Mon ami Armand Phares, côtoyé lors de nos études à l’INSEAD, a écrit en 2018 : Au « non » de Dieu, un essai dense qui fait en quelque sorte une synthèse de la longue vie d’expériences et de réflexions d’un libanais catholique. Je lui ai proposé d’écrire un post de dialogue avec l’auteur, un dialogue amical mais réfléchi. C’est toujours un challenge pour votre bloggeur de travailler sur un essai spirituel dense, ce genre de livre que j’aime lire, car il faut à la fois analyser son contenu et m’imprégner du parcours de vie et de la pensée de son auteur.

AP 00 (AP : Armand Pharès) : Bonjour Antoine, le dialogue que tu me proposes est une occasion précieuse de clarifier ma pensée. Je t’en remercie.

Je suis libanais, né à Beyrouth en 1949, naturalisé français en 2001, chrétien, de confession grec-catholique melchite. Je vis ma foi chrétienne comme un patrimoine culturel qui m’a été confié et me donne des racines dans une communauté à laquelle je suis fier d’appartenir. Par contre, je ne cherche pas à défendre le DIEU de ma foi, ni à le comparer aux révélations que d’autres humains disent avoir reçues de Celui qu’ils appellent DIEU.

AB : Nous partageons avec Armand, comme avec Gilles, coauteur de notre livre « Entends Homme », la foi en Dieu et dans l’Evangile de Jésus, mais nos convictions sont très différentes, les miennes ne sont « pas très catholiques ». L’auteur a été toute sa vie un lecteur insatiable à en juger par sa bibliographie et les références innombrables qui parsèment ses pages. Ma culture n’est pas aussi vaste que la sienne, car dans la vie spirituelle, je fus plutôt un homme de prière et de terrain. Parle-nous de tes convictions.

AP 01

  • Certes, je fais référence dans beaucoup de passages de mon livre à des paroles de Jésus, à des textes du Nouveau Testament, à l’enseignement de l’Église catholique. Mais à aucun moment, je ne mets en avant ma foi chrétienne comme une « solution absolue » du sens. Je ne cherche même pas à « réconcilier » les monothéismes entre eux. A chacun de dire sa foi comme il l’a reçue de ses ancêtres et je ne me permets, en aucun cas, de récupérer la croyance des « autres » pour lui faire dire ce qui « m’arrange ».
  • C’est étonnant que tu me décrives principalement comme un « lecteur insatiable » et que, de ce fait, je suis en opposition à « l’homme de prière et de terrain » que tu es.
  • La prière et l’action ont toujours été intimement liées dans ma vie. Comme je l’explique au chapitre 7 intitulé « Le Bon », les règles de discernement des esprits sont à la base de toute vie spirituelle mais aussi de tout engagement dans l’action.
  • J’ai été un homme de terrain dès avant mon entrée à l’INSEAD et, bien sûr, après ma sortie de l’INSEAD en juillet 1977 :
    • Chef d’entreprises dans le domaine de la santé : une trentaine de salariés au départ et jusqu’à plus de 300 à partir de 2016.
    • Je me suis engagé fortement dans l’action associative et collective depuis 1986 :
      • Membre fondateur du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprises libanais (RDCL) et son président pendant 9 ans (1987-1989 ; (2000-2006).Président du syndicat des importateurs de médicaments pendant 31 ans (1988-2019).Membre fondateur en 2006 de l’association Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC) – Liban et son président de 2010 à 2014. Membre fondateur « Forum Islamo-Chrétien des Chefs d’Entreprises » (MA’AM) et son Vice-Président depuis 2011. Association co-organisatrice avec UNIAPAC (Union Internationale Chrétienne des Dirigeants d’Entreprise) de la « Conférence de Beyrouth » les 25 et 26 mars 2013 sur le thème « La finalité humaine de l’économie ».
      • Vice-Président du Forum Francophone des Affaires (FFA) depuis l’année 2000.

AB : Je parle de toi comme un grand lecteur par rapport à la bibliographie considérable référencée dans ton livre. Je parle de moi comme un homme de terrain au niveau de la vie spirituelle parce que je ne me limite pas à étudier les textes sacrés des religions. Je partage leurs prières et vais dans les rues de Bordeaux et de Paris à la rencontre des passants qui s’arrêtent pour dialoguer avec moi sur le sujet de Dieu. Je ne cherche pas à convaincre quiconque de mes idées religieuses : je ne suis affilié à aucune religion humaine.

Dans le dialogue du post 103, ma difficulté était mon ignorance de la programmation informatique, une discipline centrale dans le livre de Jean-Loup. Le décalage de connaissance avec Armand est ma faible connaissance du Liban. Ce pays n’est pas au centre de son livre, mais j’aimerais parler aussi de l’avenir de ce pays cher à beaucoup, même ceux qui n’y sont jamais allé, et auquel j’ai consacré les posts 96.

AP 02 : La lecture de mon essai ne demande pas une connaissance du Liban. Le Liban y est mentionné pour apporter l’éclairage de mon engagement individuel et collectif à la construction du Bien Commun dans mon pays, le Liban.

En particulier, les chapitres 8 « Richesse et pauvreté », 9 « Le Juste », 10 « Le Bien » et 14 « Laïcité et religions (une Espérance) ».

AB : Effectivement, c’est moi qui ai souhaité parler du Liban car c’est un pays qui me tient à cœur et que, selon moi, les divisions et concurrences entres religions institutionnalisées ont ravagé. Le sous-titre du livre est attirant : « Essai pour un apprivoisement du Non Être et une réconciliation durable des humains entre eux », un objectif que nous partageons. Mon problème de lecteur fut le décalage de terminologie et de concepts avec son auteur qui fera l’objet du premier chapitre. Car en lisant ce titre judicieusement choisi pour attirer l’attention, je pensais qu’un auteur libanais pensait au « Non ! » que Dieu oppose aux malversations et horreurs que commettent les religions en Son Nom. Je me trompais.

AP 03 : Tu as raison. Je n’ai pas voulu adresser un « Non » venant du « dénommé Dieu par mes frères humains » pour leur dire que le-dit-Dieu s’opposait aux malversations et horreurs qu’ils commettaient en Son Nom. Qui suis-je pour leur dire ce que Dieu veut ou ne veut pas ? Par contre le « Non » que j’attribue au-dit-Dieu est en fait l’obligation que doit avoir l’homme de reconnaitre que ses tentatives de recherche de sens (qu’il nomme Dieu ou autre chose) se heurtent nécessairement au « Non » de ce même sens, une fois « découvert par eux ». Parce qu’effectivement, l’objet de notre recherche de sens est condamné à être « inaccessible », « insaisissable », dans le sens que nous ne pourrons jamais « le rendre opposable aux autres » de façon absolue.

AB : Le mot Dieu couramment utilisé en français, est d’origine gréco-latine, un contexte de paganisme. Je le relie au Dieu Qui a parlé par des prophètes d’Adam à Muhammad ou au Dieu Immanent.

1 Non-Etre, gravité et grâce

Antoine Bastien (AB) : Commençons par ton concept déroutant du Non-Etre. Or le Créateur, lors des théophanies du Sinaï, dit JE SUIS. Cette expression est également utilisée dans les messages plus récents de 1977 et 1997 évoqués dans mon blog au post 77. Donc pour moi, et je ne suis pas le seul, Dieu est l’Existant Absolu, Il EST. C’est à l’origine de cet argument philosophique un peu fumeux de la preuve ontologique de l’existence de Dieu. Je pense que tu es conscient de cette première difficulté sémantique ?

AP 04 : Le point de départ de ma réflexion est l’humain : sa « conscience » de ce qui « est », de ce qui « n’est pas », sa recherche de « sens » telle qu’elle s’est manifestée dans toutes les communautés humaines depuis la nuit des temps…, son expérience de la gravité (aujourd’hui j’utiliserai plutôt le mot pesanteur) …, son expérience de la grâce.

Les termes que j’utilise dans mon essai et tout particulièrement ceux d’Être, Non-Être, Recherche de sens, Gravité (Pesanteur), Grâce, sont bien définis dès le 1er chapitre de mon essai et ne font aucune référence ni à la philosophie grecque ni aux révélations des monothéismes développés par le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam.

Dans l’introduction je dis page 16 :

« Qu’il me soit permis, au nom du seul droit de penser librement, d’utiliser, à ma façon, et au mieux de ce qu’ils m’ont inspiré, des mots empruntés à des concepts philosophiques et théologiques complexes qui ont certes occupé des siècles de discussions et de polémiques acerbes, mais qui ont aussi été largement utilisés par les pouvoirs successifs en place, pour asseoir leur emprise sur leurs adeptes. »

Je te demande donc ainsi qu’aux lecteurs de ton blog d’être bienveillants et d’accepter ces termes tels que je les définis sans les comparer aux mêmes termes déjà utilisés par les philosophes et les théologiens. Je suis conscient que certains pourraient refuser d’accepter de suivre mon raisonnement à partir des termes tels que je les définis. C’est leur droit aussi.

  • « L’Être » englobe ce que les sens et la raison des humains sont arrivés, à travers les âges, à saisir, décrire expliquer, de façon limitée, progressive et jamais complète. J’ajouterai : c’est le domaine infini de la connaissance. Ce domaine grandit au fur et à mesure que l’humain comprend davantage… sans jamais arriver à TOUT comprendre…
  • « Le Non-Être » se présente à nous, individuellement et collectivement, comme l’infinité des états dans lesquels nous ne sommes pas et ne serons jamais… mais aussi à travers ce que notre raison, notre savoir, nos mots, nos mythes, nos rêves … ne peuvent ni définir ni saisir, ni cerner, ni empaqueter, ni manipuler, ni posséder, ni récupérerdans une alternance infinitésimale et infinie avec l’Être. J’ajouterai : ce que l’humain n’arrive pas à percevoir complètement et qui grandit lui aussi au fur et à mesure que l’humain comprend davantage…

AB : La difficulté est d’abord de bien comprendre ta pensée complexe. Je précise que tu as un doctorat en mathématiques, ce qui impacte évidemment le sens que tu donnes aux mots à connotation scientifique comme infinité et infinitésimal. Tu cites aussi la poétique de Platon. Dans le domaine du sacré, ma conviction profonde est celle de la non-dualité très bien exposée dans les sutras de Bouddha. Ainsi, la distinction entre le Dieu Transcendant et le Dieu Immanent, chère aux philosophes, comme la distinction entre le Nirvana et le Samsara est une simple étape de pensée. Je traduis dans mon petit cerveau ton Non-Être par Le Transcendant. Et l’alternance que tu évoques Non-Être et Être par celle entre Transcendance et Immanence du Créateur.

Je tombe intuitivement sur un premier problème de décalage majeur que nous développerons par la suite : celui entre les messagers et prophètes et les doctrines religieuses. Quand Moïse transmet la Torah, Jésus l’Evangile et Muhammad le Coran, révélés par JE SUIS, ils sont pour moi le relais en mots humains de l’Enseignement inspiré par l’Etre suprême qui dès la génération adamique a fait de nous des êtres parlants.

Mais après eux, des religions s’installent avec leurs innombrables doctrines et je les classerais plutôt dans un Non-Etre fumeux qui obscurcit la Lumière des Révélations. Mais pour toi, où se situe cette expérience des prophètes qui transmettent ? Nous ne pouvons vivre ce qu’ils ont vécu, ce qui les placerait dans le Non-Etre, mais leur enseignement original nous a été transmis, plus ou moins déformé, ce qui les placerait dans l’Etre ?

AP 05 : Tout en respectant tous les témoignages (écrits et autres) des humains qui nous ont précédés depuis des milliers d’années, je suis obligé de reconnaitre l’immense diversité des approches du nord au sud et d’est en ouest. Je les respecte toutes parce qu’elles sont toutes issues d’humains qui sont égaux entre eux, parce que dépositaires – à égalité – du même don qu’est la vie. C’est à l’écoute de tous nos ancêtres que nous, humains d’aujourd’hui, pouvons aller de l’avant sur le chemin de la recherche de sens.

La « recherche de sens » :

  • Tout en développant sa perception/connaissance de l’Être, l’humain – depuis les débuts et dans toutes les régions/civilisations – cherche continuellement un sens à son aventure au sein même de cette dialectique qui le tiraille Être/Non-Être plus ou moins consciemment.
    • L’humain a beau dire qu’il « entend des voix de l’Au-delà » … Pour moi, ces « voix » sont, avant tout, la création de l’humain au contact permanent de l’Être et du Non-Être.
    • Toutes les religions/croyances ainsi que les idéologies athées sont autant de « recherche de sens ». Je les décris aux pages 147 à 170, sous le titre « une brève histoire de la Grâce » :
      • L’animisme
      • Les civilisations précolombiennes
      • Les grandes mythologies
      • Les religions asiatiques non monothéistes
      • La Gnose
      • Les trois monothéismes nés au cœur du Proche-Orient
      • Le mysticisme et la théologie négative
      • L’ésotérisme
      • Les mouvements spirituels du XXe siècle
      • La techno-religion : le transhumanisme
  • Sans oublier les philosophies athées ou agnostiques de l’histoire, Le marxisme et la lutte des classes, les nihilismes anarchiques et autres …

« Systèmes de croyance »

  • Pour faciliter notre dialogue, j’ajouterai le terme de « système de croyance » pour désigner toute religion, idéologie athée, vision du monde, paradigme, parcours existentiel … et autres conceptions… qui proposent des réponses à l’interrogation du sens ou du non-sens de la vie, que ces croyances se disent « révélées par un au-delà » ou non.
  • Ces « systèmes de croyance » ont les particularités suivantes :

Leurs messages peuvent contenir :

  • une promesse d’un jugement ultime et un au-delà meilleur (Paradis/Enfer….),
    • une utopie réalisable ici-bas (la dictature du prolétariat ou celle plus récente de l’Intelligence Artificielle),
    • une harmonie avec l’univers (les croyances animistes ou même asiatiques)
    • une affirmation nihiliste anarchique
    • ou toute autre promesse à venir (les débats/combats idéologiques et souvent sectaires tels que ceux en faveur de la protection de l’environnement… et autres sujets qui engagent l’avenir de l’humanité…)

Ils ont en commun, généralement, des « référentiels de valeurs » qui aident leurs adeptes à cohabiter pacifiquement avec les autres « systèmes de croyance » sous un même toit … dans une même cité.

Par contre, souvent, pour ne pas dire toujours, ces « systèmes de croyance » imposent à leurs adeptes des « référentiels de comportement au quotidien », visibles par les adeptes des autres « systèmes de croyance » (habits, voiles, burkas, symboles extérieurs, prières, rituels, types de nourriture etc…). Dans les sociétés plurielles, ces « référentiels de comportement au quotidien » renforcent certes l’unité « physique/identitaire » des adeptes d’un même « système de croyance », jusqu’à se heurter, directement, aux « référentiels de comportement au quotidien » que pratiquent les adeptes des autres « systèmes de croyance ». Ils deviennent, alors, la cause de conflits sociétaux qui ne peuvent être surmontés qu’à la condition que tous les « systèmes de croyance » coexistant dans une même société plurielle adoptent la même approche vis-à-vis de leurs « référentiels de comportement au quotidien », à savoir : aucun d’eux n’est en droit d’imposer aux autres un système socio-économico-politique basé sur la distribution de privilèges/faveurs « au prorata du nombre d’adeptes de chaque « système de croyance ». C’est là que doit se construire une laïcité à la fois respectueuse des « référentiels de valeurs » de chaque « système de croyance » et réconciliatrice à travers le dépassement des « référentiels de comportement au quotidien » propres à chaque « système de croyance » et l’intégration de TOUS au sein de l’identité socio-économico-politique qui les unit. Il s’agit, pour tous les « systèmes de croyance » d’une société plurielle, de dépasser leurs « référentiels de comportement au quotidien » pour construire avec tous les autres « systèmes de croyance » de cette même société leur « bien commun » / « vivre ensemble ici et maintenant » qui fait leur unité. D’ailleurs, ce « bien commun » / « vivre ensemble ici et maintenant », ne revêtira jamais un aspect définitif et restera, en permanence, objet de négociations au sein de la cité (polis) plurielle.

Le « Non » du sens :

  • Et pourtant, que ces « systèmes de croyance » proposent un au-delà meilleur, une utopie réalisable ici-bas, ou une affirmation nihiliste anarchique, toutes leurs tentatives de réponse à la recherche de « sens » que l’humain – n’importe quel humain, croyant, athée, agnostique, anarchique… – donne à son existence, contiennent en leur sein leur propre inaccessibilité, une sorte de « Non » du sens.
  • C’est que le « Non-Être » se présente aux humains, individuellement et collectivement, comme l’infinité des états dans lesquels ils ne sont pas et ne seront jamais… Il se présente aussi à travers de ce que leur raison, leur savoir, leurs mots, leurs mythes, leurs rêves … ne peuvent ni définir, ni saisir, ni manipuler, ni récupérer… dans une alternance infinitésimale et infinie avec l’Être.

AB : EN utilisant le mot adepte, tu fais donc référence à un groupe humain dont les différentes convictions ont été homogénéisées et nivelées pour entrer dans le cadre d’un système de croyances. Le religion est le modèle le plus connu dans lequel on peut faire entrer par exemple le positivisme de Comte ou le communisme de Marx.

Ici intervient une différence cruciale entre nous. Je respecte nos ancêtres mais je les écoute pour comprendre leurs erreurs, que ce soit dans leurs idées scientifiques ou dans les doctrines religieuses qu’ils ont développées. De plus, ma conviction sur les prophètes et messagers est que les voix de l’au-delà dont ils témoignent ne sont pas la création « de l’humain au contact permanent de l’Être et du Non-Être ». C’est la résultat de la Volonté souveraine du Créateur de parler à l’homme avec qui il a décidé de partager cet Attribut de la Parole. Toute la difficulté est de distinguer un Message du Créateur d’une illusion de l’esprit humain. Dans cette discipline de discernement que je me suis donnée tout au long de ma recherche spirituelle, je n’adhère à aucun « système de croyance » et revendique la liberté absolue d’interprétation des Messages que ma foi situe, à tort ou à raison, dans la continuité des prophètes et messagers. Je partage avec toi se souci général de trouver ensemble par négociation fraternelle où se situe le Bien commun dans une situation donnée.

L’autre notion moins importante, mais contre-intuitive pour moi est celle du chapitre 5, la gravité. La gravitation est pour les scientifiques un sujet de perplexité et de discordances théoriques. Je donne au mot gravité un sens spirituel positif en l’opposant à la futilité. Au sens commun, c’est la qualité de quelqu’un qui considère les choses avec sérieux, mais on parle aussi de la gravité d’une faute chez les juristes et les théologiens. Tu associe aussi ce mot aux guerres, je dois donc toujours le comprendre au sens péjoratif dans ton livre ?

AP 06 : Je te renvoie au paragraphe 6 du chapitre 1 où je dis :

« Dans le cadre de ma réflexion, j’utilise le mot « gravité » pour exprimer les diverses forces qui contraignent la réflexion et l’activité des humains, dans leur perception de l’Être, à une dimension matérielle, « terre-à-terre ».

Je l’oppose au mot « grâce » que j’utilise pour exprimer les mouvements qui animent les humains, dans leur perception du Non-Être, pour les élever « au-delà » de la matière visible, palpable et saisissable. »

Aujourd’hui à la place du mot gravité, je préfère utiliser celui de pesanteur. Par contre, je continuerai à utiliser le mot « grâce ».

AB : Le mot pesanteur est mieux, sa connotation est négative.  Je ne sais si tu penses au livre « Pesanteur et Grâce » d’une grande âme, Simone Weil ? Je ressens, à tort ou à raison, cette notion de Grâce comme influencée par les théologies chrétiennes de la Grâce développées en particulier à partir des théories contestables de Paul de Tarse.

AP 07 : De nouveau je répète que je ne rattache ma réflexion à aucun des concepts philosophiques ou théologiques qui m’ont précédé… En toute humilité, je prétends avoir le droit de dire ce que j’ai expérimenté dans ma vie personnelle. Ni Paul de Tarse, ni Augustin, ni Thomas d’Aquin ni le nombre infini d’hommes et de femmes ayant rédigé ou cherché à comprendre les Écritures saintes, n’ont l’exclusivité de la réflexion sur le « sens » de l’aventure humaine.

Au nom de ce droit que je m’attribue, j’appelle ceux qui me lisent d’abandonner, le temps d’une lecture, toutes les affirmations dogmatiques révélées ou pas… pour me suivre vers une « réconciliation durable des humains entre eux ». Cette réconciliation ne peut se faire qu’à la condition que toutes les recherches de sens acceptent qu’elles soient toutes confrontées à une « limite » un « Non » qu’ils ne peuvent jamais dépasser sans devenir idolâtres !!!

La réconciliation des humains doit se faire dans la recherche d’un « Vivre ensemble » :

  • La raison de cette obligation vient du fait que les humains sont tous égaux devant le « don » de la vie et que c’est donc uniquement en étant solidaires et en recherchant ensemble le « meilleur vivre ensemble possible ».
  • Les conditions de ce « Vivre ensemble » ne seront jamais parfaites ni idéales… elles sont à « repenser » jusqu’à la fin des temps… Cette recherche commune n’empêchera jamais les guerres !!! Par contre, c’est cette recherche commune des conditions du « Mieux Vivre ensemble » qui est le sens de l’aventure humaine … Parce que c’est cette recherche qui nous fait expérimenter le « Non » du sens et c’est elle qui nous rapproche du « Non-Être », origine et fin ultime de l’Être !!!

AB : Tout à fait d’accord avec ce que tu viens de dire car tu te situes dans une dynamique, celle de la recherche libre de sens. Ton appel à la reconnaissance de nos limites est aussi un appel à l’humilité, une grande qualité spirituelle dépréciée dans notre monde agité.

J’apprécie sincèrement la complexité de ta pensée, par exemple quand tu dis dans l’Orient-le Jour : « L’altérité absolue, c’est la seule qui est Dieu, car Dieu n’existe pas. C’est pourquoi je crois en Lui ; Il est inaccessible, mais à l’origine et à la fin ultime de l’être ». Dieu est pour moi Immanent et Transcendant, plus près de moi que la veine de mon cou, comme dit le Coran, et c’est par la prière et la méditation que je me rapproche librement de lui. Je considère comme très limitée la capacité de mon intellect dans ce domaine, mais je me servirai évidemment de mon modeste réseau neuronal pour dialoguer avec toi.

AP 08 : Personne n’a besoin de capacités neuronales pour suivre mon raisonnement. Bien au contraire, j’ai le sentiment d’être naïf et simpliste. Et pourtant, j’ai le sentiment de mettre le doigt sur ce qui va être indispensable aux humains, à savoir : faire face aux endoctrinements que les sciences et techniques se préparent à nous servir.

Quand je dis « Dieu n’existe pas » … « c’est pourquoi je crois en lui »

  • Je parle du Dieu nommé comme tel par les humains, Ce mot est, en fait, utilisé par des millions de personnes. Et chacun lui donne un sens à sa taille. Il est clair, pour moi que Dieu est autant le produit de la pensée humaine que le produit d’une possible communication absolue de son existence…
  • Je dis « il n’existe pas comme une chose », ce que dit textuellement Le Coran au verset 11 de la sourate A(l)choura.
  • S’il était une chose, je n’aurais pas à croire en lui.
  • Je crois en Lui c’est-à-dire que j’accepte qu’il puisse me parler mais que je n’ai aucune certitude que ce que j’entends de lui me donne le pouvoir d’en parler à un autre humain de façon absolue.

Par ma pensée apophatique, je m’adresse à tous les humains, qu’ils soient religieux, agnostiques, athées ou nihilistes… en leur donnant un message d’Espérance : peu importe le « sens » ou le « non-sens » que nous donnons à notre destinée humaine, l’important n’est pas le sens « que nous percevons sans pouvoir mettre la main dessus » mais l’appel que représente le « Non » du sens que notre recherche contient pour aller de façon déterminée et confiante vers les autres et pour construire avec eux un meilleur « vivre ensemble ».

Je m’aventure à dire que ce dont parlent les humains (prophètes et autres…) pour donner un « sens » à la vie des humains est de l’ordre du « Non-être ». Le fait d’exprimer une vérité et de lui attribuer le nom de Dieu ne donne aucune certitude et donc aucun droit de l’imposer aux autres qui ne partagent pas mon approche.

  • Parce que les humains sortent du « Non-être » et reviennent à lui à tous les instants de leur existence, jusqu’à l’instant de leur mort où ils y reviennent sans plus jamais en sortir,
  • Parce que ce mouvement de sortie-du/entrée-dans le « Non-Être » met les humains – sans qu’ils ne s’en rendent compte nécessairement – « en relation » de tous les instants avec le « Non-être », sans qu’aucune religion ou foi puisse le « récupérer » absolument.
  • Pour ces raisons, je dis qu’il ne serait pas étonnant que ce « Non-Être » soit une « personne » …

Je conseille de relire attentivement le paragraphe 5 du chapitre 1 intitulé « En relation avec le Non-Être ». Ce paragraphe est au cœur même de ma pensée.

AB : Nous sommes d’accord sur l’inaccessibilité de l’absolu pour notre modeste cerveau. Mais pour reprendre ta terminologie philosophique, je suis dans l’approche cataphatique.

Je pourrais à la limite qualifier de référence absolue dans mes convictions personnelles les Révélations auxquelles nous avons tous accès comme par exemple le Coran que tu cites. Mais, face aux textes sacrés, je cherche à reconstituer l’enseignement oral d’origine des prophètes en prenant en compte leurs circonstances, les altérations volontaires ou non des scribes et les aléas des traductions. Ainsi, mes convictions personnelles restent relatives et subjectives.

Pour le verset 42/11, je retiens une de mes traductions préférées, celle du Dr Al Ajami : « Il n’est comme Lui chose semblable et Il est le Pleinement Entendant, le Parfaitement Clairvoyant ». Je note également que le début du verset parle des couples de créatures qui permettent la multiplication, ce qu’on appelle en biologie des espèces compatibles. Ce verset signifie donc pour moi que Dieu n’a pas de semblable comme des fils engendrés ou des filles à associer dans la prière. Il est Unique.

Mes convictions, aussi solides et étayées qu’elles soient me donnent pas « le pouvoir d’en parler à un autre humain de façon absolue ». Je constate dans ce que nous pouvons savoir des prophètes historiques qu’ils sont soigneusement évité cette posture tout en restant ferme sur leurs témoignages. Contrairement aux religions instituées beaucoup plus tard, ils n’avaient pas « d’adeptes », mais des groupes d’humains qui les suivaient et les écoutaient librement, avec plus ou moins de constance.

2 Dieu unique, contrastes et complémentarités

AB : Un professeur de philosophie a commenté ton texte. « Les révélations du Dieu unique et tout-puissant, souvent récupérées par les tenants du pouvoir à des fins opportunistes, ont été régulièrement accompagnées d’un autre regard, une sorte de contre-pouvoir des prophètes rappelant à leurs adeptes que leur Dieu ne pouvait être “mis en boîte”. Ces prophètes ne servaient pas à légitimer le pouvoir politique, bien au contraire, très souvent ils le critiquaient et même s’y opposaient ».

AP 09 Ce passage, tu le trouveras au début du paragraphe « Mysticisme et théologie négative » à la page 157.

AB : Je suis d’accord avec cette constatation historique factuelle de l’opposition entre prophètes et pouvoirs. Mais en inversant l’ordre : d’abord le Créateur choisit et envoie des messagers/prophètes à certains peuples. Ensuite ces hommes essaient d’éclairer et de guider ceux qui décident de les suivre.

AP 10 : Je ne suis pas d’accord. Les communautés humaines se sont constituées par des humains qui ont été capables de s’imposer aux autres et de les rassembler.

C’est plus tard, lorsque le pouvoir a commencé à être contesté que les références à « l’au-delà » ont pris naissance. Il fallait faire taire le peuple en le menaçant d’un au-delà que le pouvoir mettait en place au fur et à mesure de ses réussites ou de ses échecs.

Je suis convaincu que personne n’a le droit ni la qualité de se dire « investi par Dieu ». Sinon, je devrais donc me dire prophète aussi. Ce que je conteste bien évidemment. C’est la communauté des hommes qui décide de « se donner des prophètes » parce que, de cette façon, les humains assoient le pouvoir de leur communauté face au pouvoir des autres communautés, se permettant d’entreprendre leurs guerres identitaires au nom de leurs dieux, et pour asseoir leurs propres pouvoirs.

AB : Tu poses ici le sujet du sens à donner au mot prophète, très galvaudé dans nos sociétés déspiritualisés  qui raillent ou écoutent des « prophètes de malheur ». Aux temps adamiques, la relation avec le Créateur était directe, tous étaient prophètes. Quand les humains ont commencé à se multiplier et à se disperser, des ambitieux récupérateurs ont organisé des pouvoirs que le Créateur ne cautionne pas. J’ajoute une réserve : Dieu n’est pas tout puissant au sens où l’entendent les hommes pour se dédouaner de leurs responsabilités face à un destin inexorable. Car Il a décidé de créer l’homme libre et Il respecte cet engagement fondateur.

Je peux prendre les principales traditions religieuses et affirmer (ce qui peut être contesté), qu’à leur source on trouve un témoin de Dieu. Si je me limite au christianisme, constatons que d’abord, au sein de la religion juive, un homme, Jésus de Nazareth fils de Marie, a commencé à enseigner oralement l’Evangile en affirmant qu’il provenait de « Celui qui l’a envoyé ». Ses disciples après sa crucifixion se sont organisés en petits groupes pour transmettre son enseignement et témoigner de sa Résurrection.

C’est beaucoup plus tard que le mot « christianisme » est apparu et que des hiérarchies ont commencé à émerger au sein des communautés qui s’étaient formées. Si je reprends le texte biblique, on peut trouver des versets qui annoncent le Messie, mais ce sont des interprétations. Par contre la Bible comme le Coran affirment que Dieu a décidé d’envoyer à Marie l’ange Gabriel pour lui annoncer une grossesse surnaturelle alors qu’elle était déjà fiancée à Joseph, ce qui la plaçait évidemment dans une situation très difficile dans le contexte juif. Elle a accepté et aurait pu refuser, mais l’initiative venait du Créateur selon ces deux textes sacrés. Et nous ne pouvons savoir ce qui se serait passé si elle avait décidé de refuser ?

AP 11 : Qui sommes-nous pour dire ce que « Dieu » a décidé … c’est exactement ce genre d’affirmations que je rejette. Nous ne savons rien de ce que Dieu est ou n’est pas, de ce qu’il pense ou ne pense pas, de ce qu’il accepte ou rejette. Ce que nous affirmons de Dieu ressemble, en premier lieu, à nous, humains.

AB : Je me réfère à  la simple lecture des textes sacrés connus de tous quand leur contenu me semble incontestable parce qu’il est confirmé par tous les prophètes d’autrefois, dans lesquels j’inclus le Coran transmis par Muhammad.

Notre philosophe continue : « Tous les mouvements religieux mettent en avant la non-accessibilité de Dieu, le mysticisme… la communication avec une réalité transcendante non discernable par le sens commun. C’est le même non de Dieu qui assure à l’humanité sa respiration théologico-humaine (par quoi l’humanité et la divinité ne se confondent pas) qui permet aux humains, par le moyen de la conscience d’altérité, de prendre la mesure de leurs libres relations intersubjectives. Il n’y a en effet d’amour et d’être pour autrui qu’au travers de l’autonomie (je ne suis pas autrui) et la certitude que nul ne sera autrui (chacun étant pour l’autre un non-être). » Très juste !

AP 12 : Ce passage rejoint ma pensée avec ses mots à lui.

AB : « Pour nous humains, cette “relation-communion” se déploierait dans l’expérimentation et l’acceptation du “Non” ontologique et apophatique du Tout, fondateur et créateur de notre déploiement dans l’Être. Ce “Non” s’adresse à l’être de toute éternité et à nous, humains, de tous les instants, de façon mystérieuse et assourdissante. Il nous rappelle personnellement à travers la multitude, certes finie mais impressionnante et éprouvante, des “non-êtres-de-nous-mêmes” que sont les “Autres” et l’univers tout entier, et à construire laborieusement, par notre interaction avec eux, une communauté finie des “non-êtres-de-chaque-être”, reflet d’une communauté infinie et intemporelle des Êtres au sein de Non-Être.» Abstrait, mais pertinent !

AP 13 : Ce passage est fondamental et je suis heureux que tu le trouves pertinent. Par contre, j’aimerais que tu me rejoignes au niveau de l’appel adressé aux humains par ce « Non » pour une réconciliation durable entre eux. Cette réconciliation ne doit pas chercher à réconcilier le contenu des différentes religions mais à les appeler toutes à abandonner le caractère absolu de leurs croyances pour aller vers la construction de la « communauté des hommes » au nom de l’égalité des humains face au « don de la vie » et non pas à s’étriper pour réconcilier leurs concepts religieux avec la conviction qu’il existe une Vérité absolue au nom de laquelle on a le droit/le devoir de se faire la guerre.

Certes, il est évident que les humains ne cesseront pas de se faire la guerre jusqu’à la fin des temps… mais il est indispensable de ne plus la faire qu’au nom de leur « vivre ensemble ».

AB : Pour initier une réconciliation durable entre humains, il faut récuser les pseudo-détenteurs d’un monopole sur l’absolu. Quand il s’agit de religions faisant référence à un prophète, il est facile d’opposer à leur contenu idéologique la réalité de l’histoire et des textes d’origine. Il est facile de dénoncer leurs crimes au Nom de la Parole à laquelle ils se réfèrent. Les tentatives de syncrétisme sous toutes ses formes ont échoué ou n’ont eu que de très maigres résultats. Il ne s’agit pas de réconcilier des concepts, mais de les dépasser par un retour aux sources et de réfuter les prétendus experts de l’herméneutique.

Continuons les citations « Ce qui revient à dire que n’était le Non primordial, hommes et nature eussent été confondus en une seule masse d’opacité. L’être privé de non-être fait obstacle à la diversité. Bienvenu est le vide séparateur qui fonde l’altérité et qui fait que les choses sont véritablement, et pour ce qui regarde spécifiquement l’homme, exister, c’est co-exister, l’avec impliquant une relation existentielle moyennant l’interstice qui met du jeu entre individus. Le non fonde ce que Platon appelle l’autre, chaque chose devenant l’autre d’une autre en une communauté que Pharès qualifie d’infinie et d’intemporelle. Mais il est bien clair que cela ne se peut que dans Non-Être, autrement dit en Dieu, le généreux de la vie et le principe de la multiplicité, donation devant être partagée à égalité. »

Comme on le lit dans la Bible et le Coran, la Création procède par contraste, ombre/lumière, ciel/terre… et par complémentarité Adam/Eve, il n’est pas bon que l’homme soit seul.

AP 14 : Que nous puissions toi et moi trouver dans les Ecritures dites saintes (Bible, Nouveau Testament, Coran et autres …) ou encore auprès de philosophes, théologiens, penseurs et autres… des textes qui rejoignent ma pensée m’importe peu.

Ce qui m’importe, c’est que ceux qui recherchent un sens à l’existence humaine se mettent en tête une fois pour toute que c’est en se mettant en communauté avec les autres humains et en recherchant ensemble un meilleur « vivre ensemble » qu’ils seront en marche dans « le bon sens » …

AB : C’est bien ce que dit le Coran 49/13 : « Ô hommes! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entreconnaissiez ». Mon choix de vie spirituelle n’est pas de « chercher un sens à l’existence humaine », j’ai donné un sens à ma vie, celle de l’accomplissement de ce que me propose le Créateur Immanent et Transcendant. L’objectif de mieux vivre ensemble nous est commun.

3 Les nuisances historiques des systèmes religieux

AB : Après ces échanges quelque peu abstraits, entrons dans le vif du sujet, celui d’éclairer l’avenir de notre humanité en tenant compte des leçons de son histoire. Puisque tu m’as fait l’amitié de lire notre livre avec Gilles Cosson et peut-être mon blog, tu sais que nous voyons les choses très différemment en ce qui concerne les pouvoirs religieux.

Je les vois comme un obstacle permanent à la fraternité universelle, car leur logique a toujours été de détourner les messages des prophètes, diviser les humains pour régner sur eux et interposer un écran obscurcissant entre Dieu et nous. Tu les vois peut-être comme un outil utile, par exemple dans le cadre d’une OMR à créer, une organisation mondiale des religions, ou pour accompagner la vie des croyants. Mais tu dis aussi p.16, « la recherche de sens permet de rectifier les perversions qu’adeptes et dirigeants de certaines religions, à certaines périodes de l’histoire, leur ont fait subir aux fins de récupération du pouvoir sur les autres ». Ces dérives sont-elles systémiques ou occasionnelles ?

AP 15 : Je n’ai nullement l’intention de contester la réflexion des humains sur le sens ou le non-sens qu’ils donnent à leur existence. Encore moins de juger lesquelles de ces réflexions sont les « bonnes », ou « en cohérence avec leurs inspirations originelles », ou encore celles « dévoyées par des religieux avides de pouvoirs » … C’est là entrer dans le jeu des religions qui pensent qu’elles ont l’accès au « sens absolu » de l’existence et qu’elles parlent au nom de ce « sens absolu » et qu’elles se battent au nom de ce « sens absolu » et qu’elles tuent au nom de ce « sens absolu ».

Tout au contraire, je ne donne de considération à toutes ces réflexions – religieuses ou athées – que dans la mesure où elles contribuent à l’élévation des humains au-delà de la pesanteur qui leur fait commettre les plus grands crimes au nom de leurs dieux… qu’à la condition essentielle qu’elles reconnaissent toutes qu’elles n’ont pas accès à un « sens absolu » parce que ce dernier n’existe précisément pas !

L’humanité a le devoir de protéger la réflexion du sens (dans tous les sens) parce que cela constitue un patrimoine d’une richesse inouïe. Ce patrimoine a été certes la cause de grandes turpitudes mais aussi il a permis aux humains depuis la nuit des temps de faire d’immenses œuvres extraordinaires dans le sens de l’élévation au-delà de la pesanteur naturelle qui les prend aux tripes.

Je ne veux ni « épurer » ni « réconcilier » les religions dans le but de trouver « le sens absolu » de l’existence. Je le répète et le répèterai jusqu’à ma mort : Il n’existe pas !

AB : Je t’avoue mon scepticisme sur la possibilité que tous les clergés religieux reconnaissent la relativité de leurs doctrines. Je n’entre pas dans leurs jeux de pouvoir, au contraire, je déconstruis à partir de leurs textes sacrés leurs prétentions. Je te propose de réfléchir à la chronologie longue qui part des créatures adamiques et passe par les grands prophètes.

L’époque d’Adam est perçue comme mythique par certains, faute de données historiques, mais selon les récits des Genèses biblique et coranique, les Adam et Eve parlaient d’abord directement avec Dieu. Puis, en créatures libres, ils décidèrent de s’éloigner de Lui pour vivre autrement et goûter au mal. C’est la chute et l’exil hors du jardin d’Eden, mais aucune religion n’avait encore émergé.

AP 16 : Comme je l’ai déjà expliqué, j’ai une grande considération pour cette « chronologie longue » des récits que les humains ont écrits sur leurs relations avec l’au-delà, la Nature avec un grand N, l’Univers, les dieux nombreux qu’ils ont dit avoir connus et avec qui ils ont dialogué et auxquels ils ont offert des sacrifices, puis les textes qu’ils ont appelés « révélations » venant d’un Dieu unique … de la nuit des temps de la « conscience humaine » jusqu’à nos jours. Cependant, je trouve totalement futile de rechercher un « rapprochement » entre ses diverses approches humaines du « sens » ou du « non-sens » de l’existence. Elles ont un point commun majeur : elles se heurtent toutes sans exception à l’impossibilité radicale d’accéder à un « Sens Absolu ». Il sera à jamais impossible qu’un humain ou une communauté d’humains -quelque puissants qu’ils puissent devenir – accèdent à un « Sens Absolu » de l’existence.

Si un tel « sens » venait à être découvert, il serait opposable à tous les humains et nous en deviendrions tous des exécutants automates. Je ne relativise en rien le droit absolu que les humains ont de croire ce qu’ils veulent … c’est leur droit élémentaire consacré, il n’y a pas longtemps, par la charte des Nations-Unies…

Mais à la condition majeure de ne pas faire de leur foi un outil de domination sur les autres qui partagent une autre foi que la leur…

AB : Je suis étonné par ton utilisation très fréquente de l’expression « sens absolu » que je n’entends et ne lis, ni dans les textes sacrés, ni dans les discours religieux actuels. C’est peut-être du à ta longue expérience dans la société libanaise où pouvoirs religieux et politiques sont encore entremêlés ? En recherchant dans les dictionnaires et sur Internet, je constate que « absolu » nous place dans le champ sémantique politique (à cause de la monarchie absolue) et à moindre degré philosophique. La notion de droit absolu nous placerait dans le champ juridique, sauf que le droit absolu n’existe pas, même la liberté n’est jamais absolue. La liberté de conscience pourrait être qualifiée d’absolue parce que notre conscience est inaccessible aux autres, mais elle est relative puisque la nôtre.

Sur l’histoire longue de l’humanité, j’affirme avec de nombreux arguments à l’appui, que le polythéisme est arrivé après le monothéisme, ce qu’on constate par exemple dans le Rig Veda. Mais restons dans la tradition des religions du Livre.

Avec Noé, il y a environ 7500 ans, la situation avait changé. L’humanité s’était multipliée et avec elle les actes mauvais. L’agriculture sédentaire et les villes s’étaient développées avec des guerriers et des sorciers puissants. Dieu appelle un homme de bien extérieur aux élites et l’avertit qu’une catastrophe est imminente. Pour survivre au Déluge, il faut construire des bateaux. Noé, fidèle à Dieu, se gardait des idoles et des rites sacrificiels religieux, mais les puissants de la ville se moquent de lui quand il construit un ou des bateaux qui le sauvera lui et les siens. Ses contemporains se croyaient préservés des calamités par leur situation géographique et leurs superstitions qui les assourdissaient, mais ils furent engloutis.

AP 17 : Aucun commentaire supplémentaire à ces paragraphes ni aux suivants.

AB : J’entre donc dans les détails de l’histoire humaine.

Avec Moïse, il y a plus de 3000 ans, on entre dans une période mieux connue des historiens. L’humanité avait constitué des empires, inventé l’écriture et confié un pouvoir important aux prêtres et magiciens. Moïse était biculturel, de descendance cananéenne et élevé à la cour du pharaon. Après avoir tué un égyptien pour défendre un hébreu, il devient un fugitif pourchassé par les sbires de pharaon et est accepté comme gendre par Jethro, prêtre de Madian. C’est cet homme improbable mais courageux et vigoureux que Dieu appelle d’abord comme messager vers Pharaon pour l’appeler à reconnaître le Dieu unique, puis comme prophète vers ses frères hébreux pour les libérer de l’esclavage.

En vain, et YHWH l’appelle alors à guider une troupe composite d’esclaves en fuite vers la terre de Canaan où ils pourront s’établir. Dieu les aide en repoussant progressivement certains habitants par des frelons et d’autres calamités, mais des guerres interminables avec leurs voisins seront le choix de ce peuple devenu juif, les héritiers spirituels de Moïse.

Après lui, le prophète Samuel est un marqueur historique déterminant. Dieu l’a choisi pour guider ce peuple vers la justice et la paix, mais ils réclament un roi pour mener des guerres. Samuel dénonce ce choix d’abandonner Dieu comme guide, mais Il l’appelle à s’incliner devant la volonté populaire. Il oint d’abord Saül, puis David dont la descendance règnera sur ce peuple. Israël devient une nation comme les autres où les rois et les puissants exploitent le peuple avec la complicité des prêtres descendants de Sadoc, prêtre de David.

Par la suite tous les prophètes comme Elie, Isaïe ou Jérémie, dénonceront les dérives de rois, des riches et des prêtres et subiront leurs menaces et leurs persécutions.

Pour les chrétiens, l’opposition entre les envoyés de Dieu et la religion institutionnalisée atteindra un sommet de l’horreur avec la condamnation à mort du juif Jésus par le Sanhédrin, l’autorité suprême du judaïsme pour blasphème. Seul le pouvoir romain ayant droit de vie et mort, ils accusent Jésus de vouloir se faire roi des juifs, donc de rébellion contre l’empereur et obtiennent son exécution par crucifixion au terme d’un supplice atroce.

Quant au prophète de l’islam, après qu’il ait prêché pacifiquement, comme Abraham, le Dieu unique et la destruction des idoles de bois, il doit s’enfuir à Médine pour échapper à un complot pour l’assassiner, lui et son petit groupe de fidèles. Les grandes familles de La Mecque voulaient se débarrasser de cet homme mettant en péril les revenus confortables tirés du pèlerinage aux idoles. Je vois donc un historique répétitif d’opposition violente des religions institutionnalisées aux messagers que Dieu envoie à leurs peuples.

AB : Passons maintenant au cas particulier du Liban un pays qui me tient à cœur et pour lequel j’espère proposer avec toi quelques chemins d’espérance. Je suis sûr que j’apprendrai beaucoup de quelqu’un comme toi qui y a vécu la plupart du temps

AP 18 : J’ai vécu au Liban toute ma vie sans interruption, à l’exception de déplacements d’ordre personnel et professionnel.

AB : Et d’études en France (vive l’immigration !). Tu as dirigé des entreprises et assumé des responsabilités collectives. Dans notre logique d’espérance pour l’avenir, je te propose de réfléchir au rôle délétère des clergés religieux dans l’histoire de ce pays et aux solutions pour sortir des interminables drames vécus par les libanais.

AP 19 : Ce qui s’applique au Liban va s’appliquer dans un avenir plus ou moins proche à toute l’Europe. La seule solution pour sortir de l’aveuglement des religions et de celui des courants politiques qui s’attachent à des concepts religieux est d’appeler tous les concitoyens à « accepter » les religions des uns et des autres sans donner à ses religions aucun droit à se déployer au « nom » de leur dieu pour écraser les autres…

AB : D’une certaine manière, ta réflexion rejoint les sujets de la laïcité et de la non-discrimination, très importants dans la juridiction française car la France s’est rebellée avec courage contre l’oppression exercée par les clergés catholiques, le plus souvent avec la complicité du pouvoir royal et de ses armées.

J’ai développé ce sujet dans mon post 55, très visité, en qualifiant la nôtre d’obscurantisme qui dénie notre liberté d’expression affirmée dans l’article 18 de la DUDH signé par la France. Car j’y ai subi le harcèlement de policiers municipaux influencés par la campagne anti-sectes très active dans les années 80. Ils cherchaient un trouble à l’ordre public pour m’empêcher de dialoguer paisiblement avec des concitoyens en présentant la Révélation d’Arès. Alors qu’en homme libre, je n’adhérai à aucune de leurs associations de fidèles. Notre société est restée marquée pas près de deux millénaires d’opression par les clergés et se crispe face à toute expression de vie spirituelle qu’elle assimile à une religion sectaire.

Ecarter les clergés religieux du champ politique est une bonne chose, mais ils ont été remplacés par les clergés de la République qui veulent imposer leur interprétation athée du fatras de textes légaux en vigueur en France. Pour des raisons historiques, la lutte contre les clergés de la religion et ceux de l’Etat est dans un contexte très différent d’un pays à l’autre en Europe. Mais, contrairement au Liban, l’influence des clergés s’est considérablement affaiblie en Europe, à quelques exceptions près comme la Pologne. C’est une tendance lourde. Ils cherchent encore à s’immiscer dans certains choix de société comme l’IVG (post 105) ou l’euthanasie (post 110). Or l’analyse des textes sacrés contredit leurs doctrines qu’ils veulent nous imposer.

AP 20 : J’appelle à rechercher ensemble le « Bien Commun » socio-économico-politique d’une communauté nationale sans donner à quiconque une priorité parce qu’il est de telle ou de telle religion… Il faut que chacun adhère à une conscience d’appartenance citoyenne qui accepte unilatéralement qu’il n’a de « pouvoir » au sein de sa communauté nationale que par sa reconnaissance qu’il doit adhérer, avant tout, aux valeurs partagées par cette même communauté nationale.

Ces valeurs citoyennes devront être admises par tous et toutes. Je sais que cela n’est pas facile mais ce qui est indispensable, c’est la reconnaissance que ni les religions ni les athéismes ne peuvent imposer « leur » « sens » aux autres. Le « sens » nous le recherchons ensemble au sein d’une communauté nationale qui construit, avec le temps … avec les guerres si nécessaires, ses propres valeurs partagées par toute la communauté. C’est là que les « religieux / idéologues athées et autres … », à la condition non négociable d’arrêter leurs langages extrémistes et exclusifs, peuvent contribuer à la réconciliation des humains entre eux.

Cela n’exclura jamais les guerres… mais elles ne seront plus menées au « nom » des religions / idéologies athées ou autres… mais uniquement au nom de l’intérêt de toute communauté nationale plurielle. Il sera aussi indispensable d’imposer cette « révolution » à tous les « systèmes de croyance » dans toutes les communautés nationales du monde !

AB :Le sujet des valeurs partagées est complexe, même au niveau national. Je note ta position sur les communautés, compréhensible pour le Liban, mais en décalage avec la mienne car j’affirme ma conscience d’être citoyen de toute la planète et concitoyen de toute l’humanité. Par les hasards de la naissance, j’ai un passeport français, mais reste libre de toute affiliation à une communauté nationale. Il y a aussi une communauté européenne, des communautés régionales et locales, des communautés de lien social, de partage de convictions ou d’idées. Je n’appartiens exclusivement à aucune et mes valeurs ne sont pas de ce monde. Il y a certains recoupements car les valeurs de la République, liberté et fraternité, auxquelles il faudrait ajouter celle de la dignité, sont inspirées de l’enseignement des prophètes. Mais les idées vagues d’égalité et a fortiori de laïcité ne sont pas pour moi des « valeurs ».

J’ajoute qu’au plan philosophique ou spirituel, la notion de « Bien commun » est inopérante si elle se limite au champ socio-économico-politique. Le Bien pour moi est très au-dessus de ces contingences humaines. Dans les cas concrets, le bien est relatif et se définit par rapport aux situations que nous rencontrons dans notre vie ici-bas. Les cas de conscience se posent et se tranchent au niveau individuel.

4 Se libérer des divisions religieuses pour converger vers Dieu

AB : Je reprends le fil de ton commentateur philosophe. « Là aussi la portée politique de la «théologie» de Pharès transparaît. Si la nécessité d’accepter l’idée de non-être doit débuter par le Transcendant, elle doit s’étendre à tout l’humain et même à la nature. Pour en rester à l’humain, disons, avec l’auteur, que «refuser le Non-Être, c’est se condamner à l’extrémisme, l’exclusion, la haine et la violence», ce qui passe par le rejet de la différence.

« Aux diverses structures de la socialité (justice, amour, savoir, art, corporéité, jugement esthétique, etc.) le brillant essai de Pharès consacre des développements qui, si riches qu’ils soient, n’en reposent pas moins sur l’idée matricielle du non-être en sa double tonalité mystique et sociale. Idée qui seule, d’ailleurs, paraît à l’auteur de nature à assurer à l’humanité d’entrer sereinement dans la voie de ce qu’il désigne hardiment comme «foi universelle», laquelle dépasserait toutes les religions avec leurs lois et tous les athéismes.

« À cette foi il assigne la tâche de reconnaître que la vie est une donation (d’emblée déjà accordée, un oui) dont les humains sont fraternellement dépositaires (par la médiation du non), notion qui doit les aider à «construire leur vivre ensemble ici et maintenant». Foi universelle qui se conçoit à la faveur de l’attribution à Dieu de la condition du non-être, sans laquelle il deviendrait toujours la proie des dogmatiques (quelque nom qu’il prenne) et souvent des violents. «Les révélations du Dieu unique et tout-puissant, récupérées par les tenants du pouvoir, ont été accompagnées d’une sorte de contre-pouvoir des prophètes rappelant à leurs adeptes que leur Dieu ne pouvait être “mis en boîte”. »

AB : Dans ton espérance d’une foi nouvelle, je suis étonné de ce que tu dis p. 12 : « La foi ne vient à nous, effectivement, que par la tradition, laquelle est la transmission, à travers l’histoire, du témoignage et de la réflexion de ceux et de celles qui nous ont précédés, depuis les premiers événements fondateurs de cette même foi ». Or ce que nous enseigne l’histoire des prophètes, c’est que les traditions religieuses trahissent les prophètes, il faut donc bien distinguer l’enseignement et l’exemple donné par les prophètes dans leur contexte d’autrefois et l’état actuel des traditions religieuses.

AP 21 : Rien d’étonnant. Je suis croyant mais je ne crois pas que ma foi doit être imposée aux autres comme le « sens absolu » de leur existence. Je n’ai aucune honte à annoncer ma foi, mais je n’en ferai jamais usage pour me battre contre ceux et celles qui ne partagent pas la mienne … à la condition bien entendu que les adeptes des autres « systèmes de croyance » aient la même attitude envers moi et mes coreligionnaires. Sinon, bien entendu, il y aura violences et guerres…

AB : Tu reviens à cette notion de « sens absolu » qui justifierait d’imposer une foi, ce qui est d’ailleurs impossible, on ne peut imposer qu’une certaine forme d’hypocrisie sociale. C’est bien ce que tentent les religions quand elles sont au pouvoir, mais c’est une trahison de ce que disent les textes sacrés, j’ai longuement développé cette assertion dans mon blog. Et elles perdent ainsi inéluctablement leur crédibilité.

Il est vrai que l’immense majorité des croyants meurent dans la foi dans laquelle les hasards de la naissance les a placés, mais est-ce un sort auquel personne ne peut échapper par la réflexion ? Se figer toute sa vie dans une certaine doctrine religieuse pose un problème majeur dans les sociétés multiculturelles. Qu’il y a ait des communautés différentes qui prient chacune à leur manière ne pose aucun problème, car le culte religieux se vit dans une intimité collective. Mais quand les croyants se réfèrent davantage aux clergés de leur communauté religieuse qu’à leur foi en Dieu et aux textes sacrés, la nation multiculturelle devient précaire et se complique avec les mariages « mixtes ». Car la logique des pouvoirs est de garder leur emprise sur leurs fidèles et d’augmenter leur nombre et il est plus facile de le faire en dénigrant une autre religion, voire en l’opprimant ou en la combattant. Les partis politiques athées font de même.

AP 2: Je te ramène au paragraphe « Systèmes de croyance » dans ma réponse AP 05

AB : Ton ouverture d’esprit est louable, mais rarement partagée.

Ma conviction intime est celle d’un foi laïque ancrée dans la continuité prophétique qui va d’Adam à Muhammad et médite sur les textes sacrés pour en restaurer l’unité. Il n’y a historiquement qu’un Jésus de Nazareth fils de Marie, et l’ensemble des croyants chrétiens et musulmans se réfèrent à lui comme modèle de vie et guide spirituel. Chez les chrétiens, il y a plus de 300 églises officielles en rivalité de doctrines ou de pratiques, avec chacune son clergé. Chez les musulmans, en théorie, il n’y a pas de clergé et le Coran est la référence commune avec les prophètes qu’il cite. Le problème vient des interprétations ultérieures et des divisions issues de la lutte pour le pouvoir. Donc je suis disciple à la fois de Moïse, Jésus et Muhammad alors que le monde voudrait que je choisisse un camp. Pourquoi donc ?

AP 23 : C’est là que nous nous séparons : Nous ne devons pas nous acharner à assurer ce que tu appelles « la continuité prophétique qui va d’Adam à Muhammad et médite sur les textes pour en restaurer l’unité ». Nous n’avons aucun espoir de « ramener » les religions monothéistes abrahamiques à une « pureté » totalement utopique de leurs messages prophétiques !

Ce n’est pas leurs « référentiels de valeurs » qui posent problème. C’est bien leurs « référentiels de comportement au quotidien » ! Ce sont ces derniers qui renforcent l’appartenance identitaire, excluent les autres et mènent à des conflits odieux et abjectes.

Faire la guerre « au nom » de « systèmes de croyance » différents, c’est pratiquer la dictature de l’endoctrinement. Ce qui est totalement immoral, empêche le jugement critique, porte atteinte à la liberté sacrée du respect de la conscience — même erronée —, et se ferme à de nouvelles réflexions parce qu’il rejette le mouvement, le changement ou l’évolution des idées face à de nouveaux problèmes …

Le seul espoir est de se battre pour un « Bien Commun » qui dépasse les appartenances identitaires des « systèmes de croyance ».

AB : Je distingue bien les traditions religieuses séculaires et millénaires et les peuples qu’ils ont endoctriné et conditionné au fil du temps et de la poussière des siècles. Quand tu parles de comportement au quotidien, tu ne peux parler que de l’attitude des individus et des groupes qui se constituent, durablement ou non. Là est le problème central. Il ne faut pas confondre les reproches qu’on peut faire aux chrétiens ou aux musulmans sur leur comportement et ce qu’ils devraient faire s’ils étaient des disciples de leurs prophètes.

Je te cite p. 244. « Le croyant n’est pas celui qui se cache derrière une religion et prétend, sous couvert de l’observation des préceptes, souvent simplistes et réducteurs qu’elle lui dicte, agir avec pureté et bonne conscience… Le croyant est celui qui s’engage avec lucidité, courage et détermination sur le chemin de la Grâce ». Dans le célèbre verset 2/256 du Coran, « pas de contrainte en religion », le mot arabe pour religion est Din qui signifie entre autres chemin ou Voie, comme charia dont le sens est détourné. On pourrait donc comme moi être un croyant non affilié à une quelconque religion ?

AP 24 : Tu me cites et puis tu veux me dire que le Coran verset 2/256 dit quelque chose de similaire. C’est une façon de récupérer ma pensée en citant un verset dont le contenu n’est appliqué nulle part en régime de dictature islamique.

AB : La notion de dictature islamique est un oxymore. Je la récuse totalement sur la base du texte du Coran car « Allah seul sait qui est musulman ». Ce qualificatif s’applique à un individu, et aucun groupe humain ne peut prétendre être collectivement musulman. Le Coran et l’islam sont deux choses différentes ainsi que l’a magistralement démontré le Dr Al Ajami dans son livre (https://www.amazon.fr/Que-dit-vraiment-Coran-ajami/dp/2367602123).

Tu poursuis. « Ce chemin nous élève au niveau du Non-Etre qui nous interroge à tout instant et qui a été à a source des plus grandes et plus belles réalisations de l’humanité. En nous à la Gravité, nous refusons le véritable « Non » de Dieu, lien mystérieux de révélation de la Grâce. C’est la seule option qui nous pousse à prendre notre état de « croyant », quelle que soit notre religion ». Mon chemin de méditation lucide sur les leçons de l’histoire me conduit à dire « Oui à Dieu, Immanent et Transcendant, oui à ses prophètes, non au religion des hommes ». Je me trompe de voie ?

AP 25 : Ton inquiétude de te « tromper de voie » n’est absolument pas justifiée. Dans ma pensée, il n’y a aucune « voie » qui est « la bonne ». Car la seule « voie » qui est « la bonne », c’est de se dire que « personne n’est en droit de dire je possède la vérité ». Il n’y a pas de « vérité absolue » !

C’est pourquoi j’appelle les humains à se réconcilier « au-delà » de leurs « systèmes de croyance » pour construire ensemble une société meilleure !  C’est là un but qui ne sera, sans doute, jamais atteint. Par contre le chemin qui y mène est un sens indéfectible en lui-même.

AB : La réalité est que je n’ai aucun système de croyance tel que tu le définis, mais je suis probablement une exception indiscernable. Dans ma voie spirituelle (Din), je recueille l’avis fraternel des autres humains, car le souci de ne pas se tromper est légitime et évite l’enfermement dans des convictions subjectives.

5 Une dynamique éclairante par la connaissance des textes sacrés

AB : Tu dis p. 275, chapitre 13 sur le Vrai : « Nous aurons beau déployer tous les efforts de notre savoir et bénéficier de l’accumulation du savoir de ceux et celles qui nous ont précédés, la compréhension définitive de l’Etre et de sa Vérité nous sera inaccessible à jamais ». Je suis d’accord.

En 1974, Dieu envoie Jésus à l’homme Michel qui entend cette phrase, « La Vérité c’est que le monde doit changer ». Chacun peut lire à sa manière cette Parole et je ne partage pas toutes les interprétations du témoin, à l’époque évêque orthodoxe, mais on peut en déduire que la Vérité absolue est inaccessible et que nous ne nous en approchons que par une dynamique de changement en Bien, un chemin. Ce qui rejoint ta conviction ?

AP 26 : Tout à fait !

AB : Je vois une grande différence cependant, car le messager et prophète Jésus ne nous invite pas à suivre l’accumulation du savoir par les notables juifs, pharisiens, scribes et sadducéens. Au contraire, il les récuse et va jusqu’à les maudire comme obstacles à la foi du peuple de Dieu. Il balaie d’un geste royal à la fois les marchands du temple et les marchands d’illusions avec leur 613 règles qu’il faut appliquer à la lettre pour être un bon juif. Par contre, il cite les prophètes et en particulier Isaïe. Né dans la religion juive et envoyé selon  ses dires pour enseigner l’Evangile aux « brebis perdues de la maison d’Israël », il est sans conteste une rupture dans l’accumulation de savoir des chercheurs de Vérité du monde juif.

AP 27 : Ce dont tu parles ici n’a rien à voir avec le savoir ; bien au contraire. Le savoir au sens scientifique du terme n’est jamais figé et ne le sera jamais.

Quant au savoir religieux (les 613 règles) c’est bien ce que j’avais appelé les « référentiels de comportement au quotidien » et qui entrainent les adeptes de tout « système de croyance » à la dictature de l’endoctrinement.

Jésus a bien fait de s’y opposer violemment !

AB : En chassant à coup de fouets les marchands du Temple et maudissant les clergés et leurs suppôts ! Chez nos frères juifs, le savoir n’est jamais figé et est l’objet de débats passionnés, mais ils ne porte que sur l’analyse de la Torah écrite et orale incluant les commentaires des rabbins. Jésus et Muhammad sont hors sujet, ce qui limite considérablement l’étendue de leur « savoir religieux ».

Dans le domaine scientifique que tu connais beaucoup mieux que moi, on peut parler d’une accumulation de savoirs et surtout d’expérimentations, même si les innovations conceptuelles majeures dérangent le consensus scientifique comme Einstein n’a cessé de le faire. Mais dans le domaine spirituel, nous sommes dans une logique de rupture, c’est évident dans le cas de Moïse, Jésus et Muhammad appelés comme prophètes pour sortir leurs peuples de l’impasse des religions officielles.

AP 28 : Moise, Jésus et Muhammad ne sont pas comparables. Le seul en rupture avec les autres est Jésus parce qu’il a compris que la Lettre tue et l’Esprit vivifie ! Cette révolution a « sorti » le judaïsme de la Lettre…

Muhammad l’y a ramené au galop, et pour cause !

AB : Non, le fixisme des interprétations du texte du Coran est apparu avec les califes dont ni le Coran ni son prophète ne valident l’utilité. Par le sabre, ces califes ont imposé une doctrine et des écoles juridiques officielles et parfois la conversion aux juifs et chrétiens.

Or le Coran dit : « Venez à une Parole équivalente pour nous et pour vous : que vous n’adoriez que Dieu sans rien lui associer et que les uns comme les autres nous ne prenions point de maître en dehors de Dieu » (3/64). Et il insiste en 10/99 : Si ton Seigneur voulait, tous ceux qui sont sur terre croiraient. Est-ce à toi de forcer les gens à croire ? Également en 18/29 : Dis : la Vérité vient de ton Seigneur. Y croie qui veut, n’y croie pas qui ne veut pas. En 50/45 : Tu n’as pas à les contraindre mais, avec ce Coran, à avertir quiconque craint mes menaces.

Ton chapitre 14, laïcité et religions, cite p. 287 un cheikh qui appelle toutes les religions à ne pas s’accrocher aux interprétations erronées et tu appelles au §4 à un retour aux sources en espérant que l’islam aura la force de relire ici et maintenant ce message prophétique par excellence. Tu appelles, et tu n’es pas le seul, à un chemin de rénovation comme prélude à la réconciliation des humains entre eux.

Là, nous sommes en phase, mais pas quand au chapitre suivant, p. 293, tu attends des religions « qu’elles soient à la fois fidèles à leur foi et leur tradition et qu’elles cherchent dans l’inspiration prophétique des origines le point commun qui les rend solidaires ». C’est contraire à leurs intérêts et cela ne pourra se faire que si les clergés religieux sont débordés par leur base de fidèles, ce qui est de plus en plus le cas en France, contrairement au Liban.

AP 29 : J’affirme une idée de principe : Toute religion doit être capable de sortir de la dictature de l’endoctrinement ! Mais cela ne veut pas dire que je pense que quelqu’un puisse ou doive le faire à leur place !

D’ailleurs le christianisme a connu de longues périodes d’aveuglement et d’enfermement dans la conviction et le devoir de « faire la guerre au nom de Dieu » … Depuis Vatican II, l’Église catholique a fait un grand pas. C’est la preuve qu’une religion, même aussi répandue que le christianisme a finalement compris que « nul ne peut dire : je possède la vérité ». C’est un signe d’Espérance pour que les autres religions et autres « systèmes de croyance » en fassent de même.

AB : Les dignitaires de la religion resteront pour la plupart sur leur trône, mais la salle du trône se videra de leurs fidèles. Ce n’est pas de l’extérieur de leurs « systèmes de croyance » que nous pouvons faire évoluer les religions, mais de l’intérieur en invoquant leurs textes sacrés. Dépasser les impasses des traditions religieuses se fera différemment dans le christianisme et l’islam mais passe par un travail pour reconstituer l’inspiration prophétique des origines.

Dans le monde chrétien, Jésus a donné un enseignement oral sur une période de temps très brève à des disciples juifs peu éduqués qui avaient du mal à le comprendre et étaient persuadés que son retour était imminent. Il en est résulté quatre Evangiles officiels écrits tardivement et beaucoup de textes apocryphes. De plus, l’analyse des Evangiles montre les contradictions entre les trois synoptiques et celui de Jean dont les auteurs se sont à l’évidence écartés des faits réels pour développer une théologie du logos très particulière. Enfin les lettres de Paul, un ennemi de la mission de Jésus, ont été abusivement amalgamées au recueil du Nouveau Testament. Il faut d’abord sortir de la confusion des textes qui implique de reconstituer ce que Jésus a vraiment enseigné en replaçant son enseignement dans la continuité des prophètes juifs qui l’ont précédé.

AP 30 : Je refuse d’entrer dans une analyse historique des religions pour dire qui a « raison » et qui a « tort ». Je connais suffisamment le christianisme pour ne pas me permettre de juger qui a « servi » Jésus et qui « a été son ennemi ». Cela ne m’importe pas puisque je ne vais jamais en faire une « vérité » à opposer aux tiers.

A chacun de croire ce qu’il veut et d’appartenir au « système de croyance » qu’il veut. Peu importe. A la condition qu’il accepte que toute recherche de sens se heurte au « Non » de ce même sens.

Et, une fois le « Non » du sens accepté et apprivoisé, les humains privilégieront, avec lucidité et détermination, le chemin d’une réconciliation durable entre eux. Cet inlassable effort individuel et collectif de concevoir et de construire leur « vivre ensemble ici et maintenant ».

AB : Je ne m’érige pas en juge ou en arbitre mais rappelle les faits historiques. Ecarter les élucubrations de théologiens « chrétiens » est incontournable. Pendant des siècles, ils ont accumulé une invraisemblable masse d’écrits sans grand profit pour la vie spirituelle quotidienne, mais très utiles pour alimenter la fragmentation religieuse entre églises concurrentes se référant à tel ou tel « père de l’Eglise ». Ce grand ménage est indispensable mais sera long dans le christianisme verrouillé par ses clergés.

AP 31 : Je refuse de juger l’histoire des religions en ce qui concerne leurs « systèmes de croyance ». A la limite, je m’en contrefous.

J’ai la Foi que j’ai envie d’avoir et je me bats ailleurs, sur le terrain où les adeptes d’autres « systèmes de croyance » partagent mon quotidien et se doivent de construire ensemble ce qu’ils définiront comme étant leur « Bien Commun ».

AB : Je pense que tu forces le trait en écrivant « je m’en contrefous ». Car aimer l’autre, c’est d’abord chercher à le connaître au sens fort, donc à naître avec lui à partir de ses convictions. Pour beaucoup leur tradition religieuse est très importante, c’est pourquoi nous devons nous pencher sur leurs histoires et celles de leurs textes sacrés.

Dans l’islam , c’est plus simple car qu’il n’y qu’un texte de base reconnu par tous, celui du Coran sans les vocalisations, avec quelques différences minimes de lecture. Comme croyants libres recherchant l’unité, nous pouvons nous dispenser des hadiths, des conseils circonstanciels donné par le prophète pour répondre aux questions de l’époque et dont la transmission n’est pas toujours fiable.

Les divisions dans l’islam résultent surtout de luttes pour le pouvoir califal aboli à juste titre par les ottomans, même si certains ignorants manipulateurs comme les chefs de Daesh ont tenté de le rétablir. Le sens même de musulman, celui qui s’abandonne à Dieu, est applicable à tout croyant et les 5 piliers de l’islam ne figurent pas dans le Coran. Il est donc plus facile à partir de ce texte commun de retrouver l’unité. Le processus diffère de celui applicable au christianisme, mais prendra plusieurs générations avant de prévaloir.

AP 32 : Je n’ai aucune attirance particulière pour le Coran que je trouve construit en pièces détachées, répétitions et contradictions à n’en plus finir. Je le respecte comme un texte reconnu par ses adeptes comme sacré et qui est, de toute évidence, une tentative de réponse à la question du sens.

La seule chose qui m’importe, c’est que l’Islam accepte qu’il ne possède pas la Vérité Absolue.

Certes, ce n’est pas demain la veille, pour la simple raison que penser que l’on possède la Vérité Absolue donne une force identitaire mobilisatrice des masses et aux répercussions politiques dont peu de dictateurs sont disposés à se passer !

AB : C’est la problématique de distinguer ce que dit le Coran et ce que dit l’islam.

Ce qui sera difficile, c’est de dépasser les préjugés d’ignorance dans le christianisme dont tu es toi-même victime. Tu décris l’islam comme fataliste, attitude traditionnelle dans la culture arabe qui ne sont que 15% des musulmans du monde, ou comme un acte de soumission quasi absolue à Sa Volonté (p.75), reflet d’une interprétation erronée du texte du Coran. Dans nos dialogues avec Gilles, nous avons approfondi ce sujet, en particulier à l’aide de la remarquable traduction du Coran que le Dr Al Ajami vient de publier.

AP 33 : Alors là tu y vas fort mon cher Antoine : Tu m’accuses d’être victime du christianisme et de ne pas connaitre l’Islam ! Je m’abstiendrai de commenter.

AB : Pas plus que je ne suis un juge, je ne suis un procureur. Tu connais beaucoup mieux que moi les musulmans arabes du Liban en ayant vécu avec eux, mais je te parle du Coran, pas de l’islam. Cher ami mathématicien, donc instruit en topologie, il y a bien des islams et un ensemble des musulmans dans le monde très difficile à définir, mais il y a un seul texte du Coran si on se restreint par sagesse à la version officielle en arabe sans les signes diacritiques.

Tu dis p. 295, « Ayons la force de dépasser les assurances que s’évertuent à nous donner les leaders religieux…, le courage d’aimer la vie et ses aléas, de respecter les autres, d’avoir jusqu’à la force de les combattre -lorsqu’il le faut- ». Je te prends au mot, car selon mon analyse, bonne ou mauvaise, le principal combat est pacifique, comme à l’époque de Jésus, il s’agit de récuser à partir de leurs textes de référence, les mensonges et silences venimeux des leaders religieux qui sont un socle essentiel des abus de tous les pouvoirs, car les puissants profanes ont presque toujours besoin du soutien de leurs collègues de la religion. C’est le cas au Liban.

AP 34 : Aucun combat ne peut être pacifique ! Tous les combats sont violents. Celui de Jésus l’était par excellence ! Par contre, il est temps de reconnaitre que « faire la guerre au nom de Dieu » est une pure supercherie. Nous devons la faire « au nom des hommes et de leur aspiration à la fraternité universelle », seule utopie pour laquelle nous pouvons nous permettre de sacrifier nos vies.

AB : A l’époque de Jésus, il y avait de nombreuses sectes juives dont celle des zélotes qui voulaient chasser les Romains par la force. C’était irréaliste et Jésus ne les a jamais approuvé, son combat était spirituel sous la « pax romana ».

Je suis d’accord avec toi quand tu soulignes l’insuffisance des dialogues interreligieux dont les protagonistes se contentent de généralités sans accepter de remettre en cause leurs doctrines traditionnelles

AP 35 : Je suis pour l’inlassable effort, individuel et collectif, de concevoir et de construire le « vivre ensemble des humains ici et maintenant ». Le reste est question de foi intérieure qui ne doit plus jamais servir de moyen d’asservissement des autres !

AB : L’effort individuel est incontournable, mais comme moi, tu n’attends pas grand-chose du syncrétisme, un exercice de récupération peu créatif (p. 17)

AP 36 : D’accord.

6 Construire nos âmes par l’amour et l’alliance fraternelle

AB : Pour changer le monde, il faut d’abord se changer soi-même, ce qui implique de renforcer notre âme par la prière, la méditation et l’action de Bien. On confond habituellement, et c’est regrettable, l’esprit agité par les émotions et les pensées et l’âme qui est notre être profond, le lien avec Dieu et qui aspire intensément à l’Amour. La Parole de 1974 affirme, « l’homme est corps, esprit et âme, les trois seront réunis en Mon Jour (de la Résurrection) ». Jai noté que dans ton chapitre 11 sur le corps, la distinction entre ces trois niveaux de conscience n’est pas claire.

AP 37 : Heureusement que ma pensée n’est pas claire ! Elle est la preuve qu’elle n’est qu’une tentative de rendre compte de mon humble expérience personnelle. Je prétends au droit de penser librement. Je me laisse le loisir de remettre en question ma propre pensée. C’est la seule façon d’éviter la dictature de l’endoctrinement qui est artificiellement sécurisante mais qui fait de nous des monstres.

AB : D’accord ! Ma conviction est que le Bien se construit d’abord dans notre âme individuelle. Si ce pilier est fragile, la société n’a plus de bonnes solutions collectives. Quand tu dis p.222, « C’est uniquement dans l’interaction synergétique et institutionnelle entre socialisation et leadership que se construit le Bien ». Je veux souligner que l’attente populaire d’un leader, la mode politique actuelle, est très périlleuse. Par contre, utiliser les compétences d’un décideur lucide et courageux (p. 233) est la meilleure solution pour gérer des situations complexes. Je ne confonds pas leader et décideur.

AP 38 : J’ai été leader dans plusieurs étapes de ma vie professionnelle et de mon engagement dans la vie collective et celle de la cité. J’ai toujours pratiqué le discernement collectif tout en maintenant une main ferme dans la prise de décision. C’est par cette synergie dialectique que j’ai réussi, en toute humilité, à « changer le monde autour de moi ». Bien sûr, je laisse aux autres qui ont été témoins de mon parcours, de juger si ce que j’affirme est vrai !

AB : Dans la Parole de 1974, le changement en bien partira de la base de la pyramide humaine. Jésus nous recommande un plan d’action différent pour les athées scandalisés par la religion et pour les croyants. Avec les athées qui ne veulent plus entendre parler de Dieu, il faut établir l’équité : « Mieux vaut qu’elle s’établisse sans Mon Nom, plutôt qu’en Mon Nom règne ce que j’ai en horreur ».

AP 39 : Je ne connais pas les références que tu cites. Je préfère ne pas commenter.

AB : Pour les assemblées de chrétiens, Jésus nous appelle à les libérer des clergés qu’il n’a jamais établis, des imposteurs.

AP 40 : Je n’aime pas cette appropriation de « ce à quoi Jésus appelle les chrétiens ». Qui sommes nous pour affirmer des paroles que Jésus aurait pu prononcer ?! Il ne sert à rien de nous substituer aux tenants des « systèmes de croyance » pour leur expliquer comment ils doivent « gérer » leurs adeptes et les « « référentiels de comportement au quotidien » qu’ils leur imposent.

Par contre, il est impératif que les tenants des « systèmes de croyance » acceptent, une fois pour toutes, le « Non » que contient nécessairement leur « système de croyance » et affirment de façon définitive et irrévocable le droit à l’existence des autres « systèmes de croyance », à la condition, bien entendu, qu’aucun des « systèmes de croyance » ne cherche à imposer aux autres « systèmes de croyance » ses propres « référentiels de comportement au quotidien ».

AB : Si les chrétiens sont des disciples de Jésus et si c’est bien Jésus ressuscité qui a parlé 40 fois au témoin Potay en 1974, la déduction coule de source. Je place les systèmes de croyance face à leur propre définition, à eux de se pencher sur la crédibilité du témoin.

Et pour les assemblées de juifs et de musulmans, il nous appelle à l’alliance fraternelle en partageant leur prière telle qu’ils la proclament. Ce qui implique un minimum de connaissance des textes et des pratiques de nos frères du monothéisme. Le sectarisme religieux est balayé d’un geste royal par le Ressuscité, ce qui n’empêche pas l’organisation par affinités d’assemblées de prière de sensibilités différentes.

Tu dis p. 293, « A ceux qui refusent le « Non » de Dieu et veulent en faire une exclusion des autres, il faudra patiemment, et par la force si nécessaire, faire comprendre que le chemin de l’Amour est le seul qui puisse transformer notre désir illusoire de tout avoir et, souvent, à l’arracher par la force, en désir d’être-avec-les-autres pour une réconciliation durable des humains entre eux ».

Je suis d’accord sur le fond, c’est le message évangélique initial, donné dans un contexte où la lutte de légitime défense n’avait pas de sens contrairement à la situation guerrière qu’ont dû affronter Moïse et Muhammad. C’est à tort qu’on imagine Jésus comme un doux mièvre, c’est bien lui qui maudit les clergés juifs et chasse à coup de fouets les marchands du temple.

Pour la non-convoitise, face aux croyants monothéistes juifs, chrétiens et musulmans, il est facile de leur rappeler les Dix Paroles de Moïse de ne convoiter ni la femme ni le champ de ton voisin, ce qui implique tout le reste des propriétés légitimes. Par contre face aux pilleurs et voleurs sans foi ni loi, le recours à la force peut s’imposer. Aimer quelqu’un, ce n’est pas le laisser s’enfoncer dans le mal.

AP 41 : Je dis bien que l’usage de la force sera nécessaire pour obliger tous les « systèmes de croyance » à accepter le « Non » que contient nécessairement leur « système de croyance » et les obliger à affirmer de façon définitive et irrévocable le droit à l’existence des autres « systèmes de croyance » que le leur, et à renoncer définitivement à imposer aux tenants des autres « systèmes de croyance » leurs propres « référentiels de comportement au quotidien ». De sorte que le « système de croyance » qui refuse d’entrer dans cette logique soit exclue de la communauté des hommes.

C’est dans ce contexte que je propose la création de l’Organisation Mondiale des Religions. Cela n’a rien d’une initiative béate. Il s’agit de défendre tous les humains contre toute sorte d’endoctrinement… cela inclut bien sûr l’endoctrinement que se préparent à nous imposer les tenants de l’Intelligence Artificielle.

Cet appel est indépendant des messages que nous avons reçus des prophètes et autres gourous de l’histoire de l’humanité. Il répond à la reconnaissance de la liberté de pensée et au respect de l’autre.

Le seul combat que doivent mener les humains, au nom de leur humanité et non plus au nom de leurs « dieux » c’est le combat pour la construction du « Bien Commun » entre les humains, depuis la cellule la plus petite qu’est le village, jusqu’aux états/nations, jusqu’aux Nations-Unies.

Certes c’est une utopie. Mais, en les respectant toutes, elle les dépasse toutes.

AB : Tu espères p.29 l’avènement de la « conscience universelle » d’être une seule et unique famille humaine, au-delà des imaginaires collectifs, des races, des dons.

AP 42 : Tout à fait.

AB : A la fin de ton chapitre d’espérance, le 14, tu ajoutes, « ce projet, sans doute perçu par certains comme naïf et irréaliste, j’ai eu l’immense bonheur de l’expérimenter tout au long de ma vie personnelle et de mon expérience professionnelle, au-delà de mes immenses faiblesses. Il me fallait le partager avec le plus grand nombre ». C’est une joie pour moi de relayer dans ce blog ce témoignage qui s’appuie sur une longue expérience de vie.

AP 43 : Effectivement, en tant que chef d’entreprises dans le domaine de la santé au Liban, j’ai été amené à « gérer » des équipes professionnelles diversifiées, allant des postes les plus modestes relatifs aux fonctions logistiques, aux postes les plus avancés relatifs à la vente et au marketing des médicaments, en passant par les contrôles de qualité indispensables à maintenir l’entreprise aux niveaux internationaux requis pour le bien des pharmacies, du corps médical, des hôpitaux et des patients.

Comme je l’ai expliqué au point AP 01, je me suis engagé aussi dans l’action collective avec le souci de donner au secteur des entreprises privées les moyens de dépasser leur état de « concurrence entre elles » pour arriver à s’organiser de sorte à se conformer – toutes ensembles – au normes indispensables au service du « Bien Commun.

Aussi bien dans mes activités au sein de mes entreprises qu’au niveau de mon engagement dans des associations professionnelles, jamais, je n’ai parlé de ma foi chrétienne à mes collaborateurs ; jamais je ne me suis posé la question de connaitre la religion ou la confession des personnes avec lesquelles j’étais amené à collaborer ou à recruter dans le but de collaborer.

Cette attitude, je l’ai maintenue tout au long de la guerre civile qui a ravagé le Liban de 1975 à 1990 et, par la suite, jusqu’à aujourd’hui. J’ai réussi à mobiliser tous mes collaborateurs et concurrents – au-delà de tous les égoïsmes et intérêts individuels – à oublier leurs identités religieuses/confessionnelles pour se mobiliser à « faire du business » dans un cadre que nous « construisons ensemble » et qui permet à se développer et à réussir individuellement tout en contribuant au « Bien Commun ».

C’est une expérience qui a comblé ma vie de « vrai croyant », c’est-à-dire le « croyant en l’homme » et sa capacité de construire le « Bien Commun ».

Cela ne veut pas dire que je n’ai pas été le témoin de beaucoup de turpitudes, ni que je n’ai pas été forcé de faire des « choses condamnables », ni que je n’ai pas eu à faire face à des situations où il m’a fallu me battre et me battre violemment.

Mais, au moins, je ne me battais jamais au « nom » de mon dieu, ni je donnais l’occasion aux autres de me combattre au « nom » de leurs dieux. Nous avions le souci permanent d’être « en ligne » avec les principes que nous mettions progressivement en place, entre le secteur privé et le secteur public, pour travailler ensemble au « Bien Commun ».

Oui, c’était un beau parcours. Et je peux dire que, malgré tout, cette vie fut belle.

AB : Ton livre date de 2018, beaucoup de choses ont changé dans le monde et surtout au Liban qui se trouve à la croisée des chemins. Nous souhaitons tous deux transmettre aux jeunes générations un peu de nos expériences et réflexions si elles peuvent éclairer leurs chemins. C’est ce que le Message inspiré à Gilles Cosson en 1997 nous appelle à faire car s’approchent les grandes mutations.

Nous sommes loin d’avoir bouclé notre dialogue, et je te propose de le poursuivre en ayant pour objectif un livre publiable d’une petite centaine de pages, dans le prolongement de ton essai mais en nous focalisant sur l’avenir du Liban. Ce qui s’y passera dans les prochaines décennies et surtout après notre départ de ce monde pourra donner des idées de dépassement et de réconciliation à d’autres peuples du monde.

Je te laisse y réfléchir et conclure notre présent dialogue. Je te cite : « L’Amour dans l’Etre, nous fait participer à la puissance absolue et au bonheur infini du fondement du Tout ».

AP 44 : Pour les vivants-conscients-de-l’Être que sont les humains, la vie (qu’elle soit l’œuvre d’un Créateur ou non) est un don. Ce mot « don » ne porte aucune connotation religieuse ou morale. Il ne veut absolument pas dire « cadeau » puisque la vie apporte aux humains certains éléments qui sont perçus par eux comme « bons » et d’autres comme « mauvais ». Je veux dire tout simplement que la vie est un état « reçu » par la créature sans aucune volonté antérieure de sa part. D’ailleurs, aucun vivant-conscient-de-l’Être ne peut prétendre le contraire puisqu’aucun n’est antérieur à sa propre naissance.

De ce fait, tous les humains sont égaux entre eux, parce que dépositaires – sans distinction – du même don qu’est la vie. Et c’est à l’écoute de tous nos ancêtres que nous, humains d’aujourd’hui, pouvons aller de l’avant sur le chemin de la recherche de sens.

C’est pourquoi aussi, dans leur perception du Non-Être qu’est leur « recherche de sens », les humains ont intérêt à s’ouvrir aux autres, leurs contemporains, dans leur totale diversité, qui sont autant de « non-êtres d’eux-mêmes » et qui peuvent devenir de ce fait, pour chacun de nous, humains, si nous le voulons, des sources inépuisables d’apprivoisement du Non-Être.

Si, par ailleurs, l’Amour est précisément la force de pouvoir s’anéantir pour que l’Autre existe, il ne serait pas étonnant que, par sa capacité de ne-pas-être pour que l’Être soit, le Tout, alternant de toute éternité entre Être et Non-être, soit « Amour ».

C’est pourquoi, j’en arrive à affirmer que l’Amour dans l’Être, nous fait participer à la puissance absolue et au bonheur infini du fondement du Tout.

L’Amour devient pour chacun de nous un bel exercice d’apprivoisement qui nous prépare, chaque instant de notre vie, à retrouver le Non-Être, en toute quiétude, à l’instant de notre mort.

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