Pour nous libérer des divisions religieuses qui fracturent l’humanité et antagonisent nos âmes, pour retrouver la Source Unique de la Parole et de la Vie, il faut partir du contexte actuel. Les plus grandes religions sont quantitativement le christianisme, l’islam, et l’hindouisme. Les bouddhismes (post 7) se sont effrités après avoir quasiment disparu de l’Inde sous la pression des brahmanes. Ils se sont fortement dilués en Chine sous la pression des communistes.

La Bible, le Coran et le Veda sont à la fois contextuels et universels. Les aléas de l’histoire ont permis aux deux premiers Livres de se répandre sur toute la planète à partir d’un texte d’origine sémitique. Il reste à les traduire dans nos langues modernes qui se sont diversifiées, et à les interpréter. En contraste, le Veda (post 6), coupé des Gathas et accommodé à la sauce indigeste des brahmanes est resté largement confiné dans le monde indien et le védisme a dérivé en brahmanisme puis en hindouisme. L’hindouisme imprègne profondément la société indienne où il est largement majoritaire. mais il est soumis à la pression du matérialisme et de l’agitation du monde. En dehors du subcontinent indien, les écritures sacrées de l’hindouisme ont un écho très limité, chez les émigrés comme chez les occidentaux attirés par l’exotisme et le yoga.

La Cour Suprême a présenté sa définition de l’hindouisme. L’acceptation respectueuse des Vedas comme plus Haute Autorité sur les sujets religieux et philosophiques ; l’esprit de tolérance et de bonne volonté pour comprendre et apprécier le point de vue de l’adversaire, basé sur la révélation que la vérité comporte plusieurs apparences ; l’acceptation des six systèmes de philosophie hindoue et d’un rythme du monde qui connaît des périodes de création, de conservation et de destruction, périodes, ou yuga, se succédant sans fin ; l’acceptation de la croyance dans la renaissance et la préexistence des êtres ; l’acceptation que les manières d’accéder au salut (moksha) sont multiples ; le fait que, malgré le nombre des divinités à adorer, on peut être hindou et ne pas croire qu’il faille adorer des idoles. Elle conclut, à la différence d’autres religions ou croyances, que la religion hindoue n’est pas liée à un ensemble défini de concepts philosophiques.

1 Le subcontinent indien comme superposition puis amalgame de peuples

La population actuelle du subcontinent indien est le résultat de trois migrations successives de populations de types physiques différents. Dans cet immense territoire fertile, les premiers habitants arrivent peu après l’apparition des créatures adamiques (voir post 42). Des humains à cheveux crépus, qui iront jusqu’en Australie (les aborigènes), parlant des langues munda sans tradition écrite. Il ne reste en Inde que quelques tribus habiles à survivre dans la nature sans outils métalliques. Il y a 40 000 ans, une nouvelle vague d’immigration se déploie, des hommes de type malais, peau foncée et cheveux noirs lisses, parlant des langues dravidiennes, très longtemps uniquement orales. Enfin, il y a environ 5 000 ans (?), des nomades venus du Nord, les aryens, plus grands et de peau plus claire, parlant une langue de la famille indo-européenne proche du vieil avestique qui se transformera en sanscrit, envahissent peu à peu la Perse puis l’Inde. Ils imposent leur domination aux populations en place.

La fluidité de la pensée indienne entre les faits historiques et les mythes explique les divergences considérables de datation entre les historiens occidentaux et les traditions hindouistes. Elle complique la compréhension de la dynamique de la progression spirituelle des peuples de cet immense espace. L’hindouisme actuel, ses pratiques et ses textes résultent de la superposition progressive des traditions dravidiennes et aryennes autour du socle du Rig Veda. La datation des textes n’est pas significative car les érudits brahmanes ont intégré tardivement un héritage provenant des dravidiens. La Bhagavad Gita, rédigée quelques siècles avant JC au plus tôt, intègre des récits historiques ou mythiques d’événements remontant à plusieurs millénaires.

J’ai pu constater dans mes voyages et recherches que le respect des Vedas a très peu de conséquences sur la pensée religieuse des hindouistes car ils sont largement ignorés. C’est surtout le legs oral puis écrit laissé par les brahmanes pendant deux millénaires qui définit les écritures sacrées et les pratiques religieuses. Les brahmanes n’ont plus l’exclusivité sur la pensée hindouiste, mais le peuple indien a rarement le niveau d’instruction nécessaire pour se plonger dans les textes d’origine, surtout en sanscrit. Ils se reposent sur les traditions et les gurus.

Pourtant de nombreux passages védiques pourraient être source d’inspiration pour tous, dans leur beauté poétique et leur universalité en soulignant la fraternité, l’harmonie, l’unité et ce qui est commun à l’ensemble de l’humanité. Par exemple, le mantra 5-60-5 du Rig Véda : « Tous les hommes sont frères ; personne n’est grand, personne n’est petit. Tous sont égaux ». Ou le dernier mantra du Rig Véda qui insiste sur l’unité et l’harmonie de l’humanité toute entière : « Soyez unis dans vos buts, dans vos cœurs, dans vos esprits et que votre unité se renforce sans cesse ». Ou encore : « Celui qui existe est Unique, les sages lui donnent des noms variés » (1,348) et « Enfants de l’immortelle félicité, j’ai trouvé l’Ancien Unique qui est au-delà de l’obscurité et de l’illusion, en le connaissant, lui et Lui seul, vous serez sauvés de la mort ».

Pour construire un pont entre le monde hindouiste et les autres, il faut partir du contexte indien de 2021. Les gurus bons et mauvais et la piété populaire sincère ou conformiste cadrent la spiritualité. L’hétérogénéité et la non compatibilité de certains textes hindouistes avec la Parole universelle contraste avec l’exemple et la pratique des nobles gurus indiens modernes. Ils indiquent comme l’avait fait Bouddha une voie vers l’unité spirituelle praticable par tous les humains. Certains guides spirituels sont une référence en Inde et au-delà. Ramana Maharishi est évoqué au post 11 et Ram Chandra au post 12. Ils ont été précédés par Ramakrishna et son disciple Vivekananda. Et suivis par la sublime Nirmala Sundari Devi renommée Ma Ananda Moyi.

2 Le précurseur, Ramakrishna (1836-1886) et son disciple Vivekananda (1863-1902)

Ramakrishna était un brahmane, grand mystique bengali sans éducation intellectuelle et d’apparence modeste. Il constitua un petit noyau de disciples. A neuf ans, il reçoit le cordon sacré de la caste des brahmanes. A 20 ans, pour avoir un moyen de subsistance, il prend en charge le culte quotidien d’un temple de Kali. Il déclare avoir reçu une vision mystique de Kali comme Mère de l’univers. Il accepte sa première obole d’une femme de basse caste pour tenir la promesse qu’il lui avait faite, s’érigeant ainsi contre les préjugés de sa caste.

Il rencontre en 1864 Totapuri, un moine errant enseignant la philosophie de la non-dualité. Il fait table rase de toutes ses conceptions de Dieu pour se plonger dans la méditation sur « l’Absolu Qui n’a ni nom ni forme », selon l’enseignement des Véda. Constatant sa nature mystique, Totapuri lui dit « n’écoute pas le Vedanta, cela serait au détriment de ta dévotion pour Dieu ». Il revint donc à sa pratique de la dévotion (bhakti). En 1866, initié par Govinda Roy, un hindou pratiquant le soufisme, il se rapproche de l’islam et vit plusieurs extases. En 1874, il aurait eu une vision de Jésus après avoir pensé constamment à lui plusieurs jours.

Ainsi, Ramakrishna a pratiqué les grandes traditions mystiques et atteint l’Absolu à travers chacune d’entre elles. Il enseigne : « Il n’est pas bon de penser que seule sa propre religion est vraie. Il y a différentes religions adaptées à différents croyants et pays, leurs doctrines sont variées. Chacun peut atteindre Dieu en suivant l’un de leurs chemins et en pratiquant de tout son cœur sa dévotion ». « Avant de faire des discours et d’entreprendre des réformes sociales, il faut d’abord réaliser Dieu, le reste sera donné par surcroît ». « Il est impossible de décrire Brahmane, plus vous avancez, plus vous prenez conscience que Dieu est partout et fait tout. Lui Seul est le Guru qui nous donne connaissance et dévotion ». Atteint d’un cancer à la gorge, avant de mourir, lors d’une extase, il choisit un jeune homme, Vivekananda, pour guider ses disciples. Mais il ne put lui transmettre ni sa sensibilité mystique, difficilement partageable, ni sa grande ouverture à l’égard des autres religions.

Vivekananda était de tempérament très différent, intellectuel et homme d’action. Il initia une mission active puis des ashrams. Leur complémentarité permit au legs spirituel de Ramakrishna de perdurer. L’enseignement de Vivekananda doit être contextualisé. Il était né dans une famille aisée d’un père juriste et philosophe et d’une mère hindouiste pieuse. Il vivait sous la domination coloniale des anglais racistes qui ne s’intéressaient à l’Inde que par convoitise matérialiste et non pour ses riches traditions spirituelles. Eduqué dans une école anglaise où il côtoya vaguement la tradition protestante, il cherchait Dieu et venait de perdre son père quand il rencontra à 18 ans Ramakrishna. Il mettra longtemps à reconnaître cet homme simple et pauvre comme son maître spirituel.

Après sa mort, Vivekananda se retire plusieurs mois dans l’Himalaya, puis parcourt l’Inde en moine errant. Il apprend qu’à Chicago en 1893 se réunira un Parlement mondial des religions. C’est une occasion unique. Un disciple finance son voyage. Sa prestance et son exotisme au milieu de ces débatteurs chrétiens lui permettront d’intervenir comme dernier orateur improvisé pour présenter l’hindouisme. Contrairement aux orateurs précédents, il ne vante pas sa religion comme la meilleure. Le retentissement de son discours fut immédiat et profond aux USA. Il est invité partout à donner des conférences pendant presque trois ans.

Il fut reçu à son retour en Inde comme un héros. Son initiative, hasardeuse de prime abord, lui fournit les outils pour réussir la double mission qu’il s’était fixée : relever les conditions matérielles de l’Inde et jeter en Occident des ferments de haute spiritualité. Il fonde au Bengale la mission Ramakrishna, une organisation philanthropique et bénévole avec un ordre monastique, ses propres hôpitaux, maternités, cliniques et dispensaires mobiles. Elle dispose d’orphelinats et de foyers pour personnes âgées et a mis en place de nombreux établissements d’enseignement en Inde.

Grâce aux contacts pris aux USA et au succès de ses conférences, l’intérêt pour la philosophie hindouiste et le yoga se diffusent rapidement et permet de fonder des ashrams de la mission Ramakrishna aux USA puis en Europe. Vivekananda achève son court pèlerinage sur cette planète à l’âge de trente-neuf ans en donnant ses dernières forces vives aux pauvres de son pays.

Voici quelques-unes de ses citations à caractère universel :
« Le monde tout entier est rempli du Seigneur. Ouvrez les yeux et voyez-Le. C’est ce que le Vedanta enseigne ». « Regardez tout homme et toute femme comme Dieu. Vous ne pouvez aider personne. Vous pouvez seulement servir. Servez les enfants du Seigneur, servez le Seigneur Lui-même si vous en avez le privilège. Si le Seigneur vous accorde la possibilité d’aider l’un de Ses enfants, vous êtes béni. Béni êtes-vous d’avoir reçu ce privilège, alors que d’autres ne l’ont pas. Faites-le comme un culte ». « Toute âme est en puissance divine. Notre but est de manifester le divin qui est en nous, en contrôlant notre nature extérieure et intérieure. Parvenons-y par le travail, par l’adoration, par la maîtrise de l’esprit ou par la philosophie, par l’une ou plusieurs de ces voies ou par toutes et soyons libres. C’est là toute la religion. Les doctrines, les dogmes, les rites, les livres, les temples et les formes ne sont que des détails secondaires. »

3 Vivekananda et la difficulté à dépasser la culture indienne

Le noble Vivekananda, engagé dans des œuvres humanitaires est un homme intelligent, très croyant dans un Dieu unique, avec de louables intentions spirituelles prolongeant celles de Ramakrishna. Il illustre la difficulté pour les hindouistes traditionnels de remonter aux sources de la Parole qu’il ne cite jamais (sauf quelques passages de l’Evangile) pour faire le pont avec le Coran, les prophètes de la Bible, et même les sutras de Bouddha. Sa courte vie orientée vers l’action ne lui laissa pas de temps pour l’étude comparée des textes sacrés. Il avait étudié quelques Upanishads et la doctrine de Adi Sankara, à peine celle de Ramanuja.

Ses conférences et courriers montrent son sentiment de supériorité de sa religion. Il argüe que les hindous et les juifs sont les deux races à l’origine de toutes les grandes religions et que l’hindouisme serait la plus tolérante. Il évoque le Zoroastrisme (mais jamais les Gathas) qu’il voit comme la seule grande religion qui a disparu sous les coups des musulmans. Selon lui (ce qui prouve qu’il ne l’a pas ou mal lu), le Coran exige de tuer tous les infidèles. Ses préjugés négatifs envers ceux qu’il appelle les Mahométans ressortent occasionnellement.

Dans son ouvrage sur le Raja Yoga, il distingue trois états, l’inconscient ou instinct, le conscient ou raison, et le super conscient d’où proviennent métaphysique et transcendance. Il faut s’en garder si l’on n’est pas un yogi qui maitrise ces états. Il voit Muhammad (post 1) « grand homme qui peut avoir 200 femmes , comme mauvais exemple d’hallucinations, celle d’un ange Gabriel lui parlant ou de son voyage nocturne sur la jument ailée ». Il affirme ainsi que le Coran mélange des vérités admirables, des superstitions et du fanatisme. Parce que Muhammad aurait buté par incompréhension de l’état de supraconscience avec de graves conséquences comme les massacres commis au nom de Coran.

Il voit Bouddha (post 4) comme un parfait agnostique (on voit bien qu’il n’a pas lu ses sutras). De Jésus (post 2) il dit que sa religion avait un peu de brutalité et du dualisme. Il oppose l’Evangile de Jean qu’il cite beaucoup et la prière du Notre Père. Il ajoute qu’aucune religion ne s’est autant enfoncée dans le dualisme que celle du prophète d’Arabie, « qui a versé le plus de sang et montré le plus de cruauté ».

Il récuse toute Révélation d’un Livre Sacré. Une illusion venue d’un ange ou d’un déva, des âmes trépassées possédant ce statut le temps que le karma de leurs bonnes actions s’achève. Pour lui, un prophète est un homme normal qui s’est laissé emporter par ses émotions quand il arrive dans un état de supraconscience d’où il rapporte quelques vérités et un peu de fanatisme. Seule une pratique régulière du Yoga permet de distinguer les trois états de conscience, les examiner scientifiquement pour garder le contrôle et arriver au Samadhi. En clair, il prêche pour sa paroisse et ajoute : s’accrocher aux livres dégénère l’esprit humain.

Son opinion sur la transmission du Veda par les rishis reste ambigüe : « La langue des Vedas est un langage divin contrairement à tous les autres. C’est le son, le mot initial : prononcé de la bonne manière, il produira ses effets. La masse des Vedas a toujours existé, suit le cycle de destruction/ réapparition. Si quelque chose n’est pas dans les Vedas, c’est une illusion, cela n’existe pas ». Il voit la Gita comme le meilleur commentaire de la philosophie védantique dont la source reste les Vedas. Le problème des dieux multiples est éludé comme une progression de la recherche de Dieu par les aryens ou des fonctions assumées alternativement par le Brahmane qu’ils prêcheront dans l’advaita. Dans la foulée de son discours de Chicago, il continuera ainsi à se présenter comme l’avocat de la religion hindouiste et de la philosophie védantiste.

Sur les Ecritures, il reste dans le flou mais reconnaît la tendance indienne à inventer des mythes. Il date l’élaboration des textes védiques de 8 ou 9000 avant J.C et le personnage Krishna de -5000, mais il ne s’intéresse pas aux faits historiques relatés dans la Gita. Il admet qu’il n’y a pas d’enfer dans les Veda, contrairement aux puranas, et voit cette contradiction comme une évolution. Il affirme que les upanishads ont été écrit par les rois et par les brahmanes. Il admet la proximité linguistique des Vedas avec les textes zoroastriens mais n’en connait que le dualisme manichéen. Aucune évocation de Zarathoustra (post 5), il reste ainsi dans sa culture traditionnelle.

4 – La vie de Ma Ananda Moyi (1896-1982) : naturelle et transcendante

Dans son livre écrit en 1961, « Ashrams », Arnaud Desjardins témoigne de ses impressions de visites de quatre ashrams réputés, celui de Ramana Maharishi, et trois autres dont il a rencontré le fondateur. Sivananda, un guru occidentalisé, écrivain prolifique dont les ouvrages ont attiré beaucoup d’occidentaux vers son ashram de Rishikesh. Ramdas, un guru typiquement hindouiste dont la vie et le témoignage sont axés sur la répétition d’un mantra légué par son père biologique. Et Ma Ananda Moyi dont la rencontre l’a bouleversé. Il est revenu la voir plusieurs fois. Elle est d’une très rare envergure spirituelle, une sainte moderne de l’Inde.

Comme Ramakrishna, Ma nait dans une modeste famille brahmane. Sa sensibilité particulière est sensible dès sa naissance : elle ne pleure pas mais sourit. C’est une enfant à la fois sage et grave et en parlant d’elle-même. Elle dira avec une grande humilité : « Personne n’a jamais enseigné la Gita à cette petite fille ». On la marie à 12 ans, son mari deviendra son premier disciple. A l’âge de 24 ans, elle décide de pratiquer seule, librement, la voie des acètes, yoga et mantras. Elle expérimente toutes les voies spirituelles hindouistes dans chacune de leurs étapes y compris l’éveil de la Kundalini. Comme Bouddha avant elle, en six ans elle atteint son but, la fusion avec Dieu.

Son charisme va rapidement attirer les foules. Elle était réservée à l’idée d’un ashram, disant : « Ce corps (en parlant d’elle) ne veut pas d’un ashram, soyez dans la joie et que de purs sentiments naissent en vous ; un ashram n’est que pour votre propre progression spirituelle et si vous me parlez de mon ashram, le monde entier est mon ashram qui est infini. » Mais il a bien fallu s’organiser pour recevoir fidèles et visiteurs et recueillir son enseignement oral : des femmes et des hommes viennent l’assister. Elle veille à tout avec une autorité naturelle. Parmi ceux qui l’approchent et plus encore séjournent auprès d’elle, certains ont l’impression de devenir tendus, susceptibles et égoïstes. Elle explique que nul ne peut juger de son propre état d’avancement. Une mare pleine d’ordures dégage son odeur la plus repoussante quand on la récure.

Dans son ashram, le chant de l’invocation à l’Unique est : « Brahman est la Vérité, la Connaissance, l’Infini, Brahman est la Paix, le Bien, la Non Dualité, Brahman est la Joie, l’Immortalité, Brahman est le Un, sans second ». Elle enseigne Dieu avec forme ou sans forme, peu importe. L’essentiel est de Le réaliser, ce qui est aussi réaliser son propre Soi. Elle nous dit : « Quand l’Absolu Brahmane est atteint, plus rien ne peut être rejeté », et « Quand l’essence est saisie, être et faire ne font qu’un ». « La sâdhanâ (culture de la vie spirituelle) implique un effort pour acquérir votre trésor naturel. Or le plus haut trésor de votre vie est Dieu. Votre sadhana ne vous conduira pas à la perfection tant que votre âme n’aura pas trouvé un repos durable en Dieu universel. »

Elle enseigne ce qu’elle a directement perçu. Elle adapte son enseignement à la personne et aux circonstances. Elle a toujours été très accessible. Des foules respectueuses comme les grands personnages de l’Inde lui ont rendu visite. Les témoignages de ceux qui l’ont approchée concordent. Elle a toutes les caractéristiques de la sainteté : les signes apparents, les miracles discrets, l’enseignement par le comportement exemplaire, les paroles bienveillantes, adaptées à chacun dont elle lit la vie et les attentes.

Ce qu’elle dit est toujours précis et pertinent, même sur des questions métaphysiques pointues. Ce qui frappe en elle, c’est la plasticité de son apparence et l’insondable richesse de son regard, toujours bienveillant, mais qui peut être d’une redoutable sévérité. Comme Jésus de Nazareth, elle lit dans les âmes. Son énergie et ses connaissances puisent directement à la Source, elle mange et dort parfois à peine. Elle est toujours très attentive à tout et à tous, et voyage dans toute l’Inde, comme toute le monde, en train. Elle veille à ne jamais laisser paraître ces états de Samadhi apparents qu’on observe chez certains yogis.
Arnaud Desjardins raconte cette petite anecdote où une soixantaine de disciples étaient présents et Ma disposait d’un panier de grosses confiseries. Avec une habileté prodigieuse, elle lança, parfois à une dizaine de mètres avec tant de précision la pâtisserie qui revenait à chacun qu’il n’y eut aucune erreur, tous furent servis d’un et d’un seul gâteau.

Ma me fait penser à ces grandes saintes catholiques que l’église de Rome a consacré très tardivement docteurs de l’église, Hildegarde de Bingen, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux (posts 30 et 31), surtout la dernière qui lui était contemporaine. Ces dames avaient des tempéraments et des parcours très différents, très peu d’éducation scolaire. Mais leur détermination dans la pratique spirituelle leur a permis d’expérimenter directement des états de conscience et de connaissance transcendants. Elles ont transmis des vérités subtiles et sublimes à tous ceux qui les écoutaient et rayonné durablement dans leur contexte social où les femmes étaient encore sous la coupe du pouvoir masculin.

5 Quelques extraits transcrits de l’enseignement oral de Ma

Ma a toujours été affirmative sur Dieu et sur l’effort spirituel. « Remuez-vous un peu, mobilisez ce qu’il y a de mieux en vous pour concentrer toute votre pensée sur Dieu ». « Le Véritable Un est là où n’existe plus le sens de l’unité. Le devoir spécial de l’homme est de se souvenir qu’il existe pour Dieu seulement. Concentrez votre esprit sur la pensée de Dieu en éveillant le désir de savoir qui vous êtes réellement. Maintenez l’esprit éveillé dans le courant de la Réalité où l’Insondable, l’Unique est à jamais révélé dans son Infinité. Cela doit, avec l’intensité d’une possession, être votre constant effort ». « Les écritures sacrées et les sages indiquent pour guérir l’âme désorientée plusieurs préceptes, plusieurs modes de vie différents. Il n’existe qu’un but, qui est toujours le même. Les chemins divers que suivent les hindous et les musulmans, finissent par de rejoindre à la porte de l’Être divin ».

« Sans la Grâce divine, vous ne pouvez être attirés vers Dieu, mais pour mériter cette Grâce, il faut un effort continuel et rester sans cesse sur le qui-vive ». « Essayez de brûler ce qui peut être brûlé par la connaissance et de faire fondre ce qui peut être fondu par la foi et la dévotion : alors le Suprême se révélera. La voie de la discrimination conduit à la réalisation de l’essence de la Connaissance et la voie de la dévotion à la révélation de l’essence de l’Amour ». « Quelle que soit la méthode choisie, chacun peut atteindre l’Unique Destination. »

« Si le sadhaka (chercheur spirituel) ne peut garder un ferme contrôle sur son esprit, il sera exposé à voir et entendre des choses mêlées, à la fois authentiques et illusoires. Une perte de conscience n’est jamais juste. L’excitation émotionnelle et l’Amour Suprême ne sont en rien comparables. Le but de la méditation est de frayer un chemin vers la Lumière, vers ce qui est Eternel. Si au cours de la méditation on se perd soi-même, si la force de vie semble avoir été en suspens, cela n’indique que la stagnation. Appliquez-vous aux exercices spirituels d’une manière tout à fait tranquille et discrète ».

« Vous êtes tous des enfants du Père tout puissant. Pour l’entendre, chaque religion dispose de moyens différents. C’est Dieu qui est à l’origine de tout, c’est Lui qui tisse la toile de la vie, c’est sous sa direction que tout prospère. Connaissez-Le d’abord, Le connaître c’est tout connaître, et c’est la seule façon de s’élever au-dessus des doutes et des difficultés. Pour mériter le Royaume de Dieu, on doit purifier son âme par des exercices religieux assidus et perdre son ego en Dieu. La voie est très abrupte, acquérez une volonté ferme et une patience extrême. Continuez vos prières tous les jours, Il entrera peu à peu dans votre cœur, Sa Présence envahira votre âme et restera en vous jusqu’à vos derniers moments. C’est cela qu’on appelle réaliser Dieu ».

« Il n’y a qu’un seul et même Appel qui vient d’en haut et s’imprime profondément dans l’âme quand celle-ci, par l’effet d’une dévotion profonde, ne répond plus aux besoins de nos passions et nos désirs, mais est parvenue à la sérénité. Alors, et alors seulement, vient du fond de l’âme, la véritable réponse à l’Appel d’en haut, de l’Esprit éternel qui est descendu en vous. Et ainsi l’âme individuelle se transformera progressivement en l’Eternel. La prière est le pont qui relie l’âme universelle à l’âme individuelle. Quand est atteint le but de la vie, il sera évident pour tous que Dieu et la Vérité ne font qu’un et tous les chemins conduisent à la même Porte ».

« Demandez sérieusement qui suis-je, remontez à l’origine de ce moi, changez le cours habituel de votre pensée et consacrez-vous à la réalisation de cette Vérité unique. Le Bien est Vérité, la Vérité est Vie. Le mal est aussi irréel qu’une illusion, il est dû à votre propre perversité. Personne n’aime cultiver le mal. Dieu seul est bon et parfait, si vous cherchez toujours le Bien en vous, votre cœur sera plein de ce qui est bon et noble ».

« A notre époque, il est très difficile pour un chercheur d’acquérir une conception du Divin, soit par les méthodes de yoga, soit en cherchant à fondre le moi individuel dans le Moi universel. Aspirez aux vertus qui assurent à l’âme la grâce et la vitalité et enrayez sainement vos désirs matériels excessifs. Ces vertus vous feront trouver Dieu, toujours présent dans toutes les fibres de votre corps et qui pourtant préfère rester caché. Quand par des exercices appropriés et assidus, la noirceur de votre âme est effacée, Dieu se révèle et c’est la paix absolue. »

Ma encourage la compagnie des saints mais se défie du concept de guru. « Dieu Seul est le Guru, c’est un péché de regarder le Guru comme un être humain. L’homme qui est solidement installé dans la bonté essentielle à la nature humaine, on l’appelle un saint. Il est indifférent aux plaisirs de ce monde et il connaît le secret du Moi, il est toujours plongé dans la joie de la communion divine. Possédant un amour universel, il n’a pas de soucis. Son esprit, comme celui d’un enfant est sincère, joyeux, libre de tout égoïsme. La vue d’un tel homme nous inspire, sa société éveille en nous le désir de connaître Dieu et purge l’âme de toute pensée impure. Les saints sont des êtres qui ont enrichi leur âme de la Grâce de Dieu. Asseyez-vous devant eux en silence et pensez à Dieu. »

« Essayez d’éclairer le monde avec une Lumière qui ne puisse jamais s’éteindre. Quelle est-elle ? C’est la confiance absolue en Dieu et un amour sans bornes pour Lui. Efforcez-vous d’égayer tous les foyers du monde en fournissant un tel idéal, il illuminera tous les aspects de l’existence, mais observez bien l’esprit de notre époque. Ce sont les femmes qui seront au gouvernail et les hommes qui rameront. Si vous voulez arriver à un certain succès, faites-vous aider par des femmes. Il est indispensable que les filles soient entrainées comme les garçons, à chanter les louanges de Dieu, à lire les Ecritures sacrées (Bhagavad-Gita et Bhâgavata-Purana). Si vous reconstruisez la société hindoue sur la base du brahmacharya (étape de la vie où on emmagasine sa force vitale pour arriver à la connaissance de Dieu), il naîtra un nouvel ordre de choses. »

Ma a quitté cette planète la même année que Ram Chandra, il y a 40 ans. Que faire maintenant pour aider l’humanité dans le contexte actuel ?

6 Construire un pont en 2022 entre l’univers mental hindouiste et le monde des religions du livre

Nous avons constaté à quel point la Parole du Créateur est oubliée ou passée sous silence dans le monde indien. Dans le monde chrétien sous l’influence néfaste des prêtres et pasteurs qui ont prêché pour leurs paroisses et leurs idéologies réductrices. Ils ont masqué l’universalité de l’Amour de Dieu pour toutes Ses créatures et encombré nos chemins d’ascension spirituelle de pierrailles stériles. Ils ont noyé la Parole avec leurs livres d’hommes.

Pour un porteur de la Parole, construire un pont spirituel entre le monde musulman et le monde chrétien est simple dans le principe. Il faut partir du texte des Livres révélés aux messagers, les prophètes juifs et le prophète Muhammad, et se focaliser sur la partie universelle de ces Messages. Ce choix ne plaira pas aux fondamentalistes sectaires qui refusent de contextualiser. Mais nous n’avons pas à les convaincre.

Dans l’hindouisme il est difficile de retrouver la Parole universelle : il faut remonter aux Vedas, en écarter les paroles d’hommes et les relier aux sutras de Bouddha et aux Gathas de Zarathoustra. Nous connaissons que des fragments, et le zoroastrisme qui en dérive a une base humaine fragile. S’appuyer sur les bons guides spirituels hindouistes est donc indispensable pour restaurer la noblesse spirituelle du subcontinent.

Quelle réponse les bons hindouistes de l’Inde du président Narenda Modi peuvent-ils apporter à l’idéologie du RSS, ce parti d’extrémisme politique exécrant leurs frères musulmans et de ce président formaté dans leur sein ? Quelle réponse les français, bons chrétiens ou bons agnostiques porteurs des valeur chrétiennes de la France des candidats Zemmour et Le Pen peuvent-ils apporter à la montée de la droite extrême dont le fonds de commerce est le mépris et le rejet de l’étranger ?

Ces questions demandent des réponses spirituelles, inspirées de la Parole du Dieu Transcendant ou de l’intuition du Dieu Immanent. Mais aussi des influenceurs spirituels dont la qualité pallie la rareté et qui veillent à guider le peuple vers le haut, vers l’amour universel et la connaissance par le cœur. Un indien de notoriété mondiale, le noble Gandhi, a eu à un moment critique une influence déterminante sur la politique indienne. Il était fermement opposé à la partition, la séparation déchirante entre hindous et musulmans. Mais il mourut assassiné par un fanatique hindouiste et la voie de la division l’a emporté.

Les guides spirituels indiens incontournables du siècle passé évoqués dans ce blog ont accompli admirablement leur mission dans le contexte dans lequel ils étaient placés. Ils ont montré l’exemple et accompagné leurs disciples et visiteurs dans leur spiritualisation personnelle. Mais cela n’a pas suffi pour éviter les dérives ultérieures de la société indienne. Nous sommes au seuil d’un siècle où les enjeux sont très différents. La pacification des relations avec le monde musulman est cruciale. La nécessité d’appeler les humains à se respiritualiser reste plus que jamais d’actualité face au matérialisme. Mais les politiciens attisent les divisions religieuses. Il faut les contrecarrer.

Pour la masse hindouiste, le musulman est au mieux un retardé à civiliser, au pire un ennemi à abattre. En étudiant l’enseignement des guides spirituels indiens du XXème siècle qui font l’unanimité, on constate qu’ils font très peu référence au Veda et a fortiori au Coran. Or l’amour de nos frères, concitoyens comme étrangers, passe par l’effort de mieux les comprendre, l’ouverture à leur univers de référence, le Coran pour les musulmans. Mais il doit être relu de la bonne manière en écartant ses interprétations sectaires pour pouvoir le rapprocher des Vedas.

Le subcontinent indien historique a longtemps été une lumière spirituelle pour l’humanité. L’Inde dravidienne celle du yoga, de la non-violence, de la créativité artistique, et des sages rishis et l’Inde aryenne des Vedas ont fusionné pour devenir l’Inde des sâdhus et des nobles gurus, l’Inde qui a formé Bouddha. Elle reste le berceau de méthodes très avancées et accessibles à tous pour l’ascension spirituelle individuelle vers la sainteté.

Mais la religion puis la politique ont pris le pouvoir et conduisent ce peuple à l’impasse de l’ignorance et de la haine de l’autre. Aux yeux du monde qui s’inquiète à juste titre, en 2022 l’Inde de Modi a remplacé celle de la lumière spirituelle de Ma Ananda Moyi. Et la France des lumières intellectuelles s’apprête à voter fortement pour l’extrême droite. La situation est grave !

Le réveil spirituel de l’Inde ne peut plus se passer de la Puissance de la Parole universelle qu’il lui faut retrouver

  • En simplifiant les Ecritures hindoues, surtout le Rig Veda des rishis qu’il faut séparer des écrits des brahmanes
  • En construisant l’alliance fraternelle avec leurs frères musulmans pour retrouver le vrai sens du Coran