Jean-Loup Joly vient de publier un livre « Langage mental du désir et de la raison », qu’il présente comme un « Essai de philosophie informatique de l’esprit ». Son postulat de base est l’existence d’un langage interne propre à l’encéphale humain, distinct des langues parlées dans le monde et commun à toute l’humanité, la langue mentale. C’est une approche innovante. Sa thèse sur cette langue « M » me parait prometteuse, mais je n’ai pas les compétences pour y adhérer ou la réfuter.

Nous nous sommes à peine côtoyés à l’X et avons suivi des voies spirituelles très différentes. Il affirme son matérialisme, je suis devenu croyant en Dieu. Je me suis imprégné de tous les textes sacrés, sans m’affilier à une quelconque religion. Dialoguer avec lui sur nos convictions très différentes sur le langage humain m’a paru du plus haut intérêt, mais il m’a fallu d’abord entrer mentalement dans le travail considérable qu’il présente dans ce qui est plus qu’un simple essai : c’est la synthèse de décennies de réflexion. J’ai peiné à le faire, mais étudier d’abord sérieusement les réflexions d’un partenaire de dialogue est incontournable.

En tout état de cause, les dialogues de ce blog ne sont jamais des débats contradictoires. J’y respecte scrupuleusement la pensée et l’expression de mes partenaires et je ne limite pas la longueur des posts au risque d’éluder les questions difficiles ou de racornir les analyses complexes.

Parmi les disciplines intellectuelles mobilisées, je suis relativement à l’aise avec la philosophie et la linguistique, mais pas avec l’informatique. Je me suis aussi amusé quand j’étais jeune à apprendre une dizaine de langues naturelles, au-delà des quatre apprises dans le cadre scolaire, pour étudier les textes sacrés, les autres cultures et voyager. Je n’ai pas eu l’impression se faisant de surcharger mon cerveau, mais au contraire de vivre les langues naturelles en réseau, à l’image du réseau neuronal.

1 Textes humains et Paroles inspirées

Antoine Bastien (AB) : D’abord pardonne-moi, mais je vais commencer ce post par un développement assez long dans des domaines familiers aux lecteurs de mon blog, mais plutôt hors sujet par rapport au contenu de ton livre. Car il faut au préalable bien distinguer ce que produit le cerveau humain et ce qui peut lui être inspiré par une Source provenant d’au-delà du monde que nous percevons au quotidien.

Jean-Loup Joly (JLJ) : Antoine, je veux d’abord te remercier de m’accueillir ici pour m’exprimer dans ce blog aux contributeurs très variés. J’y ai lu des pages passionnantes, sur lesquelles nous reviendrons sans doute.

Puisque tu as commencé à présenter mon travail, permets-moi de donner quelques compléments. Le « langage de la pensée » est une notion très ancienne, évoquée par Platon, Descartes, Leibniz, et bien d’autres. Au 20ème siècle, Jerry Fodor en a donné une interprétation moderne, qui a fait autorité pendant quelques décennies avant de perdre la faveur des universitaires. Mon apport à ce chapitre de la « philosophie de l’esprit » est d’étudier le langage mental sous l’angle linguistique (syntaxe, sémantique, pragmatique) et sous l’angle informatique (théorie des langages de programmation, logique mathématique). J’ai tenté aussi d’en tirer quelques conclusions purement philosophiques, sur lesquelles nous ne serons certainement pas d’accord !

AB : Dans la très longue histoire intellectuelle de l’humanité, l’irruption de l’informatique et récemment de l‘IA est un phénomène majeur qui change la donne. Dans une logique matérialiste, tout langage compréhensible par l’homme ne peut provenir que de trois sources : le cerveau conscient d’un homme, la partie inconsciente de ce cerveau ou le dialogue entre deux cerveaux. Une source transcendante, qu’elle soit sous forme d’inspiration extérieure au cerveau ou d’apparition surnaturelle est exclue. Je vais donc évoquer ici trois messages élaborés dont, pour moi, la source n’est pas humaine.

JLJ : D’accord sur cette liste d’« inputs » de notre langage mental, mais n’oublions pas l’essentiel : la perception et l’action. Elles constituent la base de notre expérimentation du monde réel (Kant dirait « a posteriori », par opposition aux structures « a priori » de notre entendement). Pour moi, les percepts et les gestes élémentaires sont les structures terminales (les « mots ») du langage mental, et l’interface avec le monde réel.

En ce qui concerne la nature des sources du langage, ma position est matérialiste et évolutionniste, mais non imperméable ou insensible au monde du sacré. Ma culture personnelle, par tradition familiale, est chrétienne. J’ai été baptisé dans le culte catholique (mais on ne m’a pas demandé mon avis, j’avais zéro an !) et ma petite-fille a été baptisée dans le culte orthodoxe… Plusieurs de mes proches sont croyants. J’ai dédié mon livre à la mémoire de Jean Ferrari, un philosophe spécialiste de Kant, qui était profondément croyant et que j’ai toujours admiré.

Pour moi, l’intervention du Créateur (ou plutôt sa réintervention…) au cours de l’évolution n’est pas exclue. Simplement, je n’en ai pas l’évidence, et je n’en vois pas la nécessité dans le développement de mon modèle de langage mental.

AB : Entendu. Pour les trois exemples de perception supra mentale que je vais évoquer, le récepteur s’est engagé dans des actions liées au message reçu, appropriées ou non. Chacun pourra se faire son opinion sur ces cas brièvement évoqués où émerge toute la complexité de l’humain.

Dans le livre  » Entends homme… » que nous venons de publier avec Gilles Cosson et que tu m’as fait l’amitié de lire, celui-ci témoigne des conditions de réception d’un message en 1997 et de son contenu. Il était seul dans sa chambre d’hôpital, éveillé et a perçu une lumière éblouissante. « Je crus entendre une parole qui montait en moi comme une vague et je sus qu’il me fallait la transcrire sans plus attendre. Alors j’écrivis sans m’arrêter, en moins de deux heures, ce texte. Puis, je posai ma plume, étonné des phrases que je venais de formuler… ». Il faudrait faire l’hypothèse, bien faible à mes yeux que c’est son inconscient qui parlait, car à près de 60 ans, Gilles avait déjà publié divers romans et essais, mais ses œuvres s’inscrivaient dans le cadre mental d’un intellectuel protestant convaincu, alors que ce message à l’évidence dépasse ce cadre. Jamais un homme comme Gilles n’aurait osé penser « Je suis le Créateur et l’univers créé », tous ses proches peuvent le confirmer.

JLJ : Gilles a des prédécesseurs célèbres et prestigieux. Comme Blaise Pascal, la fameuse nuit de 1654 où une expérience spirituelle lui fit écrire « Joie ! Joie ! Pleurs de joie ! », puis garder ce billet toute sa vie dans la doublure de son habit et d’autres mystiques, heureux récepteurs d’un tel message.

AB : Pascal est un exemple exceptionnel de synergie entre raison et de foi. Le message de 1997 est un dialogue entre JE SUIS et l’homme à qui il demande d’écouter. Il répond à certaines des questions que Gilles se pose dans son for intérieur. Il faudrait supposer que subitement, un homme comme Gilles fasse un dédoublement de personnalité ?

JLJ : Pas du tout. Selon ma théorie (nous y reviendrons sans doute), nous sommes tous « multi-personnalités », sans être schizophrènes pour autant. J’aime beaucoup cette citation de Brecht : « Il pensait dans d’autres têtes, et dans la sienne d’autres que lui pensaient. C’est cela la vraie pensée. »

J’ai essayé de modéliser cela sous la notion de « groupe mental », qui est l’interprétation pragmatique (ou dialectique) de nos représentations mentales et de leurs échanges. Pour le croyant, Dieu est la figure majeure de ce groupe mental. L’origine, naturelle ou surnaturelle, de cette figure est à l’appréciation du Sujet pensant…

AB : Prenons un deuxième exemple d’un des rares textes que je considère comme de provenance non-humaine, celui qui résulte du témoignage de Michel Potay en 1974 et 1977. C’était comme Gilles un ingénieur aux convictions bien plantées, affilié à une religion orthodoxe qui l’avait affublé du titre d’évêque. L’idéologie orthodoxe est notoire, il n’avait écrit que des sermons acceptables pour cette doctrine religieuse. Subitement, il publie en 1975 à compte d’auteur un petit livre où il relate son témoignage du surnaturel qu’il a subi et de la Parole qu’il a entendue de ses oreilles puis écrit de ses mains. Cette Parole vient balayer toutes ses convictions, récusant l’engeance des princes du culte à laquelle il s’était joint et parlant de Muhammad comme le plus sage, le plus écouté de Mes Messagers, alors qu’il n’avait que condescendance à l’égard de l’islam. Il faudrait d’abord imaginer un conflit ouvert entre son conscient et un inconscient larvé d’origine mystérieuse.

JLJ : Au niveau de mon modèle théorique de langage mental, j’interprète cette brusque révélation par un changement « en masse » des prédicats de jugements du Sujet. Ces « drapeaux » passent subitement des valeurs « je-ne-sais-pas » vers les valeurs « est-vrai », « est-juste » ou « est-bon ». J’emploierais l’analogie suivante : sur une table est répandue de la limaille de fer. On fait passer un aimant sous la table : tous les morceaux de fer se tournent immédiatement dans la même direction. La révélation de la Foi, c’est cela.

AB : Sauf qu’il ne s’agit pas d’une révélation de la Foi mettant en ordre des pensées et émotions personnelles dispersées, ses convictions étaient solides, bien organisées et explicites. Et il y a son témoignage. Il dit avoir vu et touché le corps matériel d’un humain transfiguré, celui du charpentier de Nazareth ressuscité, semblable à celui qui apparait dans cette fameuse photo en négatif du Suaire de Turin que les scientifiques n’ont jamais pu élucider. Jésus ne lui parle pas en araméen que le témoin ne connait pas, il parle dans un français très élaboré, et son message est d’une beauté poétique sans commune mesure avec les productions mentales de Potay comme auteur.

De plus ce même homme publiera plus tard et progressivement son témoignage de la Parole de 1977 qu’il affirme avoir entendue lors d’événements surnaturels intervenus à cinq reprises sous la forme de théophanies assez proches des descriptions bibliques pour Moïse. Une lumière éblouissante et une Voix qui en sort lui dicte cette Parole qu’il écrit sur le vif, mais dans une langue que son esprit cartésien peine à comprendre. C’est du français déstructuré, dégrammaticalisé, avec l’utilisation de mots étrangers, hébreux, grec, arabe et perse. Il ne peut s’empêcher de le publier en le noyant de parenthèses et commentaires, pensant le rendre plus clair, tout en avouant que ses réécritures le plongeaient dans la perplexité. Donc un homme mûr, éduqué, conditionné par sa religion, qui disjoncte complètement de son univers mental et balaie ses propres convictions. Etrange, non ?

JLJ : Si le langage mental du Sujet pensant est subitement envahi de concepts et de textes inconnus précédemment, je n’ai pas d’explication naturelle. Mais est-on sûr du qualificatif « inconnus précédemment » ?

AB : Tout dépend de l’âge et de la stabilité de vie de la personne. Sa résistance à ces textes qui l’ont envahi était telle qu’il a cru devoir altérer la Parole de 1977, comme le prouvent ses publications, pour rétablir sa posture de dignitaire ecclésiastique. Il récusa son rôle de messager affirmé dans la Parole pour s’imaginer en seul interprète, habilité à la modifier, et se faire passer pour un prophète d’une nouvelle religion à suivre aveuglément. Nous avons beaucoup d’exemples modernes du syndrome du guru manipulateur, mais aucun n’apporte à ma connaissance de texte transcendant.

Les psychologues rapporteraient des cas de psychotiques correspondant à ce que tu appelles « multi-personnalités ». Mais le laborieux déroulement dans le temps des altérations de la Parole par Potay destinées à garder derrière lui son petit troupeau de fidèles s’explique très facilement par son désir de rester un dignitaire religieux. Il est décédé en 2025, paix à son âme, et je veux bien croire par bienveillance qu’il s’est laissé auto-manipuler par son inconscient. Comme toi, je ne vois pas d’explication naturelle à ces événements.

JLJ : Une explication surnaturelle est toujours possible, acceptable et interprétable en langage mental. Si un Blaise Pascal a accepté une telle explication, qui suis-je pour la contester ?

AB : Troisième et dernier exemple, beaucoup plus connu mais difficile à avaler dans le judéo-christianisme, celui du Coran et du prophète Muhammad évoqué dans notre dialogue avec Gilles.  Un arabe de 40 ans, peu instruit, conducteur de caravanes, bien connu dans sa ville mais pas comme poète, se met soudainement à proclamer les versets sublimes du Coran qui vont bouleverser certains de ses contemporains, puis au fil du temps près de deux milliards d’humains dont je fais partie. C’était avant la Révélation un homme en recherche plus qu’un croyant au sens commun.

Le Coran est en soit un miracle linguistique : parfaitement compréhensible pour ses contemporains arabes d’une société où les lettrés étaient très rares. Ce texte d’un extraordinaire richesse de mots et de sens crée l’arabe classique, infiniment plus fructueux que tous les dialectes locaux. Il sera d’abord transmis avec les seules racines trilittérales, sans les signes diacritiques qui définissent sa prononciation et parfois son sens précis. L’hypothèse que cet homme ait pu inventer le Coran ne résiste pas, selon moi, à l’analyse. La seule explication est une source spirituelle, l’ange Gabriel dont Muhammad témoigne que le message vient de lui. Mais les anges ne sont pas matériels…

JLJ : Quand l’être humain (toi ou moi) se retrouve face à un événement inattendu, il cherche à comprendre. Il en recherche les causes probables : c’est ce que les logiciens appellent un raisonnement par abduction. Si les causes ne sont pas trouvées, deux réactions sont possibles : le croyant y voit le signe d’une intervention divine, qu’il baptise « miracle ». Le non-croyant réserve sa réponse et demande qu’on continue les recherches

Ce genre d’événement n’est pas si rare. Quand je vois et j’entends une enfant chinoise de 6 ans jouer au piano, impeccablement et avec enthousiasme, un morceau de Bach, je comprends qu’on puisse y voir une intervention divine !

AB : Dieu est immanent et transcendant. La jeune chinoise est une belle illustration de la Puissance du Dieu immanent quand Elle s’exprime sans rencontrer de barrage mental, afin que chaque auditeur puisse être enthousiasmé par la Beauté inhérente au Dessein du Créateur. C’est aussi cette émotion envahissant l’esprit et l’âme dont Gilles témoigne face aux grands espaces naturels.

Mais dans les rares cas de Révélations, c’est une intervention de Dieu transcendant qui s’impose à l’esprit humain. D’après eux, les témoins d’événements surnaturels furent submergés par l’émotion, la réflexion est venue dans un deuxième temps. Muhammad fut très déstabilisé par le surnaturel, c’est son épouse aimante Khadija qui l’a réconforté.

Quand je médite sur un texte sacré, traduit ou dans sa langue originale, quand je le chante, quand je fais vibrer un mantra, je ne me suis jamais posé la question d’une « langue mentale », parce que je mobilise dans cette activité intense le corps, l’esprit et l’âme. Ce n’est pas le cerveau qui pilote cette activité spirituelle. Mais il serait peut-être intéressant d’y réfléchir sous l’angle du réseau neuronal dont je me sers.

JLJ : A la lecture d’un texte sacré, à la vue d’un chef-d’œuvre artistique, ou à l’écoute d’une musique émouvante, il est clair que le langage mental mobilise le corps et l’esprit. Pour l’âme, peut-être, je ne sais pas…

2 Les sapiens parlant, une rupture dans l’évolution

AB : Tu dis p. 17 que « le fonctionnement de l’encéphale humain, fruit de milliards d’années d’évolution, reste largement inexpliqué ». Or ce concept vague d’évolution n’a été initié que par quelques observations et déductions de Darwin. Il est mobilisé comme explication à l’extraordinaire complexification et beauté de la vie comme s’il n’existait pas un Créateur qui y veille. Il dit à Gilles : la création est une œuvre qui se pense sans cesse intensément…un édifice qui converge vers Moi. Or l’évolution censée être progressive a connu des ruptures majeures dont certaines inexpliquées par les scientifiques.

JLJ : L’évolution n’est plus un « concept vague », depuis au moins 150 ans. Elle est progressive, mais pas linéaire : elle procède par bonds qualitatifs, par ruptures, et les nouveautés qui « marchent » sont gardées et propagées par les gènes. Par exemple, pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, on peut supposer que la conformation de la langue, du larynx et du pharynx a évolué pour faciliter la parole, qui a elle-même donné un avantage stratégique à Homo Sapiens. Peux-tu préciser ta pensée sur l’évolution ?

AB : Une évolution d’une base physique permettant la parole devrait être logiquement progressive. Le consensus scientifique nous donne quelques dates : 13 milliards d’années pour le Bigbang, plus de 3 milliards pour l’apparition des organismes vivants, 3 millions pour les premiers homos, plus de 300 000 pour les Néandertal puis les Denisova, des sous espèces disparues dont nous portons quelques gènes, et près de 200 000 ans pour les sapiens dont nous descendons tous. Mais les dernières découvertes indiquent qu’une mutation majeure et brutale est apparue il y a environ 50 000 ans du côté de la Mésopotamie, bien après que les premiers homos soient sortis d’Afrique, leur berceau initial. Le post 42 fait une synthèse sur les origines des sapiens parlant.

JLJ : Qu’a-t-on découvert ?

AB : Un groupe limité de sapiens est à l’origine d’innovations radicales dans son organisation, ses techniques de chasse et de pêche, ses représentations symboliques et il prolifère rapidement. Les généticiens hésitent encore à remonter à un couple unique ou quelques centaines de sapiens, mais ils sont les ancêtres de toute l’humanité moderne. Ils supplanteront les autres homos, pourtant beaucoup plus nombreux, avec un cerveau de même volume et un corps robuste. Nos ancêtres se répandront sur toute la planète, on les trouve déjà quelques milliers d’années après leurs débuts au Sud de l’Afrique et jusqu’en Nouvelle Guinée. Les linguistes, avec moins de précision que les généticiens, évoquent aussi l’apparition d’une langue mère, ancêtre de toutes les langues modernes, à cette époque. Leur réussite reste inexplicable pour les scientifiques.

JLJ : En supposant que cette langue « adamique » ait existé un jour (je n’ai pas la réponse à cette question), je ne vois pas en quoi la réussite de nos ancêtres, qui avaient la chance de la posséder, serait inexplicable. Il est clair qu’un groupe d’hominidés capables d’échanger entre eux des rapports et des projets disposait d’un avantage décisif sur ses proies et ses adversaires. Cette reconstitution préhistorique se relie-t-elle aux textes bibliques et coraniques ?

AB : Quelle est la cause initiale de cet avantage décisif ? Le Coran affirme en 2/31 que le Créateur a enseigné tous les noms à Adam (c’est-à-dire le langage conceptuel) et demandé aux anges, créés bien avant lui (sans corps matériel), de se prosterner devant Adam comme signe de sa supériorité. Il précise en 15/29 qu’Il l’a mis à niveau (sawaituhu) en soufflant dans lui de Son Esprit (rouh-i). Ainsi les créatures adamiques possèdent certains attributs de Dieu comme la Parole, ce que la Bible appelle l’image et ressemblance de YHWH. Il y a bien eu une rupture de continuité entre le train-train d’évolution des espèces animales et nos ancêtres les Homo Sapiens parlants.

JLJ : Oui, je suis frappé que le premier livre de la Bible judéo-chrétienne (la Genèse) et l’un des derniers (l’Evangile de Jean) présentent la parole comme le « commencement » de l’humanité, voire de l’univers. La parole est celle de Dieu, et la langue adamique en est une imitation. Et bien sûr, le « langage mental » que je propose dans mon livre n’est qu’une imitation d’imitation !

AB : Dieu s’adresse aux anges, mais on ne sait s’il leur parle. La Parole insufflée ou révélée est spécifique à la communication entre le Créateur et les humains parlants, libres de la déformer et de la dévoyer. Tu as développé le concept de structure LSI qui permet de décrire la sémantique d’une langue naturelle telle que le français pour une époque et un groupe social donné. Elle est donc l’un des instruments de la traduction d’une langue naturelle N en langage mental M, et réciproquement.

JLJ : Exact. Dans ma théorie, nous partageons avec les primates et d’autres animaux « supérieurs », une structure mentale RSI, représentant le proto-concept (concept non linguistique). Le proto-concept est une variante du « réflexe conditionnel » d’Ivan Pavlov. Un chien possède les proto-concepts d’humain, de chat, d’ennemi, de nourriture, de jouet, etc. Mais il ne « nomme » pas ces proto-concepts autrement que par des signaux non-linguistiques (réflexes conditionnels).

On passe de l’animal à l’humain en passant du RSI au LSI (dans mon jargon : LSI = Linguistique – Symbolique – Imaginaire). C’est la « branche » linguistique L du concept qui distingue l’homme de l’animal, et elle est portée par une langue naturelle comme le français, l’hébreu, l’araméen, ou l’arabe. Toutes les langues humaines sont traduisibles en langage mental, et réciproquement.

AB : Tu dis également dans ton analyse que « pour comprendre les structures LSI composites et propositionnelles, l’interlocuteur animal doit être capable de combiner les signes linguistiques entre eux en se basant sur des analogies : il s’agit de la double articulation syntagme / paradigme, qui repose sur la possibilité de substituer un élément analogue à un autre pour créer un nouveau sens. Cette faculté semble hors de portée des animaux non humains ». Note que le texte du Coran est d’une très grande richesse par ses analogies.

JLJ : Je ne connais pas bien le Coran, mais je sais que l’analogie est à la base de la poésie et de tous les textes antiques. Dans mon modèle de langage mental, l’analogie naît d’une abstraction, suivie d’une application « inhabituelle » : ainsi, Homère parle de « l’Aurore aux doigts de rose » …

AB : Tu dis p. 21 que « tu n’as pas intégré les neurosciences dans ton travail parce qu’elles sont restées jusqu’à ce jour incapables d’expliquer clairement le fonctionnement de la pensée, ou l’émergence du sens, même pour les animaux dits intelligents. Il semble que la description neuronale ne soit pas située au bon niveau pour ce faire ». Dans l’ignorance totale des capacités de langage des Neandertal et des Denisova, on peut étudier avec les neurosciences la mobilisation du cerveau des mammifères les mieux dotés comme les primates, voire les dauphins. Ce qui ne pourrait que confirmer à mon avis ton analyse d’une langue mentale spécifiquement humaine.

JLJ : En effet. Les neurosciences fournissent une description « cartographique » des régions mentales, et une description « dynamique » des fonctions qui les activent. Par exemple, on arrive à « suivre » dans l’encéphale du Sujet, en termes de signaux électro-chimiques, la compréhension d’une phrase énoncée dans sa langue maternelle, de la perception à la réponse. Mais cela ne suffit pas à nous éclairer sur les mécanismes de l’entendement, et c’est un peu frustrant.

Pour reprendre une analogie informatique, je vois le langage mental comme un « assembleur » situé entre un « langage évolué » (par exemple, le français) et un « matériel » (le matériel neuronal). Bien sûr, grâce aux neurosciences, il faudra éclaircir le fonctionnement de cet assembleur. C’est à ce prix que ma théorie passera du statut philosophique au statut scientifique…

AB : Très beau programme de travail !

3 Linguistique et historique des langues humaines

AB : Pour introduire ton analyse du langage mental, je te citerai longuement. Les guillemets, sauf mention contraire, feront référence à des extraits de ton livre. « La première fonction du langage (naturel ou mental) n’est pas de raisonner, mais de communiquer avec notre semblable : échanger des informations, donner des ordres, établir des plans, etc. Ainsi, le rôle de la société humaine ne se borne pas à faciliter l’acquisition du langage (naturel, mais aussi mental). Elle transfère dans l’univers des formes du jeune individu des blocs entiers de formes mentales et de formes dérivées. Le langage mental sert à écrire et à lire le logiciel humain, afin qu’il soit exécuté sur le matériel neuronal. Il sert aussi à enregistrer, stocker et retrouver toutes les données acquises et utilisées au cours de la vie humaine : perceptions, actions, concepts, propositions, raisonnements, dialogues. »

JLJ : Il existe des ponts à double sens entre la langue naturelle du Sujet et son langage mental. C’est une sorte de trafic permanent d’import/export. Si le Sujet est bilingue, il peut passer d’une langue naturelle à l’autre en passant par son langage mental, dans un contexte de traduction (temps différé) ou d’interprétation (temps réel). Ce qui est remarquable, c’est que le langage mental est identique pour les deux interlocuteurs, alors que les langues sont différentes. C’est grâce au langage mental qu’ils peuvent se comprendre !

AB : Provenant de quelqu’un qui connaît bien la Russie, j’ai souri en lisant cette image de trafic… Dans son immense espace géographique, le trafic y existera toujours indépendamment des vicissitudes de l’histoire.

« Cette société d’êtres parlants justifie d’entreprendre l’étude du langage mental avec les outils de la linguistique classique : syntaxe, sémantique et pragmatique. Deux théories imbriquées sont exposées dans mon livre, une description des structures et du fonctionnement du langage mental et une application du langage mental à l’interprétation de l’entendement, du désir et de la raison, sous l’angle informatique et philosophique ». Souhaites-tu développer ?

JLJ : L’exposé dogmatique des principes du langage mental aurait été aride. J’ai donc cherché à montrer des applications de ce langage dans la vie courante et dans la vie intellectuelle, notamment en philosophie. J’ai pris pour canevas les fameuses « Quatre questions » de Kant (Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Qu’est-ce que l’homme ?). J’espère que certains lecteurs se retrouveront dans mes réponses à ces quatre questions. Mais je crois savoir que ce n’est pas entièrement ton cas, surtout sur le versant théologique de ma théorie !

AB : Ton écriture est vivante et les pistes que tu proposes sont claires. Donc je m’y retrouve au sens où je ne m’y perds pas, mais je ne cherche jamais à projeter mes propres idées dans celle d’un autre, a fortiori dans le cadre d’un dialogue ! Personnellement, j’ai toujours rejeté la théologie au sens étymologique : prétendre circonscrire le Créateur infini dans notre petit réseau neuronal !

« Le langage mental proposé est très simple : pas de phonologie, ni de morphologie ; sa syntaxe, à structures fixes, ne comporte pas d’irrégularités, et elle est unique pour tous les êtres humains. La complexité sémantique, qui reflète celle du monde réel, est concentrée dans la théorie des types et des concepts, qui reflète l’ontologie propre à chaque personne au sein d’un groupe humain ».

JLJ : Oui, je tiens beaucoup à cette idée d’universalité de l’espèce Homo Sapiens, qui permet et facilite l’intersubjectivité entre nous. Nous sommes tous égaux « en droit », c’est-à-dire potentiellement, mais nous avons, bien entendu, des différences de performance et de culture : entre l’enfant sauvage et le titulaire d’un Nobel, le langage mental est identique, mais la diversité vient de son enrichissement par le biais des langues naturelles environnantes.

Je tiens aussi à l’idée de « simplicité » du langage mental : l’évolution, sur le long terme, a fonctionné selon le principe du « rasoir d’Ockham » (rien de trop, rien que le nécessaire). Ce sont les solutions les plus simples qui sont gardées et propagées par les gènes.

AB : Tu penses peut-être à la fameuse intersubjectivité transcendantale de Husserl ? La linguistique est certainement une discipline que tu connais beaucoup mieux que moi, mais un de mes camarades de promo a attiré mon attention sur « l’origine des langues » de Merritt Ruhlen qui tente de reconstituer une généalogie de ce que tu appelles les langues naturelles en passant des langues filles aux langues mères. Peux-tu développer tes analyses sur ce thème ?

JLJ : Mes faibles connaissances en archéologie et en génétique des populations ne me permettent pas de juger si une « langue-mère », ou langue adamique, a réellement existé. Le langage mental est compatible avec l’unicité pré-Babélienne des langues, comme avec la diversité post-Babélienne !

AB : L’épisode biblique de la tour de Babel n’est pas confirmé par le Coran contrairement au Déluge. C’est une insertion tardive des rédacteurs bibliques qu’on recoupe avec la grande Ziggurat qui les avait impressionnés lors de l’exil imposé par Nabuchodonosor, quand ils y furent confrontés à une diversité de langues inconnues en Canaan. On note d’ailleurs le biais idéologique de ces rédacteurs : le Créateur imposerait à l’homme ses diktats sans respect pour sa liberté. Certes, il intervient effectivement dans Sa création, mais de manière subtile et progressive.

Un autre thème qui me parait important et que je ne retrouve pas dans ton livre est la rupture de continuité qu’a constitué dans les communications humaines, donc dans les langues, l’invention de l’écriture, d’abord en Mésopotamie puis en Egypte vers – 3500 ans. Ainsi la plus longue partie de l’histoire de l’humanité est ce qu’on appelle la préhistoire. Pendant très longtemps, beaucoup de civilisations sont restées orales et d’humains sont restés analphabètes. De plus tous les prophètes ont enseigné oralement, alors qu’après Noé, les scribes ont partout formé une caste de privilégiés au service du pouvoir guerrier ou sorcier. Peux-tu développer l’impact que l’apparition de l’écrit a eu sur les langues naturelles et éventuellement sur la langue mentale ?

JLJ : Dans ma théorie, tout concept possède 3 branches en langage mental : la branche linguistique L, la branche symbolique S (la définition, pour faire simple), et la branche imaginaire I (les connaissances encyclopédiques).

La branche L est évidemment créée en important de la langue naturelle du Sujet des perceptions auditives et des gestes vocaux, dès sa première année (sauf s’il est mal entendant). Par la suite, en général à l’âge scolaire, la branche L s’enrichit de perceptions visuelles et de gestes de la main : c’est l’apprentissage de l’écrit. Les routines (programmes mentaux) de reconnaissance des mots diffèrent selon que la langue est alphabétique ou idéographique, mais le langage mental sous-jacent est identique pour toutes les langues et pour tous les humains normalement constitués.

Sur le plan purement linguistique, il semble évident que l’écrit a contribué à « fixer » les langues naturelles, en ralentissant l’évolution des concepts, mais aussi en les enrichissant de génération en génération. L’écriture a multiplié les interactions au sein d’un groupe linguistique, en fournissant aux locuteurs une base solide et fixe. Comme on le sait, ce phénomène a explosé avec l’imprimerie, et il explose une deuxième fois avec l’internet.

AB : A tort ou à raison, j’ai l’impression que la mondialisation des communications et les réseaux sociaux commencent à déstructurer les langues naturelles, surtout leur expression écrite. Qu’en penses-tu et cela a-t-il une influence sur la langue mentale ?

JLJ : Je ne crois pas que l’internet déstructure les langues naturelles. Au contraire, la grande diversité des échanges écrits nous oblige à consolider le « noyau » de notre langue, pour continuer à nous comprendre, et pour converser avec l’étranger sur des bases solides. C’est ce qu’on peut appeler « l’effet dictionnaire » d’applications comme Wikipédia.

En tout cas, l’apparition de l’écrit, puis de l’imprimerie, puis de l’internet, n’ont en rien modifié le fonctionnement du langage mental. Au contraire, toutes ces évolutions, de la préhistoire à nos jours, en ont montré la robustesse et l’adaptabilité !

4 Langue mentale, temps et espace

AB : « Kant a bouleversé la philosophie de l’esprit en postulant qu’il existe en nous des structures a priori (qu’il appelle transcendantales), parmi lesquelles ces deux formes pures que sont l’espace et le temps. J’ai choisi ces deux formes comme structures de base du langage mental. Pour Kant, l’intersubjectivité repose sur le fait que tous les êtres humains partagent les mêmes facultés transcendantales. J’y vois un argument en faveur de l’universalité et de l’efficacité du langage mental, dans son usage individuel ou social ». Or les notions de temps et d’espace, classiques à l’époque de Kant, ont été bouleversées par le double impact de la mécanique quantique et de la relativité générale. Cela change-t-il quelque chose à ton choix de formes pures ?

JLJ : Tu as raison de souligner les énormes progrès de la physique depuis l’époque de Kant. Déjà, la création (ou la découverte, comme on voudra) des géométries non-euclidiennes, au XIXème siècle, a ébranlé l’édifice du système kantien. L’espace-temps de nos physiciens contemporains, celui d’Einstein et de Schrödinger, n’est pas celui de Kant, de Galilée et de Newton !

Mais il faut se souvenir que les structures décrites par Kant sont celles de la « simple raison ». Elles sont accessibles aux facultés de l’Homo Sapiens le plus banal. Les théories de la relativité ou de la mécanique quantique, inconnues de Kant, ne sont guère gérables par l’encéphale de notre congénère de base…

AB : Ce blog a publié plusieurs dialogues à orientation scientifique. Avec notre camarade Michel Galiana-Mingot en particulier sur la notion de temps, puis celui d’espace, bientôt suivi par un dialogue sur la matière. La richesse du dialogue sur le thème du temps m’a conduit à diviser en trois le post 99, le premier est plutôt scientifique et les suivants s’envolent vers des thèmes spirituels. Force est de constater que la flèche du temps n’existe ni à l’échelle microscopique, ni à l’échelle cosmologique, mais uniquement à la nôtre tout en y étant très relative. Le temps est perçu de manière très variable par les humains en fonction des circonstances et des cultures. Et surtout la seule référence universelle pour le physicien est la loi de l’entropie.

JLJ : J’ai lu et apprécié le dialogue que tu as mené (accompagné de Gilles Cosson) avec Michel Galiana. Le thème de l’espace-temps est vertigineux, et plus on l’étudie, plus il l’est !

Encore une fois, j’affirme que notre robuste cerveau de Sapiens n’est pas équipé, d’origine, pour gérer le temps quantique, ni le temps cosmologique. Comme tu l’indiques, c’est une question d’échelle : Pascal notait déjà que l’humain est en équilibre entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Mais le plus remarquable est que nous puissions avoir l’intuition des phénomènes dont nous parlent les savants. Personnellement, j’ai beaucoup de mal à « comprendre » les théories quantiques, mais je m’efforce d’en avoir l’intuition, à coup d’analogies

AB : C’est là qu’intervient la distinction entre l’esprit, conditionné par le réseau neuronal, et l’âme qui peut intuitivement le dépasser tout en s’en servant. Dans le langage mental, tu introduis, sauf erreur de ma part, le temps par la fonction mnésique qui serait capable de discerner sans se tromper l’avant de l’après. A l’état de sommeil, je trouve chaotiques mes rêves paradoxaux par rapport au repère du temps, même si on peut leur trouver des explications psychologiques. Mais même à l’état de veille, j’ai beaucoup de mal à situer dans le temps certains souvenirs qui remontent arbitrairement ou volontairement à la surface de ma conscience. Et quand je fais de la recherche mnésique volontaire, les résultats successifs d’une recherche ne sont pas du tout ordonnés du plus récent au plus ancien comme tu sembles le suggérer dans ton analyse. Qu’en penses-tu ?

JLJ : Dans mon modèle de langage mental, les « pointeurs » indiquent un ordre antichronologique, car on ne peut « pointer » que sur une structure déjà existante. Mais il ne s’agit que d’un ordre relatif : il n’y a pas de temps absolu dans notre cerveau. De plus, les pointeurs peuvent se dégrader par oubli ou par maladie, et plus généralement, ils peuvent se modifier sous l’action de désirs divers.

AB : Tu as fait une proposition Pr2 : « Il existe dans le langage mental des structures et des mécanismes permettant de représenter le temps, tel qu’il est perçu par notre corps. » Dans mon expérience des perceptions du corps, le temps est très aléatoire, mon esprit s’évade facilement de cette contrainte pesante, et cela ne s’arrange pas avec l’âge. Donc selon ton analyse et ton expérience personnelle, comment et où un repère de temps fiable peut-il intervenir dans le langage mental ? Ou est-ce une question mal posée ?

JLJ : Non, c’est une question légitime : notre temps est relatif (les événements mentaux s’organisent les uns par rapport aux autres), mais nous cherchons toujours à définir notre place « hic et nunc » par rapport au Réel, notre place dans le monde. Techniquement, je distingue 3 sortes de temps : le temps imaginaire (celui du roman que nous sommes en train de lire), le temps de la Réalité (celui de notre espace mental), et le temps du Réel (celui de notre smartphone). Au bout du compte, c’est le temps du Réel qui l’emporte. Comme disait Lacan, « Le réel, c’est quand on se cogne ! ». Le réel a toujours le dernier mot.

AB : Dans le chapitre 3, tu inclus le temps comme « structure élémentaire sous forme d’un bipointeur ». Deux autres structures élémentaires s’ajoutent, l’espace comme multipointeur, et l’abstraction comme lambda simple et complexe. Intuitivement, je peux comprendre ces deux autres, mais je ne vois pas ce temps conditionné par une flèche du temps linéaire, d’autant moins que d’autres notions de temps existent dans d’autres cultures comme le temps cyclique. Les conjugaisons verbales sont claires dans nos langues, mais inexistantes dans d’autres comme l’arabe.

JLJ : En langage mental, le temps est un enchaînement de pointeurs. Il est donc relatif, linéaire et discret (par opposition à « continu »). Cet enchaînement de pointeurs peut se refermer en un « cycle ». C’est d’ailleurs une structure essentielle pour représenter les phénomènes ou les actions périodiques (la respiration, la marche…). En informatique, on parle de « récursivité », et l’exemple classique est la programmation de la fonction factorielle, qui fait appel à elle-même.

AB : Intéressant ! A la fin du livre, tu dis « le temps et l’espace sont traduits, respectivement, par des structures séquentielles et parallèles, qui font de M un langage en réseau ». J’adhère tout à fait à l’interaction créative entre le réseau neuronal, base physique au niveau du corps, et le langage qui structure l’esprit, mais je suis convaincu que la problématique du temps reste car il y a de nombreux témoignages qui montrent que le corps, l’esprit et l’âme ne sont pas dans le même temps. Dans les « near death experiences », ceux qui sont passé par là ont décrit avoir revécu mentalement toute leur vie alors que pour leur corps, cette expérience n’avait duré que quelques minutes.

JLJ : Oui, on peut dire que le temps du corps est celui du Réel, et le temps de l’esprit est celui de la Réalité (ou celui du récit, si l’esprit s’évade dans l’imaginaire). L’âme, dont je ne possède pas la définition précise, pourrait occuper un « 3ème étage » du temps mental, mais ceci supposerait l’irruption du Transcendant dans le texte mental. Je n’ai pas modélisé cela, car il faudrait poser un postulat supplémentaire, dont je ne vois pas la nécessité.

AB : Chaque chose en son temps en espérant que toi et moi avons une vingtaine d’années de vie devant nous ! La distinction entre l’esprit et l’âme est nette dans la Parole de 1974 : « L’âme est le regard, la main, la gorge, l’estomac du spectre (le spectre est ce qui reste de l’homme après la mort du corps physique s’il n’a pas forgé une âme de son vivant par la pratique du Bien, indépendamment de sa foi) ; par elle Je peux le réchauffer de l’éclat de Ma Gloire, Je peux le conduire vers les magnificences infinies, Je peux entendre sa louange et sa conversation, Je peux le nourrir à jamais ».

Cette Parole correspond bien à mon expérience de priant et de méditant. Il y a sans aucun doute en moi un niveau de conscience supérieur à celui de l’esprit et du corps et capable de piloter mon réseau neuronal. Ce niveau de conscience est dans une logique de temps qui dépasse les limites du corps et il peut communiquer avec le Créateur Immanent et Transcendant. Je ne peux développer cette conviction largement abordée dans mon blog, mais j’affirme qu’il peut y avoir une communication de l’âme individuelle avec Dieu et avec les autres âmes humaines vivantes ou non. Désolé de sortir de tes sentiers familiers…

JLJ : Même réponse (ou non-réponse) que précédemment. Kant, qui était sincèrement croyant, considérait que la « simple raison » n’avait pas directement accès à la métaphysique et à la connaissance de Dieu. Pour aller plus loin, il faut poser des postulats supplémentaires non intégrés dans le cadre de mon travail.

5 Prophètes et religions

AB : Tu évoques à partir de la p. 278 l’Imago Dei envisagée comme un cas particulier d’alter ego. Or je pense en toute amitié que tu t’engages imprudemment dans ces domaines. Ce qui pourrait discréditer la pertinence de ton travail de recherche. Notre camarade Michel Galiana pense, certainement comme toi, que Dieu est une simple construction mentale, contrairement à nos êtres aimés que nous pouvons percevoir par nos sens. Mais il se garde bien d’affirmer que cette réduction matérialiste est prouvable. Or quand tu dis : « Il y a création d’un Alter-Ego dès que le Sujet juge qu’un objet intéressant est animé d’intention et de décision », tu parles de créer. Alors que de mon expérience personnelle du Dieu Immanent comme de celle des prophètes, témoins du Dieu Transcendant, Dieu existe. Il est perceptible, vivant et Il a son propre Dessein dont il communique certains éléments à Ses prophètes dans une langue compréhensible par les humains. Il ne peut donc être créé par notre petit réseau neuronal qui atteint très vite ses limites. Selon moi, il est évident que les prophètes historiques n’ont pu inventer avec leur modeste cerveau ce qu’ils nous communiquent.

JLJ : Je ne vois pas de contradiction. Ce que j’appelle techniquement « Imago-Dei » est un Alter-Ego de type supérieur, qui existe dans la « société mentale » du Sujet croyant, et qui fournit des réponses sans appel aux questions morales qu’il se pose. Prenons l’exemple de mon modeste texte mental personnel : Jésus de Nazareth y figure avec un concept (LSI) relativement riche, du fait de ma culture judéo-chrétienne, et un Alter-Ego qui lui confère un pouvoir d’intention et de décision. Comme j’ai une opinion très positive de Jésus, ces structures mentales portent des drapeaux tels que « est-bon », « est-juste ». Mais cet Alter-Ego n’est pas un Imago-Dei, car les réponses morales qu’il me fournit, en situation réelle, ne sont pas sans appel : je me réserve le droit de ne pas les suivre, voire de les contester.

J’ai choisi le terme « Imago-Dei » pour son double sens : le Sujet croyant porte en lui l’image de Dieu, et il a été lui-même créé à l’image de Dieu. C’est en ce sens que les jugements de Dieu sont sans appel pour lui. C’est cela qui distingue le croyant de l’athée ou de l’agnostique.

AB : J’y réfléchirai. Comme tu parles de société mentale, tu restes sagement au niveau de l’esprit (mens), mais mobiliser le mot Deus me parait prêter à confusion, même s’il est d’origine païenne. Cela te conduira peut-être à mobiliser le mot âme ?

Tes pages suivantes sur animisme, polythéisme, monothéisme, intègrent des lieux communs véhiculés par les religions et supposent que chaque individu est le produit de son milieu d’origine, ce qui esquive toute maturation d’une pensée spirituelle d’adulte s’affranchissant de son contexte social. Je retrouve en particulier tous ces préjugés du milieu chrétien qui pensent que le Dieu de la Torah ou celui du Coran n’est pas le même que celui de Jésus. Au point que tu penses que les drapeaux que le déiste associe à Dieu sont plus vagues que ceux des chrétiens. Mais qu’en est-il de mes drapeaux car j’intègre Jésus dans une continuité prophétique ascendante incluant Muhammad, à la différence de l’immense majorité des chrétiens qui l’isolent dans leurs convictions mentales ?

JLJ : Il est difficile de soutenir que nos concepts (y compris nos concepts de divinités) ne dépendent pas de notre milieu culturel. Au cours de son enseignement religieux, le Sujet croyant enrichit ses structures LSI et Alter-Ego de drapeaux supplémentaires, jusqu’à créer un véritable Imago-Dei. On peut aussi imaginer une religion « syncrétique », où un seul Imago-Dei regrouperait plusieurs concepts LSI tels que, par exemple, Jésus, Muhammad, et d’autres prophètes. Le langage mental est assez souple pour le permettre.

AB : La logique de la continuité prophétique dépasse les barrières artificielles entre religions et notre conditionnement culturel initial. Certes je constate que la plupart de mes frères humains restent coincés dans leur religion de naissance ou oublient ses fondamentaux, par peur, paresse, ou conformisme, peu importe, et je le regrette. Et je vois le syncrétisme comme une impasse de tiédeur.

En se limitant à notre contexte culturel, nous devrions choisir un conjoint agréé par notre milieu d’origine. Ce fut longtemps le cas, mais cela devient heureusement obsolète dans les sociétés modernes. Et la relation à Dieu est de même nature que l’amour conjugal, mobilisant à la fois émotions et réflexions. De plus, dans nos générations, des humains deviennent croyants sans aucune éducation religieuse et sans se laisser conditionner par une religion établie.

Quand tu dis « toute logique d’inter-compréhension avec l’Imago-Dei sera basée sur une relation de domination / soumission », tu oblitère le sujet fondamental de la liberté laissée à l’homme par son Créateur et affirmée par tous les prophètes. Tu ne sembles pas non plus faire de différence entre l’agnostique et l’athée qui n’aurait aucun drapeau sur le LSI Dieu. Je respecte tes propos qui ne me choquent pas parce qu’ils viennent d’un cerveau qui se situe à l’extérieur de ce qu’il évoque, mais ils sortent d’un discours logique argumentable. Je ne vois pas ce qu’ils apportent à ta thèse sur le langage mental ?

JLJ : Là encore, il n’est pas besoin d’être freudien ou marxiste pour reconnaître que les textes sacrés reproduisent les rapports familiaux ou sociaux d’une certaine culture et d’une certaine époque. Nos livres bibliques, nos catéchismes mettent en scène un Père, un Seigneur, des fils, des épouses, des servantes, des bergers, des guerriers, etc. On peut bien sûr procéder par abstraction pour projeter ces personnages antiques sur les situations modernes, mais le rapport de soumission à Dieu est invariant et incontestable. Je crois que « soumission », en arabe classique, se dit… « islam » (certains exégètes parlent plutôt d’« abandon », mais le sens n’est pas très différent).

Pour en revenir au texte mental et aux drapeaux, il est facile de tester la proposition « Ce dieu existe » : le croyant inscrira le drapeau « est-vrai », l’athée « est-faux », et l’agnostique « je-ne-sais-pas ». Et bien sûr, les réponses varieront selon que « Ce dieu » pointe sur Yahvé, sur le Dieu des chrétiens, sur Allah, sur Zeus ou sur Aphrodite…

AB : Les réponses initiales à la question de Dieu et les développements ultérieurs de la pensée et de l’expression dépendront du contexte. Si la personne est placée dans une situation de dialogue respectueux, et si elle est réfléchie, ce qui est le cas de plus de gens qu’on ne croit, ses drapeaux peuvent évoluer.

De plis, il ne faut pas confondre l’enseignement oral des prophètes d’autrefois avec les textes qui nous ont été transmis et surtout leur interprétation. L’abandonnement à Dieu, pour reprendre l’expression du Dr Al Ajami, est bien ce que je vis dans ma relation à Son Immanence et à Sa Transcendance. Comme le dit le Coran, Il est plus proche de nous que notre veine jugulaire. Dieu ne m’a jamais déçu !

L’amour que tu portes à ton angélique épouse n’est-il pas dans la logique d’un abandon ou d’une totale confiance (jusqu’à preuve du contraire) ? Si nous perdons brutalement ou progressivement notre lucidité mentale, la sagesse n’est-elle pas de s’abandonner en toute confiance à la personne avec qui nous avons partagé de belles années de notre vie dans l’amour conjugal ou parental, plutôt que de devenir insupportable dans la crispation de regret d’une lucidité évanouie ?

Par contre, si elle reste bien dans son sujet, ta thèse mérite certainement d’être approfondie et développée.

JLJ : Merci ! Je compte sur toi.

6 Le désir ?

AB : Tu as mis le désir dans le titre de ton ouvrage, mais en lui donnant un sens assez spécifique à ta pensée et assez éloigné de ce qu’il évoque pour moi en me référant en particulier à Bouddha, René Girard, Freud ou Lacan. Pour toi, « dans notre langage mental, les désirs jouent un rôle particulier : ils appartiennent au logiciel (ils sont le moteur des transformations des phrases du langage) et aux données (ils sont les traces réutilisables du vécu) ». Peux-tu m’expliquer ce choix sémantique assez inattendu ?

JLJ : Je donne un sens technique au mot « désir ». Un désir est une structure mentale en forme de quintuplet ordonné : la source, la poussée, l’objet, le but, et la situation. Le rôle d’un désir est de transformer d’autres structures mentales, en se basant sur des drapeaux tels que « est-agréable » ou « est-effrayant ». Ces transformations génèrent du sens : c’est la base sémantique du langage mental. Selon la philosophie classique, le désir peut être du genre « libido sciendi » (désir de connaissance), « libido sentendi » (désir des sens), ou « libido dominandi » (désir de domination). Mais il peut y avoir bien d’autres genres de désirs…

AB : Comme le désir de l’âme de se rapprocher de Dieu. Au niveau du mental, je te suggérerais, le mot affect, moins connoté que le mot désir. Ton choix risque de prêter à confusion. Par exemple, dans la pensée de Bouddha, le désir mal maitrisé est cause de souffrance parce qu’il s’attache à une cible impermanente en la croyant permanente. C’est un produit de l’ignorance. Le discernement entre désir légitime et désir illégitime est fondamental dans l’autodiscipline spirituelle. Les dix commandements enseignés par Moïse instruisent de ne convoiter ni la femme ni le champ de son voisin.

JLJ : La « gestion » de nos désirs est l’un des thèmes immémoriaux de la philosophie, toutes cultures confondues. Par exemple, pour Schopenhauer, un pessimiste professionnel inspiré par les textes sacrés indiens, l’homme oscille perpétuellement entre deux souffrances : celle du manque (avant le désir) et celle de l’ennui (après le désir). Une bonne solution serait de supprimer le désir ! Et Schopenhauer remarque, non sans cynisme, que la description de l’Enfer est vivace et basée sur les souffrances du besoin, alors que la description du Paradis est plutôt morne et basée sur l’ennui… Plus prosaïquement, nos désirs nous placent devant des décisions à prendre. Ces décisions résultent d’un véritable « calcul des valeurs », basé sur les drapeaux, et prenant en compte le principe de plaisir, mais aussi le principe de réalité. Tout cela pose la question du libre arbitre, mais c’est une autre histoire…

AB : L’idée de paradis est absente de l’Evangile mais très présente dans le Coran où il est précisé que les versets concernés sont allégoriques au grand dam des prédicateurs mâles qui projettent souvent leurs frustrations sexuelles. Schopenhauer est un grand philosophe mais un piètre connaisseur des textes sacrés, ignorant le Rig Veda (post 6) et le Coran comme la quasi-totalité des européens de l’époque.

Freud voit le principe de plaisir comme un principe régulateur du fonctionnement mental, il est dans son métier de médecin du psychisme des personnes en souffrance. A contrario, l’élément central de ma vie, c’est le désir de joie spirituelle, mais là encore, il implique l’âme

René Girard pointe à juste titre la problématique du désir mimétique qui est au cœur des tensions dans les sociétés humaines et à l’origine de crises majeures et des rites sacrificiels des religions primitives avec le mécanisme du bouc émissaire, recyclé dans les mythes du christianisme. Il y voit une preuve de la supériorité de la Bible, mais c’est là encore un préjugé chrétien.

JLJ : Je n’ai pas creusé cette question, mais le désir mimétique est un bon exemple d’importation de la culture collective du Sujet vers sa « société mentale » : une multitude d’Alter-Egos sont créés, pour lesquels notre Sujet éprouvera amour ou haine, et sur lesquels il s’efforcera de se régler, en positif ou en négatif. Sur l’herméneutique de la Bible, n’étant pas compétent, je n’ai pas d’opinion.

AB : Freud et plus encore Lacan nous ont dit beaucoup de choses très pertinentes sur le désir. Nous n’avons pas la place de les développer ici. Mais Lacan affirme aussi que « l’inconscient est structuré comme un langage », ce qui me semble pertinent. Donc je pense que l’irruption du concept de désir avec ta propre définition doit être revisitée. Il faut donner toutes ses chances à ton travail de recherche !

JLJ : Je suis d’accord avec Lacan, mais pas seulement sur l’inconscient ! Pour moi, la totalité du mental (conscient, inconscient, verbal, non-verbal) est un texte, écrit dans le langage que je propose.

Quant au désir, comme je l’ai déjà mentionné, j’ai fait un emprunt « technique » à la première topique de Freud, où Sigmund traitait plutôt de « pulsions » que de désirs. Mais je n’ai pas embarqué dans mon modèle toute la théorie freudienne (refoulement, actes manqués, pulsions de vie et de mort, Œdipe, etc.). Je n’ai fait qu’un emprunt formel, sous la forme d’un quintuplet ordonné de formes mentales. D’autres constructions du désir, basées sur le langage mental, sont possibles et envisageables. Avis aux amateurs !

7 Quelle suite donner à ce travail ?

AB : Comme je l’ai dit plus haut, je n’ai pas les compétences, en particulier dans le domaine informatique, pour entrer au cœur de ta réflexion, mais intuitivement, j’ai l’impression qu’il y a là une piste qui peut être très fructueuse et devrait être relayée par des cerveaux plus compétents que le mien. Mon fils fait de la programmation et s’est vite ennuyé quand il fallait s’impliquer dans le codage, mais un de ses amis s’est passionné pour coder au plus près des composants informatiques, ce qui évoque pour moi ta démarche d’aller au plus près du réseau neuronal.

JLJ : Bienvenue au club ! Mon fils, lui aussi, est informaticien, mais il a pris de la hauteur par rapport au codage pur et dur…

Attention : le langage mental que je propose n’est pas « au plus près du réseau neuronal ». Tu fais sans doute référence au connexionnisme, la branche la plus dynamique, actuellement, de l’intelligence artificielle. Or ma théorie relève plutôt de l’ « IA symbolique », une vieille école de programmation, qui a eu son heure de gloire aux premiers temps de l’IA (il y a plus de cinquante ans !), et qui a été supplantée par l’ « IA connexionniste », basée sur les réseaux de neurones artificiels. Mais il n’est pas exclu que l’IA symbolique, chassée par la porte, revienne par la fenêtre.

AB : Ma référence intuitive au réseau neuronal était vague et je ne connaissais pas ces concepts de l’IA, raison de plus pour en parler dans un autre dialogue !

Je vois une différence radicale entre notre intelligence et celle appelée abusivement IA. Elle tient à la vie biologique, celle de l’esprit et de l’âme. La plasticité du réseau neuronal est inscrite dès l’origine dans le Dessein du Créateur et l’interaction quasi infinie avec nos alter egos humains donne aux langages d’extraordinaires capacités d’évolution. Qui peut savoir, dans seulement un siècle, où nous en serons dans nos communications entre humains ? Il est cependant hautement probable que l’outil informatique, créé par projection de notre réseau neuronal, soit incontournable.

JLJ : Certes. Mais il n’est pas certain que le langage mental lui-même évolue. Il date de l’apparition du langage oral chez Homo Sapiens, et il a prouvé sa solidité et son efficacité au cours des millénaires.

Mon pronostic est que l’IA et l’IN (intelligence naturelle) coexisteront et travailleront ensemble selon le principe de la complémentarité. Ceci suppose que l’humanité soit sage (au sens philosophique), mais sur ce dernier point, je n’ai pas de certitude…

AB : Je suis en phase avec toi tout en ayant fait le choix spirituel affirmé de l’optimisme.

J’espère de tout cœur que ton travail sur le langage mental aura l’écho qu’il mérite parmi les scientifiques concernés. Ce que je trouve de plus prometteur dans ta thèse sur le langage mental, est cette perspective de trouver de nouvelles pistes pour améliorer l’intercompréhension entre humains trop souvent divisés par des barrières historiques liées à la diversification historique de leurs langues et à leur crispation sur ce qu’ils croient être une identité qu’ils doivent défendre à tout prix. Il n’y a aucune incompatibilité entre des modes d’organisation et de communications locales et une plateforme mondiale de dialogue élargi.

JLJ : Merci, Antoine, pour tes encouragements ! L’inter-compréhension est la notion centrale de mon travail sur le langage mental. Celui-ci est l’outil nécessaire et suffisant de l’inter-subjectivité, le « dénominateur commun » de l’humanité. Moyennant quelques restrictions techniques, on peut même le considérer comme un outil du dialogue inter-espèces !

AB : Tu dis p.22 : L’intelligence artificielle (IA), elle aussi, peut se prévaloir de résultats spectaculaires, mais elle a été porteuse, en 60 ans d’existence, de cruelles déceptions. L’IA dite faible (celle, par exemple, des programmes jouant aux échecs) a dépassé l’être humain dans plusieurs domaines. En revanche, l’IA dite forte, censée imiter voire dépasser l’humain dans l’ensemble de sa vie mentale, n’en est encore qu’aux balbutiements, malgré son irruption récente (en 2023) dans l’univers du grand public. Il est probable que, comme pour les neurosciences, la description scientifique de l’IA (l’imitation du cerveau humain par la machine de von Neumann ou par les réseaux de neurones artificiels) ne soit pas faite au bon niveau. En particulier, les désirs, les émotions, le vécu, la notion de réalité, l’intériorité mémorielle, ne semblent pas être modélisés de façon pertinente. Si mon travail peut contribuer à éclaircir, ne serait-ce que partiellement, les raisons de cet échec, et à indiquer des voies nouvelles, il aura largement atteint son but.

JLJ : Le problème de l’IA forte (Est-elle possible ? Est-elle souhaitable ?) s’invite dans tous les débats philosophiques et scientifiques, et ce n’est que le début !

Ma position (provisoire) est que oui, l’IA forte émergera quand elle sera dotée d’un vécu, c’est-à-dire d’une mémoire des perceptions et des actions, et dotée d’affects et de désirs. En d’autres termes, quand elle sera dotée d’un langage mental…

Ceci n’est possible que dans le cadre de l’« incarnation » et de l’autonomie de cette IA, c’est-à-dire dans le cadre de la robotique. C’est à ce moment-là que de graves problèmes éthiques se poseront, et que nous serons peut-être en danger.

AB : Les robots tueurs conçus et programmés par des militaires mis au pas pour servir des dictateurs cruels ne sont plus un fantasme et c’est enjeu majeur à traiter sans tarder.

A mon modeste niveau, tu sais que j’ai vivement suggéré que notre rencontre d’X prévue à la rentrée retienne comme thème majeur l’intelligence artificielle. Dans cette perspective et dans le prolongement de ce dialogue, nous pourrons engager prochainement un dialogue avec toi titré : « Intelligence artificielle et intelligence naturelle » pour démythifier ce qui se dit sur l’IA et parler de ses limites. J’ai déjà publié un post personnel en février 2024, le post 83, Intelligence artificielle et intuition spirituelle, mais la méthode du dialogue est beaucoup plus enrichissante. Nous devrions trouver le temps de le publier en début d’été ?

JLJ : C’est avec plaisir que je travaillerai avec toi sur ces projets. J’espère que ce thème intéressera suffisamment de camarades pour lancer une réflexion collective au long cours !

AB : Nous nous y emploierons ! Nous avons seulement besoin de quelques partenaires de dialogue motivés pour avancer sur ces sujets, nous ne sommes pas dans un processus de participation démocratique.

Sur le langage mental, tu seras probablement confronté à des débats contradictoires avec des experts agacés que tu remettes en cause leurs modèles habituels. Il ne faut pas se laisser dissuader, la science a toujours progressé malgré les réticences des savants officiels ou médiatisés.

Je conclus en te remerciant de tout cœur pour ce dialogue amical qui m’a beaucoup appris et permis de mieux comprendre la profondeur de tes analyses.