La notion de laïcité (secularism) ne prend pas du tout le même sens dans les pays où elle est institutionnalisée. En France des mots comme secte et laïcité sont lourdement connotés. En théorie, le sectarisme est l’attitude intransigeante de partisans intolérants d’une opinion, d’un parti. Mais on utilise facilement ici le mot très péjoratif de « sectes » (cult en anglais) pour des groupements religieux méprisés par les grandes religions. Étymologiquement, un « laïc » est une personne qui n’est pas un clerc du clergé religieux (comme un civil n’est pas militaire). Mais le mot laïcité a changé de sens.
Dans la lutte contre la domination du clergé catholique sur l’éducation, à la fin du 19ème siècle, l’enseignement primaire devient obligatoire et laïc. Le personnel enseignant laïcisé devient le gardien d’une « morale laïque » inspirée de la morale chrétienne, défendue par Jules Ferry comme valeur assurant le lien social. Puis la loi de 1905 sépare les affaires religieuses du politique : l’État ne reconnaît, ni ne subventionne aucun culte. La religion appartient à la sphère privée, être athée ou croyant relève de la liberté individuelle de chacun.
Ces décisions politiques excluent de l’école officielle toute information historique sur les prophètes et les mouvements religieux. Inévitablement, les enseignants et par contagion les mondes politiques et journalistiques français sont devenus très ignorants des textes sacrés. Notre société est majoritairement agnostique ou athée. Les croyants fervents (10 à 15% de la population, surtout de culture chrétienne ou musulmane) sont marginalisés. Ils passent pour des arriérés ou des manipulés. Nos parlementaires mirent dans leur liste noire la mission Ram Chandra classée dans d’autres pays comme d’intérêt public !
Avec la visibilité croissante de l’islam, à la laïcité juridique issue de 1905 s’ajoute une laïcité combative qui veut rendre invisible le fait religieux associable à une religion, surtout l’islam. En interdisant le port de signes religieux par les élèves dans les écoles publiques, la loi se heurte au respect de la liberté de conscience et de la sphère privée comme la liberté du choix de vêtements. Les attitudes sectaires se retrouvent en politique, en philosophie, en science, en religion et certains athées militants sont plus sectaires et méprisants que les croyants les plus obtus. La laïcité sectaire se nourrit d’une ignorance tendant vers l’obscurantisme, surtout dans notre pays où les aléas de l’histoire ont conduit à de lourds préjugés populaires envers ce qui n’est « pas très catholique ».
Le sens qu’il faudrait donner logiquement à la laïcité est de récuser l’obscurantisme sectaire de tous les clergés au service des pouvoirs, roi blanc comme roi noir (Parole de 1977-X/6).
1 La laïcité française et le sectarisme catholique
Les sectes religieuses se multiplient partout et à toutes les époques, dans le christianisme, l’islam, l’hindouisme, ou le bouddhisme. Les chrétiens ont d’abord été une secte juive. Quand une religion organisée domine, elle étouffe la concurrence par tous les moyens. Les clergés catholiques l’ont fait sous l’empire romain en attisant le fanatisme contre les juifs qui refusaient de se convertir.
Les posts 29 et 32 ont détaillé le développement du sectarisme dans le monde chrétien. Il a commencé par des controverses théologiques acerbes dès les premiers siècles. Puis il s’est transformé en persécutions avec la conversion au christianisme de l’empereur Constantin. Le système ecclésiastique hiérarchisé imposera sa doctrine officielle et persécutera les théologiens déclarés hérétiques qui seront excommuniés ou tués. Puis la menace des doctrines et communautés cathares décidera l’église romaine à lancer des croisades armées pour les exterminer avec l’appui des rois. En France, l’alliance de domination entre le clergé et la noblesse s’appuyait sur le roi, dès Clovis, avec Charlemagne et plus encore sous Louis XIV.
Les pouvoirs chrétiens se crispent avec la montée en puissance de l’Islam et les croisades (post 33). Ils créent les tribunaux de l’inquisition en 1215 pour y traîner les « hérétiques » et les juifs et les musulmans qui pratiquaient en secret leur culte. La cible s’élargit pour inclure les mystiques, les sorciers, les homosexuels, les bigames, les adultères ou toute personne dénoncée. La torture fut autorisée en 1252 et des condamnés sont brûlés vifs. Lors des guerres de religions entre catholiques et protestants, la population française était l’équivalent de l’allemande plus l’italienne. Elle fut saignée par les guerres, les massacres, les déportations et se reconstitua grâce à l’immigration. Au 18ème siècle, la France avait encore un grand rayonnement culturel et scientifique avant d’être saignée à nouveau par les guerres napoléoniennes.
La réaction contre l’obscurantisme catholique viendra d’abord de quelques intellectuels français. Les philosophes des Lumières s’expriment plus librement après la mort en 1715 de Louis XIV qui imposait son catholicisme. Ils combattent par la raison l’obscurantisme des clergés et de la bourgeoisie et luttent contre toutes les oppressions (morales, politiques, religieuses). L’encyclopédie universelle de Diderot et D’Alembert en est une illustration. Mais les auteurs n’avaient pas les connaissances linguistiques et scientifiques nécessaires pour approfondir et contextualiser les textes sacrés et ignoraient le Coran.
Scandalisé par l’alliance criminelle entre clergé religieux et monarques, le peuple français se révolte violemment en 1789 et abolit la monarchie de droit divin, Les traductions d’Anquetil-Duperron du Zend Avesta en 1771 et d’Upanishads donnent à la France l’accès à d’autres textes sacrés. Le Coran restera le parent pauvre des recherches, jusqu’à la traduction de Kasimirski en 1840, la meilleure pour un siècle. Les traductions antérieures étaient biaisées pour discréditer l’islam, celle de Kennet publiée en 1543, de Ryer ou de Savary.
Au XIXème siècle l’expansion coloniale des puissances européennes et la décadence de l’empire ottoman dynamisent l’intérêt occidental pour l’Orient. Les récits de voyage se multiplient, fantasmes romantiques comme études ethnographiques. Les œuvres d’art imprégnées d’orientalisme abondent. A cette époque, d’autres traductions du Coran seront tentées, mais sans la sensibilité spirituelle nécessaire. Il faudra attendre 1951 pour enfin avoir une bonne traduction en français, celle de Blachère. Ainsi l’obscurantisme du clergé catholique éloigna le Coran pendant plus d’un millénaire de la culture française. Or il est impossible de comprendre le vaste monde musulman sans connaissance sérieuse du texte coranique.
2 La Russie : du sectarisme orthodoxe du tsar au sectarisme athée de la religion communiste
En Russie comme en France, la religion était celle du pouvoir. Vladimir prince de Kiev se convertit en 988 au christianisme byzantin. Tous les tsars russes seront des empereurs de droit divin soutenus par les clergés orthodoxes. Le grand anarchiste chrétien Tolstoï fut excommunié pour avoir contesté le clergé sur la base de l’évangile. L’empire russe guerroie contre les empires ottoman et perse et hérite de peuples musulmans au Sud et bouddhistes à l’Est. Il officialise leurs religions mais reste une agglomération de peuples colonisés par les slaves blancs de St Petersburg et leurs clergés orthodoxes.
La révolution de 1917 bouleverse la situation. La doctrine de l’Etat russe sera marquée par les idéologies athées de Marx, Lénine, et Staline. Marx est de la même génération que Proudhon et Bakounine, des penseurs fondateurs de l’anarchisme français et russe. Il se situe d’abord dans la mouvance des hégéliens de gauche. Mais il tranche par son choix du matérialisme historique. Marx rejette des espérances du grand Hegel, centrées sur la vie et l’amour dans son essai « le christianisme et son destin », précédé par « l’esprit du judaïsme ».
Marx compatit à la misère du prolétariat et honnit les pouvoirs bourgeois. Intellectuellement c’est un touche-à-tout hyperactif dont les analyses restent superficielles. C’est aussi un polémiste avec les préjugés pseudo-scientifiques de son siècle. Il est d’ascendance juive mais écrit à Engels : « Pour le négro-juif Lassalle, j’ai la certitude, que prouvent la conformation de son crâne et la pousse de ses cheveux, qu’il descend des nègres qui se joignirent à Moïse lors de la traversée de l’Egypte ».
Son ignorance des textes sacrés et du surnaturel ne lui permet pas de distinguer les messagers de YHWH des pouvoirs religieux instaurés par les hommes. Il les rejette à juste titre en parlant de la religion comme « l’opium du peuple ». Ses analyses rudimentaires sur l’économie et la finance aboutissent à des théories erronées comme la loi d’airain du capital. Il ignore le mécanisme de création de valeur par l’innovation et la prise de risque des entrepreneurs. Mais l’idéologie marxiste restera la base de la croyance communiste des mouvements révolutionnaires européens. Le marxisme-léninisme, puis le communisme chinois persécutent tous les croyants, musulmans, bouddhistes ou chrétiens. Avec le recul du temps, l’échec économique et social des pays marxistes devient flagrant.
Lénine prêche les doctrines de Marx et son athéisme obtus dans les innombrables conflits d’idées et d’ambitions des révolutionnaires russes. C’est un activiste rusé et assoiffé de pouvoir, surveillé par la police tsariste après la pendaison de son frère pour complot d’assassinat du tsar. Dès 1895 il fonde un groupe politique strictement hiérarchisé de dix-sept membres dont aucun ouvrier. Il soutient les grévistes et écrit une longue brochure sur la condition ouvrière. Il est arrêté, déporté en Sibérie pour trois ans. Il se réfugie ensuite en Suisse. Il y théorise sa révolution s’appuyant sur la terreur, conduite par des professionnels, l’avant-garde de la classe ouvrière, porteurs de la conscience de classe pour instaurer la dictature du prolétariat.
Lénine rentre en Russie en 1917, rappelé par ses camarades bolcheviks après la défaite des « russes blancs » face aux « russes rouges ». Son opportunisme lui permet d’accéder au pouvoir par un coup d’état écartant les mencheviks (scindés des bolcheviks en 1903). Face aux oppositions, privé du soutien de la population rurale et des élites, Lénine ordonne des exécutions publiques et des mesures de répression et d’épuration à grande échelle. Lors de la terreur rouge, 100 000 personnes sont exécutées. Il instrumentalise les tensions ethniques pour déstabiliser les gouvernements séparatistes. Il persécute le clergé orthodoxe et brûle des églises.
A la mort de Lénine en 1924, un de ses collaborateurs, Staline, prend le pouvoir. Il s’appuie sur la police politique pour éliminer ses rivaux, crée le KGB et renforce la répression. Il fait construire les camps du Goulag pour parquer les « ennemis de la révolution ». Il se crée ainsi une main d’œuvre abondante pour industrialiser la Russie. Il saisit les biens de l’Église en 1934. Pendant soixante-dix ans, les pouvoirs soviétiques auront tenté en vain d’éradiquer la foi comme aliénante et complice des tsars.
En 1941, en guerre contre le nazisme, le pouvoir soviétique change de politique : pour souder la population autour du régime il instrumentalise l’Église au lieu de la persécuter. Les échecs économiques du communisme sont patents. Il faut s’aider de la vertu chrétienne de pauvreté et de sa foi dans un monde meilleur dans l’au-delà. Les successeurs de Staline reviennent à l’alliance entre leur pouvoir, qui ne prétend plus être de droit divin, et un pouvoir clérical canalisant la superstition populaire. Le sectarisme athée russe prend fin.
Poutine, ex-espion marqué par le KGB devenu FSB reste dans la logique de guerre froide. Il a tiré les leçons de ses prédécesseurs autocrates. IL n’a aucune considération pour la liberté ou la vie de ses concitoyens ou des autres. Il élimine toute opposition et écrase les pays satellites qui voudraient se détacher de l’empire avec la bénédiction du clergé orthodoxe qu’il maintient sous sa coupe en le finançant. Pour se rallier les communistes athées, il déclare en 2018 : « L’idéologie communiste est une nouvelle religion très proche du christianisme : la liberté, l’égalité, la fraternité, la justice, c’est inscrit dans les Écritures saintes ».
De fait le marxisme-léninisme russe était une religion athée sectaire qui promet un salut universel grâce à la lutte des classes. Il instaure le culte du leader vénéré et les grandes messes publiques. Il fait du prosélytisme international pour instaurer au pouvoir des communistes. Poutine affirme sa foi orthodoxe et encourage le culte : plus des deux tiers des russes se déclarent orthodoxes au sens d’une religion nationale.
La Fédération de Russie est un État laïc dans la Constitution de 1993. Mais c’est la verticale du pouvoir qui définit la laïcité : les témoins de Jéhovah ont été interdits en 2017 comme extrémistes. Depuis 2012-2013, les familles peuvent choisir pour les 10-11 ans entre six modules : culture orthodoxe, culture de l’islam, culture du judaïsme, culture du bouddhisme, histoire des religions mondiales et éthique laïque.
3 La laïcité fragile de l’Etat fédéral indien
L’inde est comme la Russie une fédération laïque d’Etats. Mais avec son héritage historique de grands spirituels inspirés, le sens de sa laïcité constitutionnelle est très différent. Paradoxalement, c’est une « république souveraine, socialiste, laïque, démocratique » où la dimension sacrée est omniprésente. L’Inde est le terreau de plusieurs grandes religions (post 6), l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et le sikhisme. Les temples abondent et les cultes font partie du quotidien populaire. A contrario, la Russie n’a que des religions importées où l’orthodoxie centralisatrice domine par des cultes orchestrés par un clergé trônant dans des églises dorées.
Le nationalisme russe se traduit par le ralliement à un autocrate militariste assurant l’ordre intérieur au prix de la violence, mais en Inde, il se fonde sur la notion d’hindutva. Elle est formulée en 1923 avec quatre piliers : un attachement à la terre/mère patrie (Bharat) ; l’appartenance à une seule race issue des aryens, le partage d’une civilisation commune (mythes et héros) ; l’Inde comme terre sainte.
Ce nationalisme mythique s’inscrit dans un concept important du brahmanisme, le retour à l’âge d’or du satya yuga. Il est nourri par l’humiliation de la colonisation britannique et le drame de la partition de 1947 concoctée par les anglais. IL est exacerbé par une rivalité absurde avec le Pakistan attisée par les politiciens et l’armée. Longtemps le parti du Congrès, inspiré par le Mahatma Gandhi (post 41) et piloté par Nehru a pu tempérer le sectarisme religieux. Mais tout a changé avec l’élection en 2014 de Modi qui veut « mettre fin à 1 200 ans de mentalité d’esclave ». Sa chronologie inclut les débuts de l’invasion musulmane.
Des milices paramilitaires comme le RSS (créé en 1925) soutenu par Modi persécutent en toute impunité les minorités. Dans Courrier International n°1644 l’article « la petite musique de haine de l’hindutva » décrit les hymnes communautaires des processions religieuses hindouistes. Un participant avoue : « Cette chanson nous donne envie de tuer tous les musulmans autour de nous ». Le n°1651 publie « la glaçante radicalisation des hindous » où sont évoqués les réseaux sociaux de la haine. Certains proposent de vendre aux enchères des femmes indiennes musulmanes !
Les haines contre l’Islam peuvent aboutir à des tueries comme aux USA ou à Christchurch contre des mosquées (51 morts). Les armes sont moins répandues en Inde, mais des réseaux en facilitent l’achat. Des persécutions contre les chrétiens ont également lieu dans des Etats du Nord sur la base de jalousies communautaires entre hindous et minorités de culture différente converties par les missionnaires évangélistes.
L’extrême droite indienne s’inspire de ses homologues nazis et américains. Elle utilise le mème Pepe the frog, un crapaud vert coiffé d’une calotte pour évoquer les musulmans et un bleu pour les basses castes et les populations tribales. L’instrumentalisation des préjugés religieux des masses paysannes peu éduquées pour opprimer les minorités musulmanes (200 millions de personnes) et tribales est très dangereuse. Car les meneurs de foules indiennes ont une longue expérience d’agitation. Ils savent attiser la folie destructrice de lieux de culte et de quartiers communautaires.
La laïcité constitutionnelle ne peut pas comme en France séparer le religieux du politique, car les normes et pratiques religieuses régissent la vie quotidienne des Indiens où les privilèges de caste ont la peau dure. Le droit de prosélytisme y est reconnu (freedom of propagation of religion, article 25), mais ces protections juridiques sont de faible poids face à un pouvoir élu manipulant les masses.
Dans ce contexte, une laïcité affirmée pourrait protéger la société indienne des violences paroxystiques. Elle peut s’appuyer sur les élites bienveillantes, les minorités opprimées, et de nobles guides spirituels appelant à la non-violence comme ceux présenté dans les posts 9 à 12. Dans ce pays plus jeune que la Russie les générations montantes ne répèteront peut-être pas les erreurs du passé ?
4 La question de la laïcité dans le monde musulman
Le post 33 parle de l’erreur des compagnons de Muhammad de chercher un successeur au prophète. Le post 34 a évoqué le sens des mots calife, umma et imam invoqués par l’idéologie criminelle de l’Etat « islamique ». Il résulte de l’ignorance dans le monde musulman (rêve de califat, mythe de la charia et mépris des autres religions), et de la déstabilisation de la région par les occidentaux pour rétablir la « démocratie ».
La laïcité n’a guère de sens dans le monde musulman car le sacré imprègne la vie sociale et le Coran n’institue aucun clergé. Certes le Coran recommande aux croyants perplexes de demander à « ceux qui savent ». Mais ils sont reconnus par la qualité de leurs analyses, pas par un pouvoir religieux. Par contre, les chiites se réclamant de la tradition orale d’Ali ont instauré en Iran une dictature cléricale. Ils ont un guide suprême et des clergés placés au-dessus des dirigeants élus. Le monde perse est habitué aux structures hiérarchiques.
L’islam français est d’abord un islam de mosquées de communautés de même origine nationale. Certains imams peuvent y asseoir un ascendant sur leurs fidèles lors des sermons du vendredi et marteler leur idéologie. Il faut les tenir à l’œil s’ils propagent des interprétations sectaires et violentes du Coran. Car la tradition majoritaire place au-dessus du raisonnement philosophique ou scientifique la doctrine des savants musulmans, les affaires de ce monde restant aux mains des dirigeants de l’Etat. Les musulmans culturels ont l’habitude de se soumettre aux traditions. La mainmise des doctrinaires du Coran divise et stérilise la réflexion du croyant. Alors que le texte coranique s’adresse directement à tous. Chacun peut le comprendre selon sa sensibilité propre, c’est la liberté fondamentale de l’ijtihad.
Le Coran affirme en 15/85 : « Ce n’est pas en vain que Nous avons créé les cieux et la terre et tout ce qui est entre les deux. Ton Seigneur est le Créateur et Il sait. Nous t’avons donné le grand Coran, veille seulement sur les croyants ». Les fondamentalistes, salafistes et autres jihadistes qui incitent à la contrainte violente font l’inverse de ce que le Coran prône en voulant s’imposer à ceux qu’ils traitent de mécréants. Le Coran conseille de nous écarter les ignorants (7/199) dont font partie ces pseudos sachants. Mais face à eux, la laïcité d’ignorance de la société française la met en situation fragile.
Il serait facile de répondre aux extrémistes avec le texte du Coran : « pas de contrainte en religion » (2/256). Il n’y a pas de « loi islamique » appelée charia. Ce mot n’apparaît qu’une fois en 45/18 avec le sens de chemin ou voie : « Nous t’avons mis sur le chemin de notre ordre, suis-le, ne suis pas les passions des ignorants » (cf. post 35 § 3). L’athéisme commence à se développer en France dans les jeunes générations maghrébines et n’est plus pour eux un sujet tabou. Mais ils respectent le Coran. C’est avec le texte sacré qu’il est possible de dialoguer avec eux pour réfuter l’endoctrinement des islamistes ignorants.
La langue du Coran est d’une richesse sémantique exceptionnelle. Son contenu dense embrasse tous les domaines de la vie spirituelle et sociale du croyant. Donc sa compréhension » littérale » nécessite une bonne connaissance de la langue parlée au temps du prophète. De plus la compréhension populaire de la langue arabe s’est beaucoup transformé au fil des générations. Or le lecteur occidental reste souvent étranger aux schémas de pensée du monde arabe.
Certaines écoles sunnites et le chiisme considèrent aussi qu’au-delà de la « lettre » des versets, le Coran a de nombreux sens cachés ou « ésotériques ». Le Messager Muhammad était chargé de transmettre le Message, pas de l’interpréter. Le Coran annonce le Jour (voir post 38) où viendra son interprétation (7/53) et affirme : « C’est Lui qui t’a révélé le Livre avec des versets confirmés qui en sont la matrice et d’autres équivoques. Quiconque a la déviation au cœur suit les équivoques par goût du trouble et de l’explication, mais Dieu seul connaît l’explication » (3/7).
Ainsi aucun clergé ou juriste ne peut légitimement affirmer que son interprétation est la bonne et l’imposer. Ce sont les croyants libres de toute tutelle cléricale qui décident de leur manière de vivre cette riche Parole. Comme le terrorisme d’Etat lancé par l’Inquisition est une imposture, le terrorisme exercé par un prétendu Etat islamique est une imposture. Vivre selon le Coran est une affaire privée ou sociale, jamais une affaire de pouvoir étatique. La Parole de 1977 récuse tous les rois blancs, le roi (qui) tient la barbe de Moché (Moïse), le roi (qui) tient la barbe de Yëchou (Jésus), le roi (qui) tient la barbe de Muhammad (XIII/21). Elle balaie leurs divisions religieuses : le bruit d’homme, yhoudi (juif), mousselmi (musulman), christane (XXXII/8).
La Parole Qui ne se divise ni ne se tait (1974, 15/6) est donc fondamentalement laïque.
5 les dérives sectaires en France et dans le christianisme
Dans les années 80, sous l’égide des églises instituées et des familles de convertis, une campagne « antisectes » s’est développée en Europe et surtout en France. Elle cibla sans discrimination des mouvements religieux nouveaux ou anciens comme les Témoins de Jéhovah sans oser s’attaquer aux associations musulmanes. L’UNADFI participait activement à cette campagne en fonctionnant comme une « secte des antisectes ». Les grands médias la soutenaient car la peur des sectes augmentait leurs tirages.
Elle a marqué les préjugés populaires. Mais les pouvoirs français respectant la liberté de conscience ne peuvent discriminer une bonne religion d’une secte inquiétante. Des décisions arbitraires de l’administration contre des groupes religieux ont été cassées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. L’Etat a changé de stratégie et la Mission interministérielle de lutte contre les sectes a cédé sa place à la Miviludes. Elle surveille les groupes soupçonnés de « dérives sectaires », soit selon l’administration environ 500 00 « adeptes ».
Elle définit ainsi la dérive sectaire : un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion portant atteinte à l’ordre public, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou un individu isolé, de pressions ou de techniques créant chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.
Face aux problèmes réels constatés chez des victimes de manipulation, de stratégie d’emprise et d’abus de faiblesse, la Miviludes a sagement recentré son action sur les comportements et pratiques d’un guru ou d’un groupe en évitant tout jugement à l’égard de sa doctrine ou de son idéologie. Le ministre de l’Intérieur avait rappelé que la qualification de « mouvement sectaire » par des rapports parlementaires ne suffit pas pour constituer un trouble à l’ordre public. La Miviludes a été rattachée au ministre de l’intérieur et son budget a été décuplé en ajoutant aux cibles habituelles des néo chamans, des mediums, des spécialistes du développement personnel mais aussi des groupes évangélistes.
J’ai pu constater en vivant aux USA il y a 30 ans l’emprise de certains cultes protestants dans la Bible Belt sur la piété populaire. Ils mettent en scène des prédicateurs milliardaires et construisent des megachurchs comme lieu d’endoctrinement. Ce phénomène s’est s’amplifié sur le continent américain, en Afrique et en Europe. Le Courrier International du 25 mai titrait à la une « Les évangéliques prennent le pouvoir ». Une église charismatique organisa à Mulhouse une prière de 2200 personnes propageant le coronavirus quand il était encore très dangereux. Aux USA, beaucoup d’activistes religieux ont refusé de se plier aux mesures anti-Covid.
La prière en masse crée une emprise sur les fidèles et un problème social. Mais ce qui rend ces dérives sectaires évangéliques préoccupantes, c’est leur stratégie de lobbying politique pour imposer leurs doctrines sur la morale sexuelle, l’avortement, et surtout pour aider leur poulain à gagner les élections. Ni Trump, ni Bolsonaro au Brésil n’auraient pu arriver au pouvoir sans leur soutien massif. On retombe ainsi dans la calamiteuse alliance de la religion et de la politique. La révocation par la Cour Suprême américaine de sa décision sur l’avortement est due aux nominations des présidents très conservateurs comme Bush et surtout Trump. Six des neuf juges de la Cour Suprême sont des catholiques ultra-conservateurs opposés au pape.
Les USA sont un Etat fédéral constitué au détriment des peuples premiers par des colons très croyants fuyant les persécutions des églises dominantes de leurs pays. Ils ont importé des esclaves africains pour travailler dans les plantations du Sud. Le christianisme d’église y est très largement dominant. L’athéisme et les autres religions sont à peine visibles. La notion de laïcité comme une libération de la tutelle cléricale ne parle pas à l’américain de base. Un prédicateur évangélique pro Trump organise des rassemblements contre les mesures anti-Covid. Il exhorte ses fidèles à ne pas croire au « mensonge de la séparation de l’église et de l’Etat ». Une de leurs prières est « Notre père qui est aux cieux, nous croyons fermement que Trump est le seul et vrai président des USA » !
Dans le monde du christianisme américain, la liberté religieuse est beaucoup plus solide qu’en France, même si l’islam inquiète depuis 2011. Mais la laïcité au sens de séparation des religions et des institutions n’est pas applicable : le président prête serment sur la Bible où il est écrit « ne jure pas ! ».
6 Quelle laïcité de lumière pour la France ?
L’Observatoire de la laïcité, créé en 2013, pose trois principes de laïcité pour la France : « la liberté de conscience et la liberté de culte, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi indépendamment des croyances et convictions ». Ce concept de laïcité protège la société civile. Car la collusion entre les organisations religieuses et le monde politique et administratif est dangereuse pour la liberté, surtout si les politiciens attisent les clivages pour être élu ou rester au pouvoir.
Dans cette logique, un groupe de croyants non « organisés » et un croyant non-affilié à une religion organisée ne posent aucun problème de laïcité. Par contre, les clergés religieux qui ont couvert le peuple de ténèbres et d’effroi et révélé leur imposture (1974-22/11) doivent être tenus à distance. Mais pour le « laïcard » sectaire (qui peut travailler dans une institution publique), toute foi est suspecte. Certains ont participé aux campagnes antisectes. Il faut rester vigilant face au risque de sectarisme athée !
Le mot laïcard apparait en 1883, dans des journaux conservateurs soutenant l’église dans cette période de conflit où les biens du clergé sont confisqués et les moines expulsés par les gendarmes. L’opposition entre conservateurs et réformateurs est universelle. Mais en France elle sera frontale entre les soutiens et les opposants au catholicisme. La laïcité devient un marqueur politique de gauche. Avec le développement du communisme soutenu par Moscou, l’athéisme de gauche se radicalise et se veut scientifique.
Revenons à l’adresse du président Macron au Congrès évoquée dans les précédents posts. « Je crois à cet esprit des Lumières, notre objectif est bien l’autonomie de l’homme libre, conscient et critique. Face au terrorisme islamiste, le code pénal peut nous permettre d’anéantir nos adversaires. Mais donner à l’administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes n’a aucun sens. Je proposerai des dispositions visant explicitement les terroristes, sous la surveillance du juge, respectant nos exigences constitutionnelles et nos traditions de liberté. La liberté forte en France est la liberté de conscience. C’est-à-dire la liberté intellectuelle, morale, spirituelle. L’éducation et la culture en sont les clés. Les progrès de l’obscurantisme nous rappellent ainsi à l’idéal des Lumières. Et la laïcité en est l’indispensable corollaire. Le troisième principe d’action de notre mobilisation sera de redonner place à l’intelligence française, pour faire de notre pays le centre d’un nouveau projet humaniste pour le monde, le lieu où l’on concevra, créera une société qui retrouve ses équilibres ».
Dans cet esprit, l’objectif présidentiel de redonner sa place à l’intelligence française, à l’autonomie de l’homme libre, conscient et critique, à l’esprit des Lumières combattant l’obscurantisme est excellent mais impose de soigner notre ignorance nationale des textes sacrés. ils ne sont pas la propriété des religions qui s’en réclament et que ces textes d’ailleurs récusent. Le christianisme et l’islamisme sont trop souvent des trahisons des Messages de Jésus et Muhammad. Nous devons nous réapproprier ces textes et y projeter la lumière d’une intelligence spirituelle française.
Notre contexte national de coexistence de nombreuses religions, notre historique de vigilance face aux pouvoirs nous permettent de travailler à un projet humaniste pour le monde fondé à la fois sur la connaissance des textes sacrés, des grandes philosophies, de l’histoire des religions, des progrès de la sociologie et des développements scientifiques récents. Pour réduire le risque des clergés intrusifs, des athées sectaires, comme celui des croyants fanatiques. Nous pourrions alors être le berceau d’un projet humaniste qui s’inscrit dans le respect absolu de la liberté spirituelle, dépasse le sectarisme religieux et athée, et facilite par la connaissance une meilleure compréhension et un meilleur respect mutuel des sensibilités spirituelles de chacun.
Le danger réel de l’islamisme d’ignorance impose la priorité à un travail collectif sur le Coran vers un islam de France, donc de Lumière, contrastant avec les islams d’ignorance qui séviront encore longtemps ailleurs. La France a probablement un destin spirituel puisque c’est dans notre langue que la Parole la plus récente a été révélée. Mais il ne s’accomplira que si nous y travaillons. C’est un travail de longue haleine, incontournable pour réinstaller la paix sociale ici et ailleurs, une paix de connaissance.
Un porteur de la Parole assume sa spécificité face au matérialisme et aux religions organisées. Il ne limite pas sa foi à un culte privé ou dans des lieux fermés. Il vit librement dans l’espace public, sans provoquer, mais sans se laisser intimider. Il affirme avec détermination sa liberté de conscience et d’expression. Il est donc un croyant fervent et résolument laïc qui récuse toutes les influences cléricales.