1 Les invasions israéliennes et la domination syrienne

En 1990, les quinze années de guerre civile évoquée au post précèdent ont ruiné le pays. Il doit importer 85 % des produits de première nécessité, vit d’une économie souterraine et supporte le fardeau d’une dette et d’un déficit budgétaire considérables. Dans les années 1970, l’agriculture contribuait à 30 % du PIB libanais, en 2017, elle s’est effondrée à 6 %. Les invasions israéliennes de 1978 et de 1982 ont créé une crise humanitaire : plusieurs villages du sud ont été détruits, beaucoup de chiites ont été déplacés de leurs foyers et survivent comme ils peuvent.

De nombreux libanais qualifiés, surtout des chrétiens ont quitté le pays. L’émigration a créé une importante diaspora qui compterait entre 8 et 14 millions de personnes en 2015. L’envoi de devises des libanais de l’étranger au pays avoisine les 6,7 milliards $, soit 30% du PIB libanais !

Début 1992, la situation économique est désastreuse et la livre s’effondre. Le président Hraoui fait appel à Rafic Hariri (1944-2005), un libanais sunnite de Saïda, émigré en Arabie Saoudite à 18 ans. Il y a fait fortune grâce à son talent pour les affaires et l’immobilier. Nommé chef de gouvernement, il sera un atout déterminant pour le redressement du Liban grâce à la confiance de la famille royale saoudienne et des milieux occidentaux.

Mais il est assassiné dans un attentat à la voiture piégée, le 14 février 2005. Le peuple libanais, soupçonnant l’implication de la Syrie du cruel Assad, se rallie à d’immenses manifestations. La Syrie occupante finit par se conformer à la résolution 1559 du Conseil de sécurité en retirant ses militaires et, au moins officiellement, ses « services » associés au Liban. Au terme d’une enquête longue et soignée, le 30 juin 2011, le Tribunal spécial pour le Liban émet des mandats d’arrêt contre quatre hauts responsables du Hezbollah (qui a toujours nié toute implication).

Après les attaques répétées de roquettes du Hezbollah contre des civils israéliens, les forces armées israéliennes lancent en 1996 l’opération « Raisins de la colère » pour attaquer le Hezbollah dans le sud du Liban. Plus de cent réfugiés libanais sont tués par le bombardement d’une base de l’ONU à Qana, une erreur selon l’armée israélienne. Un cessez-le-feu est convenu entre Israël et le Hezbollah.

En 2000, le cabinet israélien vote le retrait total des troupes du Liban. Le Hezbollah et de nombreux analystes y voient une victoire pour le mouvement dont la popularité se renforce. Au cours des années 1990, le Hezbollah avait mené des attaques de plus en plus efficaces contre l’ALS, une milice chrétienne chaperonnée par Israël. En 2000, l’ALS s’était réduite à 1 500 soldats après en avoir compté plus de 5 000. Le retrait brutal des israéliens crée le chaos, l’ALD se débande, les civils de la zone retournent dans leurs villages occupés et le Hezbollah prend rapidement le contrôle des zones auparavant contrôlées par l’ALS.

La souveraineté du Liban aurait pu être restaurée à ce moment. Mais la politique israélienne, qui a toujours méprisé les résolutions de l’ONU, l’en empêche. Israël continue à décider unilatéralement de survoler, bombarder ou envahir son petit voisin du Nord. Une nouvelle guerre du Liban débute le 12 juillet 2006. Le conflit fait environ 1 300 morts au Liban et 165 morts parmi les Israéliens. Il endommage gravement les infrastructures civiles libanaises et déplace environ un million de Libanais et 400 000 Israéliens. Ses conséquences sont lourdes pour l’économie libanaise.

Un projet de résolution franco-américain inspiré du plan Siniora libanais, prévoyant un retrait israélien et la libération mutuelle de prisonniers, fut rejeté par Israël. De nombreux Libanais accusèrent le gouvernement américain de retarder la résolution de cessez-le-feu et de soutenir les attaques israéliennes. Le 11 août 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies approuve enfin à l’unanimité une résolution 1701 acceptée par le gouvernement libanais et le Hezbollah le 12 août, et par le gouvernement israélien le 13 août. Le 8 septembre, Israël lève son blocus naval du Liban. Le Hezbollah estime officiellement ses pertes à 250 combattants. Le Washington Post considère que cette guerre est « un désastre pour l’armée israélienne ».

Les drames interminables du Liban ont à la fois des causes internes et externes. Mais l’impact des puissances étrangères et de leurs politiques, en particulier la Syrie, et depuis 1948 Israël, sont sous-estimées. Car les guerres n’ont cessé que provisoirement, mais les ingérences étrangères pour manipuler les ambitieux et bellicistes locaux n’ont jamais cessé.

2 La montée en puissance du Hezbollah

Une des conséquences de l’invasion de 1982 non prévue par les stratèges militaristes israéliens est l’émergence du Hezbollah, créé par l’union de trois groupes politico-religieux chiites libanais en 1982. La communauté chiite s’était mobilisée autour de la figure du mollah Moussa Al Sadr, fondateur de la milice Amal. Sa disparition en Syrie en 1978, probablement assassiné, et la révolution iranienne de 1979 provoquèrent une scission au sein d’Amal. Certains accusent l’OLP d’être responsable des dommages causés par Israël lors de ses répliques destructrices au Sud-Liban, alors que le courant islamique d’Amal, incluant l’imam Hassan Nasrallah, argumentent l’importance symbolique de la question palestinienne et la pertinence de la résistance armée face à Israël.

La théorie politique de Khomeiny fait des émules parmi les chiites libanais et Nasrallah demande le soutien de l’Iran. En guerre avec l’Irak, l’Iran renonce à envoyer des troupes mais dépêche au Liban un corps de 1500 Gardiens de la révolution pour former les premiers bataillons de la résistance islamique au Liban. Outre les armes et un entraînement militaire, l’Iran dispense une formation au chiisme politique. Le « parti de Dieu » ne s’affirma au grand jour qu’en 1985 par le truchement d’une lettre ouverte où il précisait ses deux objectifs : la résistance armée contre l’occupation israélienne au Liban et l’établissement d’un État islamique.

Le mouvement accroit son soutien populaire en milieu chiite par des programmes sociaux au profit d’une population abandonnée par un État en déliquescence, au Sud-Liban et dans la banlieue sud de la capitale. Le parti est dirigé par un Conseil suprême (shoura) de dix-sept clercs, chapeautant un comité exécutif sous les ordres d’un secrétaire général. Un « politburo » supervise le recrutement et la propagande, la reconstruction, et la sécurité. L’aile militaire dépend directement du Conseil suprême. La mort de Khomeiny en 1989 et la fin de la guerre civile libanaise, amèneront le parti à réviser son programme en se focalisant sur la résistance contre l’occupation israélienne.

Le Hezbollah détient 15 des 128 sièges du Parlement libanais après les élections de 2022 avec 19% des votes. Il bénéficie d’un large soutien dans les trois régions du Liban à majorité musulmane chiite : dans le sud, à Beyrouth et ses environs, et dans la vallée de la Bekaa au nord et dans la région d’Hirmil. C’est un acteur incontournable de la société libanaise.

Le Hezbollah utilise la diaspora libanaise chiite implantée en Afrique de l’Ouest, aux États-Unis et surtout dans la zone des trois frontières, à la jonction du Paraguay, de l’Argentine et du Brésil. Les responsables américains ont identifié une opération illégale de collecte de fonds de plusieurs millions de dollars pour la contrebande de cigarettes et une opération de contrebande de drogue. L’enquête de la DEA estime que le Hezbollah gagne environ un milliard de dollars par an en faisait passer des milliers de tonnes de cocaïne aux États-Unis et vers les pays du Conseil de coopération du Golfe.

L’influence du groupe suscite de plus en plus de critiques au niveau national. Après l’explosion du port de Beyrouth en 2020, le Hezbollah est accusé d’entraver l’enquête judiciaire. En 2024 un sondage indique que 55 % des Libanais n’ont « aucune confiance du tout » dans le Hezbollah. Le soutien au Hezbollah est en baisse significative avec 82% d’opinions négatives chez les chrétiens et 92% chez les sunnites mais reste à 89% positif chez les chiites.

3 Un effondrement économique et financier

Le Liban subit depuis 2018 une crise économique d’une ampleur telle qu’elle est considérée par la Banque mondiale comme la pire au monde depuis 1850. Avec une inflation record, plus de 80 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté en 2022, la livre libanaise a perdu 95 % de sa valeur en trois ans, et le PIB a diminué de 6,7 % en 2019, de 20,3 % en 2020 et de 9,5 % en 2021. La dette publique demeure insoutenable, à 280% en 2022. La politique monétaire a montré des signes de stabilisation mais la sphère financière demeure largement dysfonctionnelle.

La dette libanaise a une originalité : elle est pour l’essentiel détenue par des Libanais, banques et particuliers. Cette mainmise des riches Libanais sur « leur » dette est intéressée car les rendements y sont élevés et ils la croyaient sans risque en raison de la parité stable de la monnaie nationale avec le dollar américain. Cette situation est la conséquence d’une pyramide de Ponzi organisée par le gouverneur de la Banque Centrale, Riad Salamé, qui n’a pas oublié sa famille au passage.

Il vient seulement d’être inculpé en 2024 pour avoir détourné 40 millions $ au profit de ses proches grâce à des commissions injustifiées, un pourcentage minime sur des sommes immenses. Comme le système Mazdoff, cette pyramide où les nouveaux entrants permettent de rembourser les sortants finit toujours par s’effondrer quand la méfiance s’instaure. Or il était évident pour les financiers avisés comme lui et les grands investisseurs étrangers que le Liban, dévasté par les guerres successives, ne pourrait jamais rembourser cette dette en monnaies fortes et que le pays aurait recours à la planche à billet. Il a ruiné les derniers investisseurs et tout son pays avec.

Depuis le 17 octobre 2019 se développe un mouvement appelé souvent « Thaoura » visant à refonder le système politique et économique. En 2020 et 2021, l’économie du Liban s’est effondrée, entraînant un approvisionnement erratique de carburant, des coupures quotidiennes d’électricité, un exode massif des jeunes diplômés, un accès difficile aux soins, à l’alimentation et au logement et une dégradation des infrastructures. La guerre lancée par Israël en 2024 amplifie le désastre social.

Pourtant, la crise économique a épargné les privilégiés. Selon Forbes, les milliardaires libanais ont tous vu croître leur richesse depuis le début de la crise en 2019. La corruption et l’impunité ont longtemps rongé l’économie du pays dans les différents secteurs. En 2024, le Liban est classé à la 35e place des pays les plus corrompus par Transparency International.

Le futur est incertain. Après l’opprobre international suscitée par les attaques meurtrières lancées par Netanyahou, un changement politique en Israël semble possible. Une alliance entre les Etats du Golfe et les européens aurait les moyens de redresser l’économie et la finance du Liban. Des réformes internes sont incontournables. Le volet social est essentiel, Il faut donner un futur à la jeunesse et créer des emplois pour des jeunes non qualifiés qui sont pléthoriques parmi les chiites pauvres. Une armée nationale solide et unie est incontournable pour faire face aux menaces qui viennent maintenant surtout de l’Etat d’Israël et de l’appui aveugle des armes américaines.

Ce pays et les libanais ont un potentiel exceptionnel, l’espérance doit l’emporter !

4 Dialogue, quel avenir pour nos amis libanais ?

Antoine (AB) : D’abord je remercie de tout cœur mes amis libanais qui participent à ce dialogue. Je n’ai mis que vos initiales pour que vous vous sentiez libre de vous exprimer. Ce rappel historique ne vous apprendra sans doute pas grand-chose car vous et vos parents avez parfois vécu dans votre chair les drames évoqués. Mais la plupart des européens et des lecteurs de mon blog ne savent pas grand-chose du Liban. Ils sont comme moi bouleversés par les bombardements que subissent actuellement nos amis libanais, mais j’ignorais avant d’écrire ce post que Beyrouth avait été si souvent bombardé, y compris par des européens. Qu’ils nous pardonnent !

NH : Merci Antoine pour cette analyse condensée et très instructive sur le Liban et son histoire. Tu as réussi à mettre en lumière en peu de pages, les multiples raisons des crises politiques et relationnelles intercommunautaires qui ont jalonnées l’histoire du Liban. Toute ton analyse est pertinente et très instructive. Je suis, en général, d’accord avec toi

AB : J’ai découvert dans ce travail de recherche à quel point l’histoire se répète parce que des bellicistes ne tiennent aucun compte des leçons du passé et de la souffrance des victimes innocentes. Le gouvernement de Netanyahou a décidé de lancer en 2024 une nouvelle guerre contre le Hezbollah avec les puissantes armes livrées par les USA, malgré les échecs répétés de sa logique de dominer par la force militaire au lieu de prendre conscience de l’injustice et des souffrances des autres peuples et de l’épuisement des libanais. L’opinion occidentale commence seulement à ouvrir les yeux sur les catastrophes déclenchées par Netanyahou et ses soutiens extrémistes religieux. Mais la perspective de l’élection américaine paralyse la plupart des dirigeants et le sang continue à couler.

SN : S’il est vrai que l’opinion occidentale commence à regarder la question palestinienne avec plus de discernement, sur le terrain rien n’est fait.

NH : Nous vivons dans un cercle vicieux de vengeances sans fin qui persisteront tant que l’homme convoitera le pouvoir, le profit, les jouissances matérielles aux dépens de sa nature spirituelle d’origine divine. Un Liban faible est une proie facile pour ses voisins, Syrie et Israël, qui en ont profité à tour de rôle, chacun à sa manière.

Le sentiment très profond d’appartenance à un groupe, un clan, une confession, un parti politique, que les Libanais entretiennent depuis des générations, empêche la réalisation d’un Etat capable de résister aux agressions extérieures répétées en particulier israéliennes. Ce sentiment d’appartenance acéré est le résultat d’un réflexe de survie consécutif à un lourd passé de persécutions subies par les différents groupes religieux venus se réfugier au Liban et qui y ont été pourchassés et massacrés encore et encore au cours de leurs histoires respectives.

AB : Un des objectifs majeurs de ce blog est de dévoiler les conséquences de l’alliance toxique entre les idéologues religieux et les pouvoirs profanes. Ils sont directement au pouvoir comme les mollahs iraniens ou les clercs du Hezbollah, ou ils soutiennent des politiques criminelles, celles de Poutine ou de Netanyahou qui doivent leur pouvoir politique à leur soutien.

SN : Il faudrait insister sur la séparation de l’Église et de l’État, dans le sens très large du terme Église pour inclure toutes les religions du monde. La croyance revient à l’individu, l’État est là pour servir l’ensemble de ses citoyens.

NH : La recherche du pouvoir est toxique en elle-même, qu’elle soit de la part des religieux ou des profanes. Le partage du pouvoir entre les communautés religieuses au Liban a été une erreur monumentale et a tué dans l’œuf toute perspective d’un état laïc.

5 Les questions spirituelles

NH : Le seul moyen pour les Libanais de s’en sortir maintenant est de trouver un terrain d’entente basé sur une spiritualité fondée sur ce qui rassemble les différents courants religieux et non sur ce qui les sépare.  Les temps deviennent favorables à la recherche de ce terrain d’entente car Les Libanais remettent actuellement en question tous les sujets existentiels qui les ont emmenés à vivre cette violence inhumaine, ajoutée aux désastres économiques, politiques et sociaux successifs qu’ils subissent depuis quelques années.

AB : L’objectif de mes posts sur le Moyen Orient est d’établir enfin une paix durable, donc spirituelle, la Paix du Saint, fondée sur l’enseignement des grands prophètes, en particulier Moïse, Jésus et Muhammad auxquels les belligérants se réfèrent respectivement. Je me refuse donc à juger et condamner les crimes commis par le Hamas, le Hezbollah ou Tsahal, ce qui est rarement dissuasif. Je prends les hommes et leurs organisations tels qu’ils sont et réfléchis à la manière de stopper les vengeances sans fin. Comment apprendre à pardonner ?

SN : On apprend à pardonner par l’éducation car il n’y a pas de vérité absolue. Quand on pense l’avoir, on devient intolérant.

AB : Certes, la Vérité absolue n’est pas accessible à l’homme. Mais je prône pour les croyants un retour à la Source de leurs textes sacrés qui récusent l’injustice, le crime, l’oppression et la vengeance. Ils devraient faire réfléchir les croyants très majoritaires dans cette région aux exactions qu’ils commettent ou laissent faire. La difficulté est la bonne interprétation des textes, mais il faut commencer par citer avec discernement, la Torah, l’Evangile et le Coran, pour parler à ces frères humains. Qu’en pensez-vous ?

NH : Le retour à la Source des textes sacrés ? Tu veux dire revenir aux textes d’origines ? Si c’est de cela dont il s’agit, je suis tout à fait d’accord avec toi car les mots, les verbes, les versets, choisis par le Créateur l’ont été avec minutie et dans un objectif précis. Rien n’a été choisi au hasard. Ce sont des Messages qui traversent les âges et qui s’adressent à toute l’humanité depuis les temps adamiques. C’est vrai que la difficulté réside dans la bonne interprétation des textes dont nous disposons !

SN : Les livres saints sont le produit des hommes et ils ne récusent pas tous l’injustice, le crime, l’oppression et surtout pas toujours la vengeance (œil pour œil…).

AB : Il est maintenant largement admis que le texte biblique a été compilé et modifié par des mains d’hommes. La loi du talion ne peut venir du Créateur qui enseigne le pardon. Il faut aussi déconstruire la lecture cadastrale des textes de la Torah compilés un millénaire après Moïse et reconstituer l’enseignement original des prophètes. Les convictions religieuses et les analyses profanes seraient éclairées et trouveraient une espérance nouvelle. Lire avec intelligence le texte du Coran permet de récuser les théories du califat musulman et les mythes de l’occultation. Il faut aussi affirmer le caractère contextuel de certains versets du Coran et de la plupart des hadiths. Les convictions religieuses et les analyses profanes seraient éclairées et trouveraient une espérance nouvelle.

SN : Une lecture éclairée des textes et des discussions ouvertes contribuent toujours à l’ouverture d’esprit. Dans ce cas d’espèce, on va droit dans le mur si rien ne peut être changé ou interprété.

NH : Je pencherais plutôt pour une lecture des textes au-delà des mots et de leurs significations superficielles. Si je me réfère à la Parole de 1974-1977, les textes sacrés fourmillent de bruits d’hommes et le bruit est à côté du Vrai, il ne saigne pas le Lait. Pour trouver ce Lait il faut avant tout respecter les textes d’origine et suivre ce conseil : Plus tu videras ta tête des sciences vaniteuses, sous Mon Souffle, dans l’éclat de l’Esprit, plus tu discerneras Mes Merveilles ; c’est pourquoi J’ai dit : soyez comme les enfants. La lecture avec l’œil du cœur, fidèle à l’Unité et à L’Amour, tendu vers le retour à l’Un, aboutira au Lait qui est le même dans tous les messages divins. Ce Lait Divin ne parle ni de Califat, ni d’occultation, ni de guerres, ni de tueries, ni de violences….

AB : Au-delà de ce retour aux sources pour chacun, je recommande pour éclairer les générations qui viennent, de travailler à un rapprochement intertextuel pour rétablir la Parole qui ne se divise ni ne se tait. Partout dans le monde, les croyants remettent en cause, d’abord discrètement par prudence, mais de manière plus affirmée en Europe, l’emprise des clergés et de leurs théories en décidant librement de leur lecture des textes sacrés pour dépasser les clivages communautaires.

SN : Hmmmmmm…. On a tous besoin de spiritualité et d’un retour aux sources dans un monde déshumanisé et cruel, mais les sources peuvent être d’une autre nature que le religieux.

AB : Sans aucun doute car les agnostiques ont souvent une spiritualité plus dynamique que les croyants sectaires. Le sens de l’équité n’est pas corrélé aux convictions de foi.

6 Les sujets économiques

AB : Il n’y a pas de paix durable sans équité et c’est un sujet majeur pour le Liban d’aujourd’hui qu’il faudra reconstruire. Le redressement économique ne peut se limiter aux services, finance ou tourisme. Il faut rétablir l’agriculture et l’industrie pour créer des emplois pour les jeunes non qualifiés qui abondent. Ce qui implique la condition préalable d’une paix militaire et politique et le rétablissement d’un cadre légal qui donne visibilité aux investisseurs.

SN : Je suis tout à fait d’accord avec toi. La paix, un pays souverain, une élite intellectuelle, capable et honnête au pouvoir, une justice omniprésente, tout cela sera propice aux investisseurs libanais et étrangers pour relancer la prospérité de ce pays.

NH : Rien ne changera au Liban si le libanais ne change pas fondamentalement ses paradigmes centenaires. Tout doit être remis en question, les croyances, les préjugés, les concepts et les politiques qui séparent pour les remplacer par ce qui rapproche et rassemble. Je crois que le terrible choc actuel déclenchera chez les Libanais l’envie de renverser la table et de tout revoir de fond en comble.

AB : Le redressement économique bénéficiera sans aucun doute de la solidarité des investisseurs arabes et du soutien des occidentaux, mais la diaspora libanaise peut et doit assurer une contribution déterminante.

SN : La diaspora libanaise assurera une contribution dominante dès qu’elle aura les garanties que son apport ne sera pas dilapidé dans les miasmes de la corruption ou des dépenses somptuaires.

NH : Le Liban est à la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident. De fait, la reconstruction du Liban et son redressement économique bénéficiera non seulement de la solidarité des investisseurs Arabes mais aussi des investisseurs du monde musulman et de l’occident. Oui la diaspora assurera certainement une contribution déterminante.

AB : Je sais qu’il y aura toujours la solidarité familiale et communautaire, mais elle ne suffira pas, alors je pose la question de la conscience nationale sur place et dans la diaspora. Y a-t-il, après tous ces drames une conscience collective d’une nation libanaise qui sait qu’elle doit d’abord compter sur elle-même ?

SN : Cette conscience existe certes, mais par pour la majorité de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté, au premier niveau de la pyramide de Maslow, et qui n’a pas le luxe de penser au-delà du quotidien.

NH : La nation libanaise sera sans doute, dans un avenir pas très lointain, le phare mondial de référence de la vie en harmonie, d’une grande diversité culturelle et religieuse, prouvant que la diversité est véritablement une richesse à tout point de vue.

AB : Maintenant, la diaspora est généralement plus riche que les résidents locaux, mais je n’ai jamais ressenti au Liban cette jalousie pour les riches qui minent les français. La générosité comme la pingrerie est partout et j’ai aimé cet exemple cité dans l’Orient Le Jour de Chafic Khazen, propriétaire du huppé Skybar qui décide de le transformer en lieu d’accueil des réfugiés, accueillis par son personnel. Une réfugiée témoigne : « Je croyais que ce n’était que pour les hauts placés de la société, les mosquées sont fermées aux déplacés, nous n’avons même pas eu à demander, pour une fois, c’est le propriétaire qui nous a invité à venir ». Beau témoignage de la générosité des riches libanais !

SN : Oui, il est certain que le libanais demeure chaleureux et accueillant et capable d’empathie. La société civile a permis d’aider les réfugiés et miséreux en général en comblant l’absence de l’État.

NH : Le libanais, en général est encore très humaniste, affable et avenant en particulier vis à vis de ses concitoyens ! Il suffit de voir ce qui se passe aujourd’hui sur le terrain face à l’absence de l’Etat.

7 Hommage aux libanais

Je tiens à relayer le cri du cœur d’Olivier Sauton publié dans l’excellent l’Orient-le Jour en citant ici quelques extraits. J’admire sa sensibilité d’artiste qui s’exprime d’une manière que je ne saurais faire, et je suis totalement en phase avec ce qu’il dit.

« Le 8 octobre. Il y a un an, pour la première fois de ma vie, je foulais le sol libanais. A 45 ans, pour la première fois depuis bien longtemps, je me sentis neuf, moi qui commençais à me croire vieux.

L’on m’interrogea : “Es-tu sûr de vouloir y aller ?! Tu as vu ce qu’il s’est passé le 7 octobre ?! Ce n’est peut-être pas le bon moment !” Mais moi, je savais que c’était LE moment. Je savais que c’est lorsque tout le monde recule qu’il faut avancer ; que c’est lorsque tout le monde panique qu’il faut être serein. Alors, tandis que tous les autres artistes, parfois eux-mêmes libanais, décommandaient, reportaient leur voyage et leur spectacle, je sautai dans un avion, direction Beyrouth.

Dans l’avion, un pressentiment m’envahit. Je sus que quelque chose d’immense m’attendait. Que cette chose allait surprendre ma vie, la révolutionner. Quoi ? Impossible de le deviner. Ce qui était sûr, c’est que, ce qui allait m’arriver au Liban serait d’ordre cosmique. Pas moins.

Je découvris le Liban. Et ma vie en fût bouleversée. A jamais. Liban, tu m’as ressuscité. Tu m’as à nouveau fait aimer la Vie. Tu m’as réappris à aimer les Hommes. Tu m’as réconcilié avec le genre humain.

Si vous êtes fâché, exaspéré, déprimé par l’humanité, rendez-vous au pays du cèdre. Je vous garantis – vous m’entendez bien ? – ga-ran-tis qu’à nouveau vous vous émerveillerez pour cette machine si complexe, si surprenante que nous sommes. Et ce, toutes confessions religieuses confondues, toutes catégories sociales incluses. Au Liban, vous aimerez les pauvres comme les riches, les chrétiens comme les musulmans, les hommes comme les femmes, les enfants comme les vieillards.

Il y a, au Liban, un sentiment du vivant que je n’ai connu nulle part ailleurs. Peut-être parce que la vie, là-bas, est fragile, tient à si peu de choses. Ce qui fait que chaque instant est vécu intensément. Comme si c’était le dernier. On sait que l’on peut mourir, alors on se doit de vivre.

Quel contraste avec ces pantins fantomatiques que sont devenus les occidentaux !…

Au Liban, vous parlez avec tout le monde, sympathisez sans que l’intérêt s’en mêle. Un inconnu croisé dans la rue peut devenir un ami pour la vie. Là où en France, envers l’autre, il y a de la méfiance, au Liban il y a de la curiosité. Là où ici il y aurait de la distance, là-bas il y a la fraternité. C’est pourtant écrit dans notre devise, la fraternité. Et bien c’est un sentiment que je n’ai connu qu’au Liban. Et c’est encore plus bon que l’Amour.

Au Liban, j’ai fait la connaissance de Dieu. Chez moi, en France, j’en avais entendu parler, mais Lui et moi ça n’avait pas matché. J’étais plutôt de ceux qui L’ignoraient, et qui se gaussaient de celles et ceux qui le vénéraient. A vingt ans, dans une révélation mystique, Il m’avait quelque peu intéressé mais je continuais à m’en méfier, trouvant ses ambassadeurs suspects et peu dignes de Lui.

Il a fallu que je foule la terre libanaise pour lever mes yeux au Ciel. Avec gratitude, respect et humilité.

Regardez les nuages qui dominent Beyrouth : vous comprendrez facilement qu’ils ne sont là que pour qu’Il s’y couche. La nuit, dans la vallée de la Bekaa, admirant les étoiles, on s’extasie sur Son art de tisserand. Et dans chaque regard des orientaux que vous rencontrez, indépendamment de leur confession religieuse, Il est là. C’est Lui qui fait briller leur pupille. En occident, je vois rarement ces regards. En Occident, je ne sens pas Dieu.

En un an, je suis retourné cinq foi au Liban. Par besoin. Car, désormais, loin du Liban, je fane comme une plante privée d’eau. Je reviens à toi, Liban, pour me ressourcer, pour reprendre une dose de joie. Je suis drogué à toi, merveilleux Liban. Tout est exceptionnel au Liban. Ses paysages, son peuple, son Histoire. L’ADN du Liban, c’est l’extraordinaire. Pour le meilleur et, bien souvent, pour le pire.

Le Liban est une tragédie grecque. La Fatalité y siège, comme Dieu. Régulièrement, la foudre s’abat sur lui. Politique, économique, militaire, mafieuse, le Liban connaît toutes les malédictions, à intervalles réguliers et répétés. Comme s’il était puni d’être aussi beau, aussi bon. Pendant que j’écris ces lignes, des bombes pleuvent sur ta tête. Ravagent les habitations. Massacrent les populations. Je pleure pour elles. Chaque libanais tué me fait porter le deuil.

En tant que français, je ne peux qu’avoir honte vis-à-vis de vous, peuple libanais. Constatant à quel point la France vous abandonne à votre sort, en dépit de ses belles et grandes déclarations. Mais ce ne sont pas des mots qu’il faut au Liban. Ce sont des actes. Forts, courageux, autoritaires. C’est la France de Cyrano de Bergerac qu’il vous faut. Pas celle de Tartuffe. Or, la France, plus que jamais dans son Histoire, est infestée de tartuffes.

Pauvre France, pauvre Liban… Car, à l’instar de deux frères, l’un ne peut être heureux sans que l’autre le soit. Aujourd’hui, et je l’écris en toute lucidité, sans romantisme, sans lyrisme, sans flatterie, je me sens plus libanais que français. C’est pour le Liban que je veux œuvrer. C’est envers le Liban que je ressens une dette. C’est au Liban que je veux vivre. J’ai eu plus de chagrin à quitter un Liban en guerre qu’à retrouver une France en paix. Dans l’avion, je pleurais.

Peuple libanais, encore une fois dans ton Histoire, tu te dois d’être fort et courageux. Je sais que tu es las, que tu n’en peux plus, que tu voudrais un peu de répit, de tranquillité.

Si l’on te fait autant souffrir Liban, c’est que tu as tout pour être heureux et que l’on te jalouse. Alors, on te convoite, on te fait du mal, on t’abîme, on te meurtrit. Mais n’oublie jamais – je t’en supplie, peuple libanais ! – n’oublie jamais que tu es naturellement superbe et sublime. Que, même les immeubles ébréchés, les familles endeuillées, les enfants en guenille et les parents en banqueroute, la Beauté et la Bonté ruissellent sur toi, ô grand peuple libanais.

Peuple libanais, mon Ami, mon Frère, prends soin de toi. Car, encore une fois, tu ne devras compter que sur toi-même. Mais tu te relèveras car toujours tu te relèves. Même ébranlé, même titubant, toujours tu te remets sur tes deux pieds. Je t’offre ma bien modeste béquille pour que tu prennes appui sur moi. Ce n’est pas grand-chose, c’est même très peu de chose, mais c’est tout ce que je puis t’offrir.

Je t’aime, Liban. Et quiconque a foulé ton sol, t’aime et se souvient de toi. Je reviendrai très vite, entre deux bombes, t’étreindre encore plus fort que les fois précédentes. Car, avec toi, c’est à chaque fois plus fort. Et, à nouveau, on rira, on pleurera, on partagera, on festoiera, on s’amusera, on dansera, on s’enivrera, on vivra car c’est ça le Liban : la grande fête des grandes émotions. »

(Extraits du texte d’Olivier Sauton)

8 Pistes pour reconstruire

Antoine : L’écrivain libanais Amin Maalouf a fait de l’identité un thème de prédilection. Dans « Les Identités meurtrières », il la voit comme une panthère qu’il faut apprivoiser par le principe de réciprocité. Enfin, il relate les dangers du « vote identitaire » dans une démocratie, qui ne ferait qu’encourager la ségrégation entre races et communautés, et invite les citoyens et politiciens à faire coexister pacifiquement les identités dans un contexte riche et un patrimoine commun. Peut-on rêver d’une telle perspective ?

NH : Je suis optimiste de nature et je crois que le Liban deviendra bientôt le phare mondial de référence, de la vie en harmonie d’une grande diversité culturelle et religieuse, prouvant que la diversité est véritablement une richesse en tout point de vue.

AB : Quelles sont les pistes possibles pour consolider cette nation qui nous tient à cœur ?

NH : La meilleure des pistes reste spirituelle, axée sur la base des postulats suivants :

– Dieu et sa Création sont Un ;

– Dieu est Amour donc Sa Création l’est aussi

– Ceci implique que nous sommes tous Amour et interconnectés car nous sommes Un dans l’absolu !

AB : Tous les amis libanais que j’ai contactés m’ont encouragé dans ce travail, mais sauf vous, ils n’ont pas souhaité participer au dialogue pour deux raisons. D’abord, ils sont fatigués de toutes ces crises subies par leur pays et souhaitent parler d’autre chose. Ensuite, ils ont constaté que la plupart de leurs interlocuteurs non libanais avaient une vision clivée de la situation en fonction de leur histoire personnelle et de leur subjectivité. Aussi, les échanges conduisent trop souvent à des polémiques stériles. Je vous remercie de tout cœur d’avoir fait l’effort de participer car l’avis des principaux concernés est indispensable pout y voir clair et savoir comment mieux vous aider. Je vous laisse conclure ce dialogue amical dans ce post d’espérances.

JS : Je ne vois rien à ajouter à votre dialogue que j’ai lu avec intérêt, sinon espérer que cette harmonie confessionnelle retrouve son sens profond initial, celui de rapprocher tous les libanais, pour un bon sens évident, celui de s’extirper définitivement des rois blancs et noirs qui tirent les ficelles de loin sans égard aucun aux populations, mêmes juives… C’est une calamité !

NH : Aujourd’hui la guerre fait rage au Liban, en Palestine en Ukraine…, demain elle risque de s’étendre comme une tache d’huile bien au-delà de leurs frontières et se terminer par une guerre mondiale si l’humanité ne se retourne pas vers elle-même. En effet, comme dit le Coran : « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. »

Je pense et je suis convaincu que les peuples sont en train de changer ce qui est en eux-mêmes. De plus en plus de personnes se remettent profondément en question et leurs priorités basculent complètement de l’extérieur à soi vers le soi intérieur.

Nous vivons une mutation profonde de l’humanité, le grand retournement vers elle-même se réalise. L’accouchement de cette nouvelle humanité spirituelle, compatissante et irradiante d’Amour Divin se fait actuellement dans la douleur mais l’avenir sera lumineux, Inchalah !