« Etablis partout les femmes dans leur mérites » (Parole de1974, 9/5)

Les grandes spirituelles féminines qui ont marqué l’histoire sacrée sont de tempéraments variés et ont vécu dans des contextes très différents. Nous réfléchirons d’abord à Marie, la mère du prophète Jésus (post 2) et aux « mariophanies ». Puis nous évoquerons les leçons données par Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux dans leurs propres écrits et par leurs vies. Elles ont rédigé sur ordre de leurs supérieurs leurs autobiographies. Thérèse d’Avila a consigné le récit précis de ces expériences mystiques dans ce chef d’œuvre qu’est « Le château intérieur ». Elles ont écrit spontanément et naturellement, leurs enseignements sont accessibles à tous. Elles ont été consacrées « docteurs de l’Eglise » par l’église catholique.

Rome a également appelé « docteurs » Hildegarde de Bingen et Catherine de Sienne, de grandes dames qui ont marqué leur époque encore très moyenâgeuse de leurs sociétés allemandes et italiennes. Faute de place, je ne peux les évoquer ici, pas plus que des figures de l’histoire prophétique comme Khadija ou Aïcha. Quant au qualificatif de saintes catholiques, Dieu Seul est Saint au sens absolu et Il n’est ni masculin, ni féminin. Mais tout au long d’une histoire humaine trop souvent marquée par la violence et la domination des mâles, beaucoup de femmes ont su nous montrer l’exemple d’une vie spirituelle simple et sublime menée avec une grande intelligence du cœur.

Dans les familles comme dans les sociétés, les hommes et les femmes sont complémentaires d’une manière qu’ils devraient définir ensemble librement. Mais depuis le choix de nos lointains ancêtres mâles, le rôle attribué à la femme est souvent contraint et discrédité, celui d’une génitrice dévouée à servir l’homme. La femme, seule à pouvoir porter et aimer un enfant intimement lié à sa chair, est naturellement portée à respecter la vie et refuser la violence, même s’il y a des exceptions de femmes d’une grande cruauté. Elles sont ainsi pour nous un irremplaçable guide spirituel de l‘amour au quotidien et de la paix du cœur.

1 Quelques réflexions sur Marie, mère de Jésus

Parlons d’abord de Marie mère de Jésus et de ces apparitions qui nous placent dans un contexte de spiritualité très féminine par une Dame qui se manifeste et par les jeunes filles et enfants qui l’ont vue et souvent entendue.

L’Evangile de Luc 26 à 38 relate le célèbre épisode de l’annonciation que le Coran confirme : « L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu à une vierge fiancée à Joseph dont le nom était Marie. Et, entrant chez elle, il dit : Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu enfanteras un fils et tu l’appelleras du nom de Jésus. L’Esprit-Saint surviendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. Et voici qu’Elisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, elle qu’on appelait la stérile : rien n’est impossible pour Dieu. Marie dit alors : Voici la servante du Seigneur : qu’il me soit fait selon Ta Parole ! »

Dans le Coran, la Marie est la seule femme dont le nom est cité par le texte sacré (34 fois) et Jésus est appelé 15 fois fils de Marie. La sourate 5/75 dit : « Le messie fils de Marie n’est qu’un apôtre et d’autres apôtres passèrent avant lui. Sa mère était une juste (Al-siddiq) ». Ce qualificatif rare dans le Coran n’est appliqué qu’à quatre personnes, Abraham, Idriss, Marie et Joseph.

En 19/16 : « Mentionne aussi Marie dans le Livre, Nous lui envoyâmes notre esprit qui prit devant elle la forme d’un homme parfait ; elle dit, je me réfugie contre toi dans le Miséricordieux ; il dit je ne suis que le messager de ton Seigneur pour te faire don d’un fils pur ; elle dit comment aurai-je un fils, aucun homme ne m’a touchée ? Il répondit ce sera ainsi, ton Seigneur a dit ce M’est facile et nous ferons de lui un signe pour les gens et une grâce, l’ordre est donné ». Et en 66/12 : « De même, Marie, la fille d’Imran qui avait préservé sa chasteté ; Nous y insufflâmes alors de Notre Esprit/Souffle. Elle avait déclaré véridiques les paroles de son Seigneur ainsi que Ses Livres : elle fut parmi les dévoués ».

L’exemple donné par le couple des parents du prophète Jésus est exceptionnel dans le contexte du judaïsme car c’est Marie et non Joseph qui a marqué l’histoire spirituelle de l’humanité. On sait très peu de choses sur Joseph, charpentier de son métier, un homme très discret. Il a accepté lui aussi l’annonce de l’ange que la grossesse de sa fiancée était surnaturelle, on ne sait à quel âge il est décédé. Il était encore en vie quand Jésus est allé consulter les docteurs du Temple à l’âge de 12 ans. Mais il n’apparait nullement quand le prophète commence sa mission publique. L’Evangile parle des frères de Jésus qui désapprouvaient sa mission. On peut supposer qu’à ce moment, Marie était déjà veuve.

Il y a peu de données topologiques fiables sur la vie de Marie avant et après la mort et la résurrection de son fils. Certains endroits où aurait vécu la famille de Jésus lors de leur fuite en Egypte sont vénérés par les coptes. L’évangile selon Jean évoque Jésus qui confie à son jeune apôtre Jean la tâche de s’occuper de Marie comme d’une mère. Les visions de la mystique rhénane du 18ème siècle, Anne Catherine Emmerich, (une stigmatisée inédique) lui ont permis des descriptions précises de scènes évangéliques. Elles ont guidé des fouilles fondées qui ont retrouvé à Ephèse la maison très simple où elle aurait passé ses derniers jours.

Marie est très présente dans la piété catholique et orthodoxe sous les traits de la mère universelle s’occupant de son jeune fils ou pleurant son fils crucifié. Au fil des siècles, de très nombreux témoins ont déclaré avoir vu et/ou entendu une Dame identifiée à Marie comme à Lourdes et Fatima, des lieux de pèlerinage mondialement connu où j’ai pu prier. La Dame y a confié un message privé que l’église romaine s’est approprié et a occulté.

2 Les « mariophanies » ou apparitions de Marie

Très peu des témoignages recueillis ont été reconnus par les autorités ecclésiastiques. Elles devaient trier entre des visionnaires sincères mais emportés par leur imagination, des affabulateurs jouant sur la naïveté des croyants, et des témoins d’événements surnaturels non réductibles à la logique matérialiste. Les témoins comme Bernadette à Lourdes et Lucie à Fatima sont de jeunes femmes peu scolarisées. Elles décrivent l’apparition et les paroles d’une Dame les encourageant à prier et à persévérer dans la pratique du Bien.

A Lourdes, Bernadette, pressée par le prêtre de demander à la Dame de lui donner son nom, lui apporte sa réponse « Je suis l’immaculée conception ». Un mot et un concept totalement inconnus de la jeune voyante, mais un sujet d’actualité pour Rome. Elle obéit aux instructions de la Dame en mangeant de l’herbe et en grattant la terre (rappel à la simplicité). Elle découvre une source d’où jaillit toujours l’eau de Lourdes. De nombreuses guérisons physiques interviendront pour les pèlerins.

A Fatima où Lucie était accompagnée de deux petits cousins qui mourront dans leur jeunesse de la grippe espagnole. Le signe le plus spectaculaire fut la fameuse « danse du soleil » annoncée par la voyante et où des milliers de personnes purent regarder un long moment le soleil sans se brûler les yeux et le voir bouger comme s’il se rapprochait de la terre. Les rationalistes parlent d’une « hallucination collective », sans aucun élément pour expliquer ce phénomène sur tant de monde.

Ces jeunes voyantes choisies par Marie ont courageusement transmis leur témoignage malgré le scepticisme, les jalousies, les pressions. Leurs expériences surnaturelles ont encouragé d’innombrables croyants dans leur piété. Ce surnaturel est certes très différent de celui vécu par les messagers qui ont transmis une Parole universelle, et ont aussi dû conduire leur peuple comme prophètes, Moïse (post 3), Jésus (post 2) ou Muhammad (post 1).

Les mariophanies attestées sont très variées dans le temps et l’espace. La première apparition (uniquement visuelle) reconnue par les autorités religieuses date de 430 au Puy en Velay, juste avant le concile d’Ephèse. Sur d’autres continents, il y a eu les célèbres apparitions de Guadalupe en 1531 à un simple paysan indien. Une humiliation bienvenue pour l’orgueil des colonisateurs espagnols et de leur église qui avait osé se demander si les indiens avaient une âme ! Et celles moins connue d’Akita au Japon qui eurent lieu de 1973 à 1981 à une voyante de 42 ans devenue subitement sourde. Ils ont accompagné des guérisons miraculeuses et des lacrimations de statues annonçant des calamités à venir que la prière de croyants pouvait atténuer.

Au Rwanda de 1981 à 1989, ce fut une adolescente peu pieuse qui fut choisie puis deux de ses camarades qui la contestaient au départ. L’apparition leur a parlé et donné des visions terribles de massacres peu de temps avant que la boucherie entre Hutus et Tutsis ne se déclenche et horrifie le reste du monde. L’appel à la prière et à la réconciliation était crucial mais n’a pas été entendu par les mâles assoiffés de sang et de violence. Plus récemment, en Egypte, en août 2000, les apparitions silencieuses d’Assiout sur le toit d’une église copte ont été vues par des milliers de témoins chrétiens et musulmans dans un contexte de tensions religieuses attisées par les politiciens. Un appel à la prière partagée n’était pas de trop.

Tout ceci fait évidemment rire les rationalistes (post 28). Je ne prétends pas discerner où commence le vrai surnaturel. Mais je ne vois pas de problème à un appel à la prière qui fait du bien au priant et ne peut pas faire de mal au reste du monde. Là où la vigilance s’impose, c’est quand la religion s’approprie le surnaturel vrai ou factice pour détourner vers ses cultes embrigadés la piété des simples croyants. Dans ce cadre, je reste assez sceptique sur le caractère surnaturel des témoignages de Medjugordjé, sans contenu crédible et très répétitifs. Mais je n’ai pas à juger de la sincérité de ces « voyantes ».

3 Thérèse d’Avila, mystique de volonté et de raison

J’ai eu la chance de pouvoir me recueillir seul à Alba de Tormes, dans la petite chambre du couvent où elle a expiré. Après avoir difficilement prié dans la cathédrale-mosquée de Cordoue au milieu de hordes de touristes et de guides bruyants, indifférents à la vocation initiale d’un lieu de prière. Ici, le christianisme arrogant a écrasé la simplicité de la mosquée initiale avec d’innombrables ajouts de sculptures, peintures, tapisseries et dorures typiques du baroque catholique poussé à ses extrêmes.

Teresa de Cepeda naît en 1515 au milieu d’une famille recomposée de 13 enfants d’un père d’ascendance juive. Toute sa vie sera placée dans le contexte de la toute-puissance de la royauté et d’une église catholique. Elles oppriment le peuple et étouffent par la violence toute velléité de piété libre. La Reconquista avait abouti en 1492 à la capitulation de Grenade. Les juifs et musulmans furent contraints de se convertir au christianisme ou de s’exiler. La réforme de Luther lancée en 1517 allait menacer la suprématie romaine au Nord de l’Europe. L’inquisition espagnole s’adonnait aux pires atrocités.

Thérèse, dans son « Livre de la Vie », montre lucidité et humilité : « Il m’aurait suffi d’avoir des parents vertueux et craignant Dieu pour être bonne, si je n’avais été si mauvaise. Tous mes frères et sœurs ressemblaient par leurs vertus à leurs parents, sauf moi la préférée de mon père ». Elle lit des vies de martyrs avec son frère préféré et « désire vivement mourir pour jouir vite des grands biens qu’il y avait dans le ciel, à ce que je lisais ». « Nous formâmes le projet d’aller au pays des maures pour y être décapités ». « Nous étions émerveillés de lire dans nos livres que l’enfer et le paradis étaient pour toujours et nous passions de longs moments à en parler ».

« Je recherchais la solitude pour dire mes prières qui étaient nombreuses, en particulier le rosaire dont ma mère était fort dévote ». « Quand ma mère mourut, j’avais 12 ans et j’allai toute éplorée devant une statue de Notre Dame et la suppliai avec force larmes d’être ma mère ». « Ma mère aimait les livres de chevaleries et je commençai à en lire en cachette de mon père. J’en lus de plus en plus et cherchai à me parer de tous les artifices que je pouvais me procurer. Je devins coquette. »

« A 14 ans, je me liai d’amitié avec une cousine qui fit de moi la confidente de ses vanités. Cette liaison me changea tellement qu’elle ne me laissa presque rien d’une nature et d’une âme vertueuse ». Inquiet de son évolution, son père décide alors d’envoyer Thérèse en 1531 dans un couvent où elle supporte difficilement son manque de liberté. Ses admirateurs lui envoient des billets, mais « la chose cessa promptement ». Elle tombe gravement malade, et doit rentrer chez son père en 1532.

Elle réfléchit beaucoup sur ses choix de vie, et décide contre l’avis de son père d’entrer au couvent. Elle fugue, entre dans un monastère carmélite non cloîtré et prononce ses vœux à 20 ans. Après être entrée au couvent, sa santé se détériore. Elle reste paralysée pendant plus de deux ans. En 1539, Thérèse recouvre la santé en priant saint Joseph. Avec la santé reviennent les goûts mondains : Thérèse reçoit de fréquentes visites au couvent qui était un lieu de bavardages et de frivolités plus qu’un lieu de recueillement.

Cette belle aristocrate succombera longtemps aux séductions du monde. Elle abandonne la prière. Mais un jour, en 1552, elle voit dans un oratoire une image de Jésus qui la bouleverse : « C’était une représentation si vive de ce que Notre-Seigneur endura pour nous, que je compris l’ingratitude dont j’avais payé tant d’amour et fus saisie d’une si grande douleur qu’il me semblait sentir mon cœur se fendre ». Elle décide alors de reprendre l’oraison, en ressent des grâces spirituelles. Mais son confesseur lui fait croire qu’elles viennent du démon.

Elle finit par changer de confesseur, et en 1557 elle se voit encouragée par François Borgia. Elle a sa première apparition ainsi que la vision de l’enfer. Ses expériences mystiques devinrent plus précises, plus fréquentes et aussi plus extraordinaires. Elle expérimente sa première extase et a une vision de Jésus ressuscité. En 1560, elle fait le vœu de toujours aspirer à la plus grande perfection et est encouragée par Pierre d’Alcantara. Son confesseur lui ordonne d’écrire le récit de sa vie en 1561.

Louis Bertrand (qui sera lui aussi canonisé), l’encourage à mettre en œuvre son projet de réforme de l’Ordre du Carmel. Elle veut fonder un monastère observant strictement la règle de l’Ordre, qui inclut l’obligation de la pauvreté, de la solitude et du silence. Thérèse et ses disciples qui l’admirent veulent réformer ces couvents dissipés en instaurant une étroite clôture pour se protéger du monde extérieur, en vivant dans une stricte pauvreté, et en employant beaucoup de temps à l’oraison (deux heures par jour) ». Les carmes et carmélites ne portent pas de chaussures mais des sandales et de gros bas par simplicité. Mais Thérèse n’encourage pas les excès et reproche au jeune prêtre Jean de la Croix ses « excès de zèle ». Dans ses pénitences, il part prêcher dans les villages en marchant pieds nus dans la neige.

L’Espagne de la Contre-Réforme est un milieu dangereux pour les femmes mystiques. L’intensification du racisme contre les descendants convertis des juifs séfarades est un autre argument contre Thérèse. En 1574, l’autobiographie de Thérèse est soumise à l’Inquisition. Elle enquête sur Thérèse, critique sa pratique de l’oraison mentale (et non vocale) et ses expériences mystiques. Même ses lévitations sont dénoncées comme des signes de possession démoniaque par le manuel des dominicains.

En 1576, une série de persécutions est lancée par l’ordre du carmel contre les réformateurs. Ils interdisent toute ouverture de couvent. Thérèse est assignée à rester dans l’un de ses couvents. Elle obéit et choisit Saint-Joseph à Tolède. Beaucoup de médisances et de calomnies circulent par écrit à son sujet. Mais Thérèse reste dans son couvent, très calme, poursuivant sa correspondance. C’est à cette période qu’elle rédige le Château intérieur. Il constitue avec son autobiographie l’essentiel de son legs écrit.

Thérèse décède en 1582. Dès la première exhumation neuf mois après, tous constatent que son corps a été préservé alors que ses vêtements ont pourri. À chaque exhumation de sa dépouille (1592, 1604, 1616, 1750, 1760), pour un examen canonique ou pour satisfaire la curiosité de dignitaires religieux ou de monarques espagnols, des reliques furent prélevées.

4 Thérèse de Lisieux, l’exemple de l’amour dans la simplicité du quotidien

La vie de la « petite Thérèse » est hors du commun par sa brièveté, morte à 24 ans, et son exceptionnel rayonnement spirituel. Son petit livre « histoire d’une âme », sera diffusé dans le monde entier à plus de cinq cent millions d’exemplaires. Alors même qu’elle n’avait pas connu grand-chose d’autre que l’amour de sa famille et la vie au couvent. Comme elle le dit dans son jargon très catholique : « Le Bon Dieu m’a fait la Grâce de ne connaître le monde que juste assez pour le mépriser et m’en éloigner ».

Thérèse naît en 1873, neuvième et dernier enfant de la famille Martin, un couple très pieux, canonisé à la suite de leur fille. Quatre enfants mourront en bas âge et les cinq survivantes choisiront le couvent. Sa mère, une femme très active avait développé une petite entreprise de confection. Elle lui a montré l’exemple d’un amour conjugal et maternel exceptionnel. Comme pour Thérèse d’Avila et beaucoup de guides spirituels, l’exemple montré par leur mère a été déterminant.

Elle meurt d’un cancer du sein quand Thérèse n’a que quatre ans et demi. C’est un drame pour l’enfant qui perd brutalement sa joie de vivre. Sa sœur Pauline, seize ans lui servira de mère de substitution. Son père installe sa famille chez son frère dont le couple sera tuteur des enfants. La petite Thérèse est entourée de beaucoup d’amour, en particulier par son père, un noble éducateur qui veillera à ne pas le gâter et maintenir dans l’humilité cette enfant gracieuse, intelligente et hypersensible au caractère très affirmé.

Très tôt dans sa vie, de petits signes surnaturels se manifestent comme la vision prémonitoire à 6 ans « d’un homme ressemblant à son père, la tête cachée, s’avançant d’un pas régulier dans son petit jardin qui remplit son âme d’un sentiment de frayeur surnaturelle ». Son père tant aimé mourra plus tard de paralysie cérébrale. A neuf ans, elle vécut comme un drame le départ de Pauline, sa seconde mère, pour le couvent. Elle décide qu’y entrer « n’était pas un rêve d’enfant qui se laisse entraîner, mais la certitude d’un appel Divin ; je voulais aller au Carmel, non pour Pauline, mais pour Jésus seul ».

Peu après, elle est atteinte d’une maladie que son médecin juge très grave. Elle reste entre la vie et la mort, entourée par la prière de ses proches. Elle a la vision de la statue de la Vierge qui s’anime et lui sourit et elle guérit instantanément. Pressée par ses proches, elle doit confier cette vision à la supérieure du Carme. Elle lui explique qu’on ne prend pas de postulante de neuf ans, mais à partir de 16 ans. Thérèse devra attendre. Mais elle forge en secret sa détermination à devenir une grande sainte en entrant au Carmel, une idée qui s’était déjà introduite dans son esprit à l’âge de deux ans pour imiter Pauline qui avait eu très tôt cette vocation. « Je sentais qu’il valait mieux parler à Dieu que parler de Dieu, car il se mêle tant d’amour propre dans les conversations spirituelles ! ». De santé physique et psychologique très fragile, elle sera surprotégée par ses proches.

Le Noël de ses treize ans est une étape de bascule dans sa vie qui passe brusquement des enfantillages d’une hypersensible à la détermination d’une adulte. « La petite Thérèse retrouva la force d’âme perdue à quatre ans et demi, et c’était pour toujours qu’elle devait la conserver ». Elle vainquit sa tendance à pleurer d’émotions personnelles, s’imposa la gaîté perdue depuis la mort de sa mère et fit entrer la charité dans son cœur. Elle commença par la prière pour les âmes en souffrance. Elle choisit comme premier test de prier pour le salut de Pranzini. Un criminel condamné à mort, jeté en pâture à l’opprobre public par la presse à grand tirage parce qu’il ne montra jamais de repentir. Elle prie intensément pour son salut. Elle apprend par la presse qu’après être monté sur l’échafaud en refusant de se confesser, au dernier moment, Pranzini embrasse un crucifix qui lui était présenté. Convaincue à rebours de la pensée populaire que la Grâce est toujours possible, elle voit en lui son premier enfant spirituel, ce qui conforte sa vocation.

A quatorze ans, elle décide alors de « conquérir la forteresse du Carmel ». Elle convainc d’abord son noble père et ses sœurs. Mais son oncle et tuteur s’y oppose. A force d’insistance, elle réussit à le convaincre puis se heurte au refus du chanoine qui a fixé 21 ans comme âge minimal. Elle fait appel sans succès à l’évêque. A Rome, lors d’un pèlerinage organisé avec son père, elle rencontre le pape Léon XIII, à qui elle a l’audace de renouveler sa supplique d’entrer prématurément au couvent alors qu’elle aurait dû rester muette devant lui. C’est un garde qui éloigne de force cette adolescente qui ne voulait plus bouger.

Ce voyage sera l’occasion pour Thérèse de découvrir les séductions du monde, de constater que les prêtres ne sont pas tous des saints et qu’il n’est pas inutile de prier pour leur conversion. Elle reste ferme dans sa vocation et la hiérarchie catholique finit pas céder devant cette petite jeune fille déterminée. Elle entre à quinze ans au Carmel où une nouvelle vie commence. Le couvent où les carmélites obéissaient sans discuter à leur confesseur et à leur prieure (devant laquelle elles devaient se prosterner) offrait un certain confort psychologique.

Mais le dolorisme, le culte de la souffrance salvatrice, créait une compétition malsaine entre les 26 religieuses d’un âge moyen de 47 ans. Un milieu en vase clos où la jalousie et l’orgueil n’ont pas disparu. De plus, le christianisme d’église instille chez ses fidèles la culpabilisation et la peur d’être influencé par le tentateur pour mieux les contrôler. Ce poids psychologique a pesé sur une hypersensible comme la jeune Thérèse. Ce qu’elle appelle la « maladie des scrupules ». Elle a mis du temps à s’en guérir.

Durant cette période, elle approfondit le sens de sa vocation. Mener une vie cachée, prier et offrir ses souffrances pour les prêtres, oublier son amour-propre, multiplier les actes discrets de charité. Elle qui veut devenir une grande sainte ne se fait pas d’illusion sur elle-même : « Je m’appliquais surtout à pratiquer les petites vertus, n’ayant pas la facilité d’en pratiquer les grandes ».

Elle a toujours aimé lire et approfondit les Evangiles et Jean de la Croix. La prieure, Marie de Gonzague, femme éduquée et de caractère dira d’elle : « Cette ange d’enfant a dix-sept ans et demi, la raison de trente ans, et la perfection religieuse d’une vieille novice consommée dans l’âme et la possession d’elle-même, c’est une parfaite religieuse ». Elle la choisit comme assistante de la maîtresse des novices, un poste où elle se comportera comme une jeune mère avec ses enfants.

Une carmélite quitte habituellement le noviciat au bout de trois ans, mais Thérèse demande à y rester définitivement. Elle garde donc un statut inférieur aux autres religieuses, ne pouvant exercer de charges importantes comme sa sœur qui sera élue prieure du couvent. Jusque-là, Thérèse employait le vocabulaire de la petitesse pour rappeler son désir d’une vie cachée et discrète. À présent, elle l’utilise aussi pour manifester son espérance : plus elle se sent petite devant Dieu, plus elle peut compter sur lui. « Je vous demande, oh mon Dieu ! d’être vous-même ma sainteté». Et « L’ascenseur qui doit m’élever au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela, je n’ai pas besoin de grandir, au contraire, il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus ».

La grande épreuve de Thérèse sera ce qu’elle a vécu comme une nuit spirituelle dans les deux dernières années de sa vie, à partir de la semaine sainte de 1896. Elle entre soudain dans une nuit intérieure : le sentiment de foi qui l’animait depuis tant d’années, qui la faisait se réjouir de « mourir d’amour » pour Jésus disparait. Dans ses ténèbres, il lui semble entendre une voix intérieure se moquer d’elle et du bonheur qu’elle attend dans la mort, alors qu’elle n’avance que vers « la nuit du néant ».

Toujours aussi volontaire, elle lutte contre cette peur du néant et multiplie les actes de foi. C’est tout à fait à la fin de sa vie qu’elle conclut : « Ma vocation enfin je l’ai trouvée, MA VOCATION C’EST L’AMOUR ! Je sens que je vais entrer dans le repos… Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre ». Vers sept heures du soir, elle prononce ses dernières paroles « Oh ! je l’aime ! Mon Dieu… Je vous aime… ». Sa mission spirituelle se poursuivra des Hauteurs Saintes (post 31) d’où elle rayonne vers ceux qu’elle inspire et qui la sollicitent.

Contrairement à ce que nous font croire les images pieuses et les superstitions populaires, la vie de ces saintes femmes fut loin d’être un long fleuve tranquille. Elles ont dû lutter pour surmonter leurs maladies, renforcer leur âme, se détourner de leurs erreurs, résister à la médiocrité spirituelle qui les entouraient, à la suspicion des autorités ecclésiastiques et aux épreuves de la vie.

Elles ont grandi spirituellement grâce à leur détermination, leur humilité, l’amour qu’elle donnaient à tous. Ainsi la réflexion sur leurs vies et leurs écrits peut aider ceux que les bons exemples inspirent.