Le Coran et le Veda sont respectivement la référence suprême pour les hindouistes et les musulmans. Notre planète fait vivre près de deux milliards de musulmans d’origine très variée. Et un milliard d’hindouistes, presque tous d’origine indienne. Peut-on établir des ponts entre ces Messages d’abord entendus puis mis pas écrit à deux millénaires d’écart dans des langues très différentes ?

Rapprocher les hommes par la connaissance mutuelle, en particulier celle de leurs textes sacrés respectifs doit se faire dans le respect total de leurs croyances et de leurs pratiques de prières ou de méditations, bonnes tant qu’elles bonifient les pratiquants. Ce post suggère quelques pistes de rapprochement par la connaissance, la pratique de piété et l’action.

Mais c’est aux hindouistes et aux musulmans de définir là où ils vivent, en particulier en Inde, des chemins de rapprochement accessibles en partant de leur ressenti spirituel.

1 Contextualiser la Parole : qui l’a reçue, quand, comment et dans quel peuple ?

Les Gathas sont la plus ancienne Révélation connue à ce jour en langue indo-européenne. Le Dieu unique, appelé Ahura Mazda, révéla les Gathas lors d’échanges visuels et sonores avec le prophète Zarathoustra (post 5). Ces échanges ont duré plusieurs décennies, continuant après son exil forcé. Cette Parole fut reçue dans un peuple qui avait une religion sacrificielle, le mithraïsme, dont le prophète était un prêtre. Dans cette société, les prêtres partageaient le pouvoir avec les dirigeants politiques, tous deux soutenus par les grandes familles. Le prophète a déstabilisé cet ordre social en récusant le mécanisme sacrificiel, source du pouvoir des prêtres.

Dans la continuité prophétique, cette Parole aurait dû être la référence absolue pour les rishis et les rédacteurs du Veda. Il n’en a pas été ainsi par ignorance, oubli ou occultation, car les trois axes majeurs des Gathas ne se retrouvent pas clairement dans le Veda : le Dieu Créateur Unique, Son rejet des prêtres sacrificateurs et Son Appel à choisir librement la voie du Bien.

C’est au sein de ces peuples aryens migrant lentement vers l’Orient que le Veda est apparu. La tradition évoque sept rishis de clans différents qui auraient entendu un son primordial (shabda). Ils le transformèrent en syllabes, en mots, en formules donnèrent naissance au sanscrit ancien (?). Le Veda fut mis ensuite par écrit. Il resta longtemps une connaissance réservée aux brahmanes, les prêtres sacrificateurs.

Plus tard, cette connaissance s’est propagée dans le peuple. Les Vedas se sont imposés comme référence absolue dans le subcontinent indien pendant un millier d’années. La confiance dans les bienfaits du mécanisme sacrificiel s’est lentement étiolée. A l’intérieur du système de pensée brahmanique sont apparus les Brâhmanas puis les Upanishads qui ont complété la sruti en relativisant l’importance du sacrifice. Quelques siècles plus tard, Bouddha (post 4) et Mahâvîra récusèrent le système des brahmanes qui adaptèrent leur stratégie de domination et passèrent du pouvoir magique au pouvoir social.

Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas trouvé dans la sruti postérieure au Rig Veda de textes qui soient indiscutablement des Inspirations ou des Révélations. J’y vois des livres d’hommes par leur contenu et leur silence sur les modalités de leur éventuelle Révélation. Et comme dans le corpus biblique, la smriti, faite de livres d’hommes, a été incorporée au corpus védique et embrouille sa bonne compréhension.

Si les modalités de Révélations sont assez floues pour le Rig Veda, elles sont précises dans le monde sémitique. Elles sont transmises avec le Message et adaptées au contexte : Moïse a entendu et vu une manifestation directe du Créateur, Muhammad a vu et entendu l’ange Gabriel qui lui a transmis et fait répéter le Coran, d’autres ont reçu le Message lors d’une vision. Les Ecritures sémitiques nous mettent aussi en garde contre les faux prophètes. Ceux qui, innocemment ou non, prétendent avoir reçu un Message de Dieu et s’opposent au Messager. Isaïe, Jérémie et bien d’autres ont dû les affronter. Les Messagers étaient reconnus par les Signes qu’ils apportaient et leurs prédictions que le futur devait valider.

Le Coran a été dicté en arabe à Muhammad (post 1). Ce prophète historique vivait dans un peuple parlant cette langue et dont les idées polythéistes et les pratiques violentes nous sont bien connues. Les grands de ce peuple se sont résolument opposés à sa prédication. La Révélation par l’ange Gabriel a accompagné le prophète tout au long de son ministère et jusqu’à sa mort, donc sur plus de 20 ans.

Le miracle du Coran, c’est avant tout son texte qu’aucun homme n’aurait pu inventer, sublime même dans les traductions qui l’appauvrissent. J’estime qu’il nous a été transmis tel qu’il a été révélé et sans confusion avec les hadiths (propos circonstanciels du prophète). La difficulté est la bonne interprétation des mots du Coran car chaque mot dans l’arabe classique (comme dans le sanscrit ancien) a de nombreux sens possibles. De plus, le sens commun donné à ces langues a fortement évolué au fil des générations.

Dans le Coran il convient de distinguer :

  • Une Révélation universelle, miséricorde pour l’humanité (21/107).
  • Une Révélation contextuelle donnée pour accompagner le prophète dans sa mission vers un « peuple parlant arabe » et « vivant à proximité de la mère des cités ». A l’évidence, les recommandations d’ordre social comme sur l’héritage ou le mariage ou la place accordée à la femme sont indissociables du contexte local et de l’époque et ne sont plus pertinentes aujourd’hui.

Cette nécessaire contextualisation (post 17)est à l’opposé de tendances qui resurgissent dans l’Islam actuel. Un retour vers le passé des compagnons du prophète, les salafs. Ou un enfermement dans un islam de mosquées. Or selon le Coran, « toute la planète est une mosquée » où prier. Ou une arabisation du comportement (les « convertis » devraient parler arabe et s’habiller comme des arabes ou au moins changer de prénom usuel).

2 Rapprocher le Coran et le Veda dans leur chronologie et chercher les convergences

C’est un modeste brahmane du Bengale, grand spirituel envahi dès son plus jeune âge de la présence de Dieu et rayonnant de Sa Vie, Ramakrishna (post 9), qui comprit par son vécu personnel l’importance d’ouvrir l’hindouisme aux autres sensibilités religieuses. En 1866, à 30 ans, mystique très imprégné de l’hindouisme, il vécut l’islam soufi de l’intérieur lors de plusieurs extases. Huit ans plus tard, il eut une vision de Jésus après avoir pensé constamment à lui plusieurs jours. Il s’est intéressé à toutes les grandes traditions mystiques et a déclaré avoir atteint l’Absolu à travers chacune d’entre elles : pour lui, toutes les voies mènent à la même Réalité, une et indicible.

C’est un exemple illustre mais difficilement partageable de la possibilité de construire des ponts. Par contre le rapprochement par les textes sacrés est facilement accessible aux chercheurs d’une unité spirituelle pour l’humanité. Pour les musulmans, le texte sacré est central dans leur vie spirituelle, beaucoup plus que pour les chrétiens ou les hindouistes. Et Ram Chandra (post 12), disait : « La méthode correcte et dynamique pour avancer dans la vie spirituelle est fondée sur les expériences des grands saints ou sur les écritures sacrées. On devrait s’y tenir avec ferveur ».

En partant des textes sacrés dont nous disposons actuellement, il convient donc :

  • Pour le corpus védique, de distinguer ce qui vient d’une Révélation de ce qui a été écrit par des hommes en fonction de leurs intérêts et de leur subjectivité
  • Pour le Coran de distinguer ce qui est conjoncturel, lié à l’époque et au peuple arabe à qui ce Message a été révélé, de ce qui est toujours pertinent pour nous à notre époque

Dans les Vedas, tout ce qui évoque le mécanisme sacrificiel et donc les intérêts des prêtres peut être résolument écarté. Par exemple l’hymne à Agni du Rig Veda : « J’invoque Agni, placé en tête, le Dieu du sacrifice, le prêtre, l’oblateur qui fait pleuvoir sur nous les richesses. Agni, digne objet de louange des voyants, tant passés que présents. Qu’il fasse venir ici les dieux ! ».

Par contre on trouve dans le Rig Veda des perles qui étayent l’hypothèse d’une révélation divine, par exemple : « Ce qui est immortel dans les mortels est un Dieu, établi intérieurement comme une énergie se manifestant en nos divins pouvoirs » (Rig Veda, 4,2,1). Ou quand il nous appelle les « enfants de l’immortalité » (10-13-1).

Un autre critère de la Révélation est le ton d’affirmation de la Parole. Dieu sait et parle et le prophète écoute et témoigne : « Dieu m’a parlé et m’a dit ceci… » ; il n’est ni dans l’hésitation, ni dans l’interrogation. Or dans le Rig Veda, l’interrogation apparait parfois, comme dans X.129 : « Celui qui a l’œil sur ce monde au plus haut firmament, il le sait sans doute ; et s’il ne le savait pas ? ». Le Coran est dans l’affirmation souveraine, la seule incertitude est sur le sens à donner aux mots que Dieu a choisi. Car le prophète Muhammad était chargé de le transmettre mais pas de l’interpréter. C’est le Zabour (voir post 1§4) qui donnera des clefs pour la bonne lecture du Coran.

La Parole de 1974 parle de Muhammad en 2/9 comme « le plus sage des messagers car il n’a pas fait ployer son peuple sous les observances et ne l’a pas fait fléchir sous les ordonnances des princes du culte ». Pour rester fidèle à l’Esprit du Coran, il doit être libéré des interprétations des « ulémas » et autres docteurs médiatisés : le Coran est accessible tel quel à toute l’humanité et peut être rapproché des autres Messages envoyés à d’autres peuples, donc du Veda.

L’unité pour l’humanité ne sera retrouvée qu’en restaurant le lien avec le Créateur unique, donc

  • En ne divisant pas Ses Messages comme le font les religions, leurs prêtres et leurs docteurs
  • En actualisant leur compréhension pour que la Parole nous guide ici et maintenant
  • En considérant les livres d’hommes comme de simples compléments d’informations utiles pour comprendre le contexte des Révélations, sans confusion avec la Parole.

3 Respecter la diversité des pratiques de prière/ méditation, musulmanes et hindouistes

La prière est vécue différemment dans le monde hindouiste et dans le monde musulman. Ceci ne doit pas être un obstacle, mais un enrichissement. Dans le monde chrétien actuel, la prière se limite la plupart du temps à un culte dirigé par ces prêtres et pasteurs que Dieu récuse. La prière est d’abord quotidienne et intime pour la plupart des hindouistes qui ont à la maison leur petit autel pour la puja, et pour la plupart des musulmans qui y déroulent leur tapis de prière.

Le Coran affirme : « pas de contrainte en religion » (2/256). Donc la prière musulmane devrait être libérée de toute forme ou moment imposé. La prière collective traditionnelle dans l’Islam a été enseignée par l’ange Gabriel au prophète pour aider ses compagnons qui sortaient difficilement d’un polythéisme obscur. Ce sont les rak’ah. Le Coran parle de quatre plages de temps recommandées dans la journée. La tradition veut imposer cinq prières à des moments précis, elle induit en erreur.

Il ne faut jamais oublier que le prophète Muhammad comme le prophète Jésus priaient la plupart du temps seuls. Jésus se retirait dans un lieu isolé et c’est dans une grotte du mont Hira où il priait seul que Muhammad a d’abord vu l’ange Gabriel. La prière individuelle est plus intense que la prière collective car le lien intime avec Dieu et Sa Parole ne se vit pas en public. L’importance de la prière individuelle est caractéristique de la sensibilité soufie. La prière collective sert surtout à tisser des liens entre croyants.

Le priant musulman lie étroitement sa prière au Coran et à l’enseignement de son prophète, et sa prière fait participer le corps. Comme le dit le Coran : « ne prie à voix ni trop basse, ni trop haute, cherche un chemin entre les deux (17/110) ». Les vociférations qu’on entend parfois dans le monde musulman sont de l’excitation, pas de la prière. Les hauts parleurs des mosquées sont très éloignés du mélodieux appel à la prière de Bilal, le noble compagnon africain du prophète.

Dans le monde hindouiste, la bhakti, la dévotion, est omniprésente. Citons l’Adi guru de heartfullness, Lalaji : « La foi en un Dieu doit être inculquée, les formes inutiles d’adoration rejetées. Adorez le Seul qui soit propre à l’être, c’est-à-dire Dieu, restez éloignés du fanatisme ; l’adoration des idoles crée la grossièreté et gâte le cœur ». Et son successeur Babuji : « Le moyen le plus important, infaillible d’arriver au but est la prière, elle établit notre lien avec Dieu à qui nous nous abandonnons avec amour et dévotion ».

Tous deux, comme la plupart des gurus, rejettent la prière de demande. Dans la première sourate du Coran, la seule demande est que « Dieu nous guide dans la Voie droite ». « Prier n’est pas mendier » nous dit la Parole de 1974, et Jésus enseignait : « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens, ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer » (Mat. 6/7).

La méditation spirituelle (voir post 80) est une pratique assez répandue chez les croyants de toutes origines. De la méditation tranquille sur les textes sacrés à l’oraison silencieuse pouvant conduire jusqu’au ravissement des mystiques. Mais c’est surtout dans l’hindouisme et le bouddhisme que la méditation a pris une grande importance et coexiste harmonieusement avec la prière comme moyen de recueillement.

Des techniques de méditation ont été longtemps affinées par les dravidiens, puis incorporées dans le Veda et synthétisées par Patanjali. Les positions, le contrôle du souffle, la prise de conscience des énergies et des chakras, la maîtrise de l’agitation du mental, tout cela fait partie de ce que l’hindouisme transmet au monde et dont seuls des croyants sectaires peuvent refuser le bénéfice spirituel.

Les ashrams se sont adaptés à cette attente des visiteurs en quête d’un approfondissement de leur vie spirituelle. Ils peuvent y méditer et prier en toute sérénité, plus facilement que dans ces églises catholiques encombrées de statues ou lors des cultes où la liberté de prière y est très partielle. Les mosquées, en dehors des heures de prière collective, sont partout dans le monde un endroit calme et propice à la prière. Il suffit de se déchausser et personne n’est habilité à vous poser de questions indiscrètes sur votre présence respectueuse.

Le partage de moments de prière ou la découverte des pratiques religieuses des autres est d’autant plus facile que les pouvoirs religieux, les princes du culte ne s’en mêlent pas et dans le monde hindouiste comme dans le monde musulman, ils ne s’imposent aux croyants. Quand ils se limitent à une saine gestion des lieux de culte de leur communauté, les clercs religieux ne posent pas de problème. Mais il faut rester vigilants face à eux et à leurs arrière-pensées de pouvoir sur leurs fidèles.

4 Développer les interactions sociales ouvertes aux croyants de toutes religions

La vie spirituelle est comme l’amour, à la fois intime et sociale, intime pour la prière mais sociale pour les œuvres. L’objectif de changer le monde en Bien n’a échappé à aucun spirituel accompli, qu’il soit hindouiste, musulman ou autre. La possibilité de participer aux œuvres de Bien varie considérablement en fonction du contexte social. La question du rapprochement entre hindouistes et musulmans se pose très différemment si nous l’envisageons sur la terre de l’Inde ou sur le continent européen, en France en particulier.

Sur la terre indienne, ce n’est pas la misère spirituelle qui pose problème, ce sont les difficultés matérielles qu’affrontent les faibles de cette société très clivée entre riches et pauvres malgré les efforts de générosité de certains. Clivage accentué par la pression matérialiste du mauvais exemple donné par les sociétés occidentales, américaines et européennes. Les nobles gurus et les musulmans pieux s’activent à améliorer la situation locale. Vivekananda s’était focalisé à la fin de sa vie sur l’aide aux plus démunis, et c’est un des axes d’action locale de heartfulness. Les parsis sont très connus pour leur générosité bienveillante.

Mais la richesse spirituelle de l’Inde souffre de ses clivages religieux attisés par le pouvoir politique, entre hindouistes et musulmans, mais aussi -du peu que j’en sache-, d’une carence d’échanges spirituels avec les nombreuses minorités comme les sikhs, jaïns, bouddhistes, parsis, ahmadis, bahaïs et tant d’autres. Il y a peut-être des pistes à creuser dans ce sens et les partages de méditations entre croyants de toutes obédiences et avec des agnostiques ouverts sont un outil à développer.

En France, le terrain est très différent, c’est avec la Chine le pays le plus athée du monde. En Chine, la vie spirituelle est combattue par les pouvoirs. En France elle subit le mépris du conformisme et de l’idolâtrie de la science et du matérialisme. Elle a été étouffée par la lutte séculaire entre le pouvoir catholique et les libertaires scandalisés par les abus de cette religion. La misère spirituelle est grande dans ce pays et la croissance des superstitions et du commerce des voyants et astromanciens en témoigne.

Une revitalisation spirituelle y est plus que jamais nécessaire. Dieu a choisi ce pays pour y livrer Sa Parole la plus récente, en 1974 et 1977. Elle permettra de faire un pont entre l’islam (qui est devenu -n’en déplaise aux « français de souche » – la première religion française en nombre de pratiquants du culte) et le catholicisme, très présent comme référence culturelle et pour la petite minorité de pratiquants actifs affiliés à l’église de Rome.

Le vide spirituel ambiant en France a aussi créé un appel d’air pour d’autres spiritualités qui ont commencé à s’établir solidement depuis quelques décennies, en particulier les diverses formes de bouddhismes et quelques groupes et ashrams hindouistes. Etablir un pont entre eux sur la base de leurs textes sacrés est une approche à tenter pour construire une plate-forme commune qui facilite le rapprochement avec des musulmans ouverts à une réflexion partagée sur les textes sacrés.

La Parole de 1974 nous appelle à faire alliance fraternelle (35/11) avec les croyants en respectant leurs Livres. Mais aussi avec les athées et agnostiques pour établir l’équité. Pour se faire, il faut écarter de ce travail les pouvoirs qui chercheront toujours à noyauter les initiatives pour les détourner vers leurs intérêts.

Le système juridique français offre une grande liberté à la vie associative locale. C’est dans le foisonnement des initiatives à petite échelle, loin de l’œil dominateur des élites parisiennes que cette société pourra se revitaliser.