Le titre initial « hommage à Gandhi » a été modifié pour honorer sa pensée : « Je sais trouver dans l’humanité ce qu’il y a de plus noble. C’est ce qui me permet de garder foi en Dieu et en la nature humaine ». Citation qui fait penser au verset du Coran : « le plus noble d’entre vous est le plus pieux ».

Gandhi a beaucoup écrit, comme journaliste occasionnel et avocat professionnel pour servir les justes causes sociales qu’il défendait avec ténacité et comme guide spirituel répondant aux courriers demandant sa guidance. Ses œuvres complètes couvrent 50 000 pages ! Les citations reformulées ici sont extraites d’un petit livre « tous les hommes sont frères », une sélection de ses écrits.

Ce post est long, que mes lecteurs m’en excusent, j’espère qu’il ne sera pas indigeste ! Il évoque la vie publique et personnelle d’un homme exceptionnel pour en tirer des leçons applicables pour nous.

1 La jeunesse de Gandhi, une solide assise spirituelle

Elle commence avec la mère. « Ma mère ne manquait jamais ses prières avant les repas, j’ai gardé d’elle une impression de sainteté ». Gandhi était un enfant sérieux, obéissant, mais s’opposa à elle sur la question des intouchables. Dans sa famille aisée de la caste des marchands, les latrines de leur maison étaient nettoyées par Uka, un éboueur « intouchable ». S’il le touchait, ses parents lui imposaient les ablutions d’usage. Il osa dire à sa mère « qu’elle se trompait grandement en considérant coupable tout contact avec Uka ». Il restera convaincu que « l’hindouisme n’avait rien à voir avec les interdictions frappant les intouchables ».

« Mes parents me marièrent à treize ans, je ne vois aucun argument d’ordre moral en faveur d’un mariage aussi ridiculement précoce, mais j’aimai passionnément ma femme ». « J’étais un mari dévoué et jaloux ; un ami attisa mes soupçons et je me comportai avec elle de manière violente et coupable jusqu’au jour où je compris l’ahimsa (non-violence) dans toute sa signification. L’épouse n’est pas l’esclave du mari mais une compagne et collaboratrice qui partage joies et peines et reste aussi libre que lui pour choisir sa propre voie ». « L’ahimsa fonde ma recherche de vérité ».

« Il faut s’opposer à certains systèmes pour les détruire, mais s’en prendre à leurs auteurs revient à se prendre soi-même pour cible. Nous sommes tous les enfants du même Créateur et maltraiter un être humain, c’est porter atteinte à ces forces divines et nuire aux autres hommes ». « Mon passé prouve que je n’ai jamais discriminé les hommes en fonction de leur degré de parenté, de leur nationalité, de leur couleur ou de leur religion ». « Dès l’âge de 21 ans, je m’étais intéressé à d’autres religions, j’hésitai un moment entre le christianisme et l’hindouisme, mais je sentis que seule la religion hindoue me conduirait au salut ».

Gandhi était par nature un gros mangeur et découvrit après son mariage ses puissants désirs sexuels. Il s’imposa une discipline stricte pour se libérer du désir : « Quand les organes des sens sont soumis aux exigences de la santé et que le corps obéit à l’âme, le désir de jouir perd son pouvoir tyrannique ». Ses jeûnes privées et publics s’appliquaient à ses paroles, ses pensées et sa nourriture. La Parole évoque les joies partagées de la sexualité, Gandhi souhaitait les limiter à la procréation, et après avoir eu quatre enfants, il fit le vœu de chasteté à 36 ans avec l’accord de son épouse. « Depuis, ma femme et moi avons connu la liberté, elle devint une femme libre, affranchie de l’autorité avec laquelle je la commandais comme son seigneur et maître ». De nos jours encore, la domination du mâle et les mariages précoces restent un des fléaux de la tradition indienne.

« Le but que je m’efforce d’atteindre coûte que coûte répond au nom de moksha, l’accomplissement de soi et la vision de Dieu face à face. J’y tend de tout mon être, par ma vie et mes actes ». « Dans mes expériences spirituelles je procède comme les savants, je n’accorde jamais de valeur définitive à mes conclusions, quelle que soit la minutie avec laquelle je prépare mes expériences. J’ai exploré les voies de l’introspection, je me suis scruté de fond en comble et j’ai passé au crible chaque situation psychologique ».

« Je n’ai pas vu Dieu, j’ai fait mienne la foi que le monde a en lui, elle est tellement enracinée en moi qu’elle m’apparaît aussi certaine qu’une expérience directe ». « Je déduis de ma réflexion que Dieu est Vie, Vérité, Lumière et Amour. Il est parfaitement Un. Plus je m’efforcerai d’être pur, plus je me sentirai près de Dieu ». « Dieu n’est ni au ciel, ni aux enfers, mais en chacun de nous, je me sens réchauffé par le rayonnement de Sa Présence ». « Aucun sacrifice ne m’apparaîtra trop grand pour voir Dieu face à face. Toutes mes activités sociales, politiques et humanitaires convergent dans cette direction. Je connais le sentier, il est étroit et sans détour ».

« Seul l’amour peut vaincre la haine ». « La seule vertu que je revendique est la vérité et la non-violence ». « Jamais je n’aurais voulu mentir, je hais le mal sous toutes ses formes. La manière de traiter les intouchables est haïssable, ce système infâme dont sont responsables des millions d’hindous ». « Le désir le plus sérieux et le plus cher de mon cœur était de servir les pauvres. J’ai pu vivre parmi eux et m’identifier à leur cause ». « Mon âme se refusera tout repos tant qu’elle assistera à une seule souffrance et une seule injustice ».

« Si nous sommes tous fils du même Dieu et participons à la même nature divine, nous devons être solidaires du péché de chacun, proche ou non de nous ». « Tant que nous ne serons pas morts à nous-mêmes, nous ne pourrons pas vaincre le mal en nous. Pour mériter la seule liberté qui vaille la peine, Dieu exige de notre part un renoncement total ». « Chacun devrait rester à l’écoute de sa voix intérieure et agir en conséquence ». « Je dois poursuivre ma route avec Dieu pour seul guide. C’est alors qu’Il nous donne la force de tenir tête au monde entier et qu’Il nous protège de tout mal ».

2 le choc du racisme, naissance de sa vocation politique

A 18 ans, ses parents l’envoient à Londres faire ses études d’avocat pour assurer sa position sociale en Inde. Il visite Paris et rentre en Inde après avoir obtenu son diplôme. Ses débuts professionnels furent difficiles et une société indienne propose à Gandhi de l’employer comme avocat pour leurs affaires en Afrique du Sud. C’est là qu’il comprendra que le rôle noble de l’avocat est de réconcilier les parties en présence et non de faire gagner son client en gagnant plus d’honoraires.

Une expérience marquante du racisme brutal se fait dans un train où il s’était installé avec un billet de première classe vers Pretoria. Un voyageur indigné d’y voir un « homme de couleur » se plaint au contrôleur qui demanda à Gandhi d’aller dans le fourgon, ce qu’il refusa. Le contrôleur appela la police qui l’évacua du train de force avec ses affaires, une expérience qui fut un catalyseur de sa réflexion sur la manière de résister à la violence injuste en s’attaquant à la racine du mal, le racisme.

Il décida d’inviter tous les indiens de Pretoria pour exposer les problèmes de leur condition locale, les appeler à la loyauté en affaires, et les éveiller à leur responsabilité à l’égard de la vérité, d’autant plus grande en pays étranger que c’était sur leur conduite qu’on jugeait des millions d’indiens. Il subit un autre incident à cause d’une loi sur l’occupation des trottoirs quand une sentinelle du poste de police par excès de zèle le poussa au milieu de la chaussée. Un officiel qui avait vu la scène lui proposa de poursuivre cet individu en justice, Gandhi refusa et décida d’étudier en profondeur les moyens de restaurer la dignité des indiens. Ces incidents privés ont conduit Gandhi à une réflexion plus large, donc à la question de l’action politique non violente.

En 1897, Gandhi prit un congé et revint avec sa famille, mais son bateau arriva en même temps que deux autres affrétés par de riches indiens avec 800 passagers destinés à travailler sur place avec de faibles salaires. Les syndicats blancs et noirs s’opposaient à cette concurrence déloyale et des agitateurs racistes s’en mêlèrent. Les pouvoirs locaux tentèrent d’empêcher les passagers de débarquer ; ils insistèrent sur leurs droits et les autorités locales durent s’incliner faute de moyen légal de le faire. A l’arrivée, une meute de racistes excités s’en pris violemment à Gandhi qui fut sauvé par la femme du préfet de police qui passait par là. Il refusa de porter plainte et expliqua pourquoi au secrétaire d’état aux colonies qui envisageait d’exiger du gouvernement de Natal que les agresseurs soient poursuivis. Un journaliste local l’interviewa et les explications de Gandhi impressionnèrent les européens de Natal qui eurent honte de leur conduite.

Il fonda le Congrès indien du Natal pour s’opposer à un projet de loi excluant les indiens du droit de vote. En 1906, une nouvelle loi demanda l’enregistrement de toute la population indienne. Gandhi mit en pratique pour la première fois sa méthodologie de protestation non violente. Il appela ses compagnons indiens à défier la nouvelle loi et à subir les punitions qui en résulteraient au lieu de résister par la violence. Des milliers d’Indiens et de Chinois furent emprisonnés (dont Gandhi lui-même), fouettés ou même abattus pour avoir fait grève, refusé de s’enregistrer, ou brûlé leur carte d’enregistrement. La désobéissance civile culmina en 1913 avec une grève des mineurs et la marche des femmes indiennes. Le général Smuts finit par négocier un compromis avec Gandhi.

A cette époque, il découvre « Le royaume de Dieu est en vous », un livre qui l’inspira durablement : « Avec Tolstoï, la Russie m’a donné un maître capable de fonder en raison ma non-violence toute empirique ». Il fonda la ferme Tolstoï en hommage à ce grand apôtre de la non-violence, excommunié par l’église orthodoxe parce qu’il osait les contester. Il eut avec lui quelques échanges épistolaires encourageants.

« La politique coupée de toute religion n’est qu’une activité vile. Puisque la politique se préoccupe du bien des nations, il est normal qu’un esprit religieux s’y consacre ». « Je n’entends pas par religion un ensemble de rites et de coutumes, mais ce qui est à l’origine de toutes les religions et qui nous met face à face avec le Créateur ».

3 Des maîtres spirituels comme substitut à la Parole qui ne se divise ni ne se tait

Elevé en gujarati et contraint d’apprendre tardivement l’anglais, puis le sanscrit et les écritures sacrées de l’hindouisme et du christianisme, Gandhi n’a jamais été un grand amateur de livre ni pour lui, ni comme éducateur, convaincu que « les jeunes ne retiennent pas grand-chose des livres et que le professeur est leur véritable manuel ». « Je ne suis pas un expert en sanscrit, des Vedas et des Upanishads, je n’ai lu que des traductions ; je ne les ai pas approfondis mais étudiés comme tout hindou devait le faire ». Seule la Gita est évoquée par Gandhi comme texte qui le guide. Or selon Ram Chandra (post 22), sur les 700 versets de la Gita, seuls sept auraient été révélés au moment des faits qui se déroulèrent il y a cinq millénaires, donc parmi les dravidiens. Comme la Gita fut mise par écrit quelques siècles avant ou après, J. C., 99% de ce livre est une invention des scribes brahmanes !

« Si la prière ne m’avait pas secouru, j’aurais perdu la raison en traversant les épreuves les plus dures de ma vie, publique et privée. Il n’est pas question de faire jeûner l’âme de prière. Trois des plus grands maîtres du monde, Bouddha, Jésus et Muhammad, nous ont laissé le témoignage irrécusable que l’illumination leur est venue de la prière. Peu importe la manière dont on prie, chacun est à soi-même sa propre loi ». « Sans la moindre crainte, Bouddha a engagé la lutte contre ses ennemis et réussi à faire capituler un clergé arrogant. Bouddha serait mort en luttant contre les prêtres, si la grandeur de son amour ne s’était pas révélée égale à ses efforts pour réformer le clergé. Le Christ a chassé du Temple les marchands et maudit les hypocrites et les pharisiens. Ces deux grands maîtres étaient partisans d’une action directe et énergique, mais ils ont fait preuve d’une bonté et d’un amour indiscutables dans chacun de leurs actes. Je ne fais que suivre leurs traces ».

« Les paroles des maîtres spirituels sont pour moi chargés d’une vie et d’une force qu’ils n’auraient pas si elles étaient dites par de simples mortels ». « Jésus-Christ, Daniel et Socrate sont parmi les représentants les plus authentiques de cette résistance passive qui vient de la force de l’âme. Parmi les modernes, Tolstoï est le meilleur et le plus brillant théoricien de cette voie à laquelle il s’est conformé dans sa vie de tous les jours ».

« Je souhaite tout faire pour découvrir un dénominateur commun aux différentes religions et favoriser ainsi un climat de tolérance entre toutes ». « Les religions représentent des routes différentes qui convergent au même point. A vrai dire, il y a autant de religions que d’individus ». « J’ai autant de vénération pour la foi des autres que pour la mienne, il n’est donc pas question de me convertir ». « On dégrade l’hindouisme si on l’abaisse à adorer l’image d’un être vivant. De quelqu’un qui est encore en vie, on ne peut pas dire qu’il est bon ». (Cf. Jésus : « pourquoi m’appelles-tu bon, Dieu Seul est bon »). « Le plus sûr est d’adorer la perfection qui n’existe qu’en Dieu, reconnu comme Vérité ». « La foi n’est pas faite pour en parler, mais pour la vivre, alors elle se propage ». « Si nous regardions toutes les religions sans parti pris, nous considérerions comme un devoir de leur prendre tout ce qu’elles ont d’acceptables afin d’enrichir notre foi. Une connaissance approfondie des religions permet d’abattre les barrières qui les séparent ».

« La connaissance des choses de Dieu est du domaine de l’expérience personnellement vécue. Les Livres sont au mieux une aide et souvent même un obstacle ». « Je ne crois pas que les Vedas soient les seuls textes que Dieu ait inspirés, la même inspiration divine se retrouve dans la Bible, le Coran et le Zend Avesta. Mais ils représentent la Parole de Dieu de manière imparfaite, et il nous est impossible de La comprendre parfaitement ». « L’homme doit plonger dans cet océan vivifiant qu’est l’esprit des textes et en rapporter des perles ».

On retrouve ici l’écart considérable entre la place de la Parole révélée dans les religions du Livre et la place mineure des textes sacrés dans l’hindouisme. La vie de Gandhi ne lui a pas laissé le temps d’approfondir les textes, en particulier le Coran pour comprendre la Vie que le contact direct avec la Parole pouvait éveiller et pour constater le décalage flagrant entre la Parole et les religions qui en invoquent telle ou telle partie. Cette méconnaissance ne lui a pas permis d’éviter la faille grandissante entre les musulmans et les hindous, décalage mis à profit par les colonisateurs et qui aboutit au drame de la partition.

4 L’engagement de Gandhi dans la politique

« Si j’ai l’air de me mêler de politique, c’est parce qu’elle nous entoure comme un serpent dont on n’arrive pas à se dégager et je désire lutter avec le serpent ». « J’ai vu qu’il me serait impossible d’opérer des réformes sociales sans faire intervenir la politique, j’ai dû en tenir compte dans la seule mesure où cela pouvait servir mon action sociale ». « Je me suis consacré au service de la communauté indienne pour répondre à mes exigences intérieures, comme seul moyen pour aller à Dieu et j’avais certaines aptitudes pour répondre à cet appel. Un individu isolé ne peut s’élever spirituellement, je crois en l’advaita, l’unité essentielle de l’homme et de tout ce qui vit. Si donc un seul homme avance d’un pas dans la vie spirituelle, toute l’humanité y gagne ».

« La paix individuelle et nationale est impossible si on ne met pas tout en œuvre pour vivre dans la vérité et la non-violence ». « La résistance passive est une épée dont les vertus sont multiples. Sans faire couler une goutte de sang, elle obtient des résultats extraordinaires. Cette arme ne rouille jamais et personne ne peut la voler ». « Je me voue entièrement au service de la non-violence en poursuivant la campagne qui nous permettra de retrouver notre liberté et à travers la libération de l’Inde, je cherche à conduire tous les hommes vers une seule communauté fraternelle. Si l’Inde y parvient de cette manière, elle contribuera à la paix dans le monde ». « Un conflit a été réglé selon les principes de la non-violence s’il ne laisse aucune rancœur entre les ennemis et en fait des amis ».

« Je refuse la violence organisée que patronne le gouvernement comme la violence inorganisée du peuple ; plutôt que choisir l’une ou l’autre, je préfère être pris en étau entre les deux ». « Les gens d’un village avaient pris la fuite quand la police pillait leurs maisons et molestait leurs femmes pour respecter mon conseil de la non-violence. Je dus leur démontrer leur devoir de s’interposer comme bouclier et protéger les faibles sans esprit de vengeance et qu’il était déshonorant de s’enfuir par lâcheté ». « Je n’hésite pas à dire que là où le choix existe seulement entre la lâcheté et la violence, il faut se décider pour la solution violente ».

« Pour ne jamais s’égarer sur la voie de la non-violence, il faut constamment s’en remettre à Dieu, faire abnégation de soi et avoir la plus grande humilité, mais il faut aussi être intrépide avec un courage à toute épreuve ». « Nos sectaires de l’ahimsa en font un fétiche aveuglément vénéré. Il y a mille formes de violences insidieuses, les paroles méchantes, les jugements sévères, la malveillance, la colère, le mépris et le désir de cruauté ».

A son retour en Inde en 1915, il fonde un ashram qu’il dissoudra en 1933 pour des raisons internes : deux membres n’avaient pas respecté la continence sexuelle imposée par ses règles internes et l’utilisation de certaines sommes d’argent était contestée. Il rejoint la direction du parti du Congrès et organise en 1918 la résistance civique pour les paysans forcés de cultiver l’indigo au lieu de cultiver la nourriture nécessaire à leur subsistance. Opprimés par les milices des grands propriétaires, ils vivent dans une pauvreté extrême. Au cours d’une terrible famine, les Britanniques veulent encore augmenter l’une de leurs taxes, ce qui rend leur situation désespérée.

Au Gujarat, il constate les atrocités et des terribles conditions de vie des villageois. Il dirige le nettoyage des villages, la construction d’écoles et d’hôpitaux et encourage les dirigeants locaux à éliminer les problèmes sociaux. La police l’arrête pour « trouble à l’ordre public », et lui ordonne de de quitter la province. Des centaines de milliers de personnes manifestent autour de la prison, des commissariats et des palais de justice demandant sa libération, ce que la justice accorde à contrecœur. Gandhi mène des grèves et des manifestations contre les grands propriétaires qui finissent par signer un accord donnant plus de compensations et de contrôle de leur production aux fermiers pauvres, ainsi qu’une annulation de la taxe jusqu’à la fin de la famine. C’est à partir de cette époque que Gandhi est baptisé par le peuple Bapu (père) et Mahatma (Grande âme)

En 1919, Gandhi organise un satyagraha (non-coopération et résistance civile) contre le Rowlatt Act qui donnait le pouvoir à la police d’arrêter toute personne sans justification pour freiner la montée des nationalistes. Des heurts ont lieu avec les autorités, et en avril, des Indiens croyant répondre à l’appel de Gandhi commettent des meurtres, des incendies et des pillages contre des européens. Le 13 avril, les autorités britanniques font tirer sans sommations sur des Indiens qui bravent l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes, c’est le massacre d’Amritsar. Gandhi critique les violences du Royaume-Uni et celles des Indiens, présente ses condoléances aux victimes civiles britanniques et condamne les émeutes. Le parti du Congrès se range à la position de Gandhi après son discours émouvant sur le caractère maléfique et injustifiable de toute violence.

En 1921, Gandhi devient le dirigeant du parti du Congrès qu’il réforme en profondeur. Il focalise son action sur la lutte pour l’indépendance par une stratégie de non coopération. Il est emprisonné en 1922, puis libéré après une appendicite. Il revient sur le devant de la scène indienne en mars 1930 avec sa célèbre marche du sel, où des milliers d’Indiens se joignent à cette marche vers la mer de 400 km pour ramasser leur propre sel et défier le monopole britannique sur sa production. Les Indiens investissent ensuite pacifiquement les dépôts de sel, et l’empire britannique réagit par des emprisonnements massifs. Le 8 mai 1933 Gandhi entame un jeûne de 21 jours pour améliorer la vie des intouchables. Pendant l’été 1934, trois tentatives d’assassinat ont lieu contre lui.

En 1942, Gandhi écrit une résolution appelant les Britanniques à quitter l’Inde, critiquée par certains membres du Congrès et d’autres groupes politiques. Gandhi appelle à une grève générale et précise que le mouvement ne s’arrêtera pas même si des actes de violence individuels sont commis : « l’anarchie ordonnée » autour de lui était « meilleure que la vraie anarchie ». Il appelle tous les Indiens à maintenir la discipline de l’ahimsa, et à agir voire mourir pour la cause de la liberté ultime.

Des indépendantistes lancent une vague de violences contre les Britanniques, endommagent des bâtiments gouvernementaux, rompent des voies de communication et tuent des employés du Raj. Deux mille cinq cents indépendantistes sont tués ou blessés par la police, plus de soixante-six mille sont arrêtés. Mais à la fin de la guerre mondiale, le Royaume-Uni annonce que le pouvoir sera transféré aux Indiens. Gandhi demande alors à la direction du Congrès d’arrêter la lutte et 100 000 prisonniers politiques sont relâchés.

La plupart des musulmans d’Inde vivaient aux côtés d’hindous ou de sikhs et étaient en faveur d’une Inde unie. Mais Muhammad Ali Jinnah, le dirigeant de la Ligue musulmane, populaire dans plusieurs États, échauffait les esprits pour créer un Etat musulman. Pour éviter la guerre civile entre musulmans et hindous, le Congrès approuve la partition. Ils savent que Gandhi la rejettera catégoriquement, et il est impossible d’avancer sans son accord car sa popularité dans toute l’Inde est immense. Gandhi finira par donner à contrecœur son accord.

Les violences intercommunautaires s’amplifient et Gandhi lance son dernier jeûne à Delhi le 13 janvier 1948 à l’âge de 78 ans, demandant la fin des violences, et que le Pakistan et l’Inde garantissent la sécurité et les droits pour les pratiquants de toutes les religions. Gandhi pressent sa fin : « La mort serait une glorieuse délivrance pour moi plutôt que d’être le témoin impuissant de la destruction de l’Inde, de l’hindouisme, du sikhisme et de l’islam ». Le gouvernement et les dirigeants de chaque communauté, incluant le RSS et le Hindu Mahasabha cèdent à ce jeûne et lui assurent qu’ils renonceront à toute violence et demanderont la paix. Gandhi le rompt en buvant un jus d’orange. Les nationalistes hindous voient en Gandhi un soutien aux musulmans et au Pakistan et un affaiblissement de l’Inde et l’un de leurs leaders décide d’assassiner Gandhi. Le 30 janvier 1948, Gandhi est abattu par balles par un hindou lié à un groupe extrémiste.

5 L’héritage de Gandhi

Les actions publiques de Gandhi l’ont rendu universellement célèbre comme une grande âme (Mahatma), appellation qu’il récusait car son humilité le rendait lucide sur ses faiblesses. Porteur de vérité, il a tenu à ne rien cacher de ses pensées et actions, ce qui a permis aux détracteurs de le calomnier ou de pointer ses insuffisances, mais il était au-dessus de toute susceptibilité.

Certaines critiques étaient justifiées, comme son sens de la supériorité indienne (commun à Vivekananda, voir post 40), très net face aux africains dans ce discours de 1896 à Bombay : « Les Européens désirent nous dégrader au niveau du cafre grossier dont l’occupation est de chasser et dont la seule ambition est de réunir des têtes de bétail pour acheter une femme et vivre dans l’indolence et la nudité ». Avec le temps, la réflexion et la prière, ses propres préjugés racistes se dissiperont.

« Les traditions anciennes des voyants, des sages et des saints de l’Inde sont un héritage dont elle peut faire profiter le monde ». « Sur le chemin solitaire où je me suis embarqué à la recherche de Dieu, je n’ai besoin d’aucun compagnon de route ». Ainsi Gandhi, comme Ma Ananda Moyi, n’a pas fondé une lignée de gurus avec des ashrams. Son héritage spirituel, c’est l’exemple de sa vie, de sa réflexion et de l’intelligence de ses actions contre toutes les injustices en respectant scrupuleusement la voie de la vérité et de la non-violence. « J’espère démontrer que le vrai swaraj (autogouvernance) ne viendra pas de la prise de pouvoir par quelques-uns, mais du pouvoir que tous auront un jour de s’opposer aux abus de l’autorité ».

« Pour promouvoir le bonheur de l’homme, il faut qu’il y ait décentralisation car la centralisation est un système incompatible avec une structure sociale non-violente ». « La loi de la majorité n’a rien à dire là où la conscience doit se prononcer et la désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen ». « C’est avec la plus vive appréhension que je verrais s’agrandir le pouvoir de l’Etat qui étouffera l’initiative individuelle qui est à l’origine de tout progrès ». « L’Etat représente la violence sous une forme intensifiée et organisée. L’individu a une âme, mais l’Etat qui est une machine sans âme, ne peut être soustrait à la violence car c’est à elle qu’il doit son existence ». « L’Etat idéal est celui où il n’y a aucun pouvoir politique en raison même de la disparition de l’Etat car chacun se dirigerait de lui-même de façon à ne jamais gêner son voisin, ce serait un Etat d’anarchie éclairée ».

Son héritage politique, son enseignement, est ignoré dans l’Inde actuelle où les partis dominants ont tous les travers des politiciens, même celui du Congrès qui fut le sien. « Je ne pense pas avoir de message à porter à l’Occident. Je crois à l’universalité de l’enseignement de la non-violence, mais j’estime que le meilleur moyen de le transmettre est de continuer l’œuvre entreprise dans mon propre pays. Si quelques succès y couronnent mes efforts, j’aurai rempli ma mission de messager ». Sur les trois injustices qui le scandalisaient, la domination coloniale, le sort des intouchables et la pauvreté extrême, l’Inde a fait des progrès considérables depuis plus de 70 ans et Gandhi a catalysé ces changements grâce à l’impact immense de son autorité morale.

« Les frontières n’ont jamais été tracées par Dieu, ce sont les différents Etats qui les ont tracées. La division de l’Inde s’est produite malgré moi, j’en ressens comme un blessure ». Gandhi n’a pas pu éviter le drame de la partition et les déchirements familiaux, les violences civiles, les guerres et l’immense gaspillage humain et spirituel qui en a résulté, parce que malgré son absence totale de préjugés religieux, il n’a pas assez prêté attention à la propagation dans son pays de ce virus du sectarisme religieux que permet l’ignorance des textes sacrés et du parti que les ambitieux britanniques comme indiens pouvaient en tirer.

Dans cet esprit, Gandhi aurait pu aller au-delà de la simple tolérance des autres religions, apprendre à aimer vraiment les autres croyants en essayant de les comprendre, et pour cela s’immerger dans leurs textes sacrés pour y « chercher des perles ». Il aurait peut-être découvert que la Parole révélée ou inspirée a un fondement universel que les clergés religieux détournent à leur profit et en déduire que se libérer de la tutelle des clergés religieux et des traditions qu’ils ont constituées était encore plus important pour l’Inde que de la libérer de la tutelle de la colonisation ou de prévenir les abus de ses propres politiciens.