Petit pays de 10 450 km2, le Liban est grand par sa beauté, celle de sa nature, et celle du cœur généreux de ses quelque quatre millions d’habitants (sans tenir compte des deux millions de réfugiés palestiniens et syriens).
Le Liban me tient à cœur, même si je l’ai découvert tard dans ma vie en allant y donner des cours à partir de 2006 malgré une situation périlleuse qui obligeait mon taxi à naviguer entre les barrages routiers pour sortir de l’aéroport. C’est dans ce genre de circonstances qu’on peut prouver une réelle solidarité avec ceux qui souffrent des violences.
J’ai accepté tout de suite cette proposition de l’Université Notre Dame de Beyrouth d’intervenir au Master of International Business, parce que je m’adresserais à des étudiants chrétiens et musulmans. Or je souhaite depuis longtemps faire un pont entre ces deux mondes, et ce pays est un des rares où ils sont (ou étaient) à peu près en équilibre démographique.
Sur place, j’ai constaté avec plaisir que les relations entre mes étudiants étaient excellentes et indépendantes de leur confession. Mais leur connaissance de la Bible et du Coran, lors de nos échanges hors cours, se sont avérées faibles. Les textes sacrés étaient éloignés de leur champ d’intérêts. De plus ils abordent avec beaucoup de prudence les sujets qui sont pour eux du domaine de la religion, ce que l’historique du pays explique. Dans cette génération, les difficultés entre communautés de foi ne viennent donc pas de la base, mais du sommet, des dirigeants profanes et des clergés.
Pour approfondir les informations succinctes données dans ce post, je recommande la lecture de l’excellent livre « Histoire du Liban » de Xavier BARON ou de celui d’Antoine SFEIR.
1 Un cadre naturel magnifique structurant son peuplement
Les sociétés humaines et la nature créée par Dieu ont toujours été en équilibre de vie interactif. Le spectacle des cimes enneigées du Kilimandjaro s’est longtemps imposé dans le paysage africain, mais son manteau blanc disparait sous l’impact de la frénésie de consommation des hommes modernes et du réchauffement climatique. Les cimes enneigées des montagnes libanaises tranchent aussi dans ce Moyen Orient assoiffé sous une chaleur étouffante. Elles ont irrigué ces majestueuses forêts de cèdres qui caractérisent le pays et que l’homme a quasiment anéanties. Elles sont le château d’eau de la région, mais pour combien de temps encore ?
Sur les 60 km de largeur du pays, la montagne occupe la plus grande partie du territoire : le massif du mont Liban s’incline lentement vers le Sud et culmine à 3 089 mètres. Des rivières creusent des gorges profondes dans la montagne. Le versant occidental est couvert de forêts de pins et de cèdres. Assez difficile d’accès, ce territoire est idéal pour protéger des réfugiés échappant à l’oppression dans leurs pays.
L’étroite plaine côtière alluviale, limitée par une côte coupée de promontoires rocheux, est favorable à l’installation de villages de pêcheurs et de ports commerciaux. Ce fut le territoire privilégié par les cananéens et des phéniciens.
La haute plaine intérieure de la Bekaa, à une altitude moyenne de 900 mètres, bien irriguée en son centre et en son sud, était le grenier de la région pendant l’Antiquité. Séparée de la Montagne par les turcs, elle reste un territoire indispensable pour procurer la sécurité alimentaire du Grand Liban.
Le Liban partage des frontières terrestres poreuses avec la Syrie et Israël et maritime avec Chypre. Seul le massif de l’Anti-Liban, plateau semi-aride culminant à 2 300 mètres d’altitude, prolongé au Sud par le mont Hermon constitue une frontière naturelle avec la Syrie.
Pour les touristes modernes, le Liban est un pays très attractif à tous points de vue car les frontières naturelles ne sont plus un obstacle et les libanais sont hospitaliers et très chaleureux. Mais pendant longtemps, pour les armées en guerre comme pour les civils en fuite, les contraintes naturelles s’imposaient et expliquent la complexité historique du peuplement de ce pays.
2 Un peuplement très ancien, des habitants courageux et accueillants
Le Proche Orient est une des zones d’habitation les plus anciennes de l’humanité. Une calotte d’homo sapiens archaïque datée de 140 000 av. J.C. a été retrouvée en Galilée. On trouve des traces plus nombreuses d’homos Néandertal datées de – 100K. Ces races apparues en Afrique ont lentement migré hors d’Afrique et se sont métissées (post 42 et 95). Après avoir été doté de la Parole en Mésopotamie par le Créateur, les sapiens se multiplient et se répandent. Des sapiens modernes viennent en Canaan à partir de – 40K et des cultures évoluées apparaissent comme celle des natoufiens au Levant à partir de – 12K.
D’après des généticiens, les libanais actuels sont à 93% des descendants de Cananéens sédentarisés dans la région de Sidon dès 7 000 ans av. J.-C., lieu propice aux villages de pécheurs. Les archéologues ont découvert à Byblos, au Nord de Beyrouth, un des plus vieux villages du monde. Des restes de huttes, des armes primitives, plusieurs jarres d’argile, datables des époques néolithique et chalcolithique. L’autre composante génétique identifiée est celle de migrants venus de Mésopotamie et d’Anatolie, par voie de terre ou lors des expéditions encore mal connues des « peuples de la mer » qui ont déstabilisé les empires terrestres égyptiens et hittites vers 3 000 av. J.-C.
L’assimilation de ces migrants a probablement permis l’émergence de l’empire maritime des phéniciens. Entre 1200 et 300 av. J.-C, ils ont dominé le commerce méditerranéen grâce au bois de cèdres et à la pourpre qui ont fait leur grande richesse. Ils ont fondé des comptoirs et des cités sur tout le pourtour de la Méditerranée dont Carthage, Palerme, Cadix, Tanger, Palma, la Sardaigne, la Sicile, les îles de Chypre et Ibiza, etc.
C’est un des rares empires qui s’est construit, non par les armes et les massacres, mais par l’art de la navigation, du commerce et de la finance. Du point de vue linguistique, les peuples premiers du Liban ne sont donc pas des arabes, une langue dérivée du cananéen (comme le phénicien et l’hébreu) dont les premiers écrits datent de l’époque d’Alexandre. C’est après la conquête musulmane que l’arabe s’est imposé. La plupart des libanais sont polyglottes, l’anglais et le français sont bien répandus.
Le Liban est mentionné dans trois des douze tablettes de l’Épopée de Gilgamesh (2900 av. J.-C.), dans des textes de la bibliothèque d’Ebla (2400 av. J.-C.), ainsi que dans la Bible, où il est attesté 71 fois. J’en retiens surtout cette prophétie d’Isaïe 29/17-19 : « Dans très peu de temps, le Liban ne sera-t-il pas changé en verger tandis que le verger aura la valeur d’une forêt ? En ce Jour-là, les sourds entendront la lecture du Livre, et, sortant de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles verront. De plus en plus, les humbles se réjouiront dans le Seigneur, et les pauvres exulteront à cause du Saint d’Israël, car ce sera la fin des tyrans. »
Un Jour de Dieu est comme mille ans pour l’homme et les tyrans sont plus que jamais là sur cette planète ! J’ai donc de bonnes raisons de penser que cette prophétie reste à accomplir et que le Liban nous apportera un Livre éclairant dont nous avons bien besoin pour dissiper les ténèbres de notre orgueilleuse ignorance de la Parole qui ne se divise ni ne se tait. A tort ou à raison, je relie cette prophétie à celle du Coran qui parle d’un Zabour donné à un David. Ce blog l’a évoqué au commentaire du post 1.
Les richesses naturelles de ce pays et sa situation géographique ont toujours attiré les conquérants tout au long des siècles. Il verra passer des guerriers dominateurs assyriens, perses, macédoniens, romains, grecs byzantins, arabes, seldjoukides, mamelouks, croisés, ottomans, anglais et français.
Heureusement, situé à la marge des grands empires, le Liban reste à l’écart des grandes batailles menées par les armées mésopotamiennes, égyptiennes, puis par les califes arabes. Ce sont les macédoniens d’Alexandre le Grand qui attaquent, assiègent pendant 7 mois et mettent à sac Tyr, alors la plus grande ville phénicienne, en 332 av. J.-C. Leur laborieuse victoire mit fin à l’autonomie des phéniciens. L’empire byzantin prit le relais et résista longtemps aux cavaliers arabes du califat de Damas qui s’imposa comme nouveau dominateur de la région.
Le peuple libanais a survécu à cette histoire tumultueuse, ce qui prouve leur exceptionnelle résilience. Son passé explique la coexistence actuelle de communautés de confessions monothéistes diversifiées dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. Elle rend la vie en commun particulièrement délicate, mais les libanais se sont adaptés avec sagesse.
Depuis 1948, ils subissent avec courage et dignité les conséquences des guerres incessantes entre juifs et arabes dont les européens sont historiquement responsables et dont ils sont des victimes collatérales. Ils ont toujours su montrer leur capacité exceptionnelle à accueillir avec bienveillance les réfugiés de toutes provenances, même si leur nombre déstabilise ce petit pays densément peuplé. Ils ont vu déferler 120 000 réfugiés palestiniens fuyant les armées israéliennes et la répression jordanienne, puis 1,5 millions de réfugiés syriens fuyant la guerre civile.
Les palestiniens sont maintenant plus de 400 000 et nul ne sait quand ils pourront revenir dans leur cher pays en acceptant un partage négocié du territoire avec les résidents juifs qui ne partiront pas et disposent de la puissance militaire. Nul ne sait non plus ce que feront les réfugiés syriens dont le pays fracturé est toujours sous la coupe de la dictature Assad d’obédience alaouite, une branche minoritaire du chiisme. Compte tenu de la démographie galopante des réfugiés arabes, le Liban peut se retrouver dans 15 ans avec près de la moitié de sa population issue de ces vagues de réfugiés. Comment peut-on envisager leur intégration économique et culturelle ?
A l’heure où l’Europe riche et vieillissante se recroqueville sur ses frontières, rumine sa peur des immigrés et vote pour l’extrême droite xénophobe, le Liban martyrisé nous donne des leçons d’humanité. Car les crises qu’ils subit ont des conséquences catastrophiques : plus de 80% de la population doit maintenant vivre avec moins de 6$ par jour et subir les guerres des autres !
3 Une population devenue composite
Sous la domination grecque puis byzantine, les libanais vivaient plutôt paisiblement entre eux et abandonneront sans grande difficulté le polythéisme cananéen puis grec. Des difficultés régionales apparaîtront avec les conflits religieux orchestrés par les théologiens chrétiens, puis les désaccords musulmans sur le sujet du califat, une institution que ni le Coran ni le prophète Muhammad n’ont établie, mais qui a toujours suscité la convoitise des ambitieux.
Dès le quatrième calife, les musulmans ont déjà conquis un vaste territoire incluant le Liban. Ils se divisent entre ceux qui suivent Ali, les chiites et les sunnites qui suivent Muawiya, gouverneur de Syrie proclamé calife en 661, année où Ali est assassiné par des kharijites, des contestataires du pouvoir. Le pouvoir musulman passe de Médine à Damas jusqu’au califat des Abbassides (750-1258). La dynastie Omeyyade est peu oppressive à l’égard de ses sujets, elle ne contraint pas à la conversion mais au paiement d’impôts pour financer l’armée et l’administration, et l’expansion du territoire de l’empire les enrichit. Par contre elle persécute les chiites dont beaucoup fuiront vers la Perse ou le Liban.
La Montagne libanaise servira de refuge idéal pour fuir les persécutions religieuses. Les premiers réfugiés seront les maronites, disciples d’un moine anachorète de Syrie qui fonde un monastère à Cyr vers l’an 400. Pour d’obscures divergences sur la nature de Jésus de Nazareth, ils seront persécutés dès le sixième siècle comme hérétiques par les clergés byzantins et se réfugieront dans les vallées encaissées et peu accessibles du Liban où ils cultiveront courageusement une terre difficile. Les chiites fuyant le califat de Damas les rejoindront ensuite en trouvant d’autres territoires pour leurs communautés.
Une autre vague importante de persécutés religieux sera celle des druzes qui s’exilent d’Egypte pour fuir la persécution des mamelouks. Car ils ne reconnaissent pas leur califat, mais se réfèrent au calife fatimide Al Hakim (996-1021) qui s’était proclamé dernière et principale incarnation du prophète. Certains de ses proches, regroupés autour du vizir Ad-Darazî, le déclarent occulté par Dieu car son corps n’avait pas été retrouvé après sa disparition. On retrouve ce mythe d’une occultation surnaturelle avant de revenir sur terre chez les chiites duodécimains au pouvoir en Iran qui se réfèrent à un autre calife occulté en 874. Les druzes constitueront une communauté patriarcale assez fermée de paysans et guerriers toujours prêts à se défendre les armes à la main.
La base humaine du Liban s’est ainsi diversifiée au plan des confessions religieuses et des habitudes culturelles. Mais elle va devoir faire face aux guerriers extérieurs. Après la chute des fatimides chiites en 1171, le califat mamelouk (1261-1517) est sunnite. Ils battent les envahisseurs mongols et expulsent les croisés de St Jean d’Acre en 1291. Puis le califat lance des expéditions punitives contre les chiites en Syrie et au Liban. Ils ne seront vaincus par les ottomans qu’en 1517 avec le soutien d’une grande famille druze, celle des Maan. Ils les récompensent en les établissant émirs du district du Sud de la montagne, un pouvoir héréditaire soumis au bon vouloir du calife.
L’insubordination des druzes qui refusent de payer les impôts confiscatoires des ottomans déclenche de nouvelles opérations punitives. L’émir est tué en 1585 et 400 têtes coupées sont envoyées et exhibées à Istanbul, une tradition turque. Son fils orphelin à 13 ans, Fakhredine II Maan, réussira à rétablir sa situation. Il saura établir une alliance solide avec les maronites, soumettre ses opposants et profiter des difficultés de l’empire en attirant l’attention des cours européennes. Il étend son territoire d’influence, ce qui inquiète les ottomans qui profitent cependant de bonnes recettes fiscales.
Il reste dans l’histoire comme celui qui a apporté une grande prospérité à un territoire stabilisé incluant Tripoli, Damas et la Beeka. Il développe la culture du murier et du coton et les filatures pour répondre au besoin des européens, ce qui emploie une main d’œuvre nombreuse. Les maronites viennent s’installer dans le Chouf au milieu des druzes et vivent l’expérience d’une cohabitation paisible entre communautés. Il investit dans les infrastructures et crée la forêt du Pin, le poumon de Beyrouth.
Les turcs, excédés par sa réussite, décident de bloquer les ports et d’envoyer une puissante armée. L’émir doit se rendre, il est déporté à Istanbul puis exécuté ainsi que ses proches en 1635. Les libanais n’oublieront pas son esprit de résistance et de liberté qui lui survivra. Il a su créer chez les habitants de la Montagne un sentiment d’appartenance à un territoire commun, un esprit de solidarité et de tolérance religieuse. C’est un précurseur du Liban moderne.
L’organisation féodale voulue par les ottomans perdure, et en l’absence d’héritier mâle des Maan, c’est un sunnite d’une grande famille alliée, les Chebab, qui est élu émir en 1697. Le contexte interne est difficile car deux partis constitués de druzes, de chrétiens et de chiites, les Yéménites et les Qaysites s’opposent pour le pouvoir. Ils conduisent le Liban à une guerre civile en 1711 qui aboutira à la pratique qu’un émir doit être de la famille Chebab. Ce périlleux clivage d’ambitions d’héritiers de grandes familles se retrouvera lors de la longue guerre civile libanaise de 1975 à 1990.
4 Colonisation et guerres des autres
Comme beaucoup d’autres populations de par le monde, les libanais seront de plus en plus soumis aux colonisations, aux dominations brutales et aux rivalités de puissances étrangères. La plus lourde fut celle des turcs ottomans qui s’imposent à partir de 1300 et ne partiront qu’après leur défaite de 1918. Le califat sera aboli en 1924.
Au sein du clan Chebab, certains se convertissent au christianisme et Youssef devient le premier émir chrétien (1770-1788). Les tensions entre ottomans et Etats européens s’amplifient. Après la défaite de la marine ottomane en 1770, la flotte russe bombarde Saïda et Beyrouth pour soutenir une rébellion contre l’armée ottomane. Un nouvel émir, Béchir II est élu et règnera un demi-siècle d’intrigues face au pacha de Saïda dit le boucher.
En 1798, Bonaparte débarque en Egypte et bouleverse l’équilibre de la région malgré son échec devant la forteresse de St Jean d’Acre face aux anglais. La France devient un soutien affirmé de l’Egypte. Mais la grande habileté manœuvrière des anglais discrédite ces français révolutionnaires destructeurs d’églises. L’Angleterre devient la puissance militaire dominante de la région, contraignant les ottomans à reculer. Elle s’allie aux tribus wahabites d’Arabie centrale qui commencent à faire parler d’elles avec leurs razzias en Syrie et leur revendication d’un sunnisme rigoriste. Des druzes et des grecs catholiques se réfugient au Liban.
Bechir II subit les intrigues du cheikh druze Joumblatt et doit s’enfuir en Egypte dont le pacha réformateur Méhémet Ali le soutient. A son retour, la guerre entre leurs partisans éclate, Joumblatt est capturé et exécuté, ce que les druzes attachés à leur leader n’oublieront jamais. C’est la fin pour longtemps de l’harmonie entre chrétiens et druzes qui sont devenus en infériorité numérique après toutes ces vagues de réfugiés.
En 1831, le pacha d’Egypte lance ses troupes à la conquête de la Syrie et fait reculer les ottomans, Béchir II s’allie à lui et fait face à un mécontentement croissant, surtout des druzes dont l’Egypte exige un désarmement contraire aux traditions de la Montagne. Ils refusent. Les puissances européennes rivales craignent l’effondrement brutal des ottomans, les anglais les soutiennent et les russes et les autrichiens entrent dans la danse sanglante des rivalités guerrières. Une grande insurrection druze attisée en 1838 par les anglais contre l’Egypte est écrasée.
Les libanais sont étouffés par la pression fiscale et dépouillés de leurs ressources par l’armée égyptienne. En juin 1840, des représentants de toutes les communautés réunis dans une église maronite font serment de rester unis pour annuler le désarmement de la population, faire cesser les corvées et créer un conseil de gouvernement comprenant des représentants des six principales communautés religieuses. Pour la première fois, les grandes familles féodales et les paysans s’accordent.
Leur révolte conduit à une alliance entre quatre puissances européennes et les ottomans contre l’Egypte. Les navires de guerre anglais, autrichiens et ottomans bombardent intensivement Beyrouth qui a refusé de se rendre, puis Saïda. L’Egypte doit se replier. L’émir est destitué et remplacé par un cousin faible aux ordres d’Istanbul.
Le chaos post égyptien laisse place à des revendications incompatibles des diverses communautés qui oublient leur serment de s’unir et se soudent derrière leurs clergés ou leurs grandes familles. Les affrontements intercommunautaires débouchent sur des massacres civils entre druzes et chrétiens que les turcs laissent se dérouler avant de destituer le nouvel émir.
Il n’y a plus d’émir pour arbitrer. C’est le sultan d’Istanbul qui décide de tout, mais la faiblesse de l’empire fait de la Montagne un relais des rivalités européennes et les massacres s’amplifient. En 1860, Abd El-Kader, le héros de la lutte contre la colonisation de l’Algérie, libéré par Napoléon III et établi à Beyrouth, sauve 12 000 chrétiens des émeutiers musulmans et des bachi-bouzouks du pacha en interposant sa garde algérienne et en les accueillant dans sa propriété.
La Montagne a servi de refuge pendant trois siècles, sa population est passée à 200 000 habitants, 70% chrétiens et 30% druzes. La densité de population est de 250 habitants par km2 de surface cultivable, la saturation est atteinte pour la population paysanne. Les maronites, avec le soutien des européens, ont atteint un niveau d’éducation et de développement économique nettement supérieur, ce qui crée des jalousies sociales.
L’intervention des européens devient inéluctable, leurs navires croisent le long des côtes. Le sultan doit envoyer un corps expéditionnaire pour faire cesser la guerre civile et accepter l’aide des troupes européennes qui débarquent en septembre avec 12 000 hommes en Syrie dont la moitié de français. Mais la rivalité entre français et anglais n’a jamais cessé et continuera au siècle suivant. Les troupes françaises n’ont pas à ouvrir le feu et se transforment en maçons, charpentiers ou médecins pour permettre aux villageois de survivre et de supporter le froid. C’est un début improvisé des futures interventions humanitaires internationales.
Un compromis de règlement organique est difficilement élaboré entre les européens et promulgué par le sultan ottoman en 1861. Leur empire s’effondrera après leur choix de soutenir l’Allemagne lors de la seconde guerre mondiale pour vaincre les russes dans leur rivalité séculaire. En 1915, les turcs prouvent leur cruauté en débutant le génocide arménien, mais sont aussi co-responsables de la terrible famine de 1915 qui coutera la vie au quart des libanais, surtout chez les chrétiens. Dans la montagne, la culture du mûrier a remplacé les cultures vivrières et une invasion de criquets venus de Palestine dévaste toutes les plantes.
Les turcs bloquent les importations terrestres et les européens en rivalité avec eux bloquent les ports. La famine durera trois mois, les turcs l’orientent pour décimer les villages chrétiens et les alliés en pleine guerre en Europe n’interviennent pas. Les turcs laissent la place aux colonisateurs européens, mais les français, face à un pays qui aspirait à la liberté, ne feront guère mieux que les turcs.
Ils ne sont jamais à court de grands discours sur leurs nobles motivations, mais leur action sur le terrain dément leurs vagues promesses. Les français ont un mandat flou de la Société des Nations en 1920 pour accompagner les libanais vers l’indépendance. Au contraire, ils importent leur administration dominatrice, peu soucieuse de passer le relais et privilégiant les intérêts économiques français.
Le pacte conclu le 19 septembre 1943 entre le maronite El Khoury et le sunnite El Sohl va précipiter l’évolution vers l’indépendance. Les deux dirigeants victorieux des élections conviennent que les chrétiens renoncent à la protection de la France et que les musulmans abandonnent le projet de Grande Syrie. Le Liban doit être un Etat indépendant et arabe. Un consensus national s’établit pour attribuer aux autres communautés les autres hautes fonctions de l’Etat et une nouvelle Constitution est adoptée supprimant toute référence au mandat français.
Le haut-commissaire français Heleu tente un coup de force et fait emprisonner la nuit du 10 novembre les principaux élus libanais, ce qui déclenche des émeutes anti-françaises. Les anglais posent un ultimatum aux français les menaçant d’imposer leur loi martiale. Les français cèdent et libèrent les prisonniers le 22 novembre qui devient la fête nationale libanaise. Les derniers soldats français quitteront le Liban en 1946.
5 Un Etat confessionnel fragile et menacé
Un État confessionnel donne une représentation proportionnelle des différentes communautés religieuses et des églises dans la sphère politique (législative et exécutive), un pouvoir de veto mutuel des différentes communautés sur les questions essentielles et une autonomie des différents groupes sur le droit de la famille, l’éducation, la santé et l’organisation sociale et culturelle. Comme le montre la carte ci-dessous, la situation confessionnelle au Liban est très complexe.
Le Liban est une démocratie parlementaire régie par la constitution du 23 mai 1926 et la pratique du Pacte national. Ses 128 députés, répartis entre chrétiens et musulmans, sont élus selon un système électoral complexe, segmenté par la religion. En marge de ce système confessionnel, le Liban est dirigé par une puissante oligarchie aux liens étroits, largement décriée comme corrompue, qui contrôle toutes les affaires et monopolise pouvoir politique et économique.
La proclamation de l’Etat d’Israël en 1948 sera immédiatement suivie par une guerre avec les arabes qui va durablement déstabiliser le Liban. Le pays est cofondateur de la Ligue Arabe et doit engager avec réticence ses 3000 soldats mal équipés et mal formés. Son commandant en chef se limite à une position défensive le long de sa frontière avec Israël qui lance des raids contre le Liban. Dans la Ligue Arabe, ce sont surtout l’Egypte, la Syrie et un peu la Transjordanie qui appuient les milices palestiniennes qui vont au combat. Elles avaient été écrasées par l’armée britannique lors de la grande révolte de 1936-1939 alors que les milices juives n’ont cessé de se renforcer.
La guerre tourne au désastre pour les arabes. C’est la Nakba, et 750 000 palestiniens fuient leur domicile de gré ou de force dont 120 000 se réfugieront au Liban. Ce sont surtout des sunnites, d’abord bien accueillis par les différentes communautés libanaises. Mais leur intégration pose un problème insoluble car leur présence bouleverse l’équilibre confessionnel et économique, malgré les aides de l’ONU. Nostalgiques de leur patrie, manipulés par des chefs guerriers, les palestiniens rêvent de reprendre toutes leurs terres par les armes comme si les juifs pouvaient être chassés de Canaan. L’Egypte signe un armistice le 24 février 1949, suivie par le Liban, la Jordanie et la Syrie.
La guerre reprendra en 1967 avec le même résultat catastrophique pour les armées arabes. Le Liban est une victime collatérale de ces conflits. Son armée ne franchira jamais sa frontière avec Israël alors que Tsahal le fera à de multiples reprises, survole quotidiennement le Liban et occupera le Sud du pays pendant 22 ans. Le prétexte invoqué est que les groupes combattant pour la « cause palestinienne » opèrent à partir du territoire libanais. Mais les politiciens israéliens connaissent parfaitement la situation intérieure qui ne permet pas à une armée nationale libanaise de s’imposer.
La violence va monter d’un cran dans les pays arabes et les assassinats se multiplier. Le colonel Nasser renverse la monarchie égyptienne en 1952 et s’impose comme le leader charismatique de la région. Il promeut une idéologie antioccidentale du panarabisme qui sera un échec car les Etats concernés sont trop hétérogènes pour s’allier durablement. La doctrine Eisenhower de lutte mondiale contre le communisme conduira à la guerre froide avec l’URSS et à la multiplication des trafics d’armes et des groupes violents. En 1958, l’union entre la Syrie et l’Egypte est proclamée, elle ne durera pas mais déstabilise le précaire équilibre politique libanais.
Le 8 mai 1958, un journaliste maronite est assassiné et les violences politiques déferlent dans tout le pays. Une junte militaire renverse la monarchie en Irak et le président libanais Chamoum affolé fait appel aux américains pour ramener le calme sans en informer le chef de l’armée le général Chebab. Partisan d’une laïcisation progressive de l’Etat, le général est élu président le 31 juillet. D’origine modeste, il essaiera de lancer enfin la construction d’un Etat libanais moderne. Sous sa présidence, le Liban se redresse. Il échappe à un coup d’Etat fomenté par le PPS, un parti anti nassérien. Il refuse de se représenter et cède sa place dans le calme à une personnalité consensuelle, Charles Hélou.
Dans cette période qui précède la guerre civile et suit le départ des français, l’économie se redresse grâce à la stabilité politique et aux efforts des libanais résidents ou émigrés. Certains parlent des trente glorieuses en se référant à cette période de reconstruction et de dynamisme des Etats européens. Les tensions intercommunautaires libanaises subsistent mais restent limitées, de même que les ingérences étrangères. Ce n’est malheureusement qu’un répit avant la tempête.
6 La guerre civile de 1975-1990, facteurs déclencheurs et déroulement
En 1965, un communiqué est diffusé à la presse libanaise par une organisation inconnue annonçant une première série d’opérations menées par des palestiniens en Israël. Un de ses fondateurs est Yasser Arafat qui arme ses fedayines et rallie beaucoup de soutiens dans les camps de réfugiés palestiniens en Jordanie et au Liban en les incitant à se révolter contre tous les dirigeants arabes. Il prend le contrôle de l’OLP en 1969. Le parti Baas prend le pouvoir en Syrie en 1966 et préconise aussi la guerre contre Israël. Elle sera déclenchée préventivement en 1967 par Israël.
La nouvelle défaite arabe stimule la résistance palestinienne qui s’empare d’un Boeing d’El Al à Athènes en 1968. La riposte de Tsahal est foudroyante : les hélicoptères militaires débarquent sur l’aéroport international de Beyrouth et détruisent la flotte civile libanaise et les infrastructures de l’aéroport. Le Conseil de Sécurité de l’ONU condamne Israël et De Gaulle met l’embargo sur toutes les ventes d’armes à Israël. Mais il est trop tard pour freiner l’engrenage de la violence dont le Liban est la principale victime, trop faible pour se défendre face à Israël ou empêcher les infiltrations de fedayines et d’armes en provenance de la Syrie.
En 1973, un commando israélien conduit par Barak déguisé en femme s’infiltre à Beyrouth et assassine à leur domicile trois dirigeants palestiniens. Ils dynamitent le siège du FDPLP près du camp palestinien de Sabra. Des incidents mineurs conduisent à un affrontement entre l’armée libanaise et les fedayines, comparables en nombre. La Syrie intervient et envoie au Liban des brigades de l’ALP, rattachée à l’OLP mais sous sa tutelle. Un accord de cessez-le-feu libano-palestinien est signé en mai 1973 sans régler le problème de fond. Les chrétiens comprennent que l’armée libanaise ne peut l’emporter sur les palestiniens soutenus par la Syrie en cas de troubles.
La guerre d’octobre 1973 lancée par l’Egypte et la Syrie contre Israël est un nouvel échec pour les arabes et montre aux palestiniens que les Etats arabes ne les aideront pas dans leurs revendications. Le chef du FDPLP préconise d’abandonner l’idéologie du tout ou rien mais il n’est guère suivi.
Au Liban, la violence entre chrétiens et musulmans s’amplifie. Les ingérences étrangères, les déséquilibres démographiques et les rivalités de personnes sont aussi des causes majeures de la guerre civile. Jamal Joumblatt voulait la présidence du pays, il fut assassiné en 1977 et remplacé par son fils Walid. Béchir Gemayel s’impose comme l’homme fort des chrétiens minoritaires et menacés. Il sera assassiné le 14 septembre 1982, trois semaines après avoir été élu président de la République.
Les milices s’arment, les affrontements entre libanais et palestiniens s’accroissent ainsi que les raids israéliens qui détruisent le village de Kfar Choubra. Le 13 avril 1975, une tentative d’assassinat de Pierre Gemayel met le feu aux poudres et des violences intercommunautaires se déchaînent. En janvier 1976, l’armée libanaise commence à se diviser en deux factions rivales. L’Armée arabe libanaise (AAL) dirigée par des musulmans rangés du côté des milices musulmanes de gauche du Mouvement national libanais (MNL) et de leurs alliés de l’OLP, et l’Armée du Liban libre (AFL) dirigée par des chrétiens qui se sont rapprochés des milices chrétiennes de droite du Front libanais.
Le président syrien, Assad père, envoie des troupes en mai 1976 dans le Nord du Liban et la Beeka pour bloquer l’avance de l’alliance entre palestiniens et gauche libanaise et stabiliser le front. Puis un sommet à 6 à Ryad décide d’envoyer une force arabe de dissuasion sous l’autorité du président libanais. La première phase de la guerre civile prend fin mais le désarmement des milices s’avère impossible et les fedayines se replient avec leur armement dans le Sud du Liban.
La décision du président égyptien Sadate de faire enfin la paix avec l’Etat d’Israël en 1977 rebat les cartes de la région. En mars 78, un commando de douze fedayines parti de Tyr s’empare d’un autobus sur la route de Tel Aviv. Tsahal donne l’assaut, 30 israéliens et 6 fedayines sont tués. Israël envahit à nouveau le Liban, le Conseil de Sécurité adopte la résolution 425, pour un cessez-le-feu et un retrait des soldats israéliens et crée une force re rétablissement de la paix, la FINUL, qui sera prise entre deux feux car Israël reste sur place.
En juin 78, les attentats et massacres intercommunautaires reprennent. L’armée syrienne bombarde intensément Beyrouth-Est et les régions chrétiennes. Elle reprendra ses bombardements en 1981 et installe des missiles dans la Beeka. Au Sud, la présence israélienne permet à l’Armée du Liban libre de prendre le contrôle d’une vaste zone. Le 18 avril 1979, Haddad proclamera la zone contrôlée par ses forces le « Liban libre indépendant ». Le lendemain, il est renvoyé de l’armée libanaise. De son côté, Israël soutenait la milice de l’ALS combattant l’OLP dans le sud du Liban.
Le 10 juillet 1981, Israël lance une vague de bombardements aériens et maritimes qui s’intensifient et touchent Beyrouth après leurs élections et l’arrivée de Sharon à la défense. Reagan demande un cessez-le-feu, Sharon refuse et les USA mettent l’embargo sur les livraisons de F 16. Un plan de paix est proposé par l’Arabie Saoudite, mais la Syrie s’y oppose.
Le 3 juin 1982, une tentative d’assassinat de l’ambassadeur d’Israël en Grande-Bretagne est perpétrée par le groupe Abou Nidal, basé en Irak. C’est un rival acharné de l’OLP d’Arafat qui a condamné cet acte, mais Sharon utilise cet incident comme justification pour rompre le cessez-le-feu avec l’OLP et comme casus belli pour une invasion à grande échelle du Liban. Tsahal lance les bombardements dès le 4 juin et ses troupes au sol le 6. Au prix de près de 10 000 morts et en utilisant des bombes au phosphore, l’armée encercle Beyrouth le 13 juin. Sur ordre de Sharon, le blocus de Beyrouth commence, l’eau et l’électricité sont coupées, aucun carburant ne passe et les bombes pleuvent.
Un compromis est trouvé sous la pression internationale, l’OLP accepte de quitter Beyrouth. Un contingent américain, français et italien est envoyé le 21 août pour garantir la bonne évacuation et restaurer la souveraineté libanaise. Il part le 11 septembre 1982. Le 14 septembre, Gemayel meurt assassiné dans une explosion massive qui détruisit son quartier général. Le coupable s’avéra être un membre du Parti social nationaliste syrien et un agent de leurs services secrets.
Le 15 septembre, l’armée israélienne entre dans Beyrouth-Ouest en violant l’accord conclu avec les États-Unis. Le massacre de Sabra et Chatila du 16 au 18 septembre 1982 tue de 1 300 à 3 500 civils, pour la plupart palestiniens et chiites libanais. Il fut perpétré par l’une des milices chrétiennes voulant venger Gemayel. Le massacre est accompagné par Tsahal qui avait encerclé le quartier de Sabra à Beyrouth et le camp de réfugiés adjacent de Chatila. L’armée israélienne a reçu des rapports d’atrocités commises, mais des troupes israéliennes ont été stationnées aux sorties de la zone pour empêcher les résidents du camp de partir. Elle tire des fusées pour éclairer pendant la nuit et faciliter les tueries en s’en lavant les mains.
Le 16 décembre 1982, l’AG de l’ONU condamne le massacre et le déclare acte de génocide. En février 1983, une commission indépendante des Nations unies conclut que l’armée israélienne, alors puissance occupante de Sabra et Chatila, était responsable du massacre perpétré par la milice.
L’accord de Taëf, d’octobre 1989 signé sous les auspices de la Syrie et de l’Arabie saoudite stoppera enfin l’engrenage guerrier. Il est suivi par la signature en 1991 d’un Traité de fraternité, de coopération et de coordination entre le Liban et la Syrie. Pour beaucoup de Libanais, cet accord n’a fait qu’officialiser la vassalisation du Liban.
Le bilan total des morts de la guerre civile s’élève à environ 150 000 victimes, le pays est ravagé, mais il se redressera grâce au courage et à la résilience du peuple libanais.
Le prochain post portera sur la période suivant la guerre civile de 1975-1990 et initiera un dialogue avec des amis libanais. Nous parlerons de nos espérances pour l’avenir.