D’après un sondage de 2022, 71% des électeurs américains jugent la démocratie en danger et ne croient plus à sa capacité à les représenter. La démocratie « représentative » donne le pouvoir à des autocrates comme Poutine, élu et réélu, et en Tunisie, à un constitutionnaliste non affilié aux partis politiques élu sur ses promesses anti-corruption. Il concentre maintenant tous les pouvoirs, un « coup d’Etat » pour certains juristes, et déclare que l’immigration est une « entreprise criminelle ourdie pour changer la démographie de la Tunisie ». La Banque mondiale a réagi en suspendant ses aides, la situation économique et politique de ce pays porteur des espoirs du printemps arabe devient tendue et incertaine. Les démocraties sont fragiles !

L’agitation autour de la réforme des retraites illustre les dysfonctionnements de la démocratie « représentative » en France, pays de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et de R. Cassin, rapporteur pour la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) adoptée par l’ONU en 1948. Elle se situe au-dessus des diverses formes de gouvernement et n’évoque pas la démocratie car certaines monarchies respectent les droits de leur peuple. La Constitution française définit la démocratie comme « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » et parle de la loi comme « l’expression de la volonté générale » à laquelle « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants ».

Ce concept de représentant transforme les citoyens en « gouvernés » par des politiciens et des bureaucrates qui posent en « gouvernants ». Or la Parole, en parlant de toute l’humanité et pas du peuple d’une nation, nous dit : « J’ai interdit qu’on s’empare de l’héritage de Mon Peuple et de son gouvernement que J’ai laissé à tous » (1974, 27/5). La vraie démocratie part des humains qui vivent, partagent, discutent, se concertent. Il faut repenser la question du gouvernement de la nation française.

1 Aux fondements de la démocratie : libertés publiques et droits de l’homme

Quand nos lointains ancêtres quittent le foyer mésopotamien et le jardin d’Eden, ils perdent progressivement le sens de la liberté individuelle. Ils se dispersent en tribus luttant pour leur survie où les individus sont soumis aux chefs de la tribu. Les humains se multiplient, s’organisent en cités, en royaumes puis en empires et tous sont soumis de force aux décisions des pouvoirs guerriers et religieux qui s’allient pour dominer leurs peuples.

C’est à Athènes (voir post 49), qu’émergent progressivement d’autres modes de gouvernement et que l’idée de démocratie prend forme comme alternative à la domination des rois et de la noblesse. La cité grecque innove en instaurant un partage des responsabilités entre des citoyens et les instances délibératives et exécutives de la cité. La citoyenneté n’implique qu’une petite minorité de la population, excluant les femmes, les natifs d’autres cités et les esclaves, mais cette organisation facilite les débats philosophiques et favorise l’autonomie individuelle.

Socrate affirme l’indépendance de l’individu à l’égard de la cité, ce qui le conduira à un procès et à la mort, mais le débat se poursuivra dans l’Académie qu’il fonde, avec ses disciples comme Platon et Aristote et dans les forums publics. La polis est la communauté des hommes libres, et pour Aristote (mort en 322 av. J.-C), les hommes doivent parler les uns avec les autres s’ils veulent édifier une communauté éthique. Ce grand philosophe, redécouvert tardivement par l’Occident, aura une influence majeure sur la philosophie musulmane et ses développements sur l’éthique restent incontournables.

Les cités grecques et leurs libertés publiques seront écrasées par la logique d’empire et il faudra très longtemps pour que les revendications de liberté face au pouvoir royal reprennent vigueur, timidement en Angleterre avec la Grande Charte de 1215, puis le Bill of Rights de 1689. Avec le siècle des Lumières (de 1715 à 1789), la contestation de l’obscurantisme catholique et de l’arbitraire royal prend une autre dimension. Des espaces nouveaux (cénacles, salons, clubs, académies…) apparaissent où se tiennent débats esthétiques, querelles littéraires, discussions politiques.

La référence commune dans cette sphère publique bourgeoise est de promouvoir le rationalisme, l’individualisme et le libéralisme. La liberté d’expression s’y manifeste, ainsi que les revendications d’égalité. Ils permettent aux encyclopédistes d’argumenter la nécessité de soumettre les traditions à la raison critique. Les juristes prennent le relais des philosophes pour défendre la liberté, Montesquieu (1689-1755) développe l’importance de la séparation des pouvoirs. Ce vaste débat social prépare la Révolution de 1789, ses travaux constitutionnels et des déclarations de droit qui feront de la France, comme l’Allemagne un pays de droit écrit contrastant avec la culture anglo-saxonne des us et coutumes (Common Law) interprétés par les juristes.

2 Les libertés de conscience, d’expression, d’association, de discussion

De nos jours, les pays occidentaux attirent beaucoup d’étrangers pour y vivre ou s’y réfugier, c’est une bonne chose. Au-delà des opportunités économiques, ce sont souvent les libertés publiques dont les résidents bénéficient qui les font venir pour s’éloigner de la situation dans trop de pays où la liberté de s’exprimer et même de vivre est écrasée par les pouvoirs en place.

Après les horreurs du nazisme vaincu par les alliés, en tenant compte de l’échec de la SDN et pour que ce drame ne se reproduise plus l’ONU a été fondée avec une AG, un Conseil de Sécurité et une Charte. Elle a permis quelques progrès pour que les nations se concertent pacifiquement, mais beaucoup reste à faire, comme au Conseil où le droit de veto d’une nation peut bloquer toute initiative.

La plupart des Etats membres de l’ONU ont ratifié la DUDH, une Déclaration qui, dès son préambule, parle de « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables qui constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Elle veut que « les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ». Elle rappelle que « Les États Membres se sont engagés à assurer le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

C’est un texte parfois ambigu qui ne récuse pas la peine de mort mais déclare : « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». L’article 18 développe le sujet des libertés : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte.

Les Articles suivants ajoutent : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Et : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».

Ce texte déclaratif n’est pas contraignant pour les pouvoirs, mais le Conseil de l’Europe a établi une Cour européenne des droits de l’homme chargée de faire appliquer sa Déclaration de 1950, inspirée de la DUDH et signée par tous les Etats membres. Condamnée en 2005 pour ses exactions en Tchétchénie, la Russie s’est retirée de ces institutions en 2022.

La protection des textes juridiques est un outil utile pour protéger contre l’oppression et l’arbitraire, mais ne suffit pas. Ce qui fait reculer le pouvoir, c’est la détermination d’une population défendant ses libertés, comme viennent de le faire les géorgiens. Cette résistance commence par la discussion interindividuelle, en association informelle ou organisée, et dans des assemblées délibératives. A l’inverse, les sociétés autoritaires imposent d’obéir aux lois et aux injonctions « sans discuter ».

3 L’éthique de la discussion chez le philosophe politique Habermas

Habermas est avec Rawls le philosophe qui a le plus marqué la réflexion des philosophes politiques contemporains. Leurs thèses montrent l’influence de leur contexte social respectif, la culture allemande attachée aux institutions et au droit écrit et la culture américaine qui priorise la liberté individuelle. Habermas a d’abord été influencé par le marxisme et son matérialisme athée. Puis le nazisme lui fit comprendre que les idéologies peuvent mener au désastre les sociétés qui les suivent.

Il a publié « Théorie de l’agir communicationnel (1981) », « De l’éthique de la discussion (1992) », « Droit et démocratie (1992) », « Après l’État-nation, une nouvelle constellation politique » (2000). Athée, il réfléchit à ce qui est juste en ignorant les textes sacrés, référence absolue du Bien pour les croyants (post 33). Il pose « le problème universaliste de la philosophie transcendantale en « détranscendantalisant la façon de progresser », et renonce aux justifications ultimes des philosophies de l’éthique.

Il développe l’idée d’un principe de discussion capable de remplacer l’Impératif catégorique de Kant. Il prône un « processus de discussion pratique où tous les participants prennent part à une recherche coopérative de la vérité où seule s’impose la force du meilleur argument ». Ce qui permet d’obtenir un « consensus rationnellement motivé ». Son éthique de la discussion « intègre le concept hégélien de vie éthique et s’en acquitte par des moyens kantiens », par une « discussion dans une situation de liberté de parole absolue » et de renoncement aux comportements manipulatoires. Les participants sont « libres et égaux car le libre développement de la personnalité de chacun dépend du respect de la liberté de tous les autres ».

Il « escompte qu’une intercompréhension sur l’universalisation d’intérêts soit le résultat d’une discussion publique réalisée intersubjectivement, car seuls les universaux de l’usage du langage forment une structure commune, préalable aux individus ». On retrouve ici les découvertes de Lacan sur l’inconscient structuré comme un langage et les intuitions de Husserl sur l’intersubjectivité transcendantale. Husserl (1859-1938), fondateur de la phénoménologie, qualifie d’intersubjective l’objectivité, parce qu’elle dépend constitutivement d’une pluralité de sujets.

« Le développement des minorités culturelles en Europe impose de repenser la citoyenneté. L’État de droit doit pouvoir garantir aux minorités le respect de leurs coutumes, langues, religion… pour qu’ils s’attachent à la défense des institutions étatiques ». « Le principe de publicité exige un usage critique et public de la raison dans le cadre plus large de la démocratie délibérative ». Il faut distinguer légalité et légitimité : « une décision n’est légitime que si la discussion qui y mène l’est  ».

Le débat public fonde un principe de légitimité qui exerce un « pouvoir d’assiègement permanent » ( cf. Michel Foucault) protégeant du despotisme et « revitalisant l’État de droit par la délibération constante et publique des individus dans un cadre de communication ayant acquis une stabilité institutionnelle qui permet la formation d’une volonté collective ». « Il faut instaurer une raison publique en mettant en place un dispositif vaste et continu d’instances de délibération, pour organiser des procédures de discussion et d’argumentation qui aboutissent à des normes publiques fondées en raison ».

Dans son livre l’éthique de la discussion, sa réflexion sur le sens à donner au mot éthique est limitée par ses convictions d’athée qui contrastent avec celle des grands philosophes occidentaux classiques, tous croyants de culture juive ou chrétienne, ou celle des philosophes musulmans ou indiens. Leurs réflexions sur l’éthique sont inspirées par leurs textes sacrés respectifs.

4 L’éthique en philosophie

L’éthique est un sujet majeur pour les philosophes européens à la suite du grand précurseur Aristote. Son éthique, tout comme sa politique et son économie, est orientée vers la recherche du Bien pour une vie meilleure. Il décrit des vertus éthiques (justice, courage, tempérance etc.) permettant à la raison d’acquérir par la pratique « les aptitudes délibératives, émotionnelles et sociales qui nous rendent capable d’une compréhension du bien-être », sans spéculer sur l’essence de la vertu. Aucune forme constitutionnelle ne s’impose : « telle loi juste dans une constitution serait injuste dans une autre parce si elle contredit son esprit ». Pour les stoïciens, l’éthique est vécue dans la vie quotidienne, par la pratique d’exercices spirituels pour atteindre une perspective universelle grâce à la conscience du rapport avec l’humanité dans son ensemble, ce qui entraîne le devoir de tenir compte du bien commun.

L’éthique de Spinoza (1632-1677), son œuvre posthume majeure, est un livre de métaphysique qui veut constituer une éthique rationnelle et intellectualiste, comme « voie qui mène à la liberté ». La liberté est la connaissance adéquate des causes de l’action. Plus on connaît le monde, plus on connaît Dieu (qu’il appelait la Nature) et plus on est joyeux. La liberté ne s’oppose ainsi ni à la nécessité, ni au déterminisme naturel. Spinoza distingue les lois naturelles des lois civiles, que les hommes se donnent.

Il dénonce « l’utilisation de la religion par les pouvoirs politiques qui convainc les hommes de faire ce qu’il y a de plus nuisible et de plus honteux, en croyant faire le bien et contribuer au salut de leur âme ». La liberté de croire et de penser librement est la condition de la fin des conflits religieux. Dans son Traité théologico-politique, Spinoza montre que les assertions théologiques sont des choix politiques sans rapport avec le texte biblique. Il propose une nouvelle méthode de lecture biblique où le texte s’explique lui-même, sans les interprétations officielles. En cas d’obscurité du texte, il faut chercher d’autres passages apportant un éclaircissement. C’est la méthode utilisée dans ce blog pour réfléchir à la Parole indivisible.

« La liberté de pensée, un droit naturel, doit être protégée par l’État, comme condition de la paix civile. Si le pouvoir ne peut contrôler les langues (qui parlent hors du contrôle du sujet parlant), il ne peut pas contrôler les pensées ». Les lois civiles ne peuvent être étendues à toutes les activités, car « la nature humaine ne peut supporter d’être contrainte absolument », et « vouloir tout régenter par des lois c’est rendre les hommes mauvais ». Ses analyses invalident toutes les formes de dictature religieuse et politique. Pour ses idées dérangeantes, Spinoza a encouru la haine de ses frères juifs et fut exclu à vie de la synagogue.

Kant (1724-1804) élabore une philosophie de loi morale, valable pour tout « être raisonnable », universelle et nécessaire, qui implique la « liberté transcendantale ». Son précepte est : « agis de telle manière que ce qui dirige ton action, puisse être une loi universelle de la nature ». L’éthique kantienne considère l’action en elle-même indépendamment des circonstances de l’action. L’acte moral obéit nécessairement à un impératif catégorique (le devoir), et non à un impératif hypothétique (dicté par la prudence, visant le bonheur, ou procédant par ruse). Tout laxisme dans la réflexion mène, selon Kant, non pas aux punitions éternelles de l’intégrisme religieux, mais à une perte d’efficacité dans l’action concrète, donc à une perte de liberté.

La position de Hegel (1770-1831) sur l’éthique a beaucoup évolué au long de sa vie. L’histoire universelle est un mouvement dialectique qui se réalise objectivement dans l’État, où l’Idée s’accomplit dans une organisation juridique capable de réaliser la liberté qui est son essence. La longue histoire de l’humanité (religion, philosophie, morale, droit, art…) a un sens : la liberté de l’homme qui progresse par étape. Dans le peuple individualisé, les hommes doivent parler les uns avec les autres s’ils veulent édifier une communauté éthique qui accomplit leur liberté.

Pour juger, si les mœurs et les institutions sont convenables, il faut une doctrine de la vertu. Hegel part des droits de l’homme. C’est un droit humain que conserver sa santé, se nourrir par son travail, conclure un mariage, croire ce que l’on veut. « Les lois ont leur complément dans la disposition d’esprit morale », « La justice dépend de mon respect pour les droits des autres hommes ; c’est une vertu si je la considère comme un devoir et pas parce que l’État la requiert ».

Hegel veut une religion de la raison ou religion morale qui soit religion universelle de l’humanité. Le savoir est, comme pour Platon, le savoir de la vertu conçue comme une déclinaison de l’amour. Jésus manifeste du « mépris à l’égard des lois et des devoirs et enseigne l’amour comme unité de l’inclination et du devoir, c’est la justice comme destin réconciliateur ». A la fin de sa vie, Hegel trouve l’époque moderne si compliquée que « sa substance éthique n’est plus dans des individus singuliers : seules les institutions, et non les vertus, peuvent stabiliser la vie éthique ». Il contredit ses écrits antérieurs.

Bergson (1859-1941), dans « Les deux Sources de la morale et de la religion », distingue la morale close, un système d’habitudes conditionné par les exigences sociales et rattachée à l’obligation morale, de la morale ouverte, « l’appel du héros, du saint ou du mystique », soulevé par « l’élan vital qui tâche d’entraîner les autres hommes », son « énergie créatrice devant se définir par l’amour ».

Dans ce bref survol des grands philosophes classiques, on constate que le sens donné au mot éthique varie, mais est lié à leurs positions sur la liberté individuelle, la vertu et l’amour. Ils ne connaissaient que la Bible et ignoraient les autres textes sacrés, en particulier le Coran. De plus ils ne disposaient pas des outils scientifiques modernes facilitant l’analyse du texte biblique, même si Spinoza a constaté les contradictions entre le texte et les doctrines religieuses.

Or nous pouvons maintenant plus facilement identifier dans la Bible classique les écrits d’hommes ajoutés au fil des siècles et les répétitions créées par la superposition de sources orales de diverses provenances. En en tenant compte, la Bible chrétienne s’allège de plus de 80% de son texte ! Pour un porteur de la Parole indivisible, la réflexion sur les sujets majeurs comme l’éthique, la liberté, la vertu, l’amour… se fonde sur l’ensemble des textes sacrés, sans exclusivisme religieux.

5 Démocratie délibérative et éthique de la discussion

L’éthique se construit dans une dynamique de progrès, celle de la pensée philosophique et de la vie privée et sociale qui se nourrit des échanges entre individus. Tout commence par des discussions de toutes sortes, deux personnes ou plusieurs, en face à face ou à distance, avec des proches ou des inconnus, dans un cercle privé ou dans un lieu public. Elles inaugurent un processus de formation de la volonté individuelle et collective.

Concentrons-nous ici sur l’éthique de la discussion dans le cadre de la pratique démocratique. La question qui se pose est plutôt simple : définir une éthique de la discussion qui la rende constructive, pour qu’elle ne soit pas une simple conversation et ne tourne pas en débat stérile ou polémique. Les références universelles au niveau d’une éthique individuelle sont le refus du mensonge, l’absence d’arrière-pensées de domination ou de manipulation, le respect des autres participants à la discussion. Une discussion constructive impose une autodiscipline de travail collectif : patience, partage du temps de parole, écoute, empathie, sincérité, transparence sur les intentions, absence de préjugés, ouverture aux changements d’opinion résultant des discussions.

Une discussion constructive permet d’enrichir la réflexion de tous et de préparer des modes plus élaborés de concertation comme des débats où des thèmes sont prédéfinis dans des groupes ou des assemblées. Une assemblée c’est : « la réunion, dans un même lieu, d’un nombre plus ou moins considérable de personnes qui délibèrent ensemble en vue de prendre certaines décisions ».

Dans les instances officielles, assemblées élues ou jurys qui aboutissent à des décisions difficiles à prendre, il faut se donner le temps de la réflexion et confronter les points de vues . C’est dans ce cadre que l’argumentation rationnelle est la plus pertinente pour éviter les jeux d’influence ou la manipulation des émotions qui conduisent à des décisions regrettables. Elle se construit dans la concertation. Même si le peuple tout entier est concerné, la concertation ne peut être imposée et la consultation se limite à ceux qui décident de participer, d’où l’importance pour la qualité de la démocratie de faciliter la participation populaire aux débats. Pour cela, les outils modernes de communication sont très utiles.

La démocratie dit « participative » reste dans le schéma de gouvernants qui consentent une participation limitée et encadrée des gouvernés, c’est un progrès mineur par rapport à la démocratie « représentative » où les représentants décident de tout après avoir été élu, même s’ils ont menti et fait de fausses promesses. Dans trop de nations, le pouvoir permet l’accès à des richesses qui seront attribuées aux soutiens électoraux. Les votes s’achètent directement ou sont influencés par les financements de campagne. Face aux pouvoirs élus qui s’avèrent injustes, le peuple peut choisir la révolte qui risque d’empirer sa situation.

Le post 44 a évoqué le rôle des assemblées et des nations. Dans une petite assemblée à taille humaine, le consensus n’est pas difficile à obtenir et préserver. Une nation embrasse un espace d’échanges et de concertations intermédiaire entre les assemblées et la planète pour s’attaquer à des sujets plus vastes. Il y a 200 états nations affiliés à l’ONU, mais il n’y pas de solution magique applicable à toutes les nations pour que les décisions collectives puissent s’appuyer sur un solide consentement populaire. La situation se présente très différemment en Iran, en Russie, en Tunisie, en Suisse ou en France et une dynamique de progrès démocratique doit se dérouler progressivement en fonction de l’historique et de la sociologie du pays par réformes successives. La loi nationale doit aussi se soumettre à l’objection de conscience des citoyens.

Dans le cas de la France, les stratégies d’obstruction et les débats houleux à l’Assemblée Nationale à l’occasion du projet de loi sur les retraites illustrent la grave carence en éthique de la discussion dans cette assemblée trop nombreuse. Certains groupes de députés sont avides de marteler leurs doctrines : haine de l’étranger et nationalisme ou haine des riches et convoitise matérialiste, sans aucun souci de rechercher des solutions de compromis collectives raisonnables. A cette carence éthique s’ajoute leur impéritie de gestion, un fléau du monde politique français.

L’instauration d’une dizaine de Hautes Autorités Citoyennes (post 55) se concertant librement entre elles sur des sujets transversaux prédéfinis pour préparer et éclairer les débats publics devrait permettre un progrès notable vers une démocratie délibérative. Les décisions démocratiques importantes pourront alors être précédées par un débat public ouvert permettant de construire progressivement des consensus stables sur les enjeux majeurs. On peut penser à de hautes autorités sur la liberté, la justice sociale, le logement, la santé, l’éducation, l’écologie au sens large, la souveraineté alimentaire, les transports…

Chacune serait constituée de 27 citoyens, 9 membres directement élus, 9 tirés au sort parmi les volontaires, et 9 choisis par les précédents pour leur expertise. Le caractère innovant de ces Hautes Autorités Citoyennes tient à leur composition, à leur maîtrise de leur ordre du jour, à leur caractère permanent, à leur focalisation sur un sujet précis, à leur mission d’éclairer l’opinion publique. C’est un contre-pouvoir par l’influence que ces petites assemblées acquerront par la qualité et le caractère public de leurs débats. Elles peuvent contribuer à rééquilibrer les institutions françaises.

Cette réforme expérimentale ne nécessite pas de refonder la Constitution actuelle et en initiera d’autres pour que laisser aux générations qui viennent une société plus équilibrée, plus juste, plus apaisée.