envoyé. Il a bénéficié d’un immense respect et été obéi de tous à de rares exceptions près, parfois graves comme à Uhud.
  • Le Pèlerinage à La Mecque dont la purification des idoles de bois a été un premier objectif majeur des musulmans et qui les a ensuite fortifiés dans leur piété et leur unité.

De nos jours, contrairement aux Evangiles du Messager Jésus, le texte arabe du Coran fait l’unanimité dans le monde musulman même si les interprétations en sont multiples. Quand Uthman décida de constituer un texte commun, plusieurs versions coexistaient et Aïcha, forte personnalité dotée d’une mémoire remarquable, exprima son désaccord sur certains points, probablement mineurs.

Je n’oublierai jamais l’expérience du hadj à la Mecque, prier avec une immense foule venue de pays parfois en opposition franche ou larvée, parlant des langues variées et se côtoyant hommes et femmes dans la paix du Saint. Très peu de policiers rarement sollicités, mais des agents de nettoyage du sol très actifs ! Et cette immense mosquée de Médine où il est si facile de prier librement sans que des intrus ne viennent vous importuner comme dans nos villes. L’unité paisible entre humains est un bonheur rare !

1 Les germes de division dans la première génération : califat et imams

La mort inévitable du prophète Muhammad était redoutée de tous : plus d’arbitre incontestable pour trancher les désaccords, plus d’imam pour diriger la prière collective, plus de modèle de comportement pour ses compagnons, les salafi.
L’unité difficile dans la culture arabe clanique dominée par les mâles explique les interminables conflits meurtriers entre tribus avant le Coran. Les disputes commencèrent alors que le prophète était à l’agonie pour savoir qui allait le remplacer. Au lieu de réfléchir ensemble à partir du texte du Coran, les premiers compagnons ont cherché un « calife » succédant au prophète comme guide pour sa « umma ».

Que dit le Coran sur ces notions ?
Le mot khalîfa est utilisé neuf fois dans le Coran (deux au singulier, sept aux pluriels khalâ’if et khulafâ’. D’abord pour Sa créature adamique : lorsque Dieu dit aux anges : Je vais établir un khalîfa sur la terre (2/30), puis pour David : Ô David ! Nous avons fait de toi un khalîfa sur la terre (38/26).
Le pluriel khalâ’if concerne l’ensemble des humains, des « lieutenants » de Dieu sur terre (vi-165 ; x-14 ; x-73 ; xxxv-39). Le pluriel khulafâ’ (successeurs) concerne les Ad dont Allah fait des « khulafâ’ après le peuple de Noé » (vii-69) et les Thamûd dont Allah fait des  » khulafâ’ après ‘Âd » (vii-74). Aucune des occurrences de khalîfa et de ses déclinaisons (sauf le verset relatif à David) n’a la connotation de commandement politico-religieux.

Le mot ’imâm, est utilisé dans le Coran 7 fois au singulier et 5 fois au pluriel. Au sens d’exemplarité d’un événement, la destruction de deux cités (xv-159), ou d’enseignement pour se guider, le livre de Moïse est « ’imâm et miséricorde » (xi-17 et xlvi-12). Au sens d’une personne : fais de nous et de notre descendance un ’imâm pour les gens pieux (xxv-74) ou pour Abraham : Je ferai de toi un ’imâm pour les humains (ii-124). Au pluriel : Nous voulons combler les opprimés sur la terre, faire d’eux des ’a’imma et des héritiers (xxviii-5). Mais le mot peut être utilisé dans le mauvais sens : « combattez les ’a’imma de la mécréance qui violent leurs serments » (ix-12). Aucun verset ne parle d’un ’imâm au sens des islamistes, un chef de l’umma, communauté politico-religieuse islamique.

Le terme ’umma en arabe pré coranique a un sens très large. Il est utilisé, dans le Coran, 51 fois au singulier et 13 fois au pluriel dans des sens différents. Un verset évoque une espèce vivante : Il n’y a point de bête sur la terre ni d’oiseau volant de ses ailes qui ne participent de ’umam comme vous (vi-38), un autre concerne des ensembles d’humains et de génies qui ont disparu (vii-38).
Abraham est une umma (xvi-120), matrice de nouvelles communautés, mais umma peut être un groupe dans un ensemble plus vaste : parmi le peuple de Moïse, il y a une umma qui guide selon la vérité (x-159). Umma a souvent le sens de peuple ou nation, les umam auxquelles Dieu envoya des « prophètes » et des « témoins », sans distinction entre « ceux qui ont cru » au message et « ceux qui n’y ont point cru ».
L’usage du pluriel umam ne permet pas de réduire son sens à une « communauté islamique universelle et unique qui embrasse tous les pays musulmans où prévaut la loi islamique » que veulent y voir certains islamistes. Aussi le plus sage est probablement de traduire umma par « nation », mot retenu par la Parole de 1974 avec cette définition de Massignon, la « volonté de vivre ensemble ».

Muhammad avait apporté beaucoup de réponses aux questions de ses compagnons, et ses réponses contextualisées ont été tardivement regroupées dans des recueils hétérogènes de hadiths qui lui attribuent des paroles parfois contradictoires. Les luttes politiques entre musulmans surchargèrent les mots de certains sens et en évacuèrent d’autres pour interpréter les hadiths dans un sens favorable aux intérêts des protagonistes. Il est donc très difficile de trouver un consensus sur les hadits, facteurs de division plus que d’unité.

Dans un monde musulman divisé et en l’absence du prophète du Coran, restaurer l’unité des croyants, passe sur le fond par le texte du Saint Livre et sur la pratique par la piété partagée au pèlerinage de La Mecque.

2 Les fitnas des générations suivantes, des rivalités de pouvoir

Les schismes politico-religieux, guerres civiles, rivalités et divisions entre les musulmans sont des fitnas comme tout « trouble, révolte, agitation, sédition ». On retient généralement six fitnas majeures qui s’étalent de 656 à 1009. La première, la grande fitna dont les conséquences perdurent est la guerre civile après l’assassinat d’Othman, en 656 et la bataille du chameau liée au choix du successeur, la dernière étant celle d’al-Andalus de 1009 à 1031, la désintégration du califat de Cordoue en plusieurs fiefs indépendants. Depuis que l’islam existe, les guerres intestines, larvées ou affichées, ont rarement cessé entre musulmans.

Dans le Coran, fitna veut dire « épreuve, test » : « (Ce sera) un Jour où ils seront mis à l’épreuve dans le Feu ! » (51/13) ou « Tous goûteront la mort, et Nous vous éprouverons les uns les autres avec le bien et avec le mal, et à Nous vous serez retournés. » (21/35). Fitna a aussi d’autres sens dans le Coran, comme l’association dans l’adoration (shirk) qui peut conduire à l’incroyance.
La première fitna a conduit à la séparation durable entre la majorité sunnite et les partisans d’Ali, les chiites, les deux branches majeures de l’islam ; la troisième est plus discrète, à tendance mystique, les soufis et leurs confréries.

Sur ces différences s’est greffée la complexité ethnique et culturelle des convertis. Arabes, turcs et perses sont les peuples déterminants des débuts de l’islam. Les arabes sont la référence initiale, les perses sont héritiers d’une grande civilisation hiérarchisée et raffinée et des capacités d’administration qu’elle a développé, les turcs d’Anatolie et surtout des plateaux d’Asie sont de redoutables guerriers comme les mongols. L’armée de Gengis Khan y avait intégré des turcs, mais son immense empire se divisera. Un descendant fondera la dynastie moghole, au pouvoir en Inde, un autre celle des Yuan qui règnera sur la Chine. La Mongolie est devenue bouddhiste sur décision du roi, et le Xinjiang chinois est le territoire des ouïgours, des musulmans turcophones lourdement opprimés. Le monde musulman actuel est donc très hétérogène de par son histoire et les cultures des peuples majoritairement musulmans, mais les rivalités de pouvoir ne se traduiront plus en pillages et massacres des vaincus après la relative stabilisation des frontières qui suivra la colonisation.

Après la première guerre pour le califat, il deviendra un enjeu de pouvoir symbolique et migrera de Médine à Damas puis à Bagdad. Les turcs vont s’imposer par la force, les seldjoukides laissent l’apparence d’un calife arabe mais prendront le pouvoir réel à Bagdad et les mamelouks, installés en Egypte depuis 1250 stopperont l’avancée des mongols. L’empire ottoman unifiera une bonne partie des turcophones pour constituer un immense empire entre 1300 et 1566 avec les conquêtes de Soliman, ne laissant aux arabes vassalisés que la centre de la péninsule arabique où apparaîtra le wahabisme. L’empire ottoman ne revendiquera le califat que longtemps après la chute de Bagdad, les omeyades de Cordoue avaient proclamé leur califat en 929.

Dans les rivalités de pouvoir, la frontière entre sunnites et chiites fluctue au gré des décisions des pouvoirs. En 932, les guerriers chiites Buwayhides au pouvoir laisseront en place le calife sunnite. Les séfévides, originairement sunnites, deviennes chiites duodécimains au 15ème siècle et attendent le retour de l’imam (occulté en 874). Ils imposent le chiisme en 1502 comme religion d’état de l’Afghanistan à l’Euphrate et luttent contre leurs rivaux sunnites, les ouzbeks au Nord et les ottomans à l’Ouest.
Ils fondent Ispahan et la civilisation persane s’épanouit à nouveau avant de décliner au 19ème siècle avec les rivalités féodales, l’immobilisme de la classe sacerdotale et les affrontements entre chiites et ismaéliens ou disciples du Bab qui permettront à la Russie et à l’Angleterre de s’imposer de fait dans la région. Le chah Pahlavi remplacera la dynastie des Qadjars, une tribu turco-mongole arrivée au pouvoir en 1796, et se déclare empereur d’Iran.

Les termes khalîfa et ’imâm prirent ainsi au fil du temps un sens politico-religieux systématisé en doctrines par les clercs religieux pour justifier les pouvoirs dynastiques en place ou étayer les prétentions des dissidences. L’abolition du califat en 1924 donne de l’oxygène à l’islam pour déconstruire la confusion entre politique et religieux et la prétention des leaders à incarner la voie droite.

3 Les courants minoritaires dans l’islam, chiisme, soufisme et les mouvements se reliant au Coran

Le chiisme était en germe dans la rivalité personnelle entre Ali, le fils adoptif du prophète, un vaillant guerrier, et Aïcha, fille d’Abu Bakr, la seule femme que le prophète ait connue vierge, deux caractères très affirmés. Alors qu’elle n’était pas encore pubère, Aïcha fit un rêve peut-être inspiré où elle se voyait épouser le prophète et alla avec insistance parler à son père pour exiger qu’il la promette en mariage au prophète. Son père, la voyant inflexible, finit par céder et convaincre Muhammad. Le mariage fut décidé et consommé après sa puberté. De nos jours, des hypocrites ignorants des faits taxent le prophète de pédophilie !

Les partisans d’Ali et les perses minoritaires avaient tissé des liens dès le début de l’hégire, mais c’est au 16ème siècle avec la proclamation de l’imâmisme duodécimain comme religion d’état par les souverains safawides que le chiisme est devenu puissant et surtout perse. La Perse était plutôt sunnite, des conversions forcées ont eu lieu, ce qui explique la crispation des clergés iraniens sur leur pouvoir acquis de force puis réinstauré par les prêches de Khomeiny face à un shah honnis par le peuple.

Les ulémas, les « savants » des sunnites ne sont pas hiérarchisés, mais les mudjtahid du chiisme le sont et ils ont intégré les hadiths et l’exemple d’Ali comme aussi importants que ceux de Muhammad. De nombreux sermons douteux à tendance ésotérique lui sont attribués. Le chiisme a de nombreuses branches plus ou moins connues en plus du courant duodécimain qui règne en Iran : les ismaéliens, les druzes, les alaouites
Les chiites se divisent en particulier sur leur calife de référence, le septième, Ismaël, mort en 762 pour les ismaéliens, le onzième pour les alaouites, le douzième pour les duodécimains, Al-Hakim mort en 1021 pour les druzes, Nizar mort en 1094 pour les nizarites khodjas de l’Agha Khan, Mustali mort en 1101 pour les mustalites…

Le nizarite Hasan al-Sabbah s’empara d’Alamut, une citadelle de l’Elbrouz et imposa à ses hommes une discipline de fer reposant sur la prière, l’entraînement militaire et l’obéissance absolue. C’est la secte des assassins qui lança ses terroristes kamikazes armé d’un poignard pour tuer des notables ciblés. Le petit-fils de Gengis Khan détruisit en 1257 leur forteresse et anéantit cette secte qui fit trembler les califes de Bagdad.

Les druzes (du nom du prédicateur al-Darazi), que leur discrétion protège des intrusions hostiles, s’appellent muwahhidun (unitaires), insistent sur l’unicité de Dieu et se relient au calife Al Hakim. On parle de plus de 500 000 druzes au Moyen Orient et de deux millions dans le monde, aux USA en particulier mais l’incertitude règne. Les druzes des montagnes du Liban sont comme les kurdes des hommes courageux et j’ai constaté en période électorale qu’il y a un vote druze : les photos et posters du leader Walid Joumblatt étaient bien présentes, mais moins que celles du leader du Hezbollah.
Sur leur univers de foi, les chercheurs se perdent en conjectures et c’est probablement mieux ainsi. Les druzes, que l’histoire des persécutions par les sunnites a rendu prudents et solidaires comme les alaouites, pratiquent l’art de la dissimulation, taqiyya (qu’il ne faut pas confondre avec l’hypocrisie). Seuls les sages parmi eux, de famille connue, auraient accès après leur initiation et leur engagement de pratique fidèle, au « livre de la sagesse » regroupant des lettres manuscrites d’interprétation du Coran rédigées à leur époque missionnaire qui cessa sous Baha’el-Din.

A partir du Xème siècle, les mystiques seront appelés soufis et surveillés étroitement par les pouvoirs. On connait les difficultés qu’a eu la grande Thérèse d’Avila avec l’inquisition. Le soufisme actuel, très varié et parfois ésotérique, insiste sur l’expérience spirituelle personnelle pour se rapprocher de Dieu. Mais depuis l’horrible mise à mort par les pouvoirs d’Al-Hallaj (857-922), ils sont devenus très prudents dans l’expression de leur vie spirituelle.
Ils ont cultivé l’art de la discrétion, ce qui a conduit à partir du 6ème siècle au développement de confréries plus ou moins fermées comme les derviches tourneurs qui se relient à Roumi ou les mourides du Sénégal. Les confréries sont généralement très hiérarchisées, leur fondateur est vénéré et a parfois droit à son mausolée, ce que la Parole de 1974 réfute : « il n’y a de piété que pour Dieu ». Elles peuvent être riches grâce à la générosité des adeptes et les pouvoirs en place se sont toujours méfiés de leur influence.

Les kharijites refusèrent l’arbitrage de 657 entre Ali et Muawiya. Ils furent massacrés par l’armée d’Ali en 658, puis persécutés par les Omeyades et se dispersèrent. Les historiens identifient plus de 20 branches dont certaines ont une profession de foi où Muhammad reste l’envoyé d’Allah, mais seulement aux arabes, et traitent sur un plan d’égalité les juifs et les chrétiens.

En marge de l’islam parce qu’ils se réfèrent à un Messager après Muhammad, il y a les ahmadis et les bahaïs. En 1889, Mirza Ahmad fonde le mouvement ahmadi au Pakistan en se proclamant Mahdi ou Messie. Ils sont plus de 10 Mn, surtout en Iran où ils persécutés parce qu’ils remettent en cause la théorie de Muhammad comme dernier messager. Même leur discrétion en Algérie ne les protège pas, leur leader est emprisonné en 1976 sur la base de sa foi dans un pays où théoriquement la liberté de conscience existe.

Les bahaïs, environ 6 Mn dans le monde, ont un superbe mausolée à Haïfa et j’ai admiré leur temple à Chicago. L’iranien Bahá’u’lláh affirme en 1844 que son maître est le Bab (la porte), le Messie qu’il avait annoncé et qui sera fusillé en 1850. Lui-même est exilé à St Jean d’Acre où il écrira les livres qui servent de référence aux bahaïs. Ils insistent sur l’unicité de Dieu, la continuité de tous les Messagers, y compris Bouddha et Muhammad, appellent à l’unité de la famille humaine et à la paix. Ils sont dirigés par neuf sages, sans clergé, et la prière est libre, ils militent pour être officiellement reconnus comme nouvelle religion mondiale. J’ai beaucoup d’estime pour ce mouvement spirituel, mais en lisant leurs textes de référence affirmant comme Paul de Tarse qu’il faut obéir aux pouvoirs en place, je ne peux reconnaître en leur fondateur un Messager.

4 Les débats et écoles juridiques

Nous avons vu dans le post 29 que six écoles philosophiques ont canalisé les divergences d’analyse en Inde. Les philosophes, censés aimer la sagesse, réfléchissent et dissertent. Il y a eu de grands philosophes dans le monde musulman, mais ils n’ont pas divisé leurs sociétés comme les juristes issus des cadis nommés par le pouvoir. Ces juristes, chantres de l’Etat de droit ou de la charia, ratiocinent et coupent les mots en quatre pour justifier les décisions des puissants ou créer leur propre jurisprudence, les fatwas.

Dans le monde occidental les juristes créent le droit ; dans le monde musulman, ils doivent partir du texte du Coran pour leur cuisine mentale. Leur « fikh » ou effort de raisonnement, ne cesse jamais. Or seulement 500 versets sur les 6200 du Coran pourraient avoir une valeur juridique ! Ils ajoutent les hadiths, la sunna et leurs idées, envahissent la sphère privée, la pratique des cinq piliers, et les rapports entre personnes en plus du droit public et déclarent des fatwas arbitraires qui peuvent devenir dans certains pays une incitation au crime.

Les quatre écoles juridiques du sunnisme tirent leurs noms des fondateurs, tous morts entre 765 et 855 : la hanifite, qui accorde de l’importance à l’opinion personnelle du jurisconsulte et au raisonnement par analogie ; la malikite où l’utilité pour le bien de la communauté est mise en exergue ; la chaféite qui fixe son droit canon sur le comportement du prophète et le consensus majoritaire ; et l’hanbalite adepte d’une tradition rigide. Quant aux chiites, c’est l’école jafarite qui est prédominante, écartant le raisonnement par analogie et l’opinion personnelles pour se limiter au Coran et aux hadiths. D’autres écoles ont disparu.

C’est le chaféiste Al Ghazali, mort en 1111 (dont le grand Averroès réfutera brillamment les thèses dans son « discours décisif »), qui figera l’interprétation du Coran par des juristes soumis au pouvoir comme il l’était lui-même. Une crise personnelle le rendit muet pour six mois, il renonça à son poste de cadi, s’éloigna de la théologie et se rapprocha du soufisme. Il combattit le chiisme et l’ésotérisme.
Il place au-dessus du raisonnement philosophique ou scientifique la religion et la doctrine qui sont du ressort des savants juristes, tandis que les affaires de ce monde et de l’État sont aux mains des dirigeants. Le peuple, lui, n’a qu’à obéir. C’est ainsi que la civilisation et la science arabes sortirent de l’ère de la création, de l’innovation et de l’imagination pour entrer dans celle de la reproduction, de l’imitation (taqlid) et de la compilation.

Le persan At Tabari (1165-1240), cité comme exemple d’auteur de livres d’homme par la Parole de 1974, est un touche-à-tout très prolifique et aura une grande influence sur le chiisme iranien. Il n’est pas que juriste, il est historien, commentateur du Coran, mais aussi maître soufi, et mystique quand il évoque un rêve où le prophète lui aurait remis la « pierre de la sagesse », ou des mystères que des anges lui auraient communiqués directement. Il va surtout théoriser le rôle des « saints » (dans la Parole, Dieu Seul est Saint).

La mainmise des décortiqueurs du Coran continue ainsi à diviser et stériliser la réflexion du musulman de base qui oublie que le texte s’adresse directement à tous les croyants, libres de le comprendre selon leur sensibilité propre. Il est plus confortable de suivre que de réfléchir, alors que le Coran appelle à la connaissance !

5 Les tensions et conflits du monde moderne et la voie de l’unité

Les facteurs de division sont nombreux dans le monde musulman et avec les autres mondes, chrétien et hindouiste. Les fauteurs de troubles profitent des incertitudes d’interprétation, manipulent les croyants musulmans dans leur ignorance du vrai sens du Coran et attisent leurs craintes dans un monde agité, politisé, et matérialiste qui s’est éloigné de la Parole.
Les disparités géographiques, culturelles et politiques des musulmans ne facilitent pas leur entente. La guerre déclenchée par l’Irak contre l’Iran avec les armes vendues par les occidentaux est une guerre de politiciens entre deux rois noirs, le sunnite Saddam Hussein et le chiite Khomeiny. Le contexte militaire actuel n’incite plus aux guerres ouvertes, ni entre peuples majoritairement musulmans, ni avec les autres peuples. Ce qui perdure, c’est la violence aussi absurde qu’aveugle du terrorisme des ignorants manipulés par des soi-disant savants se réclamant du Coran.

Dans les pays musulmans ou ils sont majoritaires comme en Indonésie ou au Pakistan, il y a une très grande diversité de sensibilités et de comportements parce que ces pays sont une mosaïque d’ethnies qui ont reçu différemment le Coran et le vivent à leur manière.
Prenons l’île indonésienne de Sumatra. Au Nord il y a les Aceh, 4 Mn environ, meurtris par le tsunami qui a épargné leur grande mosquée. Ils vivent le Coran en rigoristes : femmes voilées, flagellation publique et cinéma interdit. Au Sud, il y a 6 Mn de Minangkabau, société matrilinéaire et polyandre comme celles des Ladakhis bouddhistes. Pour loger un conjoint supplémentaire, la femme agrandit une aile de sa maison ! N’en déplaise aux fondamentalistes, ils ne voient aucune incompatibilité avec le Coran (et moi non plus tant qu’il n’y a ni contrainte ni injustice). En voyageant chez eux, on rencontre des femmes affirmées, des entrepreneuses efficaces qui en ont fait une région riche. L’Indonésie est le plus grand pays musulman, mais si on voulait leur imposer de Jakarta une idéologie officielle sur la manière de vivre l’Islam, ce serait un désastre ! La référence au Coran et au prophète Muhammad suffit et les indonésiens le prouvent.

Le prophète est cité plus de 20 fois dans le forqan (voir post 10), la Parole dictée en 1974 et 1977 au messager Mikal, soit directement, soit dans l’expression frère de Muhammad qui fait écho au frère de Moché et de Yëchou (Moïse et Jésus). Muhammad y est loué comme, « le plus écouté de Mes messagers, le plus sage, qui n’a pas fait ployer son peuple sous les observances et ne l’a pas fait fléchir sous les ordonnances des princes du culte  » (2/9). C’est après lui que les ordonnances de juristes se sont multipliées et ont divisé les hommes. Pour l’avenir de notre jeunesse, libérons nos esprits de cette tutelle mentale des manipulateurs de toutes sortes !

Le Coran dit en 13/38 : un Livre a été envoyé pour chaque époque bien déterminée, et en 14/4 : Chaque prophète envoyé par Nous ne s’exprimait, pour l’éclairer, que dans la langue du peuple auquel il s’adressait. Ainsi quand le Coran dit à de multiples reprises : « obéissez au prophète », Il s’adresse à un peuple arabe, dans le contexte historique de l’époque où vécut son prophète. Il affirme en 13/40 et répète : le prophète doit communiquer le message en toute clarté, mais il précise en 3/7 : Dieu seul en connaît l’explication. Ceci jusqu’au jour où viendra son interprétation (7/53), peut-être une annonce du Zabour (voir post 4) ?

Muhammad n’a été envoyé à tous les hommes que comme miséricorde pour les mondes (21/107), pour annoncer et avertir (34/28), un rôle différent pour les arabes de son époque et pour les autres peuples. Restons modestes sur notre capacité à bien le comprendre, car le contexte de sa révélation reste méconnu, et sa langue est difficile à interpréter. Or l’immense majorité des musulmans actuels parle peu ou pas du tout l’arabe littéraire.

La Parole de 1977 chapitre XIII loue Muhammad, la voix face à l’aurore, qui tient le soleil sur la tête de Yëchou ; mais Elle nous met en garde contre les rois blancs, le roi qui tient la barbe de Moché, Yëchou et Muhammad (XIII/7). Ce sont les rois blancs, leurs princes du culte et docteurs de la religion qui conditionnent les fanatiques violents qui ont semé la discorde et la peur tout au long de l’histoire de l’humanité. Ils commanditent directement des guetteurs, et influencent le peuple par leurs idéologies.

Ainsi, que des hommes ayant une bonne connaissance des faits historiques et du texte du Coran donnent de sages conseils demandés par leurs frères moins savants, c’est tout à fait légitime. Mais quand des hommes polluent la Parole de leurs idées et se donnent des titres d’imams, ulémas, muftis et autres ayatollahs et prétendent figer un sens précis ou définitif du Saint Livre, ils s’égarent et nous égarent et le prouvent par les innombrables controverses agressives auxquelles ils ont habitué les hommes. Un échange fraternel éclairant avec eux ne peut avoir pour résultat la fatwa obligatoire d’un juriste.

C’est d’abord en réfléchissant sur la Parole transmise par tous les prophètes et en La libérant des clergés et juristes qui La parasitent que le monde contemporain commencera à apaiser ses conflits.