Siddhartha Gautama dit le Bouddha (-563 à -483) est sans aucun doute, avec Jésus, une des personnalités qui a le plus marqué la longue histoire spirituelle de l’humanité dotée de Parole depuis les temps adamiques il y a quelque 50 000 ans (cf. Coran 70/4). Les scientifiques confirment cette chronologie des homos sapiens apparus dans le berceau mésopotamien avant de migrer d’abord vers l’Est et le subcontinent indien.
Mais on ne peut vraiment comprendre l’enseignement de Bouddha en le détachant artificiellement de sa matrice spirituelle, celle des inspirés du Veda, les rishis dravidiens. Pas plus qu’on ne comprend l’Evangile si on le sépare de sa matrice, les prophètes juifs. C’est ce que font à tort les religions et sectes qui divisent artificiellement l’humanité. On en trouve des centaines dans les bouddhismes et christianismes alors que la Source est unique comme le Créateur de notre univers.
1 Le contexte de la vallée du Gange au sixième siècle av. J.-C.
Après leur invasion guerrière, les aryens conquérants de la Perse et la vallée de l’Indus avaient déjà solidement établi leur domination dans le bassin du Gange sur les populations premières arrivées il y a près de 40 000 ans, les chasseurs-cueilleurs de langues mundas, réfugiés dans les zones forestières, et les dravidiens à la peau sombre restés majoritaires dans l’Inde du Sud (voir post 6).
Les aryens ont importé leur religion sacrificielle et leur système de castes mais il ne s’était pas encore rigidifié. Les sacrifices sanglants, quasiment disparus, étaient courants à l’époque. Les prêtres brahmanes sacrifiaient les animaux et prononçaient leurs formules magiques. Mais c’est la noblesse guerrière, la caste de Siddhartha qui décidait des offrandes et rémunérait les prêtres.
La caste des kshatriya était au sommet de la société dans cette région organisée en royaumes parfois en conflits pour la terre ou l’eau. Les royaumes de Kosala et surtout de Magadha étaient les puissances dominantes entourées de petits territoires plus ou moins autonomes comme celui du clan des Shakiya. Le père de Siddharta était le raja de cette petite république d’environ 2000 km2 à la frontière de l’actuel Népal, surtout couverte de jungle, où vivaient quelque 180 000 personnes, majoritairement des agriculteurs. La noblesse en comptait environ 10 000 et seuls les hommes nobles pouvaient s’exprimer lors du Conseil de gouvernement qui désignait par consensus le raja.
Le raja devait agir sur plusieurs fronts, collecter les impôts pour financer la construction et l’entretien des infrastructures, assurer l’ordre public et rendre la justice. Il devait aussi veiller aux bonnes relations avec les Etats voisins et surtout avec son suzerain, le roi de Kosala qui seul pouvait déclencher les guerres et punir de mort. En observant son père, Siddharta apprit très tôt les fondamentaux de la bonne gestion politique et sociale. Il a été aussi en contact au hasard de ses promenades dans des parcs avec des samanas, des chercheurs de l’expérience mystique menant une vie errante et avides de débats philosophiques.
L’inde, où la vie spirituelle a toujours été prioritaire, passait alors du védisme au brahmanisme. Les sublimes inspirations des rishis dravidiens, nourries de dizaines de milliers d’années de pratique de contrôle du corps par le yoga et de créativité artistique furent noyées par la barbarie sacrificielle des prêtres aryens. Le Rig Veda, mis par écrit vers – 1500, porte la trace de cet amalgame qui crée la confusion. Il n’est plus qu’une vague référence traditionnelle de l’hindouisme moderne. Les nobles gurus ont pris le relais pour guider la spiritualité indienne (post 9).
Un siècle avant la naissance de Siddharta, un vaste mouvement de renouveau spirituel émergea en Inde avec plusieurs branches. Des philosophes de castes variées spéculaient à partir des hymnes védiques. Leurs écrits comme la Chandogya Upanishad furent ensuite intégrés à la sruti, les écritures sacrées. Des ascètes extravagants torturaient leur corps pour obtenir la libération ou des pouvoirs mystiques ; jeune et abstinence étaient de rigueur pour eux. Enfin des samanas, plus nombreux, des renonçants itinérants vivant simplement de la générosité de ceux qui les respectaient ou les écoutaient. Ils suivaient occasionnellement un guru pour s’instruire auprès de lui.
2 La quête spirituelle de Siddharta
La mère de Siddharta meurt peu après sa naissance, mais sa tante, deuxième épouse de son père, le prit sous sa protection maternelle. Il connut une jeunesse dorée, fut éduqué pour suivre les traces de son père, dans les pratiques guerrières, conduite de chars, tir à l’arc, escrime, manœuvre des éléphants…Mais sa formation intellectuelle resta basique dans cette société orale où les brahmanes s’étaient réservé la connaissance du sanscrit. Rien ne prouve que Bouddha ait appris à lire dans sa jeunesse.
Plus tard, il enseigna même que « l’acquisition de compétences comme savoir écrire ne convenait pas à un moine qui ne devait être concerné que par la libération ». Il était d’une grande intelligence, mais sa quête fut résolument spirituelle. Son père, préoccupé par son peu d’intérêt pour la richesse ou la gloire militaire, décide de le marier à l’âge de 16 ans dans les pratiques de son clan avec une de ses cousines, Yashodhara. Ce n’est que 10 ans après qu’ils eurent un fils, Rahula.
Bouddha raconta à ses moines : « Au milieu de cette vie heureuse, je réfléchis. Le naïf passant de ce monde sujet à la vieillesse, à la maladie et à la mort, est dégoûté lorsqu’il rencontre un vieillard, un malade ou un mort. A cette pensée, l’ivresse de la jeunesse, de la santé et de la vie m’a quitté ». A l’évidence, Siddhartha était hors normes dès sa jeunesse, prenant ses distances à l’égard des joies sensuelles auxquelles il avait accès, attiré davantage par des interrogations fondamentales.
Siddharta décrit ainsi son renoncement à 29 ans, après la naissance de son fils : « La vie de famille, ce lieu d’impuretés, est étroite, la vie de samana est le grand air libre. Etant jeune, j’ai coupé mes cheveux et ma barbe bien que mon père et ma mère adoptive s’y fussent opposés le visage recouvert de larmes. J’ai pris la robe jaune et quitté la famille pour la vie sans demeure ». C’était certainement une décision mûrement réfléchie, il partit avec son cheval et son serviteur vers le Sud, en direction du Gange et les abandonna ensuite pour continuer à pied.
Son objectif était Rajagaha, la capitale du Magadha. Il aurait eu une première rencontre rapide avec Bimbisara, son roi de 24 ans qui l’avait observé de la terrasse du château. Attiré par la prestance de ce samana, il était venu à sa rencontre pour le questionner. Lors de ce premier périple, il croisa d’autres samanas et gurus entourés de disciples dont il découvrit la pensée et l’enseignement.
La tradition rapporte qu’avant son illumination, il aurait suivi six gurus successifs, les quittant quand il avait dépassé leur savoir. Mais par la suite, Siddharta n’en évoquera que deux, Alara Kalama puis Udakka. Ils enseignaient des techniques de méditation et furent impressionnés par la fulgurance de ses progrès. Ils lui proposèrent successivement de diriger leurs cercles de disciples, ce que Bouddha déclina pour aller plus loin dans sa quête.
Il décida ensuite de poursuivre seul ses expérimentations ascétiques dans une forêt près de Bodh-Gayâ. Il s’appliqua d’abord au contrôle absolu de l’agitation de son mental. Puis Il pratiqua la rétention du souffle ainsi que le jeûne à la limite de ce que son corps physique pouvait endurer. Il ne mangeait plus qu’une poignée de graines ou un fruit par jour. Il s’entraîna à une extrême compassion pour la moindre goutte d’eau. Il vivait dans les endroits les plus hostiles où des enfants n’hésitaient pas à harceler cet individu hirsute et squelettique.
Cette ascèse exceptionnelle attira quelques curieux dont cinq ascètes brahmanes qui l’avaient suivi au début de son périple. Ils avaient convenu que le premier parvenu à la compréhension du Dharma en aviserait les autres. Mais après plusieurs années d’un ascétisme qui mettait sa vie en danger, Siddharta n’avait pas atteint son objectif, la sagesse lui manquait. Il décida d’accepter un plein bol de riz, ce qui lui valut les réprimandes des autres ascètes qui s’éloignèrent.
Il se souvint d’un fugace instant d’absorption mentale délicieuse plusieurs années auparavant à l’ombre d’un pommier quand son père labourait un champ. Il revint à un mode de vie respectant les besoins de son organisme. Il reprit avec une nouvelle énergie ses efforts de méditation pour se placer dans l’équanimité attentive. Lors d’une nuit d’effort, son esprit s’éveilla enfin. Il déclare à Ram Chandra : « Puis j’ai eu cette lumière. A peine m’avait-elle ébloui que tous les problèmes se sont envolés. Une paix très profonde envahit mon être ». Après 6 ans d’efforts surhumains, il était devenu un Bouddha.
3 Son enseignement après l’illumination
A 35 ans, Siddharta était prêt à enseigner sur la base de ses expériences. Il était contemporain de Mahavira, le fondateur du jaïnisme. C’était l’époque des prophètes hébreux Jérémie, Habaquq et Ezechiel, de Socrate et peut-être de Lao Tseu le fondateur incertain historiquement du taoïsme. C’est un moment de bascule dans l’histoire spirituelle de l’humanité.
Bouddha passa sept jours seul, jouissant du délice de la libération, et mûrissant la formulation de ses premiers enseignements pour les rendre accessibles à tous. Deux marchands de passage lui offrirent de la nourriture, l’écoutèrent et devinrent ses premiers disciples laïcs. Il décida ensuite pour honorer sa promesse, d’aller à la rencontre des cinq ascètes qui s’étaient établi dans le parc des gazelles, près de Bénarès. A pied, il faut compter 14 jours. A son arrivée, ses anciens compagnons, réticents au départ, furent frappés par son rayonnement intérieur et acceptèrent de l’écouter.
Affirmant être un saint, pleinement illuminé, il délivra son premier sermon. D’emblée il rejeta les extrêmes de l’ascétisme comme de l’avidité pour les plaisirs sensuels. Puis il énonca les quatre nobles vérités sur l’existence de la souffrance, son origine qui est l’avidité, l’extinction de la souffrance par le renoncement et le chemin pour y parvenir, l’octuple sentier. Une discipline de vie qui intègre juste compréhension, juste pensée, juste parole, juste action, juste moyen d’existence, juste effort, juste attention, juste concentration.
Kondanna, de 15 ans son aîné, fut le premier à accepter son Dharma. Les quatre autres suivirent et Bouddha ordonna ce jour ses cinq premiers disciples comme moines. Quelques jours après, Bouddha leur enseigna le non-soi, niant l’existence d’un atman éternel migrant de corps en corps. Il ne niait pas l’âme en tant que différente de l’esprit agité dont il a sûrement fait l’expérience intérieure. C’est au concept brahmanique d’âme que Bouddha s’attaquait. Bouddha affirme en effet que la personnalité empirique est constituée de cinq agrégats, le corps, les sensations, les perceptions, les réactions mentales à celles-ci et la conscience. Aucun de ces agrégats n’est permanent, ils résultent d’un enchaînement instable de causalités aléatoires. Il n’y a pas d’atman permanent, donc pas de réincarnation.
Bouddha donne le nom de nirvana à l’objectif à atteindre, mais ne le définit pas. Au contraire, il enseigne la non-dualité dans le Lankavatarasutra 27. « Quant à la non-dualité, Mahamati, comme l’ombre et la lumière, le long et le court, le noir et le blanc, toutes choses n’existent pas réellement en tant qu’elles ne sont que contraires interdépendants. Le nirvana ne se trouve pas ailleurs que dans le samsara et le samsara ne se trouve pas ailleurs que dans le nirvana : rien n’oppose le samsara au nirvana. Non-duelles sont toutes choses. Etudie diligemment la vacuité, le sans-naissance, la non-dualité et l’absence de nature propre. »
Il donnera pendant 45 ans dans la vallée du Gange un enseignement progressif, cohérent et innovant pour la culture brahmane. Bouddha n’a rien écrit de son vivant. Sa pensée évolua sur certains sujets. On trouve ainsi dans le canon pali (Udanas) et dans certains sutras du Mahayana ceci : « Il existe, ô moines, un Non Né, Non Devenu, Non Créé, Non Composé. S’il n’existait pas, il ne serait pas possible de sortir du né, devenu, créé, composé. Le Bouddha l’affirme parce qu’il le sait« . Cette parole fut prononcée juste après une méditation profonde dont il sortit ruisselant. De qui d’autre que le Créateur Unique pourrait-il s’agir ici ?
Aujourd’hui, Siddharta est une âme libérée vivant dans les Hauteurs Saintes. Ces âmes peuvent parfois communiquer avec certains vivants, ce qui semble avoir été le cas avec Ram Chandra en 1948 (post 8). Siddharta lui dit : « Pour arriver à la condition originelle, il n’est pas nécessaire de prier Celui qui est la cause de ce monde. Nous nous détachons des liens de ce monde et nous nous établissons sur le chemin par lequel nous atteignons le point appelé Nirvana. Si sans prononcer le Nom de Dieu, nous atteignons cette condition qui est qualifiée de divine, quel mal y a-t-il à cela ? ». Par le contenu de ce message reçu, je considère ce témoignage comme crédible.
Siddharta a maintenant expérimenté la proximité du Créateur, mais il maintient la pertinence d’enseigner une voie spirituelle sans affirmer Son Existence. C’est judicieux dans nos générations où le culte du scepticisme et du scientisme a fait des ravages.
4 Le Sangha et les disciples laïcs
Bouddha ne s’attarda pas à Bénarès. Car il fit face à une levée de boucliers de la part des brahmanes locaux dont le fond de commerce était la supervision des baignades dans le Gange censées purifier des péchés et des crémations car beaucoup croyaient qu’une crémation à Bénarès assurait le salut. Dans l’Anguttara Nikaya, il récuse toutes ses superstitions populaires : « il est dix liens qui attachent les êtres à la roue de l’existence : l’illusion du moi ; le doute ; l’attachement aux rites et aux cérémonies ; le désir sensuel ; le mauvais vouloir ; le désir du monde des formes ; le désir du monde sans formes ; l’orgueil ; l’agitation ; l’ignorance ».
Peu après, Yasa vint visiter le parc. Ce jeune homme gâté avait eu son content de plaisirs mais restait intérieurement vide. Il s’assit près de Bouddha. Il lui délivra un enseignement gradué qui l’enthousiasma. Ses parents inquiets virent à la recherche de leur fils, rencontrèrent Bouddha et l’écoutèrent. Le père prit refuge dans le Bouddha, le Dharma et le Sangha et devint un disciple laïc. Il l’invita le lendemain à un repas ou la mère et l’épouse de Yasa devinrent disciples. La conversion immédiate de toute cette famille eut un retentissement fort sur d’autres marchands de la caste Vessa. Une cinquantaine d’amis de Yasa rejoignirent la communauté.
Bouddha dût alors donner la priorité à la formation des moines car leur rôle n’était pas de répéter une doctrine, mais de témoigner de ce qu’ils avaient expérimenté à la suite de leur maître. Il prononça plusieurs discours où il commença à utiliser des paraboles comme celle d’un char aux roues désaccordées. Ce qu’il confirmera dans le sutra du lotus : « Pour sauver les êtres vivants et les libérer de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, la sagesse de l’Ainsi-venu s’exprime par analogies et paraboles ; tous n’étant pas capables de la recevoir ».
Il dit à ses moines : « Allez, moines, votre propre chemin, par compassion pour le monde. Ne prenez pas à deux le même chemin. Prêchez le dharma et répandez la vie parfaitement pure ». Leurs missions furent couronnées de succès et la question se posa de l’ordination de nouveaux moines en l’absence de l’œil vigilant du Bouddha. Il hésita, consulta les moines et décida de permettre l’ordination après que le postulant ait prononcé trois fois le triple refuge.
Puis Bouddha revint à Uruvela après la saison des pluies pour remercier ses donateurs locaux quand il était encore un ascète itinérant. Il échangea avec un guru âgé, Kassapa, qui fut subjugué par son comportement, son enseignement et leurs échanges sans concession où il mit le doigt sur ses insuffisances personnelles. Il demanda l’ordination, mais Bouddha eut la sagesse d’exiger qu’il demande avant l’avis de ses nombreux disciples. Tous décidèrent de se rallier à Bouddha ainsi que les disciples de ses frères. Il rejoint Gaya et y prononça à leur intention un discours avancé sur les cinq agrégats et la perception.
Bouddha reprit contact avec le roi Bimbisara qui lui confirma son soutien déterminant dans la diffusion du Dharma et devint un disciple laïc, ce qui eût un impact considérable sur le peuple. Parmi le nombre grandissant de ses moines, certains se distinguèrent rapidement comme Sariputta et Mogallana, deux brahmanes qui furent d’abord des disciples éminents du guru Sanjaya. Avec l’aide de moines instructeurs, il resserra l’autodiscipline du Sangha où certains moines montraient parfois l’absence du savoir-vivre le plus élémentaire dans leurs contacts avec la population.
Puis il décida de revenir dans sa ville natale où il fut mal accueilli, Jésus fit la même expérience : « un prophète n’est honoré ni dans sa ville ni dans sa famille ». Le raja son père trouva dégradant que son fils se présente comme un mendiant et les habitants ne pouvaient le prendre au sérieux comme guide spirituel. Il convainquit cependant son cousin Ananda de se joindre au Sangha. Il devint une aide précieuse et son plus proche disciple jusqu’à sa mort.
Son épouse lui tenait rancune de l’avoir laissé comme « veuve de moine » depuis 8 ans. Elle voulut le piéger en lui envoyant leur fils Rahula âgé de 9 ans, chargé de ce message : « Samana, donne-moi mon héritage ». Il obéit. Bouddha se joua habilement de ce piège en l’accueillant comme novice avec Sariputta comme précepteur. Le raja son père implora Bouddha de ne jamais donner le noviciat sans l’accord des parents. Il accepta, mais pour l’avenir. Rahula ne quitta plus le Sangha mais n’eut aucun statut particulier comme fils du guide.
A son retour à Rajagaha, Bouddha fit un nouveau disciple laïc, un généreux marchand qui s’engagea à acquérir une propriété à mettre à disposition du Sangha à Savatthi, capitale du Kosala, un bon endroit pour passer la mousson. Il s’y rendit et le roi Pasenadi lui rendit visite avec scepticisme en lui disant : « Les guides d’école me disent tous qu’ils sont parfaitement illuminés. Comment peux-tu être un de ceux-là, toi si jeune et fraîchement ordonné ? ». Bouddha prouva à nouveau sa grande intelligence des situations et répondit immédiatement : « Il existe quatre choses, Votre Majesté, qui ne doivent pas être dédaignées parce qu’ils sont jeunes, un guerrier, un serpent, un feu et un moine ».
Impressionné par cette rapide réponse, le roi se déclara disciple laïc et resta un interlocuteur privilégié de Bouddha, ce qui eut un retentissement immédiat dans son royaume. L’année suivante, un ami du roi Bimbisara vint implorer le Bouddha d’intervenir pour Vessali. Une terrible sécheresse y sévissait et avait provoqué une dysenterie ravageuse. Il s’y rendit par compassion, et dès qu’il traversa le Gange en direction de la ville, la pluie tomba et la dysenterie se calma. Les âmes spirituellement très avancées peuvent acquérir certains pouvoirs, mais elles savent qu’il ne faut pas s’y attacher et encore moins s’en vanter. Bouddha a toujours mis en garde ses disciples sur cette dérive.
Il revint dans sa ville natale après la mort de son père. Sa veuve Mahapajapati n’avait plus de devoirs domestiques et supplia Bouddha, son fils adoptif, d’accueillir des femmes souhaitant s’engager dans la vie sans demeure. Bouddha refusa, sans doute par prudence en raison des complications que cela pouvait engendrer avec les moines. Il revint ensuite à Vessali. Mahapajapati l’avait suivi sans se décourager, après avoir coupé ses cheveux et revêtu la robe jaune. Les pieds enflés et les larmes aux yeux, elle supplia Ananda d’intervenir. Bouddha finit par céder par égard pour la détermination de sa mère adoptive et édicta huit règles supplémentaires pour les nonnes qu’elle accepta.
Ainsi le Sangha s’enrichit de bhikkunis dont certaines ont pu maintenant devenir enseignantes ou abbesses. Il va ensuite se développer sous la vigilance constante du Bouddha dans ce contexte compliqué. Il encouragera toujours ses moines à la modération sur le sentier octuple : « J’ai traversé le fleuve de la souffrance. Quand je m’attardais, je sombrais, et quand je me pressais, je tourbillonnais ».
Bouddha a toujours veillé à éviter les joutes intellectuelles. Il répondait aux questions de ses visiteurs, mais n’a jamais débattu avec son contemporain Mahavira, fondateur du jaïnisme qui avait une audience considérable à l’époque. Il dit dans le Sandhinirmocanasutra : « le domaine du clair discernement est inexprimable et totalement libre des désignations conventionnelles. La réalité absolue n’apparaîtra jamais au terme d’un débat : c’est là une caractéristique transcendant toute argutie ». C’est l’instruction que ses disciples devaient suivre, répondre au mieux aux questions sincères, mais répondre par le noble silence aux débatteurs.
5 Les premières divisions du monde bouddhiste
Les deux principaux disciples qui veillaient sur le Sangha, Sariputta et Mogallana moururent en -486, peu avant Bouddha. Ce fut un choc pour toute la communauté impréparée. Bouddha mourut près de Kusinara en -483, alors qu’il était en chemin entre Vesali et Savatti accompagné du seul Ananda, qui n’était encore qu’un novice, afin de pouvoir méditer en paix. Il avait plusieurs fois écarté la demande d’établir un successeur : « Vous ne devez pas penser qu’après mon départ, vous n’avez aucun maître : c’est ce que je vous ai enseigné et expliqué comme étant le Dharma et la discipline qui seront à ma mort votre maître ». Il proposa une dernière fois : « Si l’un de vous a des incertitudes, demandez ». Mais tous restèrent muets, même après une deuxième invitation, le consensus régnait dans le Sangha. Ses dernières paroles furent : « Tous les éléments de la personnalité sont sujets au dépérissement, efforcez-vous sans relâche ».
Juste après sa mort, c’est Mahakassapa, un disciple éminent très exigeant en matière de discipline qui prit l’initiative. Il réunit les moines pour appliquer la recommandation du Bouddha : « Ceux de vous auxquels j’ai enseigné les vérités que j’ai réalisées doivent se réunir et réciter ensemble l’enseignement sans querelle, rapprochant le sens du sens et la parole de la parole. Afin que cette pure doctrine puisse exister et perdurer par compassion pour le monde ». Il proposa un concile et les moines approuvèrent et le laissèrent choisir les participants sans oublier Ananda.
Le concile eut lieu dès -483 à Rajaha avec 500 moines, Ananda ayant été reconnu peu avant comme arahant par la communauté. Pendant 7 mois, Mahahassapa interrogea Upali au sujet des règles de l’ordre et Ananda sur les discours de Bouddha. Bouddha avait recommandé l’utilisation du pali, langue suprarégionale qu’il utilisait, comprise de tous et non du sanscrit comme le demandaient certains brahmanes (48% des moines recensés étaient de cette caste). Après les échanges et discussions, le silence valait consensus communautaire sur le Dharma à transmettre.
Après le concile, le moine Purana arriva et la communauté lui demanda d’approuver son résultat, il répondit : « Les anciens de l’Ordre ont bien récité le Dharma et la discipline. Mais je préfère me les rappeler comme je les ai entendus et reçus du Bienheureux ». Un second concile eut lieu en -383 pour trancher sur dix innovations mineures sur la discipline. Sous la présence de Revata, 700 moines conservateurs rejetèrent les innovations et se nommèrent Theravadin, « adeptes de la doctrine des anciens ». Les innovateurs, majoritaires se nommèrent Mahasanghika, « membres de la grande communauté » qui devint plus tard le Mahayana.
Les conservateurs voulaient prouver l’omniscience de Bouddha acquise lors dès son illumination. Ils retirèrent du canon original toutes référence à des découvertes et ultérieures de Siddharta. Ils firent quelques additions grossières pour prouver que le maître savait tout à l’avance, comme quand le docteur Jivaka lui prescrivit un remède. Un troisième concile eut lieu en -253 à l’initiative de l’empereur Ashoka. Le bouddhisme était au sommet de son influence en Inde et l’empereur voulait diffuser le Dharma partout ailleurs. Ce concile ajouta une troisième partie d’ouvrages scholastiques. Les premières écritures de textes (concentrés sur ses premiers discours) ne se firent que cinq siècles après la mort de Gautama.
Ainsi, d’autres enseignements directs du Bouddha (sutras) donnés à des disciples avancés dans la réflexion et l’expérience spirituelle ne figurent pas dans le canon pali mais sont dans la tradition Mahayana. Ces textes, traduits d’abord en chinois au deuxième siècle de l’ère chrétienne, ne sont souvent connus que par leur retraduction en tibétain ou en japonais. Les désaccords initiaux sur la parole du Bouddha se sont amplifiés avec la dispersion géographique soit vers le Sud et Ceylan, soit vers le Nord, l’Afghanistan et la Chine (post 7).
6 Les altérations tardives : réincarnation et divinités
Dans le territoire de mission couvert par Bouddha, à peine plus grand que le département de la Gironde, la communauté de ses disciples avait bonne réputation. Pour les rois et nobles, elle était utile pour pacifier les désaccords et Bouddha avait toujours veillé à ne pas être perçu comme un contestataire de l’ordre établi. Et pour le peuple, elle donnait l’espérance à tous d’une libération du malheur. Ses seuls ennemis étaient les membres de la caste brahmane crispés sur leur pouvoir de prêtres sacrificateurs et de détenteurs de formules magiques.
Le pouvoir des brahmanes, déjà puissant à l’Ouest dans le Gandhara, s’est renforcé au fil des siècles dans la vallée du Gange au détriment de la caste des kshatriya. Ils leur ont fait croire que pour gagner les guerres déclenchées par leurs incessantes rivalités, il fallait avoir la magie de leur côté. Ils ont également innové avec l’instauration de castes héréditaires qui en verrouillaient l’accès. Du côté du peuple, ils ont habilement cultivé toutes les superstitions populaires, en particulier les mythes des dieux et démons qu’il fallait se concilier par des sacrifices.
Pour eux, le Dharma bouddhiste était la menace par excellence car elle déconstruisait tous leurs mythes. Les rituels n’effacent pas les fautes, c’est la discipline de vie et les interdits moraux qui permettent de les éviter. Le statut social n’est pas lié à celui des parents ou le résultat des vies précédentes, il est acquis par les talents et le travail. L’amour mutuel au sein d’une communauté de croyants et la compassion pour tous est le ciment d’une société pacifiée, ce n’est pas la peur des pouvoirs.
Tant qu’il ne s’agissait que de nouvelles sectes religieuses issues du védisme, d’interminables discussions entre esprits pénétrants, le pouvoir brahmanique était tolérant. Mais le jaïnisme et surtout le bouddhisme séduisaient de plus en plus de disciples et il fallait les combattre habilement. Les brahmanes ont donc réintroduit les mythes de la métempsychose et de la réincarnation, d’abord pour effrayer ceux qui les contestaient, et pour promettre une meilleure vie à ceux qui les honoraient. Leur habileté a porté ses fruits et le bouddhisme tardif exporté vers les autres pays est devenu réincarnationniste, fasciné par les dieux et démons. Quant au bouddhisme indigène, il a été totalement marginalisé. Il n’en restait plus grand-chose quand le grand philosophe Adi Shankara, un brahmane qui plaidait pour sa paroisse, a achevé de les discréditer.
Quand on revient à l’enseignement original de Bouddha, il n’a jamais été explicite sur ce qui peut se passer après la mort. Il ne parle pas d‘un anéantissement, mais dit : « Comme quelqu’un qui revient d’un long voyage est accueilli avec joie par son cercle d’amis, de même un être bon qui a quitté le monde est par ses bonnes actions, bienvenu dans l’au-delà ». Sur la question du moi. Bouddha enseignait : « La théorie suivant laquelle le moi existe est vaine et fausse, mais la théorie suivant laquelle le moi n’existe pas est vaine et fausse, la Vérité est entre les deux, c’est le juste milieu que le Bouddha enseigne ». Ceci permet de dépasser la pensée dualiste que produit l’intellect logique. Et d’écarter la réincarnation parce qu’il n’y a pas de moi qui se réincarne.
Dans les religions aryennes, les dieux et démons abondaient, les dévas et les asuras et on les retrouve dans les peintures tibétaines. Il est possible que Bouddha ait utilisé dans ses paraboles la référence populaire à ces mythologies et qu’il ait été écouté sans discernement. La réincarnation ne figure pas dans le Rig Veda. Elle a été greffée tardivement dans le Vedanta par les prêtres brahmanes pour figer leur statut supérieur dans une société de castes figées (post 36), puis réintroduite dans la pensée bouddhiste.
7 Conclusion
Bouddha comme les rishis dravidiens inspirés transmettent un enseignement fondé sur leur expérience spirituelle acquise au terme d’une longue recherche personnelle et d’une rigoureuse autodiscipline de vie. Ils guident sur un chemin sûr les chercheurs spirituels à trouver la Lumière. La proximité entre langues indo-européennes facilite la compréhension des sutras. Ceci explique en partie pourquoi le bouddhisme est devenu populaire en Occident. Mais dans une version altérée des sutras et filtrée par les cultures des vietnamiens, tibétains ou japonais.
Le Dharma peut être parfois un relais vers Dieu : « La question de savoir si Dieu existe ou n’existe pas ne tend pas à édification et sur ce sujet le Bouddha gardera un noble silence. Ce qui tend à édification, c’est la pratique de l’octuple sentier ». On parvient à Dieu par une tension vers le Bien.
Ce qui nous rappelle la logique du grand philosophe Kant : « Nous constatons une loi morale de tension permanente vers une sainteté jamais atteignable dans l’instant, elle doit avoir une destination finale, c’est le souverain Bien. Que ce souverain Bien soit possible suppose une Cause, postule un souverain Bien primitif qui ne peut être que Dieu. Il est donc moralement nécessaire d’admettre l’existence de Dieu » (Critique de la raison pratique, LII ch.2, V).
Moïse (post 3), c’était il y a plus de 3000 ans, Bouddha il y 2500 ans, Jésus (post 2) il y a 2000 ans et Muhammad (post 1) il y a 1400 ans. Le monde moderne n’a plus rien à voir avec celui qu’ils ont connu, nous sommes plus de 8 milliards d’humains, presque tous ont entendu parler d’eux. Mais pour ceux qui font l’effort de réfléchir objectivement, l’enseignement et l’exemple de vie donné par ces grandes figures de l’histoire spirituelle de l’humanité peut illuminer notre itinéraire spirituel et mental.
Bouddha et Muhammad ont eu le temps de rassembler et de former une communauté de fidèles attentifs et vertueux qui ont transmis son enseignement, merci à eux ! En Asie et en Occident, l’enseignement du Bouddha a profondément marqué l’histoire de l’humanité et sa vie fut exemplaire de vertu, d’un dévouement sans arrière-pensées à tous ses contemporains, et d’une sagesse visionnaire pour que son enseignement soit bien transmis au fil des millénaires. Hommage à lui !
Je vois que vous avez bien enrichi votre post avec les éléments bibliographiques du livre que je vous ai prêté, le Bouddha historique de Hans Schumann. Merci de votre belle analyse !