1 Pourquoi s’intéresser à Ram Chandra ?
Ram Chandra « Babudji », mort en 1983, peu après son dernier voyage missionnaire en France, est le deuxième guru (post 10) d’une « nouvelle tradition spirituelle » appelée Sahaj Marg par le guru fondateur « Lalaji » (1873-1931). Le Sahaj Marg (voie naturelle) propose une pratique simplifiée du Raja Yoga, presque oublié dans son pays natal.
Il écrit vers 1945 : « toute l’atmosphère (de l’Inde) est surchargée de préjugés et rivalités, les jalousies entre sectes sont la principale cause de la chute de notre civilisation. Il n’y a pas moins de 3000 castes en Inde et chacune d’elle constitue une unité séparée. Toute la société marche ainsi vers la désintégration. L’amour universel que l’on considérait comme un lien entre l’homme et Dieu est au contraire devenu un obstacle. La spiritualité commence où la religion finit ».
Voici ce que dit Ram Chandra du Veda (post 6) : « Les rishis, les sages védiques demeurèrent en quête de Cela dont ils percevaient le son, ce son qui est entendu dans tous les extraits du Rig Veda lus lors des cérémonies. Pour communiquer et se comprendre mutuellement, les sages remuaient la langue selon ce qu’ils sentaient, ils ont écrit dans cette langue en sentant chaque vibration et ont commencé à l’appeler « sanscrit » (divin). La maîtrise du sanscrit restera limitée à une minorité d’érudits ».
Les écrits de Babuji montrent une bonne connaissance du contexte indien, mais surtout un homme qui a expérimenté personnellement la complexité des énergies qui circulent dans le corps humain. Il a une conscience précise de ses chakras, de la manière de les purifier et de les relier pour grandir spirituellement. C’est un domaine où l’Occident a beaucoup à apprendre.
Il a surtout été le réceptacle de conseils prodigués par des « âmes libérées » pour réussir dans sa mission. Il témoigne en effet dans sa biographie (publiée après sa mort par sagesse) qu’il a eu de nombreuses « intercommunications », avec son guru Lalaji après son décès, mais aussi avec Vivekananda, avec le « Seigneur Krishna » et même avec Bouddha, en particulier pendant la période déterminante pour lui qui va de 1944 à 1948, pendant que l’Europe se déchirait en guerres meurtrières et que l’Inde allait s’enfoncer dans une division sanglante.
Ses apôtres ont témoigné que Jésus lors de sa transfiguration avait échangé avec Moise et Elie sur sa mission. Moïse a laissé ses os en terre alors qu’Elie a été enlevé avec son corps sur un char de feu, mais les deux purent communiquer avec Jésus pour le bien de sa mission, le prophète restant libre de ses choix. Il n’y a pas de raison de douter a priori que ce qu’a vécu Ram Chandra est réel, mais c’est surtout le contenu des messages qui rend ce témoignage crédible. Ainsi Ram Chandra aurait pu canaliser des informations et des conseils venus de haut et lui donnant une vision d’avenir sur l’Inde pour avancer dans sa mission.
Babuji ignore le Coran, même s’il évoque quelques rêves qui l’auraient emporté à La Mecque ou une communication ponctuelle de l’ange Gabriel. Il montre un certain chauvinisme quand il s’agit de sa patrie : « L’inde regagnera sa gloire d’antan, sa suzeraineté s’étendra partout et le monde se tournera vers elle comme un phare ».
Probablement sous l’influence de Vivekananda (post 9), il comprit l’importance de prendre pied en Europe. Déjà Lalaji, son guru, lui avait dit : « l’être humain idéal devrait avoir un cœur indien et un esprit européen ». Voici ce que lui aurait dit Vivekananda le 9 février 1945 : « Le Seigneur Christ est avec nous, tous ensemble ils ont décidé de vous confier un certain travail. Christ pense que la civilisation d’Europe, alors à son apogée, prend la forme de la destruction et ne devrait pas survivre longtemps ». Il ajoute le 18 août 1947 : « Laissez d’abord l’Inde connaître le destin que l’Europe devra finalement connaître, ensuite le travail de l’Europe vous sera confié. Hyderabad a besoin d’une attention spéciale », puis le 8 avril 1949 : « prêtez attention à l’Egypte et à l’Europe, Russie incluse ».
Vivekananda avait fait sensation en représentant l’Inde lors du parlement mondial des religions à Chicago en 1893, mais il est mort jeune et il n’est pas étonnant qu’il encourage Babuji à exporter sa mission au-delà de l’Inde. C’était un grand spirituel, disciple de Ramakrishna, un fin connaisseur des Ecritures sacrées indiennes, mais aussi un énergique homme d’action. Il dit aussi à Babuji le 10 juin 1945 : « de nouvelles méthodes d’entrainement spirituel te seront révélées, sous une nouvelle forme conforme aux changements d’époque ».
Babuji passa beaucoup plus inaperçu mais son travail discret de son vivant a porté ses fruits en Inde, même s’ils ne furent que progressivement visible. Puis sa mission s’est exportée à la fin de sa vie grâce à l’aide de celui qui a pris sa succession, « Chariji ». Le guide actuel, Daaji, a donné au mouvement le nom d’Heartfulness et inauguré en 2020, à Hyderabad précisément, le plus grand hall de méditation du monde. Ils annoncent 4 millions de pratiquants, 13 000 formateurs bénévoles dans 150 pays, ils ont une dizaine de centres en France. Ainsi une fertilisation croisée entre les français et ce mouvement est devenue facile.
2 Son itinéraire spirituel et la fonction de guru
Il nait en 1899 dans une famille cultivée, une mère pratiquant souvent le culte (puja). A 9 ans il sent une soif pour la Réalité, commence à lire la Bhagavad Gita, puis sur le conseil de son prêtre il récite « Rama, Rama », puis se met à vénérer des idoles, ce qui le fait régresser. Puis il découvre la philosophie et le magnétisme pour soigner les malades. Il s’ancre dans la conviction qu’il faut avoir une pensée juste et la valider avec un signal du cœur. Il est marié à 19 ans avec une femme au caractère emporté, une épreuve qui l’aida à grandir. Il est archiviste au palais de justice de 1925 à 1956, travailleur appliqué et modeste. Vu de l’extérieur, c’est un itinéraire assez banal.
Sa soif de Réalité a perduré et l’a conduit à trouver en 1922 son guru, Ram Chandra Lalaji (1873-1931). qui avait dès l’âge de 18 ans suivi un maître soufi de la Naqchabandiyya. En 1896, celui-ci l’a choisi comme le 36e maître de cette lignée, mais aussi le premier maître soufi hindou non converti à l’Islam. Lalaji établit un satsang régulier à partir de 1914 et commença à former ses disciples. Il est le guru fondateur du Sahaj Marg, et son enseignement a été repris et développé par Babuji qu’il aurait continué à guider après sa mort avant de le nommer comme son successeur en 1944. La méditation sur le cœur, la transmission yogique, le nettoyage des chakras et la prière désintéressée avaient déjà été solidement établis dans son enseignement.
Cet exemple illustre l’instauration fluide d’une nouvelle lignée de gurus indemne des ambitions personnelles qui rendent souvent difficile la succession d’un guru marquant. Babuji est devenu guru sans le vouloir. Dès le début son cœur lui a suggéré de tout centrer sur son guru qu’il aimait plus que tout, ce qui facilite évidemment la transmission au point d’aboutir à une fusion de la pensée et du cœur qui permet à un guru de prolonger son action au-delà de sa mort physique.
Dans ces univers subtils que nous connaissons mal, la dynamique des âmes ne correspond pas à une réincarnation où une âme passerait de corps en corps, idée dont Bouddha a démontré la fausseté, mais le lien puissant qui peut se développer entre deux individualités consentantes a des effets similaires en accélérant la dynamique spirituelle d’un disciple. Le choix des tulkus dans la pratique tibétaine, censé être des réincarnations d’un maître défunt, fonctionne probablement ainsi. Plus près de nous, on ne peut pas dire que Platon soit la réincarnation de Socrate, mais sa pensée a prolongé et enrichi celle de son maître.
Babuji est lucide sur les mauvais gurus : « Le règne du guru comme monopole d’une classe privilégiée est une absurdité inventée par les gurus professionnels pour servir leurs intérêts personnels ». Et : « Des causeries savantes, des sermons pleins de verve, de nombreux discours, voilà ce qui attire les gens aujourd’hui et les masses ont le chef qu’elles méritent pour les guider, des hommes qui ne basent pas leur discours sur leurs expériences personnelles, mais sur celle des autres ou sur des livres. Ils ne se soucient pas du tout d’éveiller dans l’esprit de l’abhyasi (le disciple) les divers états de la véritable sagesse. Ils ne connaissent absolument rien des différents états de l’illumination. La signification du Yoga fut perdue, et l’on pensa que répéter des formules comme des perroquets suffirait à atteindre le but ».
Ainsi, Babuji peut être considéré comme un guru noble. Noble au sens du Coran (« l’homme le plus noble parmi vous est le plus pieux »), noble par son humilité et son dévouement à un travail spirituel d’une ampleur qui dépassait largement ce qui pouvait en être vu de l’extérieur, en particulier ces transmissions par rayonnement pour illuminer spirituellement diverses villes de l’Inde.
Nous sommes très loin de ces gurus qui aiment être adulés et Babuji disait : « je ne fais pas des disciples mais des maîtres ».
3 Un pont entre la Parole abrahamique et l’Inde ?
Le pont entre les religions abrahamiques peut se faire par la Parole qui ne se divise ni ne tait en écartant les livres d’hommes car la continuité prophétique des messagers de langues sémitiques est une évidence. Avec le Veda, c’est plus difficile car c’est un univers mental très complexe, avec des écritures surabondantes aux interprétations aléatoires et de provenances diversifiées, et une pléthore de sectes et gurus. Il est difficile d’y voir clair pour les hindous, mais encore plus pour les occidentaux, et avec les musulmans, l’historique pèse lourdement sur les possibilités de rapprochement.
L’enseignement de heartfulness, se définit comme une « nouvelle tradition spirituelle ». Tradition et nouveauté vont rarement de pair, mais il est indéniable que ce mouvement est bien ancré dans la tradition indienne tout en ayant défini de nouvelles méthodes pragmatiques adaptées à l’agitation du monde moderne. Comme le dit Babuji : « Ce n’est ni l’étude des textes sacrés ni la connaissance qui rend un homme parfait, c’est seulement la réalisation en son véritable sens. La connaissance est une acquisition du cerveau, la réalisation est l’éveil de l’âme ».
Il ajoute : « La transmission yogique, créée et largement pratiquée par nos anciens sages, est tombée dans l’oubli. Le pouvoir de transmettre est une réalisation yogique de très haut niveau grâce à laquelle un Yogi peut par la seule force de sa Volonté, insuffler l’énergie yogique ou le rayonnement divin à l’intérieur de quelqu’un et supprimer ce qui est indésirable en lui ou nuisible à son progrès spirituel. Ce pouvoir peut être exercé à distance. Il s’agit donc d’expérimenter et c’est pertinent pour les occidentaux qui s’y intéressent même si leur quête ne va pas au-delà des bénéfices basiques qu’ils peuvent retirer de la méditation, de la transmission et du nettoyage.
Et : « Les conditions de vie et l’environnement de notre époque tendent à augmenter les activités du mental individuel, il est constamment agité et perturbé. Or c’est ce mental qui nous mène à la vertu et nous aide à réaliser le soi le plus élevé : ce n’est pas seulement le mal qui vient du mental, mais aussi tout le bien. Il ne faut pas l’écraser ou l’anéantir, mais l’entraîner convenablement en le fixant sur une seule pensée sacrée et écartant ce qui est superflu ou indésirable. C’est cela la méditation sous la conduite d’un maître compétent. » Et : « la dégénérescence de notre état actuel est due à la réaction des pensées, or nous ne pourrons évoluer que grâce à l’aide de la pensée qui finira par nous rapprocher de notre but, si nous l’utilisons dans la quête du Divin ».
Au-delà de son pragmatisme, Babuji est un pont vers les autres sensibilités spirituelles, voici quelques citations :
- Dieu est un et unique, nous devons donc prendre l’Un pour la réalisation de l’Unique. L’idée de trinité (indienne) vous conduira inévitablement à la multiplicité, vous faisant perdre votre objectif.
- Dieu Seul est notre véritable guide, guru et maître, c’est lui seul qui nous dispense la Lumière.
- Le moyen le plus important, infaillible d’arriver au but est la prière, elle établit notre lien avec Dieu à qui nous nous abandonnons avec amour et dévotion.
- Posséder Dieu, plutôt que simplement le connaître, est le véritable objet de la spiritualité.
- Tournez votre attention vers Dieu et allez de l’avant avec volonté, foi et confiance
- La méthode correcte et dynamique pour cela est fondée sur les expériences des grands saints ou sur les écritures sacrées. On devrait s’y tenir avec ferveur
- Il peut y avoir des différences d’opinion sur la question des naissances et des morts, selon les différentes religions, mais la seule connaissance théorique des écritures ne résoudra pas la question; l’expérience pratique dans le domaine spirituel est nécessaire pour cela
- Tous sont d’accord pour dire que l’objectif de la vie est de parvenir à la félicité éternelle après la mort.
Le subcontinent indien a de très longue date été un phare spirituel pour l’humanité. La prédominance du spirituel s’est dégradée face au matérialisme envahissant, mais elle reste encore sensible aujourd’hui. Le subcontinent, déchiré par la partition orchestrée par les colonisateurs anglais, est la patrie de la quasi-totalité des hindouistes, mais aussi de près de 600 millions de musulmans avec le Pakistan et le Bangladesh et les relations entre ces communautés sont de plus en plus tendues. Or en reprenant le Fond de la Parole du Veda et du Coran, un pont devrait pouvoir être jeté entre eux pour fonder une paix durable dans cette partie chaude de la planète (post 14).
Tant pour l’Occident que pour le monde musulman et pour le monde hindouiste, une revitalisation spirituelle face au matérialisme et à l’agitation est certainement une urgence, et les ponts qui peuvent être jetés entre ces mondes qui s’ignoraient spirituellement devraient être très bénéfiques, permettant un inter-enrichissement épanouissant entre les individualités décidés à s’y atteler. Cela implique à la fois l’amour sans préjugés, mais aussi la découverte des autres univers spirituels.
Le travail de juste frère de rapprochement de la Parole de 1977 avec le Coran donne une compréhension claire du Coran qui facilitera le pont avec le Veda. Il fera bouger la pensée musulmane, et les difficultés de coexistence entre musulmans et hindous s’apaiseront, le monde en a besoin !