Le millésime 2022 de l’élection présidentielle française était une cuvée à risque. La poussée de fièvre d’une xénophobie absurde artificiellement provoquée par deux candidats habiles, mais aussi incompétents qu’ambitieux aurait pu nous conduire à un pouvoir xénophobe. Une calamité pour notre avenir et la fraternité entre habitants du pays, français ou étrangers réunis.
Le vainqueur a recueilli 18,8 millions de voix sur une population française de 67,8 millions d’habitants soit 27,7%. Cette population comprend les mineurs. Mais pas les étrangers qui resteront chez nous à long terme (dont le nombre dépendra de leurs choix et des nôtres). Ces deux groupes ne peuvent voter. Mais ils sont concernés par nos choix politiques. Le résultat affiché de 58,5% n’est donc qu’une petite minorité des électeurs avec 28% d’abstention et 6,5% de votes blancs et nuls.
L’abstention en France est en forte progression. Elle prouve la perte de confiance de la population à l’égard du monde politique et de la prise en compte de leurs attentes. Il faut remonter à 1969 pour trouver une abstention aussi forte. A l’époque, beaucoup d’électeurs furent indifférents au choix entre Pompidou et Poher. Notre président de 2022 a conscience du problème : « nous devrons répondre aux abstentionnistes ». Et de l’importance du vote barrage estimé à plus de 40% de ses électeurs du second tour qui refusaient une victoire de Marine Le Pen.
L’échec de l’extrême droite française (provisoire ?) a soulagé beaucoup de personnes en France et à l’étranger et la quasi-totalité des dirigeants politiques à l’exception de quelques autocrates comme Poutine et Orban (la banque d’un de ses amis oligarques avait prêté 10,6 millions d’euros au RN) et des petits partis européens d’extrême droite. La France est ainsi le seul pays d’Europe occidentale où une candidate d’extrême droite se rapproche dangereusement du seuil de 50 % des suffrages exprimés qui lui permettrait de prendre le pouvoir. Même Hitler n’avait obtenu que 36% des voix avant d’installer sa dictature. Pourquoi cette triste spécificité française ?
1 Des systèmes politiques à bout de souffle
La France est dans l’impasse de beaucoup d’Etats modernes. Le gouvernement du peuple est confisqué par une petite minorité de plus en plus autoritaire de politiciens et bureaucrates (post 45b). Quelle que soit la manière dont il se sont emparés du pouvoir, les rois de ce monde et leurs serviteurs zélés restent déterminés à nous corrompre, nous tromper, nous voler (Parole de 1974-27/8).
La prise de conscience de cette aliénation par les hommes et leurs nations est variable suivant leur histoire et leur éducation. En Europe et en particulier en France, les peuples ont compris l’imposture des pouvoirs. Tous les sondages révèlent la perte de confiance envers les clergés religieux, les politiciens et les médias institutionnels qui les servent. Dans nos sociétés modernes peuplées, éduquées et diversifiées, la possibilité d’un gouvernement démocratique est devenue beaucoup plus aléatoire qu’à l’époque des grecs. Les décisions majoritaires peuvent conduire à la tyrannie sur les minorités. Et personne ne peut prétendre représenter des citoyens qu’ils ne connaissent pas. Bien gouverner un grand Etat-nation devient très difficile.
D’où la peoplisation du pouvoir qui met en scène des individus à admirer ou à combattre au détriment d’un débat public réfléchi pour déterminer sur chaque thème les options faisables, arbitrer, puis faire le suivi des décisions prises et des adaptations nécessaires. L’ancien fonctionnement avec des partis en concurrence qui incarnaient des préférences claires avec des programmes simples est devenu inadapté à la complexité du monde moderne. Le vieillissement des populations (post 43) s’accompagne de leur rigidification dans des schémas dépassés, et de leur sensibilité à la peur.
En Europe, la progression de l’extrême droite, nationaliste, eurosceptique, xénophobe et populiste est spectaculaire. Grâce au scrutin proportionnel, des partis d’extrême droite ont pesé sur le pouvoir exécutif, soit en soutenant un gouvernement minoritaire (Danemark, Norvège et Pays-Bas), soit en participant directement à une coalition gouvernementale (Autriche, Finlande, Italie, Norvège, Pays-Bas et Suisse).
L’expérience du pouvoir leur a été fatale en Autriche, Norvège et aux Pays-Bas, elle les a provisoirement renforcés en Suisse et surtout au Danemark, mais aucun des partis d’extrême droite n’a atteint 30 % des voix ou accédé seul au pouvoir. A l’Est où la démocratie électorale est plus récente, des partis nationalistes ont pu faire main basse sur l’Etat comme en Pologne et en Hongrie. Ils ont prospéré en soutenant des politiques sociales et économiques protectionnistes. Ils promeuvent un conservatisme moral apprécié du monde rural et des catholiques en Pologne. Mais leur xénophobie est moins marquée qu’en France.
Le succès du populisme ici est dû à l’habileté de deux candidats récidivistes qui ont constitué une base solide de fans de leurs personnes. Le Pen surfe sur l’extrémisme de droite comme Mélenchon le fait sur l’extrémisme de gauche. Mais ils ont aussi su ratisser au-delà de l’électorat extrémiste, Le Pen par son populisme de l’intérêt national, Mélenchon par celui de l’opprobre lancée sur des « capitalistes » qu’il suffirait d’appauvrir pour enrichir tous les autres. Ils n’ont aucune expérience crédible de gestion réussie. Mais leurs fans croient aveuglément à leur capacité à améliorer leur pouvoir d’achat en oubliant leurs racines idéologiques.
2 Les racines profondes des extrémismes français de droite et de gauche
Le principal intellectuel de l’extrême droite française est Maurras (1868-1952). Son journal, « L’Action française » est royaliste, nationaliste et contre-révolutionnaire. Il se revendique antisémite, antiprotestant, antimaçonnique et xénophobe. L’antijudaïsme français émerge lors des croisades et mute en antisémitisme avec le livre de Drumont (la France juive) en 1886, puis lors de l’affaire Dreyfus en 1894 (voir post 32).
C’est un adepte de la théorie du complot judéo-maçonnique (encore en vogue dans certains réseaux sociaux). Cette vision rejoignait celle des syndicalistes révolutionnaires de l’extrême gauche engagés dans la lutte insurrectionnelle. Il soutient Pétain, qualifie les résistants de terroristes et recommande « la mise à mort des gaullistes faits prisonniers ». Il écrivit sur le président du conseil : « C’est en tant que Juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum ».
L’avocat Tixier-Vignancour fonde en 1954 le Rassemblement national français. Il rend visible l’extrême droite aux élections. Son programme est la lutte contre les institutions en place, l’établissement d’un État fort. En seraient exclus les « hommes trop récemment entrés dans la communauté nationale pour se permettre de la diriger ». Il plaide pour la défense de l’Empire et la construction d’une Europe des patries. Il participe à la fondation par Le Pen du Front national pour l’Algérie française en 1957. Il sera son directeur de campagne pour l’élection présidentielle de 1965 où il obtient 5,2% des voix.
De Gaulle sera élu au second tour face à Mitterrand, candidat unique de la gauche, soutenu par le parti communiste. La percée électorale de l’extrême droite continue avec Le Pen fille qui a su habilement dissimuler sa ligne idéologique par ses discours sur le pouvoir d’achat et ses sourires pour ses fans ou caresser des chats. L’idéologie lepéniste est restée nationaliste, autoritaire et xénophobe, mais l’ennemi désigné a changé, ce n’est plus le juif mais le musulman, surtout s’il a la peau foncée ou l’habit arabe.
Voici leurs scores aux présidentielles : 0,8% en 1974, absent faute de parrainages en 1981, 14% en 1988, 15% en 1995, 17% en 2002, qualifié au second tour devant Jospin puis 18% face à Chirac, et baisse à 10% en 2007. Le relais passe à Marine, 18% en 2012, 21% en 2017 devant Fillon et Mélenchon à 20%, et 34%, au second tour. Ceci confirme que sa nouvelle base électorale dépasse l’extrême droite. Elle inclut les votes contre Macron, situation qui s’aggrave en 2022 où Marine récolte 23% puis 41%. Leurs succès électoraux perdurent depuis plus de 40 ans !
S’il y a une extrême droite à l’idéologie évolutive, c’est plus complexe pour l’extrême gauche. Traditionnellement, l’extrême gauche, c’est le marxisme révolutionnaire prônant la dictature du prolétariat. Les partis français se classent sur un axe droite gauche matérialisé par les sièges à l’assemblée. A l’extrême gauche, le PCF culmine en 1969, à 21%. Avant que l’habile avocat Mitterrand, un vieux routard de la quatrième République, ne réussisse son OPA sur la gauche avec son programme commun. Il y a aussi des marginaux comme Krivine, de la Ligue Communiste qui obtint 1% des voix en 1969, Laguiller de Lutte Ouvrière qui culminera à 5,7% en 2002, l’année où Besancenot dépasse les 4%. Le relais est pris par Poutou et Arthaud avec un score de plus ou moins 1%. Ils trouvent dans les élections une tribune pour leurs discours anticapitalistes éculés.
L’extrémisme de gauche de Mélenchon est relatif. Ancien trotskiste, politicien professionnel il s’est beaucoup agité dans la gauche du parti socialiste avant de fonder son parti. Très bon orateur sachant enthousiasmer ses fans, il a lissé ses discours et ses programmes. Mais a publié des brûlots comme « Qu’ils s’en aillent tous » (sauf lui !) en 2010. Il y appelle à une révolte du peuple, une « révolution citoyenne » qui ne viendrait pas des urnes dans une logique d’insurrection. Il ne se présente pas aux législatives mais se voit en premier ministre alors qu’il n’a jamais rien géré à part son parti et son image. Son discours porte : 11% en 2012, 20% en 2017 et 22% en 2022.
Le présidentialisme à la française favorise clairement les polémistes et l’extrémisme. La surenchère à gauche n’aide pas à y voir clair dans les décisions possibles. Mais le plus dangereux pour le pays est celui de droite, dans ce contexte du discrédit des politiciens et des médias et du désintérêt pour la politique qui rend notre futur très instable. Les outils de domination du pouvoir se renforcent et menacent la liberté et les discours politiciens clivant minent le sentiment de fraternité. La refonte du système institutionnel français n’a que trop tardé.
3 Une Constitution française obsolète pour un Etat nation problématique
Le régime présidentiel de 1958 a été voulu par De Gaulle pour rester au-dessus des calculs des partis politiques. L’institution d’un président est venue assez tardivement après la Révolution de 1789 : la France restait tiraillée entre monarchistes et républicains et sous la pression des monarques étrangers. Le seul président de la brève deuxième République fut Napoléon le petit (l’expression est de Victor Hugo), élu en 1848 après deux putschs ratés. Il récidivera en 1852 pour se proclamer empereur !
La troisième république, marquée par les guerres franco allemandes, durera de 1870 à 1940 avec le vote des pleins pouvoirs constituants à Pétain. Elle connaîtra 14 présidents dont deux seront assassinés. Les clivages de l’époque étaient assez simplistes : monarchie ou république, colonisation ou pas, guerre ou paix, puis pour ou contre les clergés catholiques (loi de 1905). Un clivage gauche droite commence à apparaître en 1920 et se prolonge avec la brève quatrième république (1946-1959). Elle ne connaîtra que deux présidents, Auriol, plutôt à gauche et Coty plutôt au centre droit, élu au treizième tour à une époque où le projet de la CED, une alliance de défense chapeautée par les américains, divisait l’opinion.
Dans le contexte de la guerre d’Algérie où il fallait trancher, Coty appelle le populaire De Gaulle à la rescousse. Sa vision du pouvoir, un chef directement approuvé par la Nation, l’oppose aux partis communiste, socialiste et centristes pro-européens. Il défend l’indépendance nationale et préconise une « Europe des nations » Il va réorienter en profondeur la politique et les institutions françaises avec une nouvelle Constitution approuvée par référendum en 1958. Cet homme visionnaire marquera l’histoire et choisira de bons gestionnaires comme Pompidou et Giscard pour s’occuper de l’intendance. L’échec de son référendum de 1969, après la rude secousse de la Révolution de mai 1968, le conduira à se retirer de la politique avant de mourir peu après.
Il laisse en héritage un système politique où les élections à la présidence dominent la scène médiatique au détriment des législatives et des débats publics de qualité. Les enjeux se réduisent à des rivalités de personnes et de candidatures. Cette Constitution va s’enliser dans un quasi immobilisme malgré un monde en mutation rapide. De 1958 à 2022, les français auront donc droit à des ballets électoraux confus qui feront grimper la méfiance à l’égard des « gouvernants » et « représentants » et l’abstention ou le vote sans convictions.
Nous avons connu douze élections, huit présidents et des périodes de cohabitation. La mort de Pompidou élu en 1969 impose des élections en 1974 remportées par Giscard face à Mitterrand. Le premier candidat écologiste, Dumont, s’y présente. Malgré leur succès dans d’autre pays, les écologistes français, affaiblis par des rivalités d’égos, peineront à atteindre les 5%. Ils manquent de crédibilité par leur opposition au nucléaire ou parce que d’autres candidats reprendront leurs idées. Ce sont d’autres « petits » candidats extrémistes qui perceront.
Mitterrand remporte l’élection de 1981, marquée par le barrage de 500 signatures et la tentative avortée de Coluche pour se présenter. Les maires subissent des pressions pour refuser leurs signatures et des menaces de mort sont même proférées. Dommage pour le débat public ! Celle de 1988 voit Le Pen faire presque autant que Chirac ou Barre, et le PCF s’effondrer à moins de 7%. Mitterrand, affaibli par son cancer, sera élu mais devra démissionner en 1995. Il laissera sa place à Chirac qui défait Jospin. Aux élections de 2002 Le Pen passe au second tour devant Jospin mais est écrasé par le « barrage républicain », le score de Chirac passe de 20 à 82% ! Les écologistes pointent à plus de 5% et les trois candidats d’extrême gauche dépassent les 10%.
Les élections de 2007 donnent une victoire assez facile de Sarkozy sur Royal avec une nette baisse des « petits candidats », du PCF et même de Le Pen. Celles de 2012 voient Hollande l’emporter face à un Sarkozy de plus en plus contesté. Celles de 2017 voient la victoire de Macron qui crée son parti politique face à Marine Le Pen qui devance Fillon et Mélenchon à 20%. Elle recueille 34% au second tour. Beaucoup de votants du second tour votent surtout contre Macron, une tendance qui s’accentue avec les élections de 2022 qui voient la confirmation de l’effondrement des partis traditionnels de droite et de gauche. Ils pointent à moins de 5% et moins de 2%. Le Pen recueille 23% puis 41% avec l’apport des 7% de Zemmour qui l’a fait paraître moins extrémiste.
Le regroupement de partis autour de Mélenchon rêve d’une revanche aux législatives et d’en faire un premier ministre. Si l’exécutif et le législatif doivent être rééquilibrés, les citoyens subiront le choix après leurs votes. Le président nomme le premier ministre qui doit obtenir la confiance du parlement, les politiciens négocieront entre eux ! Cette Constitution stabilise le pouvoir exécutif et permet une diversité de candidats passant le barrage des 500 signatures qui exposent leurs idées et propositions à la nation. Mais elle aboutit à une confiscation du gouvernement du peuple au profit d’une petite « élite » parisienne de culture juridique.
La population française est trop éduquée et diversifiée pour se résigner au gouvernement d’une verticale du pouvoir venant de Paris. Le concept d’un Etat-nation français comme « République une et indivisible » est périmé.
4 Le cirque électoral présidentiel et ses aléas
Le cirque romain était un spectacle violent de course de chars, spectacles guerriers et combats sanglants dont le cadre était un immense stade ovale entouré de gradins de pierre. Il avait pris le relais des jeux publics grecs, concours de disciplines athlétiques ressuscité par le français Coubertin pour en faire les jeux olympiques mondiaux avec ses prestigieuses médailles. Le poète satirique Juvénal, bon observateur de ses contemporains latins, a inventé cette célèbre formule « panem et circenses ». Il dénonce l’organisation de jeux du cirque par les empereurs pour s’attirer la bienveillance du peuple et réduire les risques de révolte. Un peuple conditionné à se focaliser sur leur estomac (avec la distribution gratuite de pain puis de viande) et sur leurs loisirs.
Le cirque moderne a pris la succession des troubadours du Moyen Age qui racontaient des histoires ou chantaient pour leur public. Il donne un spectacle populaire en live avec une troupe d’artistes itinérants sous un chapiteau. Au départ, le spectacle était équestre puis il s’est enrichi de jongleurs, de dompteurs d’animaux, de clowns, de voltigeurs et de tours de magie. L’objectif reste de distraire l’audience et on trouve certains points communs entre le spectacle électoral français et les cirques antiques et modernes. Je laisse mes lecteurs imaginer qui est un clown, un magicien de la planche à billet, un éléphant puissant, un lion féroce, un singe savant ou une vieille carne épuisée…
Les élections présidentielles françaises sont moins caricaturales que les américaines. Mais tous les politiciens sont des artistes plus ou moins talentueux du mensonge, des fausses promesses et des joutes verbales destinées à terrasser l’adversaire, des sportifs de la course pour l’audience et le bulletin de vote à leur nom. Dans notre société riche, on parle de pouvoir d’achat plus que de pain. Le spectacle est financé par les contribuables même s’ils refusent d’écouter ou de voter.
La mise en scène des débats médiatiques de campagne est soigneusement encadrée et minutée. Le vainqueur de la joute électorale a créé une mise en scène de sa victoire qui commençait plutôt bien avec une marche lente scandée par l’hymne à la joie européen du couple Macron entouré d’enfants. Mais après son discours, il fait monter sur scène une chanteuse d’opéra qui chante à pleins poumons l’hymne à la haine nationale (« qu’un sang impur abreuve nos sillons ») sans que les spectateurs du Champ de Mars ne bronchent ! Qu’il fasse un élégant baise-main très français à cette mezzo égyptienne est plutôt sympathique, surtout pour marquer notre culture face aux observateurs des autres pays. Mais quand les politiciens nous libéreront ils de cet horrible chant guerrier ?
Le bruit assourdissant de la joute présidentielle pollue notre réflexion citoyenne. La vacuité des débats était frappante. D’abord les médias ont débattu sur une prétendue rivalité entre lois religieuses et lois républicaines, sous l’influence des extrémistes. Or dans la longue histoire des pouvoirs, les rois blancs et rois noirs ont alterné complicité et rivalité, mais pour les candidats, faire peur est utile et la prétendue charia musulmane est l’ennemi public idéal pour les idéologues de l’ensauvagement et du grand remplacement.
Les aléas du cirque ont abouti à un vainqueur qui dispose de trop de pouvoirs et peut à lui seul influencer le quotidien du peuple et l’avenir de nos enfants. Ce spectacle a aussi déterminé les résultats des autres candidats dont les sondages ont montré les chutes ou ascensions. La tendance de fond de rejet des partis traditionnels a balayé les espérances de leurs états-majors. Mais les contre-performances de Mmes Hidalgo et Pécresse et de M. Jadot sont aussi la conséquence de beaucoup d’agressivité, d’autosatisfaction, de fermeture d’esprit et d’improvisation. Une leçon à méditer pour les futurs candidats.
Cette campagne a prouvé le désintérêt pour les propagandes électorales. Le Pen n’a attiré que 1,9 million de téléspectateurs, bien moins que les 3,4 millions de personnes d’il y a cinq ans. Idem pour l’émission « La France face à la guerre », le 14 mars sur TF1, avec huit des candidats, suivie par quatre millions de personnes, contre dix il y a cinq ans, quand cinq candidats s’étaient affrontés. TF1 a même écourté pour la première fois sa soirée électorale du premier tour pour programmer « Les Visiteurs ». Le débat télévisé entre les candidats finalistes n’a réuni que 15,6 millions de téléspectateurs, très inférieur à celui de 2017.
« Le muet lasse l’œil » nous dit la Parole de 1977-1/3 à propos des discoureurs de la politique et de la religion qui parlent dans le vide pour ne rien dire.
5 Les fausses promesses de la démocratie électorale
La France serait un bon endroit pour vivre si elle ne subissait pas le poids d’une histoire jacobine de pouvoir centralisé et d’une bureaucratie étouffante. Ils se mêlent de tout alors que nous avons rarement besoin d’eux pour prendre de bonnes décisions dans le sens du Bien collectif.
La démocratie, au sens de « gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple » (Constitution de 1958), n’a été réalisée que dans de petites sociétés où la vie était simple. Inventer de nouveaux processus de décisions collectives dans la France moderne implique une lente transformation de l’organisation sociale. Il faut avancer progressivement au fil des générations en s’attaquant à la déconstruction des mécanismes de pouvoir pour échapper à ce qu’est devenu la politique actuelle, l’art de s’emparer du pouvoir étatique et de le conserver.
Cette déconstruction affrontera les remparts successifs du système : d’abord la pseudo-démocratie (post 53) version Constitution de 1958, confiée à des soi-disant représentants largement décrédibilisés, des envahisseurs (Rév d’Arès 3/2), puis l’État de droit, celui de la loi des rats (Rév d’Arès xix/24) concoctée par des juristes dont nos concitoyens n’ont pas encore compris la nocivité.
Pour récuser la politique à l’aide de ses textes, utilisons le préambule de la Déclaration de 1789 qui parle des « réclamations des citoyens… qui tournent au bonheur de tous ». Nous pouvons réclamer pour tous le droit au bonheur et demander si la politique actuelle a tenu cette promesse ? Elle déclare dans l’article 2 : « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
Elle offre donc une arme juridique solide aux courageux qui résistent aux dérives autoritaires de l’état français et à l’arbitraire de ses bureaucrates. Elle reste cependant ambigüe avec cette notion vague d’ordre public. Elle facilite les dérives de pouvoir (article 10 : nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi). Elle détourne la souveraineté du peuple avec cette idée de représentants. Surtout dans l’article 6 où la loi est « l’expression de la volonté générale » (cf. Rousseau) et « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ».
Quelques passages du texte de 1789 peuvent aider la résistance à la dérive autoritaire française comme l’article 4 : « La loi ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société » qui permettrait un immense nettoyage du fatras des textes juridiques. L’article 6 : « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents« . Nous pouvons questionner les puissants sur leur talent de gestionnaires et sur leurs vertus. Ou l’article 15 : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » qui devrait faciliter le recours contentieux face à la bureaucratie.
6 Construire une démocratie du débat public
Certains penseurs modernes ont développé des analyses intéressantes, en particulier John Rawls sur la question de la justice et Habermas sur la théorie de la discussion en démocratie. Rawls propose ses deux principes : « Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances et elles doivent aussi procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. »
Le débat public, constitutif de la démocratie délibérative pensée par Habermas (post 70) est l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison qui s’inscrit dans une situation de liberté de parole absolue, un « pouvoir d’assiègement permanent » (ce qui rappelle la pensée de Michel Foucault). Une décision n’est légitime que si la discussion qui y mène l’est également, ce qui oppose la démocratie délibérative au modèle actuel de décisions par des gouvernants. La loi nationale doit aussi se soumettre à l’objection de conscience des citoyens, c’est un contre-pouvoir essentiel face à l’Etat et ses injustices.
Tenant compte des traumatismes des guerres franco-allemandes, Habermas réfléchit au dépassement de l’État-nation et à la construction européenne, où se développent des minorités culturelles importantes, ce qui implique qu’on repense la citoyenneté. L’État de droit doit pouvoir garantir aux minorités le respect le plus complet de leur identité, de leur langue et de leur religion. Au Congrès mondial de philosophie tenu en Grèce en 2013, il met en garde les européens sur la montée du « populisme encore présent dans tous les pays »
La déconcentration indispensable des décisions pose aussi la question du fédéralisme à l’intérieur d’un Etat comme entre Etats-nations. La confédération helvétique avec ses huit millions de nationaux et sa longue expérience de concertation dans ses 26 cantons se gère mieux que la France hétérogène et hypercentralisée avec ses soixante millions de citoyens : La Suisse accueille mieux les immigrés que les bureaucrates des grands Etats et montre une belle réussite économique.
Une Commission nationale du débat public (CNDP) a été créée en 1995 pour veiller au « respect du droit à l’information et à la participation du public dans l’élaboration des projets et des politiques publiques ayant un impact sur l’environnement ». Une loi de 2002 en fait une « autorité administrative indépendante » qui ne peut se prononcer « sur le fond des projets qui lui sont soumis » : les juristes ont veillé à limiter son rôle ! Ses 22 membres proviennent d’horizons différents (parlementaires, élus locaux, membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, associations, patronat, syndicats…). C’est un maigre progrès pour le débat public.
A notre époque très agitée et inondée d’informations fausses ou biaisées, il devient très difficile de promouvoir un débat collectif constructif, réfléchi, réaliste qui ait un impact déterminant dans les prises de décisions importantes pour l’avenir des générations qui viennent. Comme impossible n’est pas français, ce pays peut être un lieu d’expérimentation et de progrès pour contribuer à éclairer des chemins d’avenir pour l’humanité.
Terminons par quelques citations de Gandhi reprises du post 41 : « Pour promouvoir le bonheur de l’homme, il faut qu’il y ait décentralisation car la centralisation est un système incompatible avec une structure sociale non-violente ». « La loi de la majorité n’a rien à dire là où la conscience doit se prononcer et la désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen ». « C’est avec la plus vive appréhension que je verrais s’agrandir le pouvoir de l’Etat qui étouffera l’initiative individuelle qui est à l’origine de tout progrès ». « L’Etat représente la violence sous une forme intensifiée et organisée. L’individu a une âme, mais l’Etat qui est une machine sans âme, ne peut être soustrait à la violence car c’est à elle qu’il doit son existence ». « L’Etat idéal est celui où il n’y a aucun pouvoir politique en raison même de la disparition de l’Etat car chacun se dirigerait de lui-même de façon à ne jamais gêner son voisin, ce serait un Etat d’anarchie éclairée ».