L’Europe est sous le choc de la guerre en Ukraine. Mais elle ignore souvent le contexte historique qui explique cette guerre, la culture slave et le rôle des princes de la religion orthodoxe qui la soutiennent.
La Parole nous met en garde contre les pouvoirs religieux et les pouvoirs profanes : Le roi blanc, le roi noir, corne et dent (1977-10/6). Les frontières qu’ils tracent pour diviser les hommes en religions et nations ne sont pas identiques, mais ils s’allient pour déchiqueter le peuple. Le roi noir Poutine n’aurait jamais lancé cette guerre sans être sûr du soutien affiché du roi blanc Cyrille, patriarche orthodoxe de Moscou. Il prône dans ses sermons une guerre sainte contre l’Occident athée qui corromprait les orthodoxes ukrainiens.
Les chiffres du soutien populaire russe à Poutine sont contestés. Cependant, on peut l’évaluer à plus de 60% avant la guerre. Il a grimpé de 10 à 15% depuis. La masse populaire rurale, appauvrie et humiliée est restée dans la nostalgie du puissant empire des tsars et de l’URSS (post 61). Ce peuple courageux a résisté aux invasions napoléoniennes et hitlériennes. Il a stoppé leurs puissantes armées responsables de millions de morts des deux côtés.
1 Des territoires ukrainiens convoités depuis toujours : invasions et massacres
Une vidéo illustre le mouvement brownien des frontières européennes pour un monde contemporain où les frontières fluctuent et servent de prétexte inépuisable aux profiteurs de guerre : https://www.youtube.com/watch?v=t2vDidU5mHc.
La population vivant sur les territoires de l’Ukraine actuelle est hautement composite. D’innombrables groupes et nations s’y sont succédés et ont disparu, absorbés ou massacrés comme les Sarmates, des nomades indo-européens de la steppe pontique contemporains du roi Darius et des débuts de l’empire romain. Dès le 7ème siècle, des Khazars étaient présents en Ukraine et s’opposaient aux empires perses puis au califat musulman, certains se convertirent au judaïsme. Ce sont ensuite les vikings varègues de Suède qui ont marqué l’histoire ukrainienne en fondant au 8ème siècle le royaume de Rus’ avec Kiev comme capitale.
Les coumans, des pillards tucs écument la région au onzième siècle, ils fusionneront avec les aristocraties locales et se convertiront au christianisme. Ils seront suivis par les cruels tatars d’origine mongole qui se convertiront à l’Islam en s‘alliant aux turcs et fonderont le khanat de Crimée. Le quinzième siècle voit émerger les cosaques, des bandes composites regroupant des serfs fuyant l’esclavage, des turcs et des slaves. Ce sont de redoutables guerriers nomades qui louent leurs services aux puissances de la région sur tout le territoire russe.
Le grand-duché de Lituanie s’établit dès le onzième siècle après la chute de l’empire mongol. Il ira jusqu’en Ukraine et s’alliera au royaume de Pologne en 1569 pour repousser les tatars et prendre le contrôle d’une vaste région. Ils essaient d’imposer le catholicisme et se heurtent aux slaves de Russie, des nomades plutôt orthodoxes, ennemis des tatars musulmans. Après une longue guerre entre la Pologne et le tsarat de Russie, les belligérants font la paix en 1667 et se partagent l’Ukraine en deux le long du Dniepr.
L’Ukraine est indéniablement un pays stratégique, avec des terres fertiles situées à un carrefour géographique, constamment menacé par les rivalités d’empires. Comme la Corée entourée par les empires russes, chinois et japonais). Ce fut d’abord la rivalité entre l’empire byzantin et l’empire perse relayé par l’empire ottoman, et après le quasi empire polono-lithuanien, le conflit entre l’empire austro-hongrois et l’empire russe qui finit par conquérir l’Ukraine. Après avoir subi les dictatures meurtrières de Staline puis d’Hitler, ce pays se trouve à la lisière de deux blocs en confrontation depuis la guerre froide : le pacte militaire de l’OTAN et l’empire guerrier de Poutine.
Après la victoire révolutionnaire des bolcheviques de Lénine en 1917, l’Ukraine connaitra une brève période d’indépendance en 1917-1922 sur un territoire morcelé avant d’être avalée par l’URSS. La deuxième guerre mondiale fera huit millions de morts en Ukraine. Elle est envahie par les nazis allemands puis récupérée par Staline qui n’oubliera jamais la proclamation d’indépendance par son parlement, la Rada. La résistance armée de l’ouest du pays contre l’URSS continuera jusqu’en 1954. En 1945, l’Ukraine obtient un siège à l’ONU, grâce à sa lutte contre le nazisme, comme la Biélorussie, ce qui donne deux voix de plus au bloc soviétique.
Le territoire actuel de l’Etat ukrainien résulte de cessions à l’intérieur de l’URSS entre 1939 et 1948 par la Pologne, la Roumanie et la Hongrie, puis en 1954 par la Russie de la Crimée par Khrouchtchev qui y avait passé sa jeunesse. Après la libéralisation progressive de l’URSS, le Parlement ukrainien proclame l’indépendance le 24 août 1991 que les électeurs ratifient à 92 %. Le 8 décembre 1991, la dislocation de l’URSS est signée par les dirigeants russe, ukrainien et biélorusse. L’empire soviétique s’effondre et beaucoup de russes ne le digèreront jamais.
Le clivage ukrainien perdure entre le nord-ouest, orthodoxe mais d’influence polonaise et lituanienne, donc occidentale, et le sud-est soumis aux Tatars et aux Ottomans, puis conquis et colonisé par l’Empire russe. Le nord-ouest vote plutôt pro-européen et se méfie de l’influence russe. Le sud-est vote plutôt pro-russe, se méfie de l’Occident et conteste le pouvoir de Kiev.
2 Une relation historique complexe avec la Russie
L’immense Russie a toujours été unifiée de force par une « verticale du pouvoir » venant de St Petersburg puis de Moscou. Elle a un peuple dominant, les slaves de Rus’ convertis du paganisme à l’orthodoxie par décision de Vladimir « le Grand » en 988 (grand par sa cruauté et sa cupidité sexuelle), pour épouser une princesse byzantine. Il inaugure une longue série de guerre russo-polonaises. En 991, le Patriarcat de Constantinople crée la métropole de Kiev et de toute la Rus’.
En 1240, Kiev est détruite par les Mongols et en 1299, la métropole orthodoxe est transférée en Moscovie avec maintien d’un patriarcat à Kiev. Au fil de siècles de conquêtes par des despotes comme Pierre le Grand (1672-1725) et Catherine (1729-1796), monarques de droit divin soutenus par les églises, les russes se tailleront dans le sang un immense empire. La Russie est le plus grand pays du monde par sa superficie et l’Ukraine, conquise par Catherine, reste aux yeux de Moscou un territoire indispensable pour maintenir sa puissance.
La capacité et la volonté de Moscou de massacrer les peuples qui résistent n’est pas nouvelle : le comité central communiste en 1919 recommande « une terreur de masse impitoyable contre tous les cosaques qui ont pris part directement ou indirectement à la lutte contre le pouvoir soviétique pour procéder à leur extermination complète ». Cette directive déclenchera la famine soviétique de 1921-1922 qui ciblera les paysans ukrainiens et les tatars.
Staline investit dans le charbon et l’acier au Donbass à la fin des années 20. Il organise de nouvelles famines en 1932 pour briser la résistance des paysans à la collectivisation en confisquant leurs récoles. C’est « l’Holodomor », une extermination par la faim qui fait cinq millions de victimes. Elle ciblera surtout l’Ukraine, la région la plus fertile de l’URSS. Staline voulait se venger des ukrainiens résistants, comme Poutine qui martyrise aujourd’hui Marioupol, une ville russophone qui a pris le parti de l’Ouest lors de la guerre du Donbass.
Un pacte germano-soviétique est signé en 1939, après l’échec du soutien russe aux communistes espagnols en guerre contre Franco. Ce pacte voulu par Staline fut accepté par Hitler qui le balaiera en 1941 en s’attaquant à la Russie qui rejoint alors les alliés. Mais ils s’accordent sur un protocole secret délimitant entre eux des sphères d’influence. Sa mise en œuvre se traduira par l’invasion par l’armée russe de nombreux territoires : Pologne, Finlande, pays baltes et Bessarabie (des territoires à cheval sur la Roumanie et l’Ukraine).
Après avoir stoppé l’armée allemande à Stalingrad, l’armée rouge se rue sur Berlin pour y arriver avant les alliés. Staline dicte ses conditions à Roosevelt et à Churchill et s’impose comme dictateur sur toute l’Europe de l’Est, donc sur l’Ukraine. L’empire russe change d’idéologie, de l’orthodoxie au communisme, mais conserve sa verticale du pouvoir. La religiosité orthodoxe réapparaîtra et le rêve impérial russe persistera.
3 La valse des rois blancs orthodoxes
Cyrille, patriarche de Moscou, est l’archétype des rois blancs qui scandalisent, un idéologue ambitieux, cupide et arrogant. Les catholiques se soumettent à une hiérarchie romaine, mais les orthodoxes s’unissent autour d’Eglises autocéphales. Le christianisme est resté profondément divisé (post 29). Le patriarcat œcuménique de Constantinople (PC) a théoriquement autorité sur les autres dignitaires orthodoxes. Mais depuis la prise de Constantinople par les musulmans, le patriarcat de Moscou (PM) avec 100 millions de fidèles est le plus puissant. C’est le dernier vestige de l’espace impérial russe.
Malgré les persécutions communistes, les deux tiers de la population russe se déclarent orthodoxes, le double de celui de 1991. J’ai pu constater à la fin des années 90 que les églises russes étaient très fréquentées, y compris par de jeunes adultes et en dehors des messes. Ses fidèles voient le PM comme une référence nationaliste et non une source de valeurs spirituelles et morales. Le métropolite Philarète perd l’élection de 1990 à la tête du PM face à Alexis II qui meurt en 2008 et cède sa place à Cyrille, « patriarche de toutes les Russies ».
Philarète retourne en Ukraine pour établir en 1992 le patriarcat de Kiev (PK) sur 5 300 paroisses. Le patriarcat ukrainien autocéphale (PU), proclamé en 1920, renaît de ses cendres en 1989, il a 1 200 paroisses avec le métropolite Macaire à sa tête. Créée en 1990, l’Eglise orthodoxe ukrainienne rattachée à Moscou, très ancrée au Sud et à L’est du pays, compte plus de 12 600 paroisses. Elle perd du terrain depuis le conflit de 2014. La perte de diocèses et de leurs revenus financiers peut ébranler l’autorité de Cyrille qui anathématise les autres métropolites.
Le pouvoir politique russe s’oppose depuis toujours à l’indépendance des églises ukrainiennes du PM. En 2018, Constantinople révoque la lettre de 1686 rattachant Kiev au PM et annule les anathèmes de Philarète et de Macaire. Cyrille va à Istanbul pour en dissuader le patriarche. Il tente en vain de capitaliser sur les dissensions des deux églises (partage des paroisses et des biens, direction de l’Église unifiée). Le 15 octobre, le synode du PM rompt ses liens eucharistiques et diplomatiques avec Constantinople.
La division en patriarcats autonomes met en lumière les luttes de pouvoir et d’orgueils des princes des églises orthodoxes, alors que Rome peut plus facilement maintenir le secret sur les sombres agissements de la curie romaine. Les cultes orthodoxes ont des siècles de retard, mais leurs dignitaires sont à la page. Cyrille, ancien espion du KGB au COE chrétien de Genève, a son chalet en Suisse. Pour le journaliste Bytchkov, c’est l’homme le plus riche des Eglises avec une fortune d’1,5 milliard de dollars, amassée grâce aux trafics de cigarettes avec l’Irak. Il l’organisait comme responsable des affaires étrangères du PM. C’est un ami de Poutine qui s’est construit deux datchas luxueuses sur le lac Ladoga pour lui et Cyrille. Leurs relations se sont ternies après la perte de contrôle du PM sur les orthodoxes ukrainiens malgré les promesses faites à Poutine.
Idéologiquement, il reste dans la longue tradition du PM, proche des autorités politiques comme au temps de l’URSS. Pour lui les droits de l’homme sont une « hérésie globale ». Il bénit les soldats russes le 24 février, jour de l’offensive en Ukraine (comme le pape romain avait béni les soldats d’Hitler). Dans ses sermons suivants, il parle d’une « guerre contre les forces du mal qui veulent combattre l’unité historique entre nos deux pays et les valeurs traditionnelles russes », une « lutte contre un Occident en décrépitude morale qui a abandonné ses racines chrétiennes ». La faute en incombe à l’OTAN qui « renforce sa présence militaire malgré les craintes de la Russie ». La Russie mène une « guerre existentielle, une action défensive face au déferlement atlantiste ».
Cyrille va plus loin le 6 mars : « il s’agit du salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, Juge et Créateur ». Il rejoint les thèses de Douguine, un conseiller du Kremlin. C’est une guerre de civilisations où la Russie est un continent, l’Eurasie, le bastion d’une civilisation continentale incluant orthodoxes et musulmans religieux. Le seul capable de résister aux américains décadents qui placent la liberté et le respect de la vie comme valeurs suprêmes, avant la religion.
Poutine avait déclaré en 2014 : « la lutte de l’Occident contre la Russie ne cessera jamais », et ajoute en 2018 : « Nous, victimes d’une agression, en tant que martyrs, irons au paradis et nos ennemis mourront sans avoir le temps de se repentir » ! En France, les discours de Cyrille et de Poutine les ridiculiseraient, mais dans la Russie profonde, ils sont religieusement écoutés.
Tous les prélats orthodoxes ne suivent pas cette idéologie. Les tchèques et les slovaques espèrent que « les liens historiques et spirituels entre les deux pays aideront à résoudre le conflit ». À Jérusalem, on évoque une « crise » sans nommer la Russie pour ménager les pèlerins russes et leur argent. Les grecs soutiennent l’Ukraine et dénoncent un conflit injuste. Le métropolite des Eglises orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale adresse le 9 mars une lettre ouverte à Cyrille et un groupe de 300 prêtres orthodoxes russes lance une pétition ouverte pour un cessez-le-feu immédiat. Il critique la répression des manifestations non-violentes pour la paix. Le prêtre de Kabanovo est arrêté pour avoir prêché contre la guerre.
Mais la plupart des dignitaires orthodoxes slaves partagent le rêve impérial de Poutine : dominer le peuple en pactisant avec les pouvoirs politiques et étendre leur empire sur les consciences. Au Monténégro, membre de l’OTAN et pays divisé, l’église orthodoxe et les partis proserbes se sont rendus maîtres de tous les leviers de pouvoir. Une recrudescence de la violence dans ce pays est probable. La Dame apparue à Fatima en 1917 demandait à la petite Lucie de prier pour la conversion de la Russie, juste avant la révolution communiste. La conversion du peuple russe à la non-violence de l’Evangile reste d’actualité !
4 De petits rois noirs provocateurs et violents
Après la guerre contre la Tchétchénie dévastée par l’armée russe, elle réapparaît en Géorgie après la « révolution des roses » de 2003. Elle renverse Chevardnadze, ex-ministre de l’URSS élu président de Géorgie en 1995, décrédibilisé par la corruption, la défaite face aux indépendantistes abkhazes et sud-ossètes et la chute de l’économie. Saakachvili, élu président, déclenche le 7 août 2008 une deuxième guerre contre les provinces séparatistes.
L’assaut des troupes géorgiennes fait 1 600 victimes civiles en 4 jours d’après les russes ; or beaucoup d’Ossètes du Sud ont un passeport russe. Medvedev envoie son armée pour « protéger la population de l’Ossétie du Sud et contraindre la Géorgie à la paix ». Après quatre jours d’avancée rapide des russes et de bombardements sur plusieurs villes, Medvedev annonce que ses objectifs sont atteints. Les troupes russes resteront sur les positions définies par l’accord de paix signé en 1992. Un cessez-le-feu est signé le 16 août, mais le contentieux territorial demeure entre le pouvoir géorgien et les indépendantistes.
En Ukraine, le clivage entre les pro-russes et les pro-européens reste équilibré quelque temps. Le pro-russe Koutchma gagne les élections présidentielles de 1994. La révolution orange de 2004 éclate contre la politique centralisatrice et pro-russe du président, la corruption et les manipulations électorales qui avaient donné la victoire provisoire au premier ministre Ianoukovytch soutenu par le clan du Donetsk. Il s’enfuit en Russie après les tirs de la police contre les manifestants. Le pro-occidental Iouchtchenko est élu début 2005, il sera empoisonné à la dioxine. Mais Ianoukovytch remporte de justesse la victoire lors de élections de 2010. Il sera ensuite destitué par le parlement, s’enfuit en Russie et affirme qu’il reste le président élu de l’Ukraine, ce que le clan pro-russe soutient.
Dans ce contexte interne trouble et après l’annexion de la Crimée par la Russie, Porochenko, le milliardaire du chocolat, ancien ministre de Ianoukovytch qui a soutenu la révolution orange est élu président en juin 2014. L’armée ukrainienne venait d’intervenir au Donbass contre l’insurrection à l’Est inaugurée par des manifestations anti-Maïdan le 23 février. Il ne tiendra pas compte d’un vote local favorable à l’indépendance, aux résultats contestés mais vraisemblables, ni des leçons de la Géorgie et du risque de provoquer Poutine.
Il se crispe sur l’idéologie de l’intégrité territoriale de son Etat-nation et accélère la guerre. Merkel et Hollande interviennent pour obtenir les accords de Minsk, un cessez-le-feu jamais respecté. Cette guerre ignorée par les médias occidentaux, aurait fait plus de 15 000 morts (https://www.youtube.comwatch?v=WEPkwZyqebk). Le pouvoir politique établi à Donetsk développe maintenant sa propagande guerrière anti-Kiev, y compris dans les universités et les écoles, et les popes locaux orchestrent leur soutien à l’indépendance avec des prières en russe.
Porochenko, en panne dans les sondages choisit le slogan : « Armée, Langue, Foi » et fait de l’autocéphalie de l’Eglise ukrainienne un cheval pour sa réélection. Il obtient le soutien du PC et parle d’une « victoire du bien contre le mal » et d’une église « sans Poutine et sans prière pour l’armée russe ». Il lance une politique linguistique d’ukrainisation et de rejet de l’héritage soviétique, « pays agresseur ». Toutes ces provocations accumulées ont eu un rôle déterminant dans la décision de Poutine de déclarer la guerre à l’Ukraine malgré la position plus prudente du nouveau président Zelensky, facilement élu en 2019 avec 73,2 % des voix.
Zelensky est un russophone qui a réussi comme humoriste au théâtre puis à la télévision. Il prône un cessez-le-feu dans le Donbass et la lutte contre la corruption. Mais le contexte est piégé par son prédécesseur : en octobre 2019, dix mille personnes manifestent pour protester contre son projet d’accorder l’autonomie au Donbass. En 2022, il réaffirme son projet d’adhérer à l’OTAN de façon à « garantir la sécurité du pays ».
Le 24 février, jour de l’invasion, Zelensky s’adresse à la télévision à son peuple en ukrainien et aux Russes en russe : « Ce pourrait être le début d’une grande guerre sur le continent européen, j’ai vainement cherché à parler au président russe ». Il appelle les Russes à refuser d’attaquer et affirme qu’on leur ment à propos de l’Ukraine. Le 25 février, le gouvernement américain propose à Zelensky de l’exfiltrer de Kiev. Il refuse cette offre : « le combat est ici à Kiev ; j’ai besoin de munitions et pas d’un chauffeur ». Le 1er mars, dans son premier discours sur l’état de l’Union, le président américain déclare que le président Zelensky « inspire le monde », et le lendemain, Macron déclare qu’il incarne « le visage de l’honneur, de la liberté et de la bravoure ».
Comprenant que l’adhésion à l’Otan est devenue improbable et que les ukrainiens doivent assurer eux-mêmes leur sécurité en tenant compte des positions russes, le 8 mars, Zelensky déclare ne plus insister pour obtenir l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et être ouvert à un dialogue avec Poutine sur la reconnaissance du statut des territoires séparatistes du Donbass et de la Crimée. Elu à 42 ans, cet homme courageux et réaliste manquait certainement d’expérience pour décrypter les jeux de pouvoir dans cette zone dangereuse. Mais les grands pays européens ont manqué de lucidité face à Poutine, en particulier Boris Johnson qui l’a encouragé à la guerre totale. Le coût en vies humaines est exorbitant.
Après cette guerre, les villes ukrainiennes dévastées seront certainement reconstruites avec l’aide de l’Europe. Car l’argent et les technologies ne manquent pas. Mais la reconstruction physique et morale des vies déchiquetées n’est pas affaire d’argent. Le courageux pardon est le seul moyen de cicatriser les plaies émotionnelles et de résister au désir de revanche qui engendre des vengeances sans fin (27/9). L’histoire humaine l’a prouvé. Pardonner n’est pas oublier les exactions, c’est ne pas juger définitivement des responsabilités de chacun. Mais il faut empêcher l’agresseur de récidiver et donc se protéger de lui et du système idéologique qui l’a conditionné.
5 L’empire orthodoxe russe et ses nostalgiques
Le chef des calédoniens insurgé contre Rome, cité par Tacite disait : « Enlèvements, massacres, pillages, voilà ce qu’ils appellent l’empire, et laisser des déserts, voilà ce qu’ils appellent la paix ». La nostalgie d’empire du peuple russe, soigneusement cultivée par ses rois noirs et blancs disparaitra lentement, avec la montée des nouvelles générations et le choc des réalités. La réalité, la cruauté de l’armée rouge et la dictature d’un kleptocrate, fera son chemin dans les consciences russes, par les récits des soldats de retour de l’enfer, par le changement de discours de quelques popes courageux, par les informations parvenant aux familles des russes émigrés. Un témoin de la guerre disait que même son père refusait de le croire à cause de la propagande russe montrant des vidéos truquées de tortures par les « nazis » ukrainiens.
Deux prix Nobels de littérature, Svetlana Alexievitch et Herta Muller, des berlinoises lucides ayant vécu l’univers postsoviétique, évoquent la nostalgie soviétique dans un interview du 5 février. Herta a vu au Donbass « dans les villages des vieillards assis qui n’avaient ni dents ni chaussures, mais des décorations de guerre épinglées à leur veste élimée, le seul motif de dignité qui leur restait ». « Quand on a été opprimé très longtemps et que la liberté arrive brusquement, elle est vide, elle fait mal. De la dictature il reste des rues défoncées et une économie à genoux, mais aussi des gens déboussolés ». « Ils n’ont pas l’impression d’avoir vécu sous une dictature mais le souvenir d’une vie correcte ». Svetlana explique dans son dernier livre comment la période soviétique influence encore la jeunesse russe : « l’homme rouge n’est pas mort, ni les dictatures ».
Désinformée par Poutine, la population est clivée entre une petite minorité, les jeunes des grandes villes comme ceux qui sont allés en Occident pour y vivre ou pour des vacances, et la masse paysanne russe. Elle est à l’image de ses pieuses et vieilles « babouchkas » de province qui continuent à vénérer leur tsar et leur pope et à dépendre des aides sociales. L’espoir d’une révolution du frigo des analystes qui prônent des sanctions économiques, donc des pénuries alimentaires, est irréaliste. Le peuple russe est habitué à souffrir et à vivre de pommes de terre et de blé qu’ils produisent en grande quantité.
Les russes sont habitués aux grandes crises destructrices du système de pouvoir, de la production économique, et des situations sociales. Celle de 1917 a transformé de richissimes nobles en chauffeurs de taxis à Paris. Les emprunts russes défaillants ont ruiné beaucoup d’épargnants dont nos aïeuls. Après la tyrannie stalinienne et les décennies Brejnev de stagnation, la perestroïka de 1985 conduit à l’effondrement de l’économie. Des cadres hautement qualifiés deviennent des commerçants-navette et la crise financière de 1998 remet les compteurs à zéro pour les salariés et les épargnants.
Sous Poutine, les prix du pétrole remontent et la situation économique s’améliore. Donc si elle se dégrade, dans l’esprit du consommateur russe, c’est à cause des sanctions occidentales qui renforcent ce sentiment national d’une Russie citadelle assiégée et mal aimée. Poutine exploite cette mémoire de la sainte Russie vénérant son tsar et son armée rouge victorieuse du nazisme. Même si l’armée rouge perd sa dignité avec les crimes de guerre en Tchétchénie et aujourd’hui en Ukraine. Beaucoup de jeunes soldats enrôlés de force et enivrés par la violence guerrière seront marqués à vie.
La masse russe n’échappera pas à un appauvrissement considérable car la gestion du kleptocrate Poutine a été catastrophique. Avant la guerre, 15% des russes étaient sous le seuil de pauvreté, avec des routes défoncées, des terres polluées, des habitations délabrées. C’est un géant militaire, mais un nain économique malgré ses richesses naturelles. Son PIB est la moitié de celui de la France et sa population de 150 millions d’habitants est en plein déclin. Mais chaque génération éprouvée a montré sa résilience à survivre par la débrouille. La lucidité sur Poutine peut tarder, mais le courage face à l’épreuve est déjà là. Nul ne peut savoir quand le peuple russe ouvrira les yeux et quel sera le facteur déterminant du changement.
Cette guerre et les mauvaises récoltes chinoises déstabilisent la situation alimentaire mondiale. Le prix du blé s’est envolé de 69% en un an, c’est une nourriture de base des pays pauvres comme le riz dont les récoltes peinent avec le réchauffement. Des émeutes de la faim deviennent possibles partout.
L’ours russe est à gérer avec sagesse mais sans faiblesse, il faut montrer ses muscles, ce que fait l’Ukraine qui les connaît bien. L’Allemagne n’avait envoyé d’abord que des casques en Ukraine, mais l’opinion publique a radicalement changé. Elle a permis la décision unanime de l’UE de financer plus d’un milliard d’euros d’armes pour l’Ukraine.
6 Le kleptocrate Poutine, son territoire de chasse et ses obligés
La Parole nous met en garde contre les kleptocrates (du mot grec voler) : « les riches et les puissants… qui ont mis en lois leurs rapines, leur injustice et toutes leurs abominations en alliance qu’ils font habilement sceller par ceux qu’ils dominent pour les corrompre, les tromper, les voler » (27/8). Poutine, d’après des enquêtes sérieuses, est l’homme le plus riche d’Europe directement et via les oligarques enrichis grâce à lui qui sont ses obligés. Il a satisfait assez vite sa soif de pouvoir, mais sa soif d’argent et celle de ses proches est sans limites. Seule sa collection de montres luxueuses est visible, ses datchas et sa double vie de famille restent bien cachées.
La culture militaire a imprégné sa jeunesse soviétique. Son père a été blessé en 1941, il a grandi à Leningrad, ville héroïque où sa mère a failli mourir, qui a payé de près de 2 millions de morts sa résistance aux armées nazies. Il a subi le service militaire soviétique avec ses bizutages atroces et ces rites d’initiation virils et commence sa carrière comme espion du KGB. Il restera dans la logique de la guerre froide.
Parachuté à la mairie de St Petersburg par les services secrets, il y détourne des fonds pour son bénéfice personnel. Eltsine le sélectionne pour le rejoindre à Moscou. Menacé par des enquêtes judiciaires, Eltsine finit par démissionner et nommer Poutine comme président par intérim en contrepartie d’une garantie d’impunité (voir https://www.youtube.com/watch?v=V_ESMroZYRo).
Les années de Poutine au pouvoir sont marquées par la guerre. En 1999 Poutine ne recueillait que 1% des intentions de vote pour l’élection présidentielle. Il se fait alors photographier en uniforme avec des soldats et lance sa phrase « buter les terroristes (tchétchènes) jusque dans les chiottes ». Les intentions de vote décollent. Poutine est élu président et lance ses troupes en Tchétchénie.
Poutine ne lâchera plus le pouvoir. Il renforce la « verticale du pouvoir », concentre toutes les décisions dans un petit cercle de proches. Limité d’abord à deux mandats, il propulse son ami Medvedev qui démissionnera ensuite pour laisser Poutine redevenir président et persécuter ses opposants. C’est le nouveau tsar inamovible de l’empire russe. Il harangue les foules : « Vous avez détruit l’ennemi et gagné, vous avez soulevé et reconstruit un pays dévasté ». Il prend la tête des parades militaires du 9 mai, photos de son père à la main. Des chapeaux militaires se vendent partout, comme les uniformes pour enfants. Il renforce l’éducation au patriotisme, martèle la grandeur de la victoire soviétique. Il réhabilite Staline et justifie ses purges.
Le prédateur Poutine veille en réalité à garder son territoire de chasse et redoute de voir la Russie exploser comme l’URSS. A l’international, il manœuvre habilement pour affirmer la puissance russe. Il annexe la Crimée en 2014, et intervient en Syrie en 2015 pour sauver son collègue dictateur Assad et en faire son obligé. Il intervient en janvier 2022 au Kazakhstan pour maintenir le pouvoir menacé par des révoltes locales. Ces actions s’inscrivent dans sa stratégie d’agrandir son territoire et sa zone d’influence avec des voisins vassalisés.
La guerre en Ukraine renforce son image de chef militaire et nourrit l’industrie de l’armement. Une économie de guerre est possible pour la Russie, souhaitée par les corrompus et booste le PNB. A Marioupol, à Grozny en Tchétchénie et Alep en Syrie, Poutine sème la terreur. Il parle de « purification » contre les nationaux-traîtres russes réfractaires à son régime. Mais il a sous-estimé l’évolution rapide de l’opinion ukrainienne depuis 2014 et sa capacité de résistance à une invasion russe. Un réfugié du Donbass à Kharkiv témoigne : « Gamins nous méprisions la langue ukrainienne, on se moquait des paysans et de leur accent. Mon père ne croyait pas à l’Ukraine, mais nous sommes différents des russes ; seul le Kremlin pense que là où on parle le russe, c’est la Russie, ils se trompent ».
Cette horrible guerre a fait basculer l’opinion ukrainienne, et ceux qui font encore confiance au système russe sont très minoritaires. Les ukrainiens ont vécu la liberté et ils y tiennent. Le peuple vote aussi avec ses pieds : 300 000 sont partis vers la Russie ou Biélorussie, déportés de force ou fuyant la guerre, mais plus de quatre millions se sont réfugiés à l’Ouest ou en Turquie.
Certains rêvent d’assassiner Poutine comme d’autres ont essayé en vain de tuer Hitler ou Staline. Cela ne changerait pas grand-chose : un autre roi noir de son clan le remplacera. Il peut encore vivre une vingtaine d’années ou finir en prison pour crimes de guerre. Ce qu’il faut changer, c’est la mentalité du peuple qui l’a porté au pouvoir pour que disparaisse la possibilité d’un nouveau dictateur sanguinaire. Ce sera long car les médias relativement indépendants se taisent face à la loi votée à l’unanimité par la Douma qui menace de 15 ans de prison tout journaliste parlant de guerre.
La guerre du Yémen a fait presque 400 000 morts, celle de Syrie 500 000 morts en dix ans. Celles du Congo ont fait plus de 4 millions de morts avec les victimes des famines. Jusqu’où ira la guerre en Ukraine ? Il n’y a ni guerre sainte, ni guerre propre, ni guerre contrôlable pour libérer un Etat d’un dictateur. Quand les USA lâchent Noriega, un militaire putschiste et ancien agent de la CIA et envoient leur armée en 1989 envahir le Panama, un juge américain conclut : « Nous avons laissé Noriega établir la première narcokleptocratie de l’hémisphère ». Combien de catastrophes débordent les prévisions trop optimistes des politiciens et rebelles qui décident des guerres et les prologent ?
Pour réparer les conséquences des guerres, la seule solution à long terme part de l’intelligence spirituelle. Elle commence par le pardon et la sollicitude fraternelle pour reconstruire des vies et des sociétés des deux côtés des frontières artificielles érigées par les hommes. La chaude fraternité des européens face aux réfugiés ukrainiens est revigorante et sera peut-être un antidote à la xénophobie montante ?
7 Quelles leçons tirer du drame ukrainien pour se libérer de l’emprise des rois blancs et noirs ?
L’occident sous-estime l’importance de la manipulation par les rois blancs de la religion pour conditionner et dominer les peuples. Les rois blancs de Rome, ont perdu leur emprise sur leurs fidèles et ont gagné en simplicité. Ce n’est pas le cas de leurs collègues orthodoxes qui se revêtent de parures prestigieuses pour impressionner. Les idoles que la Parole nous demande d’abattre dans l’esprit de nos frères chrétiens sont celles de la théologie chrétienne, en particulier la trinité qui les sépare de leurs frères juifs et chrétiens, mais surtout les pouvoirs magiques que s’octroient les prêtres et leur engeance princière (1/7) de confesser, pardonner au Nom de Dieu et distribuer la manne « eucharistique ».
On peut espérer que les rois et princes de la religion orthodoxe, après ces odieux sermons et ces divisions, vont perdre de leur arrogance. Que les russes comprendront leur imposture. Les bons popes pourront toujours se consacrer à un humble accompagnement spirituel de leurs fidèles. Mais il faudra toujours se méfier des « séductions des voix douces venues de l’horizon qui deviendront vite le tonnerre des tyrans » (Parole de 1974). Du côté des pouvoirs profanes, les rois noirs, cette guerre va certainement relancer un cycle de surinvestissement militaire et réjouir tous les profiteurs de guerre.
L’histoire de ces derniers millénaires prouve la pertinence des avertissements du Créateur sur les calamités (22/3) engendrées par les pouvoirs religieux et profanes. Les frontières et les pouvoirs étatiques créent la division et la violence organisée. Il faut s’en libérer résolument et pacifiquement par la force de la conscience du Bien universel de l’humanité. D’après Hariri, auteur de « Sapiens », le premier indice archéologique incontestable d’une guerre ne remonte qu’à 13 000 ans. Après cette date, rares sont de tels indices.
La résistance à Poutine pose la question de la non-violence, efficace dans le contexte de Gandhi (post 41) face aux anglais. Elle est inappropriée face à Hitler, Staline ou Poutine qui pensent en rapports de force. Pascal écrivait en 1670 : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique ».
Il faut aussi anticiper les risques de guerres et de violences liées aux pouvoirs politiques trop centralisés qui ouvrent la porte aux autocrates et à leurs décisions aveugles. Il y a des dictateurs élus comme Assad, Sissi… et des putschistes accrochés au pouvoir. Mais qui sait dans quelle impasse politique ou économique peuvent mener des populistes habiles à gagner les élections démocratiques comme Trump ou Poutine ? La concentration du pouvoir place les français dans un contexte risqué, le prochain parlera des réformes institutionnelles nécessaires pour anticiper le risque de la victoire de l’extrême droite.