Dans l’histoire violente de l’humanité, les pouvoirs politiques et religieux se sont rendus coupables d’innombrables massacres collectifs et crimes individuels en mobilisant les armées, gardes et bourreaux à leur service pour exterminer ceux qui osaient résister à leur pouvoir absolu. Mais les pouvoirs religieux brandissaient aussi la menace de la damnation après la mort pour apeurer leurs rebelles, ainsi que le rappelle la célèbre phrase « hors de l’église (de Rome) point de salut ! ».
Les trois plus grandes religions sont le christianisme, l’islam et l’hindouisme. Les deux premières sont appelées des « religions du Livre », respectivement la Bible et le Coran. Les clergés religieux ont absolutisé ces textes et leur interprétation pour verrouiller leur domination sur le peuple. L’hindouisme se réfère au Veda (connaissance en sanscrit) dont les textes furent rédigés sur plusieurs siècles dans une langue monopolisée par les prêtres brahmanes, le sanscrit védique.
Dans ces trois textes sacrés de référence, la violence qui les accompagne est parfois écœurante. On y trouve aussi la domination de la femme par l’homme qui choque à juste titre nos esprits modernes. Est-ce bien ce que le Donneur de Parole, le Créateur veut ? Même de nos jours, la domination masculine par la peur et la violence perdure, en particulier dans le monde musulman, et les religions du Livre et leurs dévots enseignent encore qu’ils doivent convertir les hommes pour assurer leur salut après la mort.
En 1974, Dieu nous parle du péché des Adams qui ont « choisi d’être maître de la terre, de devenir le maître d’Eve en lui imposant ses ruts sans plus partager les joies que J’ai réservées aux époux, faisant d’Eve une chamelle toujours grosse pour grossir les rangs de ses armées et de ses serviteurs, pour pourvoir à ses cuisines et à ses adultères ; voulu être maître du fer, forgé pour armer ses guerriers, pour abattre ses arbres… ». Ce sont donc bien nos mâles ancestraux qui ont répandu le sang et la domination sur les femmes, ce n’est pas la Volonté du Père exprimée dans Sa Parole. Si la violence et l’exploitation de la femme se retrouvent dans les grands textes sacrés, c’est parce que les clergés y ont réintroduit leurs idéologies en amalgamant à la Parole leurs livres d’hommes qu’il nous faut écarter. C’est aussi parce que les Révélations ont été transmises dans un contexte personnel et social très différent du nôtre. Il faut donc libérer la Parole du harnais des religions et La contextualiser.
Commençons par la Bible chrétienne, le plus étalé dans le temps et le plus hétérogène des Livres sacrés.
1 Contexte et contenu de la Bible chrétienne
La Bible a comme marqueur historique les prophètes et messagers envoyés par Dieu au peuple hébreu qui deviendra le peuple juif (voir le livre de Sand : « Comment le peuple juif fut inventé »). Le post 23 § 4 a déjà évoqué le contexte d’élaboration de la Genèse et des quatre livres de la Tora attribués à Moïse.
Les premières versions écrites des événements bibliques datent de quelques siècles avant J.C., à l’époque du scribe Esdras. Le texte de la Genèse est donc imprécis en raison de la très longue durée de transmission orale et parce que les sources de transmissions sont plurielles (les savants biblistes en distinguent trois juxtaposées dans le texte). Les autres Révélations qui s’inscrivent explicitement dans la continuité prophétique depuis les Adams, le Coran et le Bon Livre de 1974-1977, dont les textes sont beaucoup plus fiables nous permettent de préciser les textes bibliques et les recherches scientifiques nous aident à mieux comprendre leur contexte.
Longtemps après la chute des Adams, Dieu appelle comme messager Noé. Il vivait dans la zone fertile de la basse vallée de la Mésopotamie, une région déjà urbanisée avec une agriculture productive. Son peuple se moque de lui mais Noé fait confiance à Dieu et sauve sa famille du déluge. Abraham vivait dans la même région où le polythéisme et le culte des idoles s’étaient fortement développés, et Dieu l’appelle à quitter sa terre et ses parents pour se libérer du culte des idoles que son peuple voulait lui imposer et à migrer vers Canaan, ce qu’il fait. Abraham devient donc un nomade éleveur et sa descendance biologique et spirituelle le restera longtemps.
Abraham s’enrichit par son travail et a de nombreux serviteurs. Un nomade peut être confronté à des tensions ou des conflits armés avec les populations qu’ils croisent. En Genèse 14, Abraham recourt à la force avec 318 serviteurs pour libérer son neveu Loth pris en otage lors de guerres entre rois locaux. Il met en déroute les armées des quatre rois qui avaient enlevé Loth. En dehors de cet épisode, il y a peu de violence guerrière dans l’épopée d’Abraham qui se déroule au gré des aléas climatiques qui le font aller un temps en Egypte.
Dans le Coran, Abraham et Jacob sont qualifiés de prophètes guidant leur peuple, mais pas de messagers de la Parole. Celle de 1974 les place dans une continuité prophétique ascendante qui va d’Abraham à Jésus. Les analyses de René Girard montrent qu’un des objectifs des prophètes bibliques est d’éduquer les hommes à se détourner des sacrifices sanglants qui caractérisent les religions primitives. Ceci explique cet épisode étrange de Genèse 22 où Dieu aurait demandé à Abraham de sacrifier son fils avant de le remplacer par un bélier. Le message de prophètes comme Isaïe ou Amos est clair : Dieu ne veut pas de sacrifices, Il veut la Justice.
Le contexte des exploits du prophète Moïse est très différent et marqué par la violence. Il tue un égyptien en conflit avec un de ses frères hébreux et doit s’enfuir à Madian par peur des représailles. Il y fonde sa famille, il a pris de l’âge, mais Dieu l’appelle et le renvoie en Egypte comme messager pour Pharaon et prophète des esclaves hébreux qui subissent la violence des égyptiens. C’est la théophanie du buisson ardent. Pharaon qui avait besoin de cette main d’œuvre refuse, mais Dieu lui impose Sa Volonté, c’est l’épisode des plaies d’Egypte, de la fuite des esclaves et de l’engloutissement de l’armée de Pharaon (par un tsunami lié à l’éruption de Santorin ?).
Les esclaves hébreux sont donc dans une situation de légitime défense face à Pharaon, comme ils le seront face au roi Amaleq. Ensuite, Dieu donne à ce peuple comme guide de vie les dix Paroles dont la sixième est « Tu ne commettras pas de meurtre » (Exode 20). Mais dès le § 21, ces commandements sont relativisés pour codifier des règles de punition et de vengeance manifestement ajoutés par les scribes. Leurs écrits de légistes ont envahi les livres attribués à Moïse, et certains rabbins ajoutent à cette loi écrite la loi orale résultant de leurs commentaires pour constituer l’immense complexité de la Torah que les juifs pieux s’obligent à suivre à la lettre.
Dans la Torah, le sixième commandement n’est pas respecté, dès l’épisode du veau d’or où Moïse fait tuer par les lévites 3000 hommes (Ex. 32), ou pour cet homme qui ramassait du bois le jour du Sabbat que Moïse aurait ordonné de lapider (Nombres, 15). On voit aussi Moïse prendre des initiatives qui ne semblent pas approuvées par Dieu comme l’instauration de juges recommandée par Jethro (Ex. 18). Par contre, c’est certainement à la demande de Dieu que sont provisoirement instaurés des prêtres sacrificateurs pour canaliser les habitudes prises en Egypte en ritualisant des sacrifices d’animaux à offrir à Dieu et non aux idoles. Mais le comportement abusif des prêtres encourra les réprimandes successives des prophètes.
On constate aussi dans des textes qui sont certainement des livres d’hommes que les habitudes culturelles des hébreux sont cautionnées comme la domination mâle (Nb. 30), le père ou le mari pouvant annuler arbitrairement tous les engagements pris par une femme qui demeure encore chez eux. D’autres textes avec des prescriptions méticuleuses sur l’examen des moisissures par les prêtres ne peuvent venir que des intéressés, de même que ces règles pour le partage du butin (Nb. 31).
Après la mort de Moïse, la conquête de la terre promise par Josué va être sanglante. Alors que Dieu (Ex. 23) promet à Moïse qu’il facilitera leur installation en Canaan en chassant progressivement les peuples qui l’habitaient par diverses calamités comme les frelons, les guerriers hébreux massacrent les habitants de Jéricho, leurs scribes prétendant que c’est à la demande de Dieu qu’ils les « vouent à l’interdit ».
Samuel, ce juste prophète, prend le relais pour parler directement avec Dieu et inaugure un tournant dans l’histoire du peuple hébreu. Rejetant les Instruction de Dieu, le peuple exige du prophète qu’il oigne un roi pour conduire leurs guerres. La violence et la domination guerrière se répand, les rois comme David ont les mains pleines de sang et s’attribuent un grand nombre d’épouses, allant jusqu’au meurtre du mari pour s’emparer de la femme convoitée (Bethsabée, épouse de Urie le hittite).
Dieu envoie des prophètes pour avertir le peuple hébreu de respecter le pacte conclus par leurs ancêtres du temps de Moïse (voir les posts sur Elie et Isaïe) mais ils sont à peine écoutés et parfois tués comme Zekarya lapidé sur ordre du roi Joas et plus tard Jésus crucifié à la demande du Sanhédrin. L’histoire du peuple hébreu devenu le peuple juif devient une sombre histoire d’hommes, de guerriers, de domination des femmes, de rivalités de pouvoir, de détournement de la Parole. La violence et le machisme omniprésents dans le texte biblique ont de quoi choquer les esprits modernes, mais ils ne viennent pas de Dieu.
Ce les chrétiens appellent Nouveau Testament est plus acceptable pour les esprits modernes parce qu’il s’inscrit dans la succession des prophètes ayant enseigné ce peuple et que le contexte de l’empire romain limite les violences intestines. Jésus peut donc s’adresser aux juifs à un niveau plus élevé de conscience spirituelle. En 1974, il vient rectifier les erreurs de transmissions et enseigne d’écarter les livres de Paul et de Jean qui encombrent le texte déterminé par l’église de Rome (que les protestants ont gardé).
Au total, pour retrouver la Source, la Parole confiée aux Messagers, la Bible chrétienne devrait ainsi être allégée de 80 à 90% de son texte pour y voir clair. Mais les résistances seront nombreuses dans le monde chrétien, surtout par leurs clergés. Faire le tri dans la Bible prendra des générations.
2 Contexte et contenu du Coran
Six siècles après le prophète Jésus, Dieu appelle un homme tout aussi improbable pour être son messager et prophète : Muhammad, un orphelin arabe à la marge des grandes civilisations de l’époque, sans influence sur son peuple d’hommes turbulents en état quasi permanent de rivalités guerrières dans une culture qui confine les femmes dans une fonction d’épouse et de mère.
La terre où nait le prophète n’est pas comme le Yémen : c’est une terre aride où les éleveurs survivent difficilement. L’agriculture est limitée à quelques oasis, et la richesse économique est étroitement liée aux commerces des caravanes. La cité de La Mecque a de l’eau mais ne peut nourrir ses habitants, elle survit grâce à sa position géographique de carrefour et à la connaissance du désert des nomades bédouins qui lui apportent nourriture et guidance de leurs caravanes. C’est donc dans une société urbanisée, relativement riche, mais en équilibre précaire et dépendante des ressources du pèlerinage aux idoles que Dieu choisit d’envoyer Muhammad pour abattre les idoles de bois comme Abraham l’avait fait avant lui.
Muhammad s’occupait des caravanes affrétées par son épouse Khadija qui l’a toujours soutenu. Il était réputé pour sa droiture et avait aussi une recherche spirituelle comme en témoigne sa retraite dans une grotte pour prier quand il reçoit la Parole pour la première fois. Pris au dépourvu, il s’inquiète, mais Khadija le rassure et le réconforte dans sa nouvelle mission d’envoyé d’Allah.
Comme pour Moïse, Dieu accompagnera Muhammad tout au long de son travail prophétique pour l’aider à guider le peuple qui le suivait en fonction de son contexte. Les instructions et conseils donnés au prophète s’adaptent aux circonstances, le Coran évoque des versets abrogés et remplacés. Son message est adressé spécifiquement à des audiences différentes et ne peut avoir valeur universelle et intemporelle. Il précise parfois à qui il s’adresse, par exemple aux compagnons du prophète en 8/24 : « O vous qui avez cru, écoutez Dieu et son apôtre » ou à la communauté mecquoise en 33/40 : « Muhammad n’a jamais été le père de l’un de vos hommes », ou à ceux qui ont reçu le Livre en 3/113. Il réprimande parfois directement le prophète quand il s’empresse vers un notable qu’il espérait rallier à sa cause en négligeant un homme sincère venu le consulter. Il réprimande aussi ses compagnons qui avaient répandu des calomnies sur son épouse Aïcha.
Le Coran n’est pas présenté dans l’ordre chronologique comme la Bible, mais dans l’ordre de longueur des sourates qui regroupent des versets révélés à des moments différents. Les spécialistes du texte recherchent si les versets sont « mecquois » ou « médinois », deux périodes successives de la prophétie de Muhammad.
Dans la période mecquoise qui dure à peu près 10 ans, Dieu, par la voix de son prophète, exhorte les mecquois à abandonner les idoles et à se rallier au Dieu unique, Allah en arabe. Ce sont ces sourates courtes et ces magnifiques versets poétiques qui célèbrent les beautés de la Création et la grandeur du Créateur qui ont bouleversé les premiers fidèles du prophète, Khadija puis Abu Bakr. Le prophète prêche pacifiquement et transmet cette Révélation dans cette langue arabe qui se prête si bien à la poésie et à la psalmodie comme les psaumes de la Bible et les hymnes védiques.
Constatant que le prophète commençait à avoir des compagnons et menaçait leur commerce du pèlerinage, les clans dominants de la Mecque complotent pour les assassiner. Le prophète s’enfuit sagement à Médine après avoir bien préparé son exode, l’hégire. Mais les qurayshites persistent dans leur choix d’une guerre d’extermination, et Dieu durcit son ton à l’égard des violents. Il appelle le prophète à se défendre par les armes si ses adversaires refusent la paix et Il annonce ce qui attend les hommes après la mort en fonction de leurs choix : le feu de l’enfer ou la paix des jardins d’Allah. Les islamophobes se délectent des versets de cette période et les citent hors contexte et dans des traductions douteuses afin de décrédibiliser le Coran.
Dans la période médinoise, les versets législatifs proposant un cadre d’organisation sociale à cette communauté ne prennent sens que dans le contexte des sociétés arabes de l’époque. Ainsi les femmes ont moitié moins d’héritage car l’homme arabe doit fournir les revenus de la famille et leur témoignage en matière commerciale est deux fois moins important parce qu’elles connaissent mal les pratiques du commerce.
L’absolutisme religieux des islamistes qui veulent convertir de gré ou de force à leurs idées est contraire au Coran. En 2/256 : Pas de contrainte en religion, car le Vrai se distingue du faux. En 10/99 : Si ton Seigneur voulait, tous ceux qui sont sur terre croiraient. Est-ce à toi de forcer les gens à croire ? Également en 18/29 : Dis : la Vérité vient de ton Seigneur. Y croie qui veut, n’y croie pas qui ne veut pas, en 50/45 : Nous savons bien ce qu’ils disent. Tu n’as pas à les contraindre mais, avec ce Coran, à avertir quiconque craint mes menaces, et en 88/21-22 : Tu n’es que celui qui fait entendre le Rappel et tu n’es pas chargé de les surveiller.
Et la contextualisation du texte résulte naturellement de son contenu, comme en 13/38 : « un Livre a été envoyé pour chaque époque bien déterminée », et en 14/4 : « Chaque prophète envoyé par Nous ne s’exprimait, pour l’éclairer, que dans la langue du peuple auquel il s’adressait ». Ainsi quand le Coran dit à de multiples reprises : « obéissez au prophète », Il s’adresse à un peuple arabe, dans le contexte historique de l’époque où vécut son prophète. Pour les autres peuples et époques, « Muhammad n’a été envoyé à tous les hommes que comme miséricorde pour les mondes » (21/107), « pour annoncer et avertir » (34/28).
De plus, soyons prudents dans nos interprétations du Coran car les racines arabes se prêtent à de multiples interprétations et l’immense majorité des musulmans actuels ne parlent pas l’arabe littéraire et vivent dans un contexte économique très différent de celui de la prédication de Muhammad.
3 Contexte et contenu des textes védiques
Les textes védiques sont les plus anciens des volumineuses écritures hindoues (post 29 et 32) . Transmis oralement puis mis par écrit vers le deuxième millénaire avant J.C. (?), ils juxtaposent des enseignements de rishis (considérés par la tradition comme inspirés) et de livres d’hommes concoctés par la caste des prêtres sacrificateurs. Les autres écrits de l’hindouisme incluent des textes d’origine arienne comme les Upanisads et des textes inspirés de tradition dravidienne comme la Bhagavad Gita.
Quand on plonge naïvement dans les textes védiques en espérant trouver facilement la Parole du Créateur aimant, de la nourriture pour son âme, ou parce qu’on est attiré par l‘Inde et ses nobles guides spirituels, on est d’abord frappé par le sang et la violence qui se dégage de beaucoup de ces textes (auquel il faut peut-être donner un sens symbolique comme Aurobindo dans son livre « le secret des Vedas ») et par cet univers mental de formules magiques très éloigné de notre monde moderne. En étudiant les textes védiques il y a quarante ans pour préparer mes voyages en Inde, j’avais été frappé par ces sacrifices sanglants des prêtres brahmanes qui rappellent les religions anciennes, et je voyais à tort les formules magiques comme du folklore. Or si Dieu interdit la magie dans la Bible et le Coran, ce n’est certainement pas pour réserver aux prêtres brahmanes des formules et des pouvoirs exclusifs.
La magie est dangereuse : les intentions mauvaises nuisent aux victimes ciblées comme à celui qui joue les sorciers. La mode actuelle de la magie et des sorcières plonge les humains dans les ténèbres. Les livres d’hommes dans les Veda sont à écarter quand ils ritualisent des sacrifices réels ou quand ils font croire que certaines formules ont une puissance magique. Mais est-il possible de distinguer dans les Vedas ce qui vient d’une inspiration divine de rishis et ce qui a été inventé par les prêtres ? Les prêtres et guerriers ariens dominaient les clans des nomades qui ont migré vers le Sud et conquis les terres des populations dravidiennes qui y vivaient. Ils se sont séparés en deux groupes, vers la Perse puis vers l’Inde. Dieu leur a envoyé le prophète Zarathoustra au troisième millénaire pour récuser les sacrifices sanglants des prêtres, mais son enseignement reste étrangement ignoré du monde hindouiste.
Il y a aussi le sang répandu par la caste des rois et guerriers, les ksatriyas. Le Rig Veda (RV) 4.24 dit : « Quelle digne louange saura attirer par ici Indra, fils de la force pour qu’il me gratifie…on doit l’invoquer lors du massacre des ennemis, on doit le célébrer…les clans tiennent conseil pour la guerre et quand se heurtent les peuplades guerrières, les unes implorent Indra au moment critique ». Et le RV 6/75 prône l’alliance entre guerriers et prêtres : « Puissions-nous par l’arc conquérir les vaches et le butin, gagnons par l’arc toutes les régions de l’espace…ils font un fracas violent lorsqu’ils s’élancent avec les chars, les chevaux aux sabots vigoureux, foulant au pied les ennemis, ils détruisent l’adversaire sans lâcher prise…pères brahmanes qui honorez le soma, soyez-nous favorables… éloigné ou proche de nous, quiconque cherche à nous tuer, que les dieux tous ensemble le ruinent ! La formule est mon intime cuirasse. » Et l’Atharva Veda en rajoute en 13.1 : « Veuille Agni tout puissant faire périr tous mes adversaires, qu’il les tue, qu’il les brûle, périsse l’ennemi qui nous attaque ». Même la Bhagavad Gita se déroule dans le contexte d’une épopée guerrière : Krishna, censé être un avatar, encourage Arjuna à se battre dans un combat entre rois rivaux. Où est l’esprit de non-violence de la culture indienne que le noble Gandhi a magistralement incarné ?
Dans le Rig Veda on trouve aussi des perles qui étayent l’hypothèse d’une révélation divine comme en 10.71 : « Quand fut prononcée à l’origine la première Parole et qu’on donna des noms aux choses, ce qu’il y avait en celles-ci de meilleur, de pur, et qui était caché, se révéla avec amour. Quand les sages eurent formé la Parole en leur âme…la beauté s’imprima sur leur langage. Ils suivaient les traces de la Parole, ils la trouvèrent qui était entrée dans les poètes. La ramenant ils la partagèrent de multiples façons ; les sept sages l’ont fait retentir ». On trouve ici la tradition selon laquelle le Veda serait parvenu par inspiration à sept sages, les rishis.
RV 10.81 : « Le poète, notre père qui a pris place comme oblateur, offrant tous ces mondes en oblation, celui qui recherchait la richesse par la prière est entré dans les générations ultérieures en masquant celles d’avant…Ses yeux tournés partout, lorsque Dieu unique, Il crée le ciel et la terre, il les soude ensemble avec les bras, avec les ailes ». (Ce poète qui masque est-il un indice de l’occultation du prophète Zarathoustra ? A la fin de l’époque védique, on trouve des traces d’une évolution qui voit dans le temps le principe de toutes choses, évolution qu’on retrouve au même moment en Iran, ce qui appuie l’hypothèse d’échanges persistants entre ariens perses et indiens et fragilise l’hypothèse d’une ignorance involontaire des brahmanes du message de Zarathoustra).
Le RV 10.82 ajoute : « L’œil du Père qui est sage dans sa pensée a créé ces deux mondes, le ciel et la terre prirent leur déploiement. Les vœux des humains ont la joie d’être exaucés là où se trouve, dit-on, l’Un par-delà les sept sages…Ce qui est au-delà du ciel et de la terre, le premier germe que les eaux reçurent, quel était-il donc ? Au nombril du non Né, l’Un est fixé, Lui sur lequel s’appuient toutes les créatures. Vous ne connaîtrez pas celui qui a créé ces mondes, quelque chose d’autre vous fait écran. Les récitateurs d’hymnes, ravisseurs de vie, marchent enveloppés de nuées et de bavardage ». La critique des brahmanes est claire !
Certains poètes du Veda montrent leur humilité, en RV 7.89 : « Si par hasard en la bassesse de mon intelligence je suis allé à contre-courant, ô Saint, aie pitié, Seigneur et pardonne…si par inconscience nous avons ruiné tes lois, ne nous fait pas de mal pour ce grief ô Dieu », d’autres évoquent une pratique spirituelle rigoureuse en RV 10.154 : « Ceux que l’ascétisme rend inattaquables, ceux qui par l’ascétisme sont allés au Ciel…les poètes aux mille modes qui gardent le soleil, les rishis qui ont pratiqué l’ascétisme, que le soma arrive chez eux ! », d’autres appellent à la cohésion sociale, en RV 10.191 : « Allez, ensemble concertez-vous, uni soit le conseil, uni soit l’assemblée…unie soit votre intention, unis soient vos cœurs, unis soient vos esprits en sorte qu’il y ait bon accord entre vous. »
4 Synthèse et plan d’action
Ne disposant pas de la Parole livrée aux prophètes et aux rishis inspirés pour alléger la Bible et le Veda, nous pouvons dans une première étape examiner leur contenu pour tenter d’y distinguer ce qui vient des hommes.
La deuxième étape est de resituer ces textes dans le contexte des inspirés qui les ont reçus : leurs langues, l’organisation de leurs sociétés, leur manière de vivre. Dans le Coran dont le texte est fiable, le Créateur a soigneusement choisi les mots, versets, et chronologie de Sa Révélation pour que les arabes de l’époque puissent bien comprendre le message et le vivre personnellement et collectivement.
La troisième étape du travail est de réfléchir à la manière dont ces textes peuvent être compris et vécu dans le monde moderne pour ne pas être une pièce de musée vénérée mais stérile de changements, ou une cause de scandale et d’athéisme. Ensuite, les rapprocher aidera les croyants ouverts à dépasser les divisions religieuses et à faire alliance dans l’ascension vers le Créateur.
La situation des trois grands textes sacrés se présente donc très différemment :
- La Bible doit être allégée des livres d’hommes, et sa contextualisation est pertinente pour le monde chrétien moderne qui sait que son texte n’est pas fiable, mais les clergés chrétiens résisteront longtemps.
- La contextualisation du Coran est pertinente à la fois pour les chrétiens qui le traitent avec condescendance et se focalisent sur ses versets qu’ils trouvent violents et pour le monde musulman où la vénération des interprétations traditionnelles du texte sera longtemps défendue par des ulémas officiels dont l’ignorance est à la hauteur de leurs prétentions de connaissance éclairée.
- La simplification et la contextualisation des Vedas est surtout pertinente pour faciliter un rapprochement avec le monde de l’Islam, un sujet urgent dans le subcontinent indien. Les hindouistes se réfèrent surtout à leurs guides spirituels, car les textes védiques et la caste brahmane y ont été marginalisés.
Le rapprochement entre hindouistes et musulmans sera difficile, surtout en Inde. Il nécessitera du temps et des efforts de connaissance mutuelle par une minorité d’esprits ouverts de part et d’autre. L’esprit du Coran doit être compris et respecté : Dieu n’y appelle pas à convertir mais à vivre en paix avec nos voisins dans un contexte très différent des déserts arabes du sixième siècle où Il a été révélé. Ce travail, indispensable pour permettre aux croyants de vivre dans la paix et l’harmonie, prendra du temps !
Je crois comprendre le fil qui vous anime et ne peux qu’être d’accord, il y a dans toutes les religions des aspects de violence et de machisme et mysoginie qui ne sont plus acceptable aujourd’hui. Dans le détail il y a pas mal de choses que vous écrivez sur les Veda qui n’auraient pas mon assentiment, mais il ne me semble pas utile d’entrer dans le détail. Je me limiterais à une remarque critique : concernant l’hymne RV 10.135 que vous citez. C’est parmi les grands hymnes (je le récite fréquemment) celui qui est adressé à la DEESSE, à la Mère Divine, et non seulement cela, c’est parmi les grands celui qui a été écrit par une femme, une Rishini dont la signature complète est Āmbhṛṇī vāṅnāmnī brahmavādinī ṛṣiḥi Je vous joins cet hymne en translittération du sanscrit accompagné d’une traduction de synthèse que j’ai faite ; vous verrez que vos remarques perdent leur force devant le souffle inspiré de cet hymne, le souffle plus-que-poétique, mystique et spirituel. La toute-puissance de la Mère Divine, la maitresse de la manifestation, est un des thèmes de l’enseignement spirituel des maitres de tradition indienne- c’est juste émouvant de voir que ce thème était déjà celui des Rishis et Rishinis des temps immémoriaux.
Vāk sūktam
Ṛgveda 10.125 Āmbhṛṇī vāṅnāmnī brahmavādinī ṛṣiḥ i | triṣṭubjagatyau cchandasī | paramātmā devatā ||
a̱haṃ ru̱drebhi̱r vasu̍bhiś carāmy a̱ham ā̎di̱tyair u̱ta vi̱śvade̎vaiḥ i | a̱haṃ mi̱trāvaru̍ṇo̱bhā bi̍bharmy a̱ham in̎drā̱gnī a̱ham a̱śvino̱bhā ǁ Ma présence est dans les Rudras (destructeurs), les Vasus (divinités positives), les Ādityas (qui ensemble sont le soleil) et Viśvadeva (être formé de toutes les divinités). Elle est dans Mitra (l’ami) et Varuṇa (le noble), Indra, Agni et les jumeaux Aśvin.
a̱haṃ soma̍m āha̱nasaṃ̎ bibharmy a̱haṃ n tvaṣṭā̎ram u̱ta pū̱ṣaṇa̱ṃ bhagam̎ | a̱haṃ n da̍dhāmi̱ dravi̍ṇaṃ ha̱viṣma̍te suprā̱vye̱3̱̍ yaja̍mānāya sunva̱te ǁ Ma présence est dans Soma (nectar/la Lune), Tvaṣṭṛ, Pūṣan et Bhaga (bonne fortune). Je donne la richesse à celui qui initie le yajña, à celui qui officie pour le yajña /aux personnes qui font de leur vie un yajña / qui mènent une vie pleinement dharmique
a̱haṃ rāṣṭrī̎ sa̱ṅgama̍nī̱ vasū̎nāṃ ñ ciki̱tuṣī̎ pratha̱mā ya̱jñiyā̎nām | tāṃ mā̎ de̱vā vy a̍dadhuḥ f puru̱trā bhūri̍ṣṭhātrā̱ṃ bhūry ā̎ve̱śayan̎tīm ǁ Je suis celle qui unit [dans la nation, le groupe], celle qui confère les trésors, celle qui connait le bonheur ultime, objet principal du yajña [le but des aspirants spirituels]. Les Dieux m’ont mise dans une infinité de lieux et demeures [je suis l’univers sous toutes ses formes], je suis subtilement présente partout.
mayā̱ so anna̍m atti̱ yo vi̱paśya̍ti̱ yaḥ f prāṇi̍ti̱ ya ī̎ṃ śṛ̱ṇoty u̱ktam | a̱ma̱ntavo̱ māṃ n ta upa̍ kṣiyanti śru̱dhi śru̍ta śraddhi̱vaṃ n te̎ vadāmi ǁ Celui qui mange de la nourriture, celui qui voit, celui qui respire, celui qui entend les mots prononcés le font par moi seule. Même celui qui ne perçoit pas est dans mon aura. Ecoutez-moi, tous ceux qui sont capables de m’écouter ! Ce que je dis est vérité pour chacun.
a̱ham e̱va sva̱yam i̱daṃ va̍dāmi̱ juṣṭaṃ̎ n de̱vebhi̍r u̱ta mānu̍ṣebhiḥ i | yaṃ ṅ kā̱maye̱ taṃ n -ta̍m u̱graṃ ṅ kṛ̍ṇomi̱ taṃ bra̱hmāṇa̱ṃ n tam ṛṣi̱ṃ n taṃ su̍me̱dhām ǁ Je dis moi-même, approuvée par les dieux comme les hommes, que je peux rendre qui je veux puissant, brahmane [empli de connaissances], le rendre sage, même en faire un Rishi.
a̱haṃ ru̱drāya̱ dhanu̱r ā ta̍nomi brahma̱dviṣe̱ śara̍ve̱ hanta̱vā u̍ | a̱haṃ janā̎ya sa̱madaṃ̎ ṅ kṛṇomy a̱haṃ n dyāvā̎pṛthi̱vī ā vi̍veśa ǁ L’arc que je bande pour les flèches de Rudra est fait pour tuer ceux qui haïssent Dieu [pour éliminer l’égo et ainsi atteindre la Connaissance Suprême]. J’ai créé ce monde beau et plaisant pour les humains. J’ai subtilement empli de ma présence la Terre et le Ciel.
a̱haṃ su̍ve pi̱tara̍m asya mū̱rdhan mama̱ yoni̍r a̱psv a1̱̍ntaḥ s sa̍mu̱dre | tato̱ vi ti̍ṣṭhe̱ bhuva̱nānu̱ viśvo̱tāmūṃ n dyāṃ va̱rṣmaṇopa̍ spṛśāmi ǁ Au sommet du monde j’ai engendré le Père (Soleil). Ma demeure est dans l’Océan primordial. Ensuite, je m’étends dans tous les êtres/tous les mondes, jusqu’aux Cieux et au-delà.
a̱ham e̱va vāta̍ iva̱ pra vā̎my ā̱rabha̍māṇā̱ bhuva̍nāni̱ viśvā̎ | pa̱ro di̱vā pa̱ra e̱nā pṛ̍thi̱vyaitāva̍tī mahi̱nā saṃ ba̍bhūva ǁ Je respire, libre comme le vent, tout en maintenant ensemble tous les êtres créés. Je suis devenue si vaste que je suis au-delà de la terre et du ciel.
Ce que, comme beaucoup d’êtres humains, je recherche, c’est ce que l’on peut appeler la réalisation du Soi, l’illumination, etc. (peu importe les termes). La tradition spirituelle indienne, dans ses innombrables variantes, animée du souffle de maitres ayant eux même expérimenté cette illumination, génération après génération, est au service des êtres humains qui ont la grande aspiration, celle de s’élever jusqu’à la lumière et de renaitre dans la lumière. Toucher la lumière, illuminer toutes les couches de l’être, c’est l’accomplissement. Au-delà des mots et des théories. Bien sûr la tradition indienne a aussi ses manquements, graves peut-être, mais pour le moins il faut voir les deux : le service authentique à la lumière par le souffle (dans tous les sens du terme), la vie inspirée, l’enseignement libérateur des croyances limitantes, les outils d’illumination d’un côté ; et les manquements de l’autre.
Je vous remercie de tout cœur pour ce commentaire très instructif en ce qui me concerne, car j’ai encore beaucoup à apprendre sur le Rig Veda que je connais que par la vieille traduction de Langlois et la sélection plus récente publiée sous la direction de Jean Varenne. Je sais qu’il y a des traductions intégrales en anglais et en allemand, mais je n’ai pu pour le moment y a avoir accès et j’espère en savoir plus lors de mon voyage prévu en Inde cet automne. J’ai immédiatement modifié le texte de mon post en tenant compte de vos remarques.
La première chose que je découvre et qui ne figure pas dans mes traductions, est que certains hymnes sont signés, de plus par une femme, c’est une très bonne nouvelle. Le texte que j’ai lu du RV 10.125 est intitulé « La Parole » (je ne sais si c’est le choix de l’éditeur) et n’a pas de signature. Comme je suis dans la recherche de séparer ce qui vient des brahmanes et ce qui vient des rishis, en le lisant tel quel, je ne pouvais penser qu’à un texte d’un poète brahmane car il commence par invoquer le panthéon et les mythes védiques, parle de formules, de soma, d’arc et de flèche que j’ai pris au premier degré. Par contre tel que vous le traduisez et l’interprétez, et comme il s’agit d’une rishini inspirée, le texte peut être conçu dans la même logique que celle des prophètes de la Bible qui part des habitudes sacrificielles des hébreux pour les libérer de ces erreurs. Le texte peut donc partir de l’univers mental des brahmanes et en donner un sens symbolique qui permet de dépasser leur univers et de l’universaliser.
Ce type de lecture de certains hymnes du Rig Veda pourrait donc être une clef majeure pour sélectionner et présenter des textes védiques qui soient en harmonie avec les textes sacrés sémitiques et aident à construire ce pont mental dont nous avons besoin pour redonner aux textes sacrés leur importance déterminante de guides unificateurs pour l’humanité, en synergie avec le rôle des nobles guides spirituels individuels que l’Inde nous fait connaître.