1 L’erreur du califat et les conquêtes des cavaliers arabes

Du vivant de Muhammad (post 1), prophète d’Arabie chargé par Allah d’abattre les idoles de bois et de réformer ces peuples qui croyaient aux sacrifices sanglants pour s’attirer leurs faveurs, la lettre et l’esprit du Coran ont été respectés. D’abord porteur pacifique du Message révélé, puis menacé de mort par les grands de La Mecque, le prophète était en état de légitime défense. Il s’est enfui à Médine où ses ennemis l’y ont pourchassé. Ce conflit sans négociation possible s’est soldé par la victoire de Muhammad et ses compagnons. Les pertes humaines furent faibles grâce à son habileté et sa sagesse de préférer le pardon et la négociation à la vengeance.

Mais dès sa mort en 632, ses compagnons s’égarèrent en voulant lui nommer un successeur, un calife « bien guidé » alors que le Coran suffisait pour les guider. Cette lourde erreur est à replacer dans le contexte préislamique de tribus nomades divisées, belliqueuses, claniques, où la loi du plus fort et la domination des mâles était la règle. Leur richesse provenait de leur guidance et parfois de razzias sur les caravanes marchandes qui transitaient par les déserts de la péninsule arabique.

Etendre leur contrôle territorial et donc leur maîtrise des routes commerciales résultait d’une logique de convoitise mercantile et non d’une soumission au Coran. Et réclamer un chef pour les mener à la victoire rappelle la demande impie des hébreux au prophète Samuel de leur choisir un roi pour mener leurs guerres. Les musulmans oublièrent qu’un prophète n’est pas un roi avec un héritier au trône, il n’a pas de successeur et la notion d’un empire avec une religion officielle imposée est une trahison du Coran**.

Le premier calife élu, Abu Bakr était un homme sage. Il consolida la paix en Arabie, mais mourut deux ans après et choisit comme successeur Omar, un homme violent et craint, qui lança une orgie de conquêtes, chaque succès enivrant ses guerriers à qui il promettait le paradis s’ils mourraient au combat. Sous son règne, de 634 à 644 Damas en 635, Jérusalem en 638 puis L’Egypte en 640, sont repris à l’empire byzantin.

Le prophète témoignait avoir vu l’ascension des âmes de certains compagnons morts au combat, mais pour le petit jihad, la guerre de légitime défense en Arabie polythéiste. La conquête par la force de peuples non arabes et croyants au Livre est injustifiable par le Coran. Le prophète appelait au grand jihad, le combat contre le mal en soi (jihâdu n-nafs). Les musulmans violents ont ignoré son enseignement, et le culte de la guerre contre les « infidèles » et du martyr pollue encore la conscience musulmane moderne.

Les cavaliers arabes firent comme ceux d’Alexandre de Macédoine neuf siècles avant eux : conquérir les rives de la Méditerranée Orientale, donc la Syrie et l’Egypte, puis s’attaquer à l’empire perse. Sa conquête fut difficile et sanglante, mais donna aux territoires conquis la dimension d’un empire. Les victoires arabes décisives intervinrent en 636 et 642 et ouvrirent la route de la capitale, Ctésiphon que l’empereur perse avait établi en Mésopotamie pour être plus proche de son grand rival, l‘empire byzantin.

Les menaces à leurs empires respectifs venaient du Nord, aucun stratège n’avait pensé aux arabes du désert d’Arabie, considérés comme arriérés et minés par leurs guerres claniques. Le traumatisme de cette guerre entre arabes et perses zoroastriens, des gens du Livre appelés « mages » dans le Coran, est un facteur explicatif déterminant de la poudrière du Moyen Orient actuel.

Uthman, le successeur d’Omar, assassiné en 656, prendra sa suite, avantagera outrageusement son clan et sèmera les graines de la discorde, il finira lui aussi assassiné. La division (la « fitna », post 34) redoutée par tous), va déclencher des guerres de successions meurtrières pour le califat entre arabes. Deux clans adverses s’opposent, celui d’Ali, fils adoptif et gendre du prophète et celui de Muawiya, un proche d’Uthman au pouvoir à Damas, et c’est ce dernier qui l’emporta, fondant la dynastie des Omeyades (660-750) et poursuivant les guerres de conquêtes.

2 La propagation du Coran et le croissant islamique

L’expansion musulmane va continuer après voir intégré les turcs, les perses, et plus tard les conquérants nomades venus du Nord. Dès le califat de Bagdad, le monde musulman va devenir une puissance maritime pour lutter contre la puissance navale des grecs de Constantinople et s’approprier le contrôle de la méditerranée comme les phéniciens l’avaient fait bien avant eux.

A l’Ouest, Carthage tombe en 695, le Maghreb est conquis au détriment des berbères, déjà convertis à l’Evangile répandu dans l’empire Romain par Paul et ses disciples. Ils se mettent au service de leurs nouveaux maîtres, passent Gibraltar en 711 pour conquérir l’Espagne aux Wisigoths, un peuple germain établi par l’empereur romain. D’autres berbères, nomadisant du Sud du Maroc jusqu’au Niger et au Sénégal, fondent en 1040 les almoravides, une communauté religieuse prétextant le jihad contre les Noirs pour les prendre en esclaves. Ils créeront leur sultanat avec Marrakech comme capitale et annexeront Al Andalus en 1086.

A l’Ouest, Boukhara, Samarkand, puis l’Inde seront conquis en 713 avec l’instauration d’un sultan à Delhi, et les guerriers arabes iront jusqu’à la frontière chinoise. Cet empire « musulman » est le produit de ces guerres terrestres où l’enjeu n’était pas de faire connaître le Coran mais de prendre le pouvoir sur de nouveaux territoires et d’y imposer une religion officielle.

Les rivalités pour le califat ont progressivement conduit à une répartition géographique : les califes abbassides (750-1258) avec Bagdad et la Perse, les fatimides chiites au Caire, les almohades au Maghreb et en Espagne (1121-1269) qui ont vaincu les almoravides. Bagdad devient la capitale de l’empire abbasside et la plus grande ville du monde, elle se tourne vers l’Orient pour maîtriser le commerce lucratif entre la Chine et l’Europe.

L’empire devient maritime, profitant de l’erreur d’un empereur chinois qui stoppe la construction de vaisseaux alors que la Chine était le pays le plus riche et le plus peuplé de la planète devant l’Inde. Beaucoup plus tard, l’Europe devenue riche se constituera un empire maritime mondial pour coloniser le reste du monde alors que le monde musulman décline. L’effort libre d’interprétation du texte du Coran, l’ijtihad, sera remplacé par le taqlid, l’imitation, imposée par les écoles officielles et divulguée par les madrasas. C’est Al Ghazali (1058-1111) qui va théoriser cette régression en rejetant le kalam considéré comme une théologie spéculative, et la falsafa, la philosophie héritée de la pensée grecque. La brillante pensée musulmane va se figer et se stériliser.

La puissance maritime et l’attrait du Coran permettra d’abord la lente diffusion pacifique, du Saint Livre via les marchands et marins musulmans actifs dans les océans indiens et pacifiques et le long des côtes de l’Afrique. C’est entre le 11ème et le 15ème siècle que l’immense croissant géographique de l’islam prendra forme, avec certaines conquêtes guerrières comme le raid sur l’Indonésie du mongol Kubilay en 1293 ou celle du royaume malien de Gao en 1464. Les asiatiques de l’Inde à l’Indonésie suivis des africains du continent constituent maintenant la majorité des peuples ralliés au Coran, les arabes sont moins de 15 % des 1,5 milliard de musulmans.

L’empire abbasside disparaitra avec la prise de Bagdad en 1258. Alexandre de Macédoine avait conquis en 10 ans un immense empire pour libérer les grecs de la menace perse, empire dépecé par ses généraux après sa mort prématurée. L’empire romain durera davantage, mais Rome cèdera face aux guerriers barbares ; Constantinople cédera plus tard face aux turcs dont l’empire ottoman s’écroulera en 1922. Les empires s’écroulent, les cartes se redessinent, mais le Coran restera la référence pour la majorité des croyants de cette immense espace. Qu’ils l’aient connu par la force ou par la persuasion, ils le transmettront à leurs enfants. Les guerriers des plateaux asiatiques se convertiront à l’Islam, comme les mongols (Gengis Khan), ou les turcs (Tamerlan).

Les califes et sultans musulmans sauront faire de leurs villes des phares pour l’humanité où vivent sans être inquiétés de talentueux chrétiens et juifs. Bagdad atteint un million d’habitants, Le Caire la moitié et Cordoue le tiers, alors que Paris est à peine le dixième et Rome encore moins. Les redoutables turcs d’Asie Centrale qui prendront Constantinople en 1453 massacreront une partie de ses 40 000 habitants, mais la ville se repeuplera d’étrangers de toutes parts, grecs, juifs chassés d’Espagne et atteindra 400 000 habitants en 1500.
Ces capitales musulmanes bénéficieront du généreux mécénat des sultans, de la richesse des échanges entre intellectuels et artistes de toutes disciplines. De grands esprits comme, Avicenne (980-1037), et Averroès (1126-1198) enrichiront le patrimoine de l’humanité à une époque où l’Europe moyenâgeuse, dominée par les clergés chrétiens sectaires était très en retard économiquement et culturellement.

Le monde chrétien, bien que divisé, s’accordera pour occulter le Coran par des traductions fallacieuses et présenter les musulmans comme des barbares dangereux pour la chrétienté qui doit reprendre sa terre sainte aux « infidèles ». Son ignorance est en contraste total avec la diffusion du Coran en Asie et en Afrique.

3 La réaction du christianisme papiste : les croisades (1096-1291)

Dès 722, les conquêtes berbères sont stoppées, en Espagne par les wisigoths qui fondent le royaume des Asturies, puis par Charles Martel à Poitiers en 732. Cette frontière entre le monde musulman et le monde chrétien sera à peu près stabilisée sous l’empereur Charlemagne (sacré à Rome en 800). Les guerres de frontières rependront avec la Reconquista de la péninsule lancée par Alphonse 1er au 12ème siècle. La conquête de Grenade en 1492 permettra aux rois « catholiques » d’expulser les almohades et trois mois après les juifs. La brillante civilisation d’Al Andalus disparait. L’Espagne sombre dans le sectarisme des clergés et l’inquisition s’y déchaîne.

Les croisades seront d’une toute autre ampleur. Prêchées par un pape français, Urbain II, elles impliquent le « saint empire romain germanique » avec la participation de l’empereur Barberousse et des anglo-saxons conduits par Richard cœur de lion, mais les francs constitueront la majorité des troupes. Louis IX mourra comme Barberousse lors d’une croisade. Pourquoi les salafistes traitent-ils agressivement les européens de « croisés » ?

En 1096, le sultan de Nicée fils de Souleiman voit d’abord débarquer des envahisseurs venus de loin, des « francs » avec de grandes croix sur leurs vêtements. La petite troupe est facilement vaincue, ils sont tués ou vendus comme esclaves. Il sait que lors de leur voyage de France à Constantinople, les pillages et les massacres de juifs ont été notables. Les chrétiens que les turcs connaissent, ce sont les chrétiens orientaux, ceux de Constantinople. Des rivalités d’empires les opposent, mais les négociations sont possibles entre vainqueurs et vaincus.

En 1097, les francs reviennent, plus nombreux et mieux armés. Les turcs sont pris de court, les croisés prennent le dessus, conquièrent Nicée, convoitée par Constantinople. Ils avancent, pillent et prennent difficilement Antioche qui aurait pu être épargnée si les musulmans s’étaient unis. Le comble de l’horreur, historiquement bien documentée, est atteint à Maara, prise par Bohémond qui laisse ses troupes massacrer et manger leurs victimes. Cannibalisme par faim ou par fanatisme, l’envie de dévorer du sarrazin ? L’image des croisés dans le monde arabe sera définitivement altérée : ce sont des brutes capables de tout.

Lors des croisades, plusieurs épisodes bien documentés montrent des bandes de croisés qui pillent et massacrent des juifs qui se trouvent sur leur chemin s’ils refusent de collaborer à leur entreprise guerrière. L’antijudaïsme développé dans le monde chrétien (post 32) a montré son odieux visage.

Les syriens terrorisés offriront peu de résistance et les croisés atteignent Jérusalem en 1099. Le calife chiite du Caire venait de reprendre la ville à ses rivaux sunnites pour arrêter les croisés. Ils vont s’emparer difficilement de la ville et massacrent la population, juifs et musulmans majoritairement arabes. Les chrétiens orthodoxes, gardiens du saint sépulcre, sont expulsés, leurs prêtres arrêtés et torturés pour récupérer la « vraie croix ».

Dès 1110, Tripoli, Beyrouth et Saïda sont aux mains des croisés qui consolident des forteresses. L’empereur byzantin appelle à l’union des orthodoxes et musulmans pour repousser les Francs et les expulser de la région. Les rescapés arabes de Jérusalem se réfugient à Bagdad et invoquent en vain le « djihad » pour obtenir l’aide des persans.
Après d’innombrables péripéties guerrières, c’est le kurde Saladin qui reprend Jérusalem en 1187 et déclenche une quatrième croisade. Les marchands de Venise la financent à condition de passer par Constantinople pour rétablir l’empereur, mais les croisés scandalisent les orthodoxes en pillant leur ville en 1204.

Le pape Innocent III condamne tardivement les excès horribles de cette barbarie qui n’a épargné « ni la religion, ni l’âge, ni le sexe ». Les croisés durent évacuer leur « terre sainte », leurs dernières places fortes tomberont en 1291. Les horreurs des croisades ont surtout été le fait de chrétiens latins et de musulmans turcs, manipulés par leurs chefs excitant une soif de vengeance populaire pour accroître leur emprise sur eux.

Nous sommes très loin de l’image d’une guerre sainte entre chrétiens et arabes musulmans.

4 les croisades créent une fracture dramatique entre christianisme et islam

Les chrétiens venaient en pèlerinage à Jérusalem depuis le 4ème siècle et continuent après la prise de la ville par les arabes. La menace des guerriers turcs sur Constantinople décida l’empereur (qui se prétendait représentant de Dieu sur terre) à demander secours à son collègue, le pape Urbain II, lui-même en plein conflit de pouvoirs. L’empereur germanique, dépossédé par le pape Grégoire VII du droit d’intervention dans le choix du pape en 1059, fit élire un « antipape », et chassa de Rome le pape et ses auxiliaires dont Godefroy de Bouillon, duc de Lorraine, un noble chevalier qui s’engagea dans les croisades et fut élu plus tard roi de Jérusalem par ses pairs.

Le français Urbain fut élu pape par le camp adverse et convoqua le concile de Clermont en 1095 où il lança son appel aux croisades : « Ô très courageux guerriers…, rappelez-vous de l’Evangile (« celui qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi »), prenez la route du Saint-Sépulcre, arrachez ce pays des mains de ces peuples abominables et soumettez-les à votre puissance ».

Le Saint Sépulcre renferme, selon une vieille tradition, le tombeau où le corps de Jésus aurait été déposé avant sa résurrection. La petite église construite autour fut détruite en 1009 par Al Hakim, sultan chiite d’Egypte, ce qui choqua les latins attachés à l’idée d’une terre sainte chrétienne et dont certains voyaient les sarrazins comme des païens profanant les lieux avec leurs idoles.
Urbain II manipula ces préjugés d’ignorance et promit le pardon total des péchés à ceux qui prieraient sur le lieu du Saint Sépulcre. Le peuple croyait encore aux pouvoirs de leurs clergés de pardonner au Nom de Dieu par le sacrement de pénitence et de garantir le salut éternel. Dans ces hordes de croisés, il y avait des aventuriers en quête de pillage, des brutes armées tuant aveuglément leurs ennemis, mais aussi de nobles chevaliers et de pieux roturiers en quête de salut post mortem.

L’ignorance de la Parole par ces croisés endoctrinés par l’église romaine était profonde. La Bible était réservée aux clergés, les fidèles ne connaissaient que leurs sermons, et Le Coran était totalement inconnu. Le « tu ne tueras point » enseigné par Moïse ou le « celui qui tue un homme, c’est comme s’il tuait toute l’humanité » du Coran étaient éclipsés par l’obéissance aveugle aux injonctions des chefs religieux et profanes. L’histoire aurait pu s’écrire différemment car des hommes sages et réfléchis ne manquaient pas dans le peuple comme parmi les hommes au pouvoir, divers accords ont été conclus entre les deux camps, mais ils n’ont pas duré.

C’est la logique guerrière qui l’emporta. Les croisades accentueront l’incompréhension entre chrétiens et musulmans, la division entre chrétiens latins et orthodoxes qui n’oublieront pas la mise à sac de Constantinople par ceux qu’ils croyaient être leurs frères, et les clergés romains s’enfonceront dans leur peur des « hérétiques » pouvant remettre en question leur domination. La Parole de 1974, 22/8, nous dit : Sous le bras étendu des princes, les pillards furent absous… pour prêter leur violence aux princes sur qui ne devait jamais retomber le sang des crimes commis pour le salut du peuple, car immense fut l’habileté des princes à gouverner.

Ces croisades prouvèrent la nocivité des pouvoirs religieux, guerriers et politiques. Elles furent une occasion perdue pour les laïcs et clergés latins d’échanger avec les musulmans pour sortir de leur ignorance du Coran et comprendre que leur église et les dogmes des grands conciles trahissaient l’Evangile.

Pour en savoir plus sur la complexe histoire des croisades, on peut lire des livres bien documentés comme « Histoire des croisades » de Jean Richard et « Les croisades vues par les arabes » de Maalouf.

5 La crispation théologique du christianisme le sépara du monothéisme strict des mondes juifs et musulmans

De grands conciles entérinent la théologie romaine officielle. Le premier, à Nicée en 326, fut convoqué par l’empereur Constantin, converti sincèrement ou non au christianisme. Il tenait à mater l’indépendance des croyants en leur imposant des évêques et des doctrines figeant la lecture des textes. Il voulait combattre les idées d’un prêtre d’Alexandrie, Arius qui affirmait que Jésus n’était pas Dieu. Les résultats du concile de Constantinople en 381 firent consensus, mais les nestoriens rejetèrent la décision du concile d’Ephèse en 431 de proclamer Marie « mère de Dieu ».

Au fil des siècles la doctrine romaine et les abus des clergés vont créer de graves divisions dans le christianisme (post 29). La première grande rupture fut avec les chrétiens de Constantinople fut actée en 1054 par leur refus du rajout par Rome du filioque au Credo. Dans leur doctrine officielle, orthodoxes et protestants ont conservé les dogmes des huit premiers conciles, trinité, incarnation et sacrifice rédempteur qui trahissent l’enseignement de Jésus et sont inacceptables pour nos frères juifs et musulmans.

Après cette mise au pas des évêques qui dépendaient d’eux, les papes de Rome joueront habilement avec les rivalités des pouvoirs profanes pour renforcer leur pouvoir centralisé en s’appuyant sur les royaumes européens qui se convertiront au christianisme latin et devront se soumettre à leur autorité en matière de religion. Même le puissant empereur du « saint empire romain germanique » devra s’humilier en 1077 face au pape à Canossa pour garder son pouvoir profane.
Ce verrouillage par le sommet de la hiérarchie cléricale se complète d’un verrouillage par le bas pour stériliser la piété du peuple.

Les Messages des prophètes juifs furent transformés en une Bible indigeste, un agrégat de textes triés au temps de Constantin, accessibles seulement en latin. Les fidèles devaient se limiter à leur missel et le Coran était ignoré ou traduit de manière fallacieuse.
La piété populaire fut aussi étouffée par l’importance donnée à la messe, un culte collectif rigoureusement encadré par des prêtres et confiné dans des églises. Ceux que leur intense piété incitait à s’éloigner du bruit et des tentations du monde furent confinés dans des monastères et maintenus sous haute surveillance grâce au vœu d’obéissance exigé d’eux.

Au 13ème siècle apparurent les ordres mendiants de frères prêcheurs. Ils faisaient les mêmes vœux que les moines, mais allaient dans le monde pour enseigner les doctrines romaines. Le zèle de ces prédicateurs fut très utile à l’inquisition quand l’ordre de Dominique mit au premier plan la lutte contre l’hérésie. Des dominicains remplacèrent les tribunaux épiscopaux et devinrent des inquisiteurs.

L’inquisition, de sinistre mémoire, démarra avec le concile de Latran de 1215 qui créa des tribunaux religieux pour y traîner les « hérétiques » et débusquer les juifs et les musulmans qui osaient pratiquer en secret leur culte. La torture fut autorisée en 1252. Pour éviter les peines les plus lourdes allant jusqu’à être brulés vifs comme le fut Jeanne d’Arc, les accusés dénoncés devaient à leur tour trouver des complices à dénoncer. La menace des doctrines et communautés cathares décida l’église romaine à lancer des croisades armées pour les exterminer.

L’Inquisition s’étendra sur toute l’Europe sauf l’Angleterre et concernera tous les individus considérés comme déviants par l’église romaine : les mystiques, les sorciers, les homosexuels, les bigames, les auteurs d’adultère, les zoophiles ou encore toute personne dénoncée. Elle sera meurtrière en Espagne où le pape donne toute liberté en 1478 à Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille pour sévir dans leurs royaumes.
L’institution fut abolie hors des États papaux au début du XIXème siècle, après les guerres napoléoniennes, et remplacée, en 1908 par la congrégation du Saint-Office. On ne sait combien de crimes elle a cautionné en toute impunité. Officiellement l’église la dirige, mais les agents des pouvoirs profanes en sont souvent les exécuteurs.

En 1500, deux mille ans après la fondation de Rome, le nouveau roi de Rome, le pape, croit avoir la situation bien en main sur l’immense territoire où il règne en maître absolu. Or Jésus de Nazareth avait enseigné « Mon Royaume n’est pas de ce monde » face aux soldats romains qui avaient divinisé leur empereur, ajouté à leur panthéon.
Mais le pape romain n’avait pas besoin d’être idolâtré (post 37) pour fasciner le peuple et se forger un Etat. Ses conciles avaient concocté le dogme de la trinité : Jésus était Dieu, il le représentait sur terre avec un contrat d’exclusivité avec la troisième personne, le Saint Esprit. Les Messages des prophètes juifs, Jésus compris avaient été réécrits et celui de Muhammad semblait définitivement écarté de l’écran radar du monde chrétien. Ses sbires pouvaient tuer, museler ou expulser ces hérétiques juifs, des déicides selon lui, les musulmans, ces sarrazins ignorants et tous les croyants qui osaient réfléchir et s’exprimer sans son accord préalable.

6 Le déconditionnement progressif des européens chrétiens

L’irruption de la Réforme au 16ème siècle fut un choc pour les clergés catholiques. Ce que nous pouvons en retenir ici, c’est que les débats souvent agressifs entre théologiens n’ont pas posé la question de l’origine réelle du texte sacré chrétien appelé la Bible, ni évoqué le Coran ; sans parler des autres Messagers d’Orient, totalement inconnus.

La Bible catholique fut figée au 4ème siècle, divisée en ancien et nouveau « testament », noyée de livres d’hommes comme Paul ou l’auteur de l’Apocalypse, puis complétée par les doctrines officielles des « pères de l’église ». Les grands conciles diviseront latins et orthodoxes, chacun prétendant être seul dépositaire de la Vérité. La chasse aux esprits libres sera féroce et toute lecture contestataire de la Bible sera étouffée. Progressivement, l’étau va se desserrer avec l’apparition d’églises réformées concurrentes dans les royaumes catholiques, mais cette libération restera limitée car le fond théologique des réformateurs diffère peu de celui de Rome.

Les philosophes des Lumières vont aller plus loin dans la libération mentale après la mort en 1715 de Louis XIV qui imposait son catholicisme en déclarant, « l’Etat, c’est moi ! ». Au 18ème siècle, la France avait un grand rayonnement culturel et scientifique. Ses intellectuels voulurent combattre par la raison l’obscurantisme des clergés et de la bourgeoisie et lutter contre toutes les oppressions (morales, politiques, religieuses). L’encyclopédie universelle de Diderot et D’Alembert en est un bon exemple mais les auteurs travaillaient à partir d’une base de savoir limitée. Ils n’avaient pas les connaissances linguistiques nécessaires pour réfléchir sur les textes sacrés et ignoraient le Coran, et ils ne disposaient pas des travaux scientifiques pluridisciplinaires ultérieurs comme ceux de l’école biblique de Jérusalem pour éclairer le contexte rédactionnel des textes.

C’est surtout le développement démographique et économique de l’Europe qui va ouvrir les esprits avec sa dynamique coloniale. Christophe Colomb fut le premier surpris en débarquant dans ce continent inconnu, l’Amérique, au lieu d’arriver comme prévu en Inde. Les puissants royaumes espagnols et portugais comprendront vite l’aubaine de ces nouveaux territoires à conquérir. Le sabre allait avec le goupillon et le prétexte de christianiser ces populations pour les sauver était souvent en arrière-plan de leurs initiatives. Mais il fallut attendre 1537 pour que le pape décide que les indiens avaient une âme et pouvaient donc être baptisé !

Les colonisations ibères, à forte connotation religieuse, seront suivies par la britannique et la française, beaucoup plus mercantiles, et les européens se répartiront la planète au hasard des navigations, des guerres navales et des traités. Ils redessineront la carte religieuse du monde en Amérique surtout, où les religions traditionnelles furent écrasées.

L’Amérique deviendra la puissance mondiale en supplantant l’Europe dont vont s’expatrier les hommes au fil des siècles et qui sera saignée par les guerres mondiales qu’elle provoquera. Les immigrants fuient la famine comme les irlandais, les persécutions comme les protestants et les juifs, cherchent l’aventure et l’or, ou veulent participer au juteux trafic d’esclaves africains qui seront exploités pour les plantations. L’Amérique sera plutôt anglo-saxonne, donc protestante au Nord, plutôt ibérique donc catholique au Sud. Les musulmans y sont une infime minorité, surtout des descendants d’esclaves noirs.

Les Philippines, colonisés par les espagnols, embrasseront avec ferveur le christianisme, mais l’Indonésie, colonie néerlandaise, restera musulmane et deviendra le pays musulman le plus peuplé. Ainsi, cette épopée coloniale ne permit pas de mieux connaître le monde musulman que seuls les français et anglais en Afrique vont un peu côtoyer, mais avec leurs préjugés de supériorité européenne et l’arrogance qui découle du pouvoir militaire.

Mille ans après la première croisade, un Occident toujours aussi ignorant de la Parole qui ne se divise ni ne se tait et des réalités du terrain débarque à nouveau au Moyen Orient avec son idéologie et ses chefs de guerre et sème la mort et le chaos dans la région. La vénération de la déesse démocratie a l’occidentale (voir post 34) a remplacé la soumission aveugle au clergé, les avions et les bombes ont remplacé les chevaux, mais les conséquences de ces invasions guerrières seront catastrophiques pour les populations civiles.

7 L’Occident face à l’islam : complexe de supériorité et ignorance des textes sacrés

L’Occident a une nette supériorité militaire, développée par des siècles de carnages entre européens et il est encore une puissance économique. Pour imposer ses objectifs, il décida de renverser par la force des dictateurs arabes qui gênaient sa politique : Kadhafi, Saddam Hussein et Assad. Laissons les historiens et analystes politiques débattre des conséquences, mais ils ne peuvent nier que l’irruption de Daesh et de ses horreurs est une conséquence imprévue de ces guerres qui engendrent une vengeance sans fin (27/9).

L’état « islamique » est le double résultat, d’une part de l’ignorance actuelle dans le monde musulman avec son rêve de califat, son mythe de la charia et sa condescendance à l’égard des autres religions, d’autre part de la déstabilisation irréfléchie de la région par les occidentaux au nom du rétablissement de la démocratie. Que les politiciens occidentaux laissent les peuples arabes et les autres décider eux-mêmes de leurs gouvernements !

L’Occident pense avoir une supériorité idéologique avec leur « démocratie », initiée par les grecs (servis par des esclaves et excluant les femmes). Or les « représentants » bénéficiant de « l’onction » du suffrage universel (notons le jargon religieux) ne sont pas des parangons de talents et de vertu comme l’espère la déclaration des droits de l’homme française. Ce sont les vainqueurs de joutes électorales sous influence médiatique où les fausses promesses de ces artistes du mensonge et l’agressivité déchaînée contre les concurrents sont les armes de la victoire. Les idéologues de la démocratie confondent la légitimité des décisions et la légalité des décideurs issus des urnes. Pour prendre un exemple extrême, les rafles de nos frères juifs en France étaient parfaitement légales, car l’assemblée avait confié les pleins pouvoirs à Pétain. Les sbires du pouvoir lui obéissaient.

L’absurdité d’un système à bout de souffle devient évidente en France, pays hypercentralisé où le présidentialisme s’est imposé avec Charlemagne, Louis XIV, Napoléon et le militaire de Gaulle qui inspira la Constitution en vigueur. Il est plus que temps de réformer la pseudo démocratie actuelle (post 70). Les grands médias s’agitent autour de la campagne présidentielle de 2022. Leurs débats ennuyeux ont pour seul avantage d’illustrer les tensions de la société française actuelle.

Des tensions liées aux idéologies patriotiques et à la distinction arbitraire entre des étrangers et des français « de souche ». Ce qui ne facilite pas une vie civile apaisée avec les musulmans en quête d’identité. Cette idéologie ne résiste pas à l’analyse historique de la France. Une nation constituée par des invasions successives (Clovis, le premier unificateur du territoire était un franc, un envahisseur germain) et d’immigrations impossibles à endiguer. N’oublions jamais la sagesse de la Parole : « Etrangers, je vous aime avant de vous connaître » (25/4).

Les tensions s’accentuent à cause du fossé qui sépare le monde musulman français, en particulier sa minorité de croyants crispés sur une interprétation passéiste du Coran. Ils font face au monde mental des athées largement majoritaires et de ce qui reste des chrétiens convaincus, très ignorants des textes sacrés libérés des gloses en raison de la laïcité d’obscurantisme (voir post 55). C’est par la connaissance de la Parole telle que transmise par tous les prophètes que le monde contemporain résoudra ses problèmes. Or après de siècles de confiscation de la Parole par les clergés et théologiens, d’absence de traductions fiables, nous pouvons enfin disposer librement des grands textes sacrés et y réfléchir en toute autonomie pour retrouver leur unité à leur Source.

Face à une confrontation de préjugés, il y a une autre voie, celle de la fraternité de l’amour qui passe par la connaissance mutuelle, donc l’observation et la réflexion objective. Aujourd’hui, tous disposent des grands textes philosophiques pour étayer leur réflexion, et les croyants et les hommes ouverts à la recherche spirituelle y ajoutent les grands textes sacrés. En se confinant dans l’ignorance de ces textes dans une humanité majoritairement croyante (France et Chine sont des exceptions), il est impossible de travailler à l’alliance fraternelle entre tous et à la Paix universelle que ni les pouvoirs religieux ni les pouvoirs profanes, embourbés dans leurs calculs et leurs préjugés, n’ont jamais pu ni voulu réaliser.

Il est plus que temps pour nos enfants que les violences aveugles cessent et que les manipulateurs qui profitent de l’ignorance du peuple soient combattus sur leur propre terrain, celui des textes sacrés, des déclarations de droits et des grands philosophes dont ils se réclament !

NB : En ce qui concerne le Coran, il a fallu attendre 1840 pour avoir une traduction imparfaite mais non biaisée, celle de Kasimirski, un immense progrès. Pierre le Vénérable au Moyen Age avait traduit le Coran pour le réfuter et préparer ses traités contre les sarrazins et contre les juifs. Celle de Savary en 1783, plus discrètement biaisée, accompagnera la mode de l’orientalisme. Les bonnes traductions modernes sont celles de grands arabisants intellectuellement honnêtes venus d’horizons très différents : Régis Blachère en 1951, Denise Masson en 1967, Jean Grosjean et Hamza Boubakeur en 1972. En 1990 s’y ajoutent celles de Jacques Berque, conciliant fidélité au texte, recherches stylistiques et notes informatives et celle atypique du futur président d’Israël, André Chouraqui qui retourne aux sources des langues sémitiques qu’il connaît parfaitement.