La remarquable unité des premiers musulmans leur a permis de survivre à la hargne meurtrière de leurs opposants mecquois. Elle repose sur trois piliers :
- Le Coran, révélé progressivement par l’intermédiaire de l’ange Gabriel entre 610 et 632. Le Créateur a veillé à sa bonne transmission. Il y apporta quelques modifications, des versets qu’Il décida d’abroger (2/106).
- Le sage prophète, qui a bien guidé le peuple arabe auquel il a été envoyé. Il a bénéficié d’un immense respect. Il a été obéi de tous à de rares exceptions près, parfois graves comme à Uhud.
- Le Pèlerinage à La Mecque dont la purification des idoles de bois a été un premier objectif majeur des musulmans. Il les a ensuite fortifiés dans leur piété.
De nos jours, contrairement aux Evangiles du Messager Jésus, le texte arabe du Coran (sans les vocalisations ultérieures) fait l’unanimité dans le monde musulman. Mais les interprétations en sont multiples. Dans la génération des premiers compagnons, le sens à donner aux versets ne posait pas problème, d’autant plus les hadiths de Muhammad étaient la référence. Mais d’une génération à l’autre le sens donné par les usages en vigueur chez les arabes aux mots et aux racines se modifie.
Quand Uthman décida de constituer un texte écrit commun, plusieurs versions coexistaient déjà, et Aïcha, forte personnalité dotée d’une mémoire remarquable, exprima son désaccord sur certains points. Les désaccords étaient probablement mineurs. Mais quatorze siècles après le prophète, dans un monde musulman où moins de 15 % sont des arabes s’exprimant dans des variantes modernes très différentes d’un pays à l’autre, le meilleur sens à donner aux versets du Coran est un problème épineux.
Comme facteur d’unité, il reste heureusement les lieux saints et le pèlerinage. Je n’oublierai jamais l’expérience du hadj à la Mecque. Prier avec une immense foule venue de pays parfois en opposition franche ou larvée, parlant des langues variées et se côtoyant hommes et femmes dans la paix du Saint. Très peu de policiers rarement sollicités. Mais des agents de nettoyage du sol très actifs ! Et cette immense mosquée de Médine où il est si facile de prier librement sans que des intrus ne viennent vous importuner comme dans nos villes. L’unité paisible entre humains est un bonheur rare !
1 Les germes de discorde dans la première génération musulmane : califat et imams
La mort inévitable du prophète Muhammad était redoutée de tous : plus d’arbitre incontestable pour trancher les désaccords, plus d’imam pour diriger la prière collective, plus de modèle de comportement pour ses compagnons, les salafi. L’unité difficile dans la culture arabe clanique dominée par les mâles explique les interminables conflits meurtriers entre tribus avant le Coran. Les disputes commencèrent alors que le prophète était à l’agonie pour savoir qui allait le remplacer. Au lieu de réfléchir ensemble à partir du texte du Coran, les premiers compagnons ont cherché un « calife » succédant au prophète comme guide pour sa « umma ».
Que dit le Coran sur ces notions ?
Le mot khalîfa est utilisé neuf fois dans le Coran (deux au singulier, sept aux pluriels khalâ’if et khulafâ’). D’abord pour Sa créature adamique. Lorsque Dieu dit aux anges : Je vais établir un khalîfa sur la terre (2/30), puis pour David : Ô David ! Nous avons fait de toi un khalîfa sur la terre (38/26).
Le pluriel khalâ’if concerne l’ensemble des humains, des « lieutenants » de Dieu sur terre (vi-165 ; x-14 ; x-73 ; xxxv-39). Le pluriel khulafâ’ (successeurs) concerne les Ad dont Allah fait des « khulafâ’ après le peuple de Noé » (vii-69) et les Thamûd dont Allah fait des » khulafâ’ après ‘Âd » (vii-74). Aucune des occurrences de khalîfa et de ses déclinaisons (sauf le verset relatif à David) n’a la connotation de commandement politico-religieux.
Le mot ’imâm, est utilisé dans le Coran 7 fois au singulier et 5 fois au pluriel. Au sens d’exemplarité d’un événement, la destruction de deux cités (xv-159). Ou d’enseignement pour se guider, le livre de Moïse est « ’imâm et miséricorde » (xi-17 et xlvi-12). Au sens d’une personne : fais de nous et de notre descendance un ’imâm pour les gens pieux (xxv-74) ou pour Abraham : Je ferai de toi un ’imâm pour les humains (ii-124). Au pluriel : Nous voulons combler les opprimés sur la terre, faire d’eux des ’a’imma et des héritiers (xxviii-5). Mais le mot peut être utilisé dans le mauvais sens : « Combattez les ’a’imma de la mécréance qui violent leurs serments » (ix-12). Aucun verset ne parle d’un ’imâm au sens des islamistes, un chef de l’umma, communauté politico-religieuse islamique.
Le terme ’umma en arabe pré coranique a un sens très large. Il est utilisé, dans le Coran, 51 fois au singulier et 13 fois au pluriel dans des sens différents. Un verset évoque une espèce vivante : Il n’y a point de bête sur la terre ni d’oiseau volant de ses ailes qui ne participent de ’umam comme vous (vi-38), un autre concerne des ensembles d’humains et de génies qui ont disparu (vii-38). Abraham est une umma (xvi-120), matrice de nouvelles communautés, mais umma peut être un groupe dans un ensemble plus vaste : parmi le peuple de Moïse, il y a une umma qui guide selon la vérité (x-159).
Umma a souvent le sens de peuple ou nation, les umam auxquelles Dieu envoya des « prophètes » et des « témoins », sans distinction entre « ceux qui ont cru » au message et « ceux qui n’y ont point cru ».
L’usage du pluriel umam ne permet pas de réduire son sens à une « communauté islamique universelle et unique qui embrasse tous les pays musulmans où prévaut la loi islamique » que veulent y voir certains islamistes. Aussi le plus sage est probablement de traduire umma par « nation », avec cette définition de Massignon, la « volonté de vivre ensemble ».
Muhammad avait apporté beaucoup de réponses aux questions de ses compagnons. Ses réponses contextualisées ont été tardivement regroupées dans des recueils hétérogènes de hadiths. Ils lui attribuent des paroles parfois contradictoires. Les luttes politiques entre musulmans surchargèrent les mots de certains sens et en évacuèrent d’autres pour interpréter les hadiths dans un sens favorable aux intérêts des protagonistes. Il est donc très difficile de trouver un consensus sur les hadits, facteurs de division plus que d’unité.
Dans un monde musulman divisé et en l’absence du prophète du Coran, restaurer l’unité des croyants, passe sur le Fond par le texte arabe du Saint Livre et sur la pratique par la piété partagée au pèlerinage de La Mecque.
2 Les fitnas des générations suivantes, des rivalités de pouvoir
Dans le Coran, fitna veut dire « épreuve, test » : « (Ce sera) un Jour où ils seront mis à l’épreuve dans le Feu ! » (51/13) ou « Tous goûteront la mort, et Nous vous éprouverons les uns les autres avec le bien et avec le mal, et à Nous vous serez retournés. » (21/35). Fitna a aussi d’autres sens dans le Coran, comme l’association dans l’adoration (shirk) qui peut conduire à l’incroyance. Après la mort du prophète, les guerres intestines, larvées ou affichées, ont rarement cessé entre musulmans.
Les schismes politico-religieux, guerres civiles, rivalités et divisions entre les musulmans sont des fitnas comme tout « trouble, révolte, agitation, sédition ». On retient généralement six fitnas majeures qui s’étalent de 656 à 1009. La première, la grande fitna dont les conséquences perdurent, est la guerre civile après l’assassinat d’Othman, en 656 et la bataille du chameau liée au choix du successeur. La dernière est celle d’al-Andalus de 1009 à 1031 avec la désintégration du califat de Cordoue en fiefs indépendants. La première fitna a conduit à la séparation durable entre la majorité sunnite et les partisans d’Ali, les chiites, les deux branches majeures de l’islam. La troisième est plus discrète, à tendance mystique, les soufis et leurs confréries.
Sur ces différences s’est greffée la complexité ethnique et culturelle des convertis. Arabes, turcs et perses sont les peuples déterminants des débuts de l’islam. Les arabes sont la référence initiale, les perses sont héritiers d’une grande civilisation hiérarchisée et raffinée, doués pour administrer, les turcs d’Anatolie et surtout des plateaux d’Asie sont de redoutables guerriers comme les mongols. L’armée de Gengis Khan y avait intégré des turcs, mais son immense empire se divisera.
Un descendant fondera la dynastie moghole, au pouvoir en Inde, un autre celle des Yuan qui règnera sur la Chine. La Mongolie est devenue bouddhiste sur décision du roi. Le Xinjiang chinois est le territoire des ouïgours, des musulmans turcophones lourdement opprimés. Le monde musulman actuel est donc très hétérogène de par son histoire et les cultures des peuples majoritairement musulmans, mais les rivalités de pouvoir ne se traduiront plus en pillages et massacres des vaincus après la relative stabilisation des frontières qui suivra la colonisation.
Après la première guerre pour le califat, il deviendra un enjeu de pouvoir symbolique et migrera de Médine à Damas puis à Bagdad. Les turcs vont s’imposer par la force, les seldjoukides laissent l’apparence d’un calife arabe mais prendront le pouvoir réel à Bagdad. Et les mamelouks, installés en Egypte depuis 1250 stopperont l’avancée des mongols. L’empire ottoman unifiera une bonne partie des turcophones pour constituer un immense empire entre 1300 et 1566 avec les conquêtes de Soliman, ne laissant aux arabes vassalisés que la centre de la péninsule arabique où apparaîtra le wahabisme. L’empire ottoman ne revendiquera le califat que longtemps après la chute de Bagdad. Les omeyades de Cordoue avaient proclamé leur califat en 929.
Dans les rivalités de pouvoir, la frontière entre sunnites et chiites fluctue au gré des décisions des pouvoirs. En 932, les guerriers chiites Buwayhides au pouvoir laisseront en place le calife sunnite. Les séfévides, originairement sunnites, deviennes chiites duodécimains au 15ème siècle. Ils attendent le retour de leur imam (occulté en 874). Ils imposent le chiisme en 1502 comme religion d’état de l’Afghanistan à l’Euphrate et luttent contre leurs rivaux sunnites, les ouzbeks au Nord et les ottomans à l’Ouest.
Ils fondent Ispahan et la civilisation persane s’épanouit à nouveau avant de décliner au 19ème siècle avec les rivalités féodales. L’immobilisme de la classe sacerdotale et les affrontements entre chiites et ismaéliens ou disciples du Bab permettront à la Russie et à l’Angleterre de s’imposer dans la région. Le chah Pahlavi remplace la dynastie des Qadjars, une tribu turco-mongole arrivée au pouvoir en 1796. Il se déclare empereur d’Iran.
Les termes khalîfa et ’imâm prirent ainsi au fil du temps un sens politico-religieux systématisé en doctrines. Les clercs religieux voulaient justifier les pouvoirs dynastiques en place ou étayer les prétentions des dissidences. L’abolition du califat en 1924 donne de l’oxygène à l’islam pour déconstruire la confusion entre politique et religieux et la prétention des leaders à incarner la voie droite.
3 Les courants minoritaires dans l’islam, chiisme, soufisme et autres
Le chiisme était en germe dans la rivalité personnelle entre Ali, le fils adoptif du prophète, un vaillant guerrier. Et Aïcha, fille d’Abu Bakr, la seule femme que le prophète ait connue vierge, deux caractères très affirmés. Alors qu’elle n’était pas encore pubère, Aïcha fit un rêve peut-être inspiré où elle se voyait épouser le prophète. Elle alla avec insistance parler à son père pour exiger qu’il la promette en mariage au prophète. Son père, la voyant inflexible, finit par céder et convaincre Muhammad. Le mariage fut décidé et consommé après sa puberté. De nos jours, des hypocrites ignorants des faits taxent le prophète de pédophilie !
Les partisans d’Ali et les perses minoritaires avaient tissé des liens dès le début de l’hégire. Mais c’est au 16ème siècle avec la proclamation de l’imâmisme duodécimain comme religion d’état par les souverains safawides que le chiisme est devenu puissant et surtout perse. La Perse était plutôt sunnite, des conversions forcées ont eu lieu. Ce qui explique la crispation des clergés iraniens sur leur pouvoir acquis de force puis réinstauré par les prêches de Khomeiny face à un shah honnis par le peuple.
Les ulémas, les « savants » des sunnites ne sont pas hiérarchisés, mais les mudjtahid du chiisme le sont. Ils ont intégré leurs hadiths et l’exemple d’Ali comme aussi importants que ceux de Muhammad. De nombreux sermons douteux à tendance ésotérique lui sont attribués. Le chiisme a de nombreuses branches plus ou moins connues en plus du courant duodécimain qui règne en Iran : les ismaéliens, les druzes, les alaouites… Les chiites se divisent en particulier sur leur calife de référence, le septième, Ismaël, mort en 762 pour les ismaéliens, le onzième pour les alaouites, le douzième pour les duodécimains, Al-Hakim mort en 1021 pour les druzes, Nizar mort en 1094 pour les nizarites khodjas de l’Agha Khan, Mustali mort en 1101 pour les mustalites…
Le nizarite Hasan al-Sabbah s’empara d’Alamut, une citadelle de l’Elbrouz et imposa à ses hommes une discipline de fer reposant sur la prière, l’entraînement militaire et l’obéissance absolue. C’est la secte des assassins qui lança ses terroristes kamikazes armé d’un poignard pour tuer des notables ciblés. Le petit-fils de Gengis Khan détruisit en 1257 leur forteresse et anéantit cette secte qui fit trembler les califes de Bagdad.
Leur discrétion protège les druzes (du nom du prédicateur al-Darazi) des intrusions hostiles. Ils s’appellent muwahhidun (unitaires), insistent sur l’unicité de Dieu et se relient au calife Al Hakim. On parle de plus de 500 000 druzes au Moyen Orient et de deux millions dans le monde, aux USA en particulier mais l’incertitude règne. Les druzes des montagnes du Liban sont comme les kurdes des hommes courageux. J’ai constaté en période électorale qu’il y a un vote druze : les photos et posters du leader Joumblatt étaient bien présentes. Mais moins que celles du leader du Hezbollah.
Sur leur univers de foi, les chercheurs se perdent en conjectures. C’est probablement mieux ainsi. Les druzes, que l’histoire des persécutions par les sunnites a rendu prudents et solidaires comme les alaouites, pratiquent l’art de la dissimulation, taqiyya (qu’il ne faut pas confondre avec l’hypocrisie). Seuls les sages parmi eux, de famille connue, auraient accès après leur initiation et leur engagement de pratique fidèle, au « livre de la sagesse ». Il regroupe des lettres manuscrites d’interprétation du Coran rédigées à leur époque missionnaire qui cessa sous Baha’el-Din.
A partir du Xème siècle, les mystiques seront appelés soufis et surveillés étroitement par les pouvoirs. Le soufisme actuel, très varié et parfois ésotérique, insiste sur l’expérience spirituelle personnelle pour se rapprocher de Dieu. Depuis l’assassinat par les pouvoirs d’Al-Hallaj (857-922), ils sont devenus très prudents dans l’expression de leur vie spirituelle. Ils ont cultivé l’art de la discrétion. D’où à partir du 6ème siècle le développement de confréries plus ou moins fermées comme les derviches tourneurs qui se relient à Roumi ou les mourides du Sénégal. Elles sont généralement très hiérarchisées. Leur fondateur vénéré a parfois droit à son mausolée. Ce que la Parole de 1974 réfute : « il n’y a de piété que pour Dieu ». Elles peuvent être riches grâce à la générosité des adeptes. Les pouvoirs en place s’adaptent à leur influence.
Les kharijites refusèrent l’arbitrage de 657 entre Ali et Muawiya. Ils furent massacrés par l’armée d’Ali en 658, puis persécutés par les Omeyades et se dispersèrent. Les historiens identifient plus de 20 branches dont certaines ont une profession de foi. Muhammad reste l’envoyé d’Allah, mais seulement aux arabes. Ils traitent sur un plan d’égalité les juifs et les chrétiens.
En marge de l’islam parce qu’ils se réfèrent à un Messager après Muhammad, il y a les ahmadis et les bahaïs. En 1889, Mirza Ahmad fonde le mouvement ahmadi au Pakistan en se proclamant Mahdi ou Messie. Ils sont plus de 10 Mn, surtout en Iran où ils persécutés parce qu’ils remettent en cause la théorie de Muhammad comme dernier messager (voir post 1). Même leur discrétion en Algérie ne les protège pas. Leur leader fut emprisonné en 1976 sur la base de sa foi dans un pays où théoriquement la liberté de conscience existe.
Les bahaïs, environ 6 Mn dans le monde, ont un superbe mausolée à Haïfa. J’ai admiré leur temple à Chicago. L’iranien Bahá’u’lláh affirme en 1844 que son maître est le Bab (la porte), le Messie qu’il avait annoncé et qui sera fusillé en 1850. Lui-même est exilé à St Jean d’Acre où il écrira les livres qui servent de référence aux bahaïs. Ils insistent sur l’unicité de Dieu, la continuité de tous les Messagers, y compris Bouddha et Muhammad, appellent à l’unité de la famille humaine et à la paix. Ils sont dirigés par neuf sages, sans clergé, et la prière est libre. Ils militent pour être officiellement reconnus comme nouvelle religion mondiale. J’ai beaucoup d’estime pour ce mouvement spirituel. Mais en lisant leurs textes de référence affirmant comme Paul de Tarse qu’il faut obéir aux pouvoirs en place, je ne peux reconnaître en leur fondateur un Messager.
4 Les débats et écoles juridiques
Six écoles philosophiques ont canalisé les divergences d’analyse en Inde. Les philosophes, censés aimer la sagesse, réfléchissent et dissertent. Il y a eu de grands philosophes dans le monde musulman. Mais ils n’ont pas fracturé leurs sociétés comme les juristes issus des cadis nommés par le pouvoir. Ces juristes, chantres de l’Etat de droit ou de la charia, ratiocinent et coupent les mots en quatre pour justifier les décisions des puissants ou créer leur propre jurisprudence, les fatwas.
Dans le monde occidental les juristes créent le droit ; dans le monde musulman, ils doivent partir du texte du Coran pour leur cuisine mentale. Leur « fikh » ou effort de raisonnement, ne cesse jamais. Or seulement 500 versets sur les 6200 du Coran pourraient avoir une valeur juridique ! Ils ajoutent les hadiths, la sunna et leurs idées, envahissent la sphère privée, la pratique des cinq piliers, et les rapports entre personnes en plus du droit public. Ils déclarent des fatwas arbitraires qui sont dans certains pays une incitation au crime.
Les quatre écoles juridiques du sunnisme tirent leurs noms des fondateurs, tous morts entre 765 et 855. Disons sommairement que la hanifite accorde de l’importance à l’opinion personnelle du jurisconsulte et au raisonnement par analogie. La malikite met en exergue où l’utilité pour le bien de la communauté. La chaféite fixe son droit canon sur le comportement du prophète et le consensus majoritaire. Et l’hanbalite reste sur une tradition rigide. Quant aux chiites, c’est l’école jafarite qui est prédominante, écartant le raisonnement par analogie et l’opinion personnelles pour se limiter au Coran et aux hadiths. D’autres écoles ont disparu.
Le cadi chaféiste Al Ghazali, mort en 1111 (dont le grand Averroès réfutera brillamment les thèses dans son « discours décisif ») favorisera l’interprétation du Coran par des juristes soumis au pouvoir. Une crise personnelle le rendit muet pour six mois, il renonça à son poste de cadi, s’éloigna de la théologie et se rapprocha du soufisme. Il combattit le chiisme et l’ésotérisme. Il place au-dessus du raisonnement philosophique ou scientifique la religion et la doctrine, du ressort des savants juristes. Les affaires de ce monde et de l’État sont aux mains des dirigeants. Le peuple, lui, n’a qu’à obéir. progressivement la civilisation et la science arabes sortit de l’ère de la création, de l’innovation et de l’imagination pour entrer dans celle de la reproduction, de l’imitation (taqlid) et de la compilation.
Le persan At Tabari (1165-1240), cité comme exemple d’auteur de livres d’homme par la Parole de 1974, est un touche-à-tout très prolifique. Il aura une grande influence sur le chiisme iranien. Il n’est pas que juriste, il est historien, commentateur du Coran, mais aussi maître soufi, et mystique quand il évoque un rêve où le prophète lui aurait remis la « pierre de la sagesse », ou des mystères que des anges lui auraient communiqués directement. Il va surtout théoriser le rôle des « saints » (dans la Parole, Dieu Seul est Saint).
La mainmise des décortiqueurs du Coran continue ainsi à diviser et stériliser la réflexion du musulman de base. Il oublie que le texte s’adresse directement à tous les croyants, libres de le comprendre selon leur sensibilité propre. Il est plus confortable de suivre que de réfléchir, alors que le Coran appelle à la connaissance !
5 Les tensions et conflits du monde moderne et la voie de l’unité
Les facteurs de division sont nombreux dans le monde musulman. Comme chez les chrétiens et hindouistes. Les fauteurs de troubles profitent des incertitudes d’interprétation. Ils manipulent les croyants musulmans dans leur ignorance du vrai sens du Coran et attisent leurs craintes dans un monde agité, politisé, et matérialiste qui s’est éloigné de la Parole.
La disparité géographique, culturelle et politique des musulmans ne facilite pas leur entente. La guerre déclenchée par l’Irak contre l’Iran avec les armes vendues par les occidentaux est une guerre de politiciens entre deux rois noirs, le sunnite Saddam Hussein et le chiite Khomeiny. Le contexte militaire actuel rend plus problématique les guerres ouvertes entre peuples majoritairement musulmans ou avec les autres peuples. Ce qui perdure, c’est la violence aussi absurde qu’aveugle du terrorisme des ignorants manipulés par des soi-disant savants se réclamant du Coran.
Dans les pays musulmans ou ils sont majoritaires comme en Indonésie ou au Pakistan, il y a une très grande diversité de sensibilités et de comportements. Car ces pays sont une mosaïque d’ethnies qui ont reçu différemment le Coran et le vivent à leur manière. L’Indonésie est le plus grand pays musulman, mais si on voulait leur imposer de Jakarta une idéologie officielle sur la manière de vivre l’Islam, ce serait un désastre ! La référence au Coran et au prophète Muhammad suffit et les indonésiens le prouvent.
Prenons l’île indonésienne de Sumatra. Au Nord il y a les Aceh, 4 Mn environ, meurtris par le tsunami qui a épargné leur grande mosquée. Ils vivent le Coran en rigoristes : femmes voilées, flagellation publique et cinéma interdit. Au Sud, il y a 6 Mn de Minangkabau, société matrilinéaire et polyandre comme celles des Ladakhis bouddhistes. Pour loger un conjoint supplémentaire, la femme agrandit une aile de sa maison ! N’en déplaise aux fondamentalistes, ils ne voient aucune incompatibilité avec le Coran (et moi non plus tant qu’il n’y a ni contrainte ni injustice). En voyageant chez eux, on rencontre des femmes affirmées, des entrepreneuses efficaces qui en ont fait une région riche.
Le prophète est cité plus de 20 fois dans la Parole dictée en 1974 et 1977 au messager Mikal (peut-être le forqan annoncé par le Coran en 3/4, voir post 21). Soit directement, soit dans l’expression frère de Muhammad qui fait écho au frère de Moché et de Yëchou (Moïse et Jésus). Muhammad y est loué comme, « le plus écouté de Mes messagers, le plus sage, qui n’a pas fait ployer son peuple sous les observances et ne l’a pas fait fléchir sous les ordonnances des princes du culte » (2/9). C’est après lui que les ordonnances de juristes se sont multipliées et ont divisé les hommes. Pour l’avenir de notre jeunesse, libérons nos esprits de cette tutelle mentale des manipulateurs de toutes sortes !
Le Coran dit en 13/38 : un Livre a été envoyé pour chaque époque bien déterminée. Et en 14/4 : Chaque prophète envoyé par Nous ne s’exprimait, pour l’éclairer, que dans la langue du peuple auquel il s’adressait. Ainsi quand le Coran dit à de multiples reprises : « obéissez au prophète », Il s’adresse à un peuple arabe, dans le contexte historique de l’époque où vécut son prophète. Il affirme en 13/40 et répète : le prophète doit communiquer le message en toute clarté, mais il précise en 3/7 : Dieu seul en connaît l’explication. Ceci jusqu’au jour où viendra son interprétation (7/53), peut-être une annonce du Zabour (voir post 4) ?
Muhammad n’a été envoyé à tous les hommes que comme miséricorde pour les mondes (21/107), pour annoncer et avertir (34/28), un rôle différent pour les arabes de son époque et pour les autres peuples. Restons modestes sur notre capacité à bien le comprendre, car le contexte de sa révélation reste méconnu, et sa langue est difficile à interpréter. Or l’immense majorité des musulmans actuels parle peu ou pas du tout l’arabe littéraire.
La Parole de 1977 chapitre XIII loue Muhammad, la voix face à l’aurore, qui tient le soleil sur la tête de Yëchou ; mais Elle nous met en garde contre les rois blancs, le roi qui tient la barbe de Moché, Yëchou et Muhammad (XIII/7). Ce sont les rois blancs, leurs princes du culte et docteurs de la religion qui conditionnent les fanatiques violents qui ont semé la discorde et la peur tout au long de l’histoire de l’humanité. Ils commanditent directement des guetteurs, et influencent le peuple par leurs idéologies.
Ainsi, que des hommes ayant une bonne connaissance des faits historiques et du texte du Coran donnent de sages conseils demandés par leurs frères moins savants, c’est tout à fait légitime. Mais quand des hommes polluent la Parole de leurs idées et se donnent des titres d’imams, ulémas, muftis et autres ayatollahs et prétendent figer un sens précis ou définitif du Saint Livre, ils s’égarent et nous égarent et le prouvent par les innombrables controverses agressives auxquelles ils ont habitué les hommes. Un échange fraternel éclairant avec eux ne peut avoir pour résultat la fatwa obligatoire d’un juriste.
C’est d’abord en réfléchissant sur la Parole transmise par tous les prophètes et en La libérant des clergés et juristes qui La parasitent que le monde contemporain commencera à apaiser ses conflits.