En Inde, contrairement à l’Occident, la philosophie et la spiritualité sont presque toujours liées. La culture indienne a fait émerger de très grands philosophes, largement méconnus ici. Ils s’illustrèrent à la fois par une vie de dévotion intense (bhakti) et une soif durable de connaissances (jnana).
Au cours de ce dialogue qui prolonge les posts 91 et 92, nous déconstruirons plusieurs préjugés très répandus. Beaucoup voient à tort la piété indienne comme un polythéisme, les guides spirituels comme des manipulateurs intéressés et la philosophie occidentale comme un sommet de la pensée. Or l’analyse scientifique affirme que la grande spiritualité indienne s’est développée depuis les temps préhistoriques dans des conditions particulièrement favorables. Et c’est à partir de leur longue expérience transmise oralement, qu’avec l’apparition de l’écriture, le corpus védique a commencé à se constituer il y a 3500 ans.
Ce dialogue n’est pas un débat contradictoire, mais une réflexion partagée pour trouver des points de consensus et présenter aux lecteurs des points de vue différents sur des sujets spirituels majeurs. Je remercie de tout cœur les participants, connaisseurs ou experts intervenus lors du sommet européen sur le Vedanta. Compte tenu de la qualité de leurs contributions, il m’a fallu diviser le post initial en deux parties (qui restent à compléter) pour leur laisser assez de place d’expression.
1 Préhistoire de l’humanité
Dieu, seul hors du temps, décide de créer, c’est le Big Bang, il y a plus de 13 milliards d’années, considéré par les scientifiques comme le début du temps humain. 380 000 ans après, la lumière jaillit, par décision du Créateur dans la Genèse biblique (Que la Lumière soit !). Puis la matière se dilate, forme des corps stellaires, étoiles et trous noirs, suivant les lois physiques qu’Il a instaurées. Elles permettent à l’Univers de trouver un équilibre propice à la vie sur notre planète. Dieu poursuit son Dessein insondable et insuffle de son Esprit à nos lointains ancêtres, les homos sapiens, il y a presque 50 000 ans (selon le Coran 70/4). Ce sont les « Adam et Eve » de la Genèse.
Dans son livre « l’origine des langues », Merrit Ruhlen fait une synthèse de ce que nous disent les scientifiques. D’après les archéologues, les premières traces de sapiens archaïques datent d’il y a 195 000 ans en Ethiopie, mais leur comportement ne se différencie guère de celui des autres homos. Soudain il y a cinquante millénaires, une rupture culturelle brutale se manifeste. Les artefacts humains, transportés sur plusieurs centaines de kilomètres, utilisent d’autres matériaux que la pierre, ce qui implique des échanges commerciaux, les espaces d’habitation s’organisent, l’art et des rites funéraires complexes apparaissent, la pêche se développe.
Les récents travaux sur le chromosome masculin Y affirment que tous les humains actuels descendent d’un petit groupe d’un millier d’individus. Les études sur le chromosome X montrent que les européens ont 2% de gênes des homos de Neandertal et les tibétains et les aborigènes ont 4% de gênes des homos de Denisova, deux sous-espèces humaines disparues. Les textes sacrés évoquent aussi d’autres types d’humains préexistant aux homos sapiens. L’humanité actuelle est ainsi biologiquement et spirituellement une seule espèce vivante de types physiques diversifiés par sa dynamique démographique et sa dispersion planétaire (cf. le récit biblique de la tour de Babel).
Les Néandertals, apparus il y a 430 000 ans, s’étaient bien adaptés à leur milieu naturel. Ils étaient physiquement plus solides que les sapiens avec un volume crânien équivalent. Ils s’éteignirent il y a quelque 30 000 ans et n’auraient jamais dépassé les 70 000 individus sur un territoire limité qui va de l’Europe à l’Altaï en passant par le Moyen Orient. Leur remplacement total par les sapiens est difficile à expliquer par la science. Elle ne peut qu’émettre des conjectures sur leurs capacités intellectuelles, en particulier le langage, une capacité qui a permis aux sapiens de penser différemment, de se nommer individuellement, et de construire des groupes importants.
Les fouilles récentes convergent pour constater une explosion démographique des sapiens à partir du berceau mésopotamien. On a retrouvé leurs traces il y a plus de 40 000 ans jusqu’en Afrique du Sud et en Australie. Depuis, nous avons colonisé toute la planète. Car le Créateur nous a fait don de capacités qui transcendent tous les êtres vivants : la parole, la liberté, l’individualité, l’amour, la capacité de cocréer.
Daaji qui guide la Ram Chandra mission (cité au post 35) fait un pont entre l’origine de la Création et la spiritualité indienne : « Qu’y avait-il avant la création de l’univers ? D’indescriptibles ténèbres. Puis il y eut un remous, première vibration qui causa le big bang. Ce fut aussi la première manifestation de la conscience, que le yoga décrit comme AUM. Le voile des ténèbres s’effondra, et ce fut la naissance du temps. L’identité individuelle apparut et la conscience, séparée de la Source, connut la peur. L’Être qui existait à l’aube du temps aspirait à s’étendre, ce fut le début du désir, qui commença à croître. Dès lors, on l’appela Brahmane. Il y eut ainsi mouvement ou expansion (karma) et pensée (jnana), et avant ces deux éléments, la connexion originelle avec la Source (bhakti) était là. Tous trois – karma, jnana et bhakti – étaient donc présents depuis l’aube de l’univers, éléments fondamentaux de la vie, inséparables et dépendants l’un de l’autre ».
Les premiers sapiens étaient des pécheurs chasseurs cueilleurs partis en quête de nouveaux territoires pour nourrir leurs groupes en expansion. De la Mésopotamie vers l’Est, ils suivent logiquement les chemins faciles : le bord de mer et les bassins fluviaux. Ils passent par les côtes de l’Iran, arrivent au Pakistan actuel, certains remontent le bassin de l’Indus, d’autres poursuivent vers l’Inde, le Gujarat, descendent vers le Sud avant de remonter vers la vallée du Gange. En se séparant, ces groupes de sapiens vont diversifier leurs communications orales et constituer des familles de langues qui se subdiviseront au fil du temps.
2 Préhistoire des peuples de l’Inde
Les linguistes constatent qu’on trouve dans l’Inde actuelle de petites minorités habitant des zones forestières reculées dans la vallée du Gange parlant des langues munda, assez proches de celles de l’Asie du Sud-Est et de la Nouvelle Guinée. Il est logique de penser qu’ls viennent d’une première vague d’émigration de sapiens dont quelques groupes n’ont pas poursuivi la migration côtière vers l’Est. Les peuples premiers du subcontinent indien ont des gênes des homo de Denisova qui s’étaient répandu du Moyen Orient vers l’Asie et se sont éteints il y a environ 30 000 ans.
Le groupe de loin le plus nombreux de ces peuples premiers est celui de la famille linguistique dravidienne, subdivisée en une trentaine de langues, ce qui confirme son ancienneté. Ils sont arrivés sur le subcontinent il y a environ 40 000 ans, peu après les peuples mundas. Ils y sont restés et l’ont peuplé au fur et à mesure de leur développement démographique. Ils ont peut-être déplacé les peuples munda, mais on observe dans d’autres zones que les groupes de sapiens se sont parfois spécialisés dans la survie côtière et d’autres dans la survie forestière. Dans ce vaste territoire fertile, il est possible que les peuples mundas et dravidiens, encore peu nombreux, se soient croisés sans jamais entrer en conflit meurtrier.
L’écriture marque pour les historiens la fin de la préhistoire. Elle apparaît d’abord en Mésopotamie il y a 5500 ans, puis en Egypte, avant de s’étendre ailleurs pour faciliter le commerce et l’administration. Les fouilles archéologiques des civilisations de la vallée de l’Indus montrent qu’elles se développèrent il y a près de 5000 ans et construisent des villes très organisées comme Mohenjo-daro et Harappa (environ 40 000 habitants chacune). Cette civilisation proche des cultures dravidiennes reste méconnue, son écriture aurait été récemment déchiffrée. Elle semble avoir été une société pacifique et peu hiérarchisée, centrée sur l’agriculture et le commerce.
A la même époque débute l’invasion brutale par le Nord de peuples dont les langues font partie de la famille indo-européenne. Ces nomades des hauts plateaux arrivent d’abord en Iran et cinq siècles après en Inde et imposent par la force leurs religions sacrificielles. Ils sont à l’origine du vieil avestique et du sanscrit ancien, très proches, dans lesquels ont été consignés les Gathas de Zarathoustra et le Rig Veda. Zarathoustra appelle à abolir les sacrifices sanglants, mais les brahmanes les perpétuèrent. Au Nord, les peuples premiers furent décimés ou asservis. Les dravidiens beaucoup plus nombreux sont cependant restés largement majoritaires au Sud de l’Inde.
Dans leur immense territoire riche en nourriture pour des pêcheurs chasseurs cueilleurs, les dravidiens ont pu assumer leur développement démographique sans avoir à guerroyer, sans palais et forteresses et ont laissé peu de traces archéologiques dans leur pays. A l’inverse au Moyen Orient où les hommes n’ont cessé de lutter pour les territoires et développer des armes, des rois guerriers, des scribes à leur service pour taxer leur population et des divinités à implorer pour les victoires guerrières. Le contexte dravidien leur a donc permis de développer des civilisations orales pacifiques et facilité la vie des individus se tournant vers la spiritualité et la Lumière intérieure.
On vient de découvrir que, contrairement à ce qu’on nous a toujours dit, les premiers homos sapiens du continent américain sont arrivés il y a plus de 20 000 ans via la Nouvelle Guinée, des hommes proches des papous, très différents des sibériens et des européens arrivés beaucoup plus tard. La « civilisation » américaine s’est donc développée du Sud au Nord et les américains à la peau foncée ne sont pas que des descendants d’esclaves déplacés d’Afrique par les colons européens !
De la Chine, à l’Amérique du Sud, la peau claire est injustement associée aux classes sociales élevées. Lors de mes voyages en Inde, on me parlait du décalage entre l’Inde du Nord, plutôt surpeuplée et violente et l’Inde du Sud dont les habitants à la peau sombre étaient plus paisibles. L’histoire longue éclaire une situation plus complexe. Ce sont le climat, le mode de vie et la nourriture qui expliquent la peau plus foncée des peuples du Sud de l’Inde, mais leur culture n’a rien à envier à celle des indoeuropéens dont les français font partie.
L’analyse scientifique rapidement évoquée ci-dessus s’appuie sur la linguistique, la génétique, l’archéologie et la dynamique migratoire. Pendant plus de 30 000 ans les peuples dravidiens constituèrent l’essentiel de la population du subcontinent indien, de la vallée de l’Indus à celle du Gange et jusqu’au Sud. Cette population nombreuse vivait sur des terres vastes et riches en nourriture, isolés des invasions. Ils ont développé une grande spiritualité orale à partir des expériences vécues et transmises par leurs nobles gurus dont l’histoire n’a pas toujours gardé les noms et fait de l’Inde une lumière pour l’humanité.
Les envahisseurs indo-européens se sont sédentarisés en se concentrant sur la vallée du Gange et enrichis par l’agriculture, l’artisanat et le commerce. Ils ont constitué des élites sociales dans une logique de castes pour asseoir leur pouvoir. Au contact d’une civilisation plus avancée que la leur au plan spirituel, ils se sont lentement bonifiés. Il leur a fallu plusieurs millénaires pour se libérer de la religion sacrificielle et magique dont le corpus védique porte les traces. Ils ont ensuite développé au premier millénaire des écoles philosophiques n’ayant rien à envier aux grecs ou aux musulmans, élaborées dans un relatif isolement civilisationnel. Jusqu’à l’arrivée des conquérants musulmans et européens qui ont abruptement déstabilisé la société qu’ils dominaient.
Leurs langues évoluèrent au contact des dravidiens et ils élaborent le sanscrit. Voici ce qu’en dit Ram Chandra (post 12) : « Les rishis, les sages védiques demeurèrent en quête de Cela dont ils percevaient le son, ce son entendu dans le Rig Veda lus lors des cérémonies. Pour communiquer et se comprendre mutuellement, les sages remuaient la langue selon ce qu’ils sentaient, ils ont écrit dans cette langue en sentant chaque vibration et ont commencé à l’appeler « sanscrit » (divin). La maîtrise du sanscrit restera limitée à une minorité d’érudits ».
3 La genèse des Ecritures indiennes
Antoine : Satya, votre guide spirituel Śrī Tathāta, a communiqué un message reçu sous inspiration qui fait penser à la manière dont des rishis ont transmis les versets du Rig Veda.
SK : « Les rishis ont donné une interprétation universelle des Vérités supérieures, en extrayant l’essence et les transposant sur le plan de la vie et du monde. L’essence et le savoir des Vedas sont contenus au sein de Satta ou l’Âme suprême, mais dans un langage éthérique qui est au-delà de tous les mots. Si les rishis ont été capables de les traduire en un idiome compréhensible de noms et de formes, c’est parce qu’ils étaient en mesure de se tenir dans une position centrale entre l’Âme Suprême et l’univers créé». Ainsi les grandes vérités sont présentes dans les plans supérieurs dans une semi forme, bien au-delà des mots et peuvent descendre en mots avec l’aide de grands êtres inspirés, avec des formes variées selon l’époque.
Antoine : Ou par des messagers et prophètes. Il y a eu beaucoup de controverses dans le monde musulman sur l’existence auprès de Dieu d’un Livre intemporel dont serait issu le Coran transmis par l’ange Gabriel. Le sage imam Oubrou nous dit « Cette parole (du Coran) est divine mais il ne s’agit pas d’une parole ontologique, puisque la parole ontologique de Dieu est inaccessible, il s’agit d’une traduction d’une pensée divine dans un langage humain. Dieu ne cesse de communiquer avec l’homme. Il y a un autre langage, un autre livre, celui qui nous parle de l’intérieur. Il nous montre ses signes dans les horizons mais aussi en nous-même… Lumière sur lumière, la lumière de la révélation qui s’ajoute à la lumière intérieure, l’immanence et la transcendance ».
L’apparition de l’écriture est un artefact civilisationnel mais pas un marqueur spirituel. Elle facilite le rayonnement des saints mais ne les crée pas. De nos jours, il y a beaucoup de guides spirituels indiens (comme de grands joueurs d’échecs ou de scientifiques) qui sont par leur apparence plutôt d’ascendance dravidienne et relaient leur immense héritage. Le métissage culturel de l’Inde a permis à d’autres personnalités lumineuses à la peau claire comme Ma Ananda Moyi d’émerger. Le partage des langues et l’assouplissement du système des castes a brisé les barrières sociales. On peut donc parler d’une population de l’Inde composite et spirituellement fertile du Nord au Sud.
Le Rig Veda a été écrit en sanscrit ancien, longtemps confisqué par les érudits brahmanes, et date d’environ – 1 500. Il incorpora une transmission dravidienne très ancienne. Ensuite ont été écrit les trois autres Vedas qui me semblent dans leur quasi-totalité des textes concoctés par les prêtres, puis d’autres écrits davantage destinés au peuple. Enfin viennent les philosophes des Upanishads qui closent la sruti. Le célèbre Tat tvam asi de la Chandogya Upanisad, écrite à l’époque du Bouddha, reprend des idées préexistantes débattues ensuite avec le sanga bouddhiste.
SK : Pour les Upanishads, oui il est possible voire probable qu’il s’agisse de mise en forme à un moment d’enseignements verbaux de certains maitres, de certaines écoles philosophiques, restés sous une forme flottante pendant très longtemps.
Antoine : Plus tard apparaissent les écrits de la smriti, en particulier le Ramayana et le Mahabharata. Leur écriture fut remaniée pendant des siècles, au-delà de l’époque chrétienne. Il y est difficile d’y distinguer le mythe de l’histoire réelle transmise (comme le Déluge) par mémoire orale. Dans la Bhagavad Gita, Krishna demande à Arjuna de ne pas s’attacher aux résultats de ses actes, mais de s’acquitter de son devoir. La libération n’interviendrait qu’après des réincarnations successives déterminées par un comportement approprié à la couche sociale de naissance. Or l’idée de réincarnation ne figure pas dans le Rig Veda.
4 La smriti et la Bhagavad Gita
Antoine : La Gita cautionne la domination sociale des brahmanes et des guerriers. Krishna y dit : Je suis le temps qui va broyant les mondes, engagé à présent dans la résorption des êtres. Sans même que tu interviennes, ces guerriers bientôt ne seront plus. Ressaisis-toi donc et pars à la conquête de la gloire. Tes ennemis une fois vaincus, ton règne sera prospère. Tous je les ai d’avance. Tu ne seras dans ma main qu’un instrument, ô Arjuna.
Dans son blog (https://www.daaji.fr/le-coeur-de-la-gita/), le guide spirituel actuel de la SRCM affirme suite à une intercommunication avec Babuji, (décédé en 1983), que seuls 7 slokas de la Gita ont été prononcés dans le contexte du champ de bataille. Cette information n’est probablement pas acceptable pour d’autres lignées védiques, mais ces différences dans les enseignements sont vécues dans la tolérance mutuelle. C’est ce qui fait la grande richesse des spiritualités indiennes. Nitaï, vous avez par votre itinéraire spirituel, une très bonne connaissance de la Gita et de son interprétation spirituelle et philosophique par le swami Prabhupada.
Nitaï : Libre à quiconque d’extraire seulement ce qui lui convient des Textes sacrés, cela ne diminue en rien leur contenu. Les paroles de Krishna dans la Gita ont donné lieu à de multiples interprétations, tant mieux, c’est bien la preuve qu’Il n’a pas parlé pour rien dire. Or 5000 ans après on en parle encore ! On peut difficilement imaginer que les mémoires de politiciens actuels, transmissibles de génération en génération, survivront plus de quelques dizaines d’années.
Antoine : La persistance des grands textes sacrés s’étale sur des millénaires. Je me suis longtemps demandé si Rama et Krishna furent des hommes historiques auréolés d’une légende dorée ou sont de purs mythes. J’ai tendance à penser maintenant qu’ils ont réellement vécu. Vous situez sa vie dans la vallée du Gange à une époque où les indo-européens n’étaient pas encore arrivés et où les dravidiens avaient peut-être commencé à fonder des villes avec les rivalités de guerriers que cela implique. Les représentations de Krishna le montrent avec un teint plutôt foncé. Sa réalité historique comme guide spirituel dravidien est donc plausible.
Nitaï : Selon Son bon vouloir, Il choisit d’apparaître en ce monde à intervalles réguliers. Yada yada hi dharmasya (Bhagavad Gita 4,7) : « Dès que la spiritualité connaît un déclin et que la masse des gens sombre dans l’irréligion, J’apparais personnellement ».
Antoine : C’est le concept d’avatar qui apparaît dans les Upanishads. Il rappelle un peu la manière dont Jésus est perçu par les chrétiens. Marc, je crois que pour vous aussi, la Gita est une référence majeure ?
Marc :
Antoine : Et pour vous, Jean Christophe ?
JCP :
5 La vie spirituelle en Inde
Antoine : Nitaï, dans nos échanges oraux, vous avez évoqué votre sensibilité à la beauté des hymnes védiques que vous pouvez chanter dans le texte sanscrit. Comme beaucoup de voyageurs, j’avais été impressionné lors de mes voyages en Inde du Sud par la beauté artistique : architecture, sculptures, peintures et danses du Kathakali. L’art est-il une porte d’accès privilégiée aux spiritualités indiennes ?
Nitaï : L’art, la danse, la musique, l’architecture, etc. connaissent leur apogée dans le sacré. Krishna est représenté dans les milliers de formes qu’on Lui prête, statues, peintures, représentations théâtrales, thèmes de danses et chants traditionnels. Car l’exaltation du compositeur ou du créateur accroît en fonction de son abandon à la volonté divine du Créateur Suprême. Plus il se laisse porter par son intuition créatrice, plus il se rapproche de l’Ame Suprême, Dieu dans le cœur de chacun. Yad yad vibhutimat sattvam (Bhagavad Gita 10,41) « Tout ce qui est beau, puissant, glorieux éclot d’un simple fragment de Ma splendeur ».
Antoine : Jean Christophe, êtes-vous allé assez plusieurs fois en Inde ? Quelle impression en avez-vous retiré ?
JCP :
Antoine : Qu’en est-il pour vous, Marc ?
Marc :
Antoine : Dans mes expériences de l’Inde, j’ai trouvé entre guides spirituels hindouistes du respect mutuel et pas de tentatives de réfuter les autres. Viennent à eux qui le souhaite, les visiteurs sont libres de partir. C’est une attitude de tolérance qui manque parfois dans les religions du Livre.
Nitaï : Que j’aie un guru ne m’empêche pas d’en avoir 24, voire plus. Plus on apprend à écouter autrui en considérant cette personne d’un point de vue spirituel, plus il est facile de se comprendre, d’être tolérant. On a beaucoup à apprendre des autres sur le chemin de la vie.
JCP : L’Inde a toujours fait preuve d’ouverture et de tolérance par rapport aux autres religions. Cette attitude est unique dans le monde.
MB : La tolérance religieuse concerne la foi, les idées et les pratiques. On peut accepter la foi chrétienne parce qu’elle ne remet pas en cause la foi en Vishnu ; mais est-ce vrai ? La transcendance du christianisme est-elle exportable en Inde ? Cela n’est pas du tout certain. On peut tolérer certaines idées, parce qu’elles relèvent de la spéculation abstraite, mais est-ce si simple ? L’hindouisme enseigne que le monde existant est le corps du dieu suprême, ce que le christianisme ne peut pas accepter. Enfin, on peut refuser certaines pratiques, parce qu’on les juge contraires aux textes.
La question de la tolérance est complexe. L’hindouisme universaliste de Vivekananda est une chose remarquable, mais tous les brahmanes ne sont pas tolérants. Il est vrai que le jaïnisme s’est conservé en Inde, surtout dans le Gujarat et le Rajasthan, mais il ne faut pas oublier que le bouddhisme est chassé de l’Inde à partir du XI ou XIIe siècles par les invasions musulmanes et peut-être avec la complicité des brahmanes.
Antoine : Selon moi, le bouddhisme était depuis longtemps marginalisé quand l’islam s’est répandu en Inde par diffusion pacifique du Coran dans le Sud par les marchands arabes, et plus tard par l’oppression brutale du sultanat de Delhi (post 6). Cette oppression, injustifiable quand on respecte la lettre et l’esprit du Coran, a créé une faille entre les musulmans et les hindous que les anglais ont attisée pour garder le pouvoir. Elle marque encore la société indienne où les violences de masse entre groupes d’hommes peuvent être incontrôlables et où la femme, faiseuse de paix a un rôle encore trop effacé. Faudra-t-il encore quelques générations pour que les cicatrices du passé soient transcendées ?
MB :
Nitaï :
Antoine : Pour beaucoup de français, dans une société de plus en plus déspiritualisée, le subcontinent indien reste une exception qui les attirent. L’Inde aide beaucoup les hommes en recherche spirituelle qui y convergent parfois pour une courte visite, parfois pour des voyages répétés.
JCP :
MB :
Nitaï :
Antoine que je connais depuis quelque temps m’invita il y a peu à participer à son Blog des Porteurs de la Parole. Je pourrais dire qu’il est un « quêteur de Vérité » et rêveur d’un monde meilleur, en essayant de découvrir par analogies les connexions spirituelles entre les différents continents, les différentes sources mésopotamiennes, abrahamiques, asiatiques, et européennes. Chrétiennes aussi pour tout dire, vu le rejet historique phénoménal, incompréhensible du Coran pendant mille ans, oui MILLE ANS, par cette chrétienté catholique. Un fossé, ou abysse qu’il essaie d’enjamber. La première traduction du Coran en « françois » (Al Qoran) par le Sieur André de Ryer c’est en 1647 ! MILLE ans après l’Hégire !
Je ne suis pas complétement néophyte j’ai lu dans ma jeunesse la Bhagavad-Gita, ce poème épique, « chant du Bienheureux » ou « Chant du Seigneur », et avais été très très ému de ce dialogue « intérieur » entre Arjuna et Khrisna. Il m’en reste des émois, une communion indicible avec cette Parole.
Louange à vos intentions dans ce dialogue, mais ne seraient-elles pas trop simplificatrices de l’esprit et du temps en collant à la forme, à nos représentations « ordinaires » du monde ?
Antoine démarre son sujet avec le Big-Bang, une représentation qui « paraît » faire consensus, mais est-elle bien la réalité pour autant ?
L’inventeur de l’expression Big Bang, c’est Fred Hoyle, lui-même astrophysicien. Son expression était clairement ironique car il ne croyait pas dans cette théorie, il la récusait.
Je suis d’accord avec lui pour dire que « l’Univers ne s’est pas créé lors d’un événement mythique : il est alimenté en permanence par la nouvelle matière.
Une part de nous-mêmes ne peut s’empêcher de faire des représentations du monde, qui ont varié au fil de l’histoire. Les cosmogonies antiques, ou actuelles cosmologies, ne sont rien d’autre que nos représentations du monde. Des vues de l’esprit pourrait-on dire, nécessaires, mais qu’il nous faut relativiser pour laisser la place à l’imagination, comme celle de Castaneda dans ses livres.
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