La pertinence de lancer deux référendums nationaux a été évoquée dans les post 57 et 63. Ces initiatives sont dans les prérogatives du président français réélu et peuvent donc être prises avant 2027. Ce post parcourt succinctement, dans les limites de ce blog, l’évolution historique dans les pays qui ont pratiqué le référendum sous ses diverses formes. Il se focalisera ensuite sur le cas particulier de la France. L’analyse est indissociable du contexte spécifique de la démocratie dans les pays concernés.
Commençons par un peu d’humour avec la formule d’Oscar Wilde : « la démocratie, c’est l’oppression du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
1 La crise de la démocratie représentative
Le mode d’expression du peuple en démocratie est une question essentielle qui renvoie à l’opposition ou la complémentarité entre démocratie directe et démocratie représentative. Montesquieu, dans L’Esprit des lois, entendait montrer la supériorité du gouvernement représentatif, au contraire de Rousseau qui était hostile au principe de la représentation. Sa position était que la volonté générale « ne se représente point » et que « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle : ce n’est point une loi ».
Lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, c’est la formule de compromis de Talleyrand qui a été retenue pour l’article 6 : « la Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation ». Mais comment la loi ou plutôt les innombrables lois des Etats modernes pourraient elle être vraiment l’expression d’une introuvable volonté générale ?
La suprématie de la démocratie en Occident date de 1945 avec l’écrasement du nazisme et du fascisme et de 1989 avec l’effondrement du communisme soviétique ; elle est associée à la liberté et à l’Etat de droit. Pour P. Lauvaux (« Les grandes démocraties contemporaines ») la démocratie n’est pas seulement une forme de gouvernement, c’est à la fois un « principe de liberté » et un « principe de légitimité ». Et la crise de la démocratie moderne est avant tout une crise de légitimité.
Il est de plus légitime de contester l’idée même de démocratie (dont l’étymologie inclut peuple et pouvoir) en dénonçant le mythe d’un « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » de l’article 2 de la Constitution française. Cette formule fut employée par Abraham Lincoln en 1863 sur le champ de bataille. En effet, pour un humaniste ou un croyant ancré dans une perspective universelle, la loi locale et circonstancielle peut être tolérée comme un moindre mal ou un compromis. Elle peut être imposée de force à un citoyen qui la récuse, mais elle n’aura jamais pour lui une valeur supérieure à la Loi de sa conscience, surtout quand l’injustice ou l’inadéquation aux circonstances des lois écrites est évidente. La confrontation entre les thuriféraires de la loi républicaine et la liberté de conscience sera d’autant plus rugueuse qu’ils font face à des croyants rigoristes comme certains musulmans.
Les lois ne sont donc légitimes que pour une partie des citoyens et le fameux Etat de droit devient en réalité un rapport de force où les juristes imposent les textes de lois qu’ils rédigent. Ensuite les « forces de l’ordre » contraignent le peuple à obéir à l’interprétation qu’en donne leur hiérarchie. Quand la légitimé de telle ou telle loi est refusée par une partie significative de la population, la rue se fait entendre et la situation peut dégénérer en escalade de violence, c’est une impasse.
Dans leur fonctionnement, les démocraties modernes sont un mix de démocratie représentative et de démocratie directe. Le référendum est plutôt classé dans les outils de la démocratie directe, mais il peut s’avérer utile pour compléter la boîte à outils de la démocratie délibérative.
2 Un référendum, pourquoi et pourquoi faire ?
Tout gouvernement doit prendre appui sur deux piliers. Le premier est l’adhésion populaire aux grands choix structurant la vie collective qui lui donne sa légitimité, le second est la capacité de projection dans l’avenir, parfois en rupture avec l’opinion du plus grand nombre. C’est une éthique de responsabilité qui est la marque des grandes démocraties et peut être assumée par les pouvoirs exécutifs ou les assemblées délibérantes.
Le référendum est un outil utile pour ces deux piliers, pour consolider l’approbation des choix majeurs de la collectivité, ou pour sonder et préparer une évolution jugée souhaitable de l’opinion publique. Il renforce aussi la démocratie en permettant une expression non médiatisée des citoyens précédée d’un débat ouvert qui offre un contrepouvoir aux gouvernants en place.
Historiquement, le référendum a lentement émergé, d’un point de vue théorique et pratique, pour rééquilibrer les pouvoirs publics. Dans de nombreux Etats de l’Ouest américain, par exemple, les instruments de démocratie directe se sont développés au début du XXème siècle en réaction au pouvoir d’influence trop important de certains groupes d’intérêts comme la compagnie des chemins de fer dans les assemblées représentatives de Californie.
En Suisse, le référendum est devenu un pilier de la vie démocratique à l’échelon de la fédération comme des cantons. De 1848 à février 2004, il s’est tenu 517 référendums, et de 1892 à mai 2004, 244 initiatives populaires ont ou auraient pu se concrétiser par un référendum. En moyenne, les électeurs suisses votent quatre fois par an pour des référendums fédéraux avec un taux de participation qui oscilla longtemps entre 50 % et 70 % avant de baisser récemment à 40 %.
L’école « participationniste » souligne la perte de légitimité des représentants trop éloignés des aspirations populaires et la nécessité d’introduire dans la vie publique des éléments de démocratie semi-directe. Pour approfondir le sujet, on peut lire : https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-interventions/referendum-et-democratie.
En pratique politique, le référendum fait un retour notable en Europe : référendum grec sur la politique d’austérité, référendum hollandais sur le projet d’accord entre l’Union européenne et l’Ukraine, référendum britannique sur l’appartenance à l’Union européenne, référendum hongrois sur l’immigration, référendum italien sur la réforme de la Constitution… Incontestablement, les résultats de ces référendums démontrent le fossé qui s’est creusé entre le peuple et ses dirigeants, mais aussi entre le peuple et l’Europe.
Ces recours au référendum prouvent que de nombreuses démocraties cherchent à favoriser l’expression directe des citoyens. Or le référendum est un instrument polymorphe dont les théories et pratiques varient d’un pays à l’autre.
3 les diverses formes de référendum
La décision de recourir au référendum vient généralement des gouvernants. Quand elle émane du pouvoir exécutif, elle peut éveiller des soupçons de manipulation plébiscitaire, alors qu’une initiative populaire ou parlementaire semble plus « démocratique ». La population consultée peut-être celle d’un Etat nation, ou d’un de ses territoires, elle peut aussi être celle d’un Etat fédéré ou de la Fédération. Il peut être constitutionnel, législatif ou consultatif et porte plus rarement sur une décision administrative. Le référendum peut être facultatif ou obligatoire en fonction des institutions et pratiques des pays. Enfin il peut être suspensif ou abrogatif.
Le référendum est la forme suprême de la démocratie quand il conduit à la création ou à la scission d’Etats, à l’autodétermination de populations ou à l’adoption de constitutions. La France a beaucoup théorisé lors de la Révolution, mais très peu pratiqué le référendum à part sous De Gaulle, pour passer au-dessus des divisions partisanes qui avaient miné la quatrième République. Un référendum constituant a permis le passage à la 5ème République et un autre a permis la décolonisation, urgente pour sortir de la guerre d’Algérie. Il a aussi été utilisé pour Djibouti et les Comores.
La Suisse et les Etats fédérés des USA recourent beaucoup au référendum. Dans la Suisse fédérale, il faut un référendum pour changer la Constitution et le recours à l’initiative populaire est prévu pour une revue complète de la Constitution. Et c’est la Constitution du pays et non le gouvernement qui détermine si l’on doit tenir un référendum sur un enjeu donné, et il est alors obligatoire. L’initiative populaire remplit en Suisse une fonction essentielle d’inscription d’une question à l’ordre du jour politique et impacte les politiques publiques, soit par l’adoption de la mesure proposée, soit par les concessions faites à l’opinion par le législateur pour éviter un résultat qu’il redoute.
Suite aux révisions constitutionnelles en France, le référendum est devenu obligatoire pour tout traité relatif à l’adhésion d’un Etat à l’Europe et un référendum local est accessible à toutes les collectivités. De leur propre initiative et à leurs frais, elles peuvent organiser un référendum relatif à un projet de texte relevant de leur compétence. Le caractère décisionnel du référendum est conditionné par un niveau suffisant de participation des électeurs.
Le référendum pour abroger une loi ou révoquer un élu n’existe pas en France, mais en Californie, c’est un référendum qui a permis à Schwarzenegger d’être élu après la révocation du précédent. Il existe aussi en Italie pour abroger des lois en vigueur.
Le référendum d’initiative partagé existe dans beaucoup de pays. Il est possible en France depuis 2015, à l’initiative de 1/5ème des parlementaires ou 1/10ème des électeurs inscrits et concerner des réformes économiques, sociales et environnementales ou la ratification d’un traité. En pratique ce type de référendum n’a jamais été utilisé.
Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) existe dans beaucoup de pays mais n’est pas prévu par la Constitution française. La mise en place d’un RIC est réclamée par plusieurs organisations depuis des décennies et faisait partie des revendications du mouvement des gilets jaunes. L’instauration du RIC en France constituerait une évolution importante de l’outil référendaire s’il était étendu aux décisions constituantes, législatives, et même abrogatoires ou révocatoires.
4 Utilité et risques de l’outil référendaire
L’outil référendaire peut accélérer l’évolution vers une démocratie délibérative, mais il comporte des risques et des limites, surtout dans des espaces politiques beaucoup plus complexes que les cités grecques ou les cantons suisse. Dans les grandes démocraties, un usage raisonné de ce mode d’exercice de la souveraineté est devenu incontournable. Mais d’une part le référendum ne peut exprimer de manière régulière et habituelle une aléatoire « volonté populaire », d’autre part les risques de dérive et de dévoiement de cet outil doivent être prévenus par un encadrement juridique et des conditions de mise en œuvre adaptées.
Un référendum peut résoudre des problèmes politiques pour les gouvernements en place sur une question qui divise la société et les partis, comme celui de 1975 au Royaume-Uni sur le maintien au sein de la Communauté européenne, ou celui de 2016 sur son retrait. Les gouvernements peuvent avoir besoin d’un mandat populaire précis pour apporter des changements fondamentaux qui ne faisaient pas partie de sa plateforme de campagne ou faire face à des événements imprévus.
Il permet d’associer les électeurs aux décisions prises dans les territoires, comme les référendums communaux, consultatifs en France ou les consultations décisionnelles, obligatoires ou non, prévues par la révision constitutionnelle de 2003 pour un changement de statut d’une collectivité territoriale. Le dernier référendum local français portait sur la construction très conversée de l’aéroport Notre-Dame-Des-Landes, approuvée à 55,17 %. Les travaux n’ont jamais démarré et le projet a finalement été abandonné.
Le résultat d’un référendum n’est donc pas toujours déterminant, le plus connu étant celui sur la Constitution européenne de 2005 dont le résultat paraissait acquis pour le président de la République avec le soutien de tous les grands partis de gouvernement, UMP, PS et UDF. Le débat passionné de la campagne électorale révèle un fort mécontentement de l’opinion publique, le « non » l’emporte à 54,67% des suffrages avec 69% de participation, précédant celui des Pays-Bas le 1er juin. Malgré ces votes, la construction européenne a continué.
L’expression directe du peuple par référendum peut avoir des conséquences sur les principes de liberté et de légitimité. Cette expression en est-elle bien une émanation, voire la quintessence ? Ou au contraire, menace-t-elle ces principes en remettant en cause les libertés et l’Etat de droit ? Sur ce sujet, on peut consulter l’article https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2003-1-page-73.htm
Le danger le plus évident est l’instrumentalisation par un pouvoir autoritaire. La France a été marquée par les référendums plébiscitaires du Premier et du Second Empire pour permettre aux Napoléons de légitimer leur pouvoir. Le plébiscite a été l’un des instruments de la glorification du Führer dans l’Allemagne nazie, mais également un instrument de politique étrangère, permettant de montrer au monde, à des moments stratégiques, que le peuple allemand se tenait derrière lui.
Le référendum plébiscitaire reste une arme de choix pour les régimes autoritaires ou populistes comme en Hongrie actuellement. L’équilibre des pouvoirs est un des fondements de la démocratie et le référendum ne devrait pas servir à contourner des Parlements indociles ou des règles constitutionnelles contraignantes, comme celles limitant le nombre des mandats. A l’inverse, celui de 2000 en France a acté la réduction du mandat présidentiel à cinq ans.
Le référendum confère un avantage certain aux options démagogiques ou conservatrices. L’abolition de la peine de mort en France, un progrès démocratique majeur, aurait certainement été rejetée à l’époque si l’outil référendaire avait été utilisé. Quant aux référendums sur l’organisation des collectivités territoriales, ils ont plus souvent favorisé l’émiettement ou la scission de collectivités que leurs regroupements, leur réduction ou leur simplification.
Un référendum peut aussi amalgamer une multitude de questions distinctes. Une réponse unique peut s’avérer trop simplificatrice pour répondre correctement aux enjeux abordés. Surtout s’il n’est pas précédé d’un débat approfondi que les Parlements peuvent accompagner pour mûrir les options et les choix retenus et enrichir par des amendements le texte soumis à la décision du peuple.
Donc le référendum, par son caractère binaire, sa force et la brutalité de son résultat peut être dangereux s’il est utilisé dans un contexte émotionnel. Face à la crise de la démocratie en Europe, des partis peuvent en faire un instrument politique pour canaliser la colère des citoyens vers un repli nationaliste. Mais continuer à faire l’impasse sur une révolte sourde, et priver le peuple de la possibilité de s’exprimer, c’est courir le danger d’une explosion sociale imprévisible.
Il faut enrichir avec sagesse la boîte à outil de la démocratie.
5 Une suggestion pour lancer deux référendums présidentiels avant 2027
La Constitution française a été modifiée à plusieurs reprises pour élargir les possibilités de recours au référendum. Depuis 1995, les réformes affectant la politique économique, sociale, environnementale de la Nation et les services publics sont entrés dans le champ du référendum législatif. Le recours au référendum reste rare et la quasi-totalité des révisions constitutionnelles ont été adoptées par la voie du Congrès.
La Constitution en vigueur permet : le référendum législatif (article 11 qui inclut le référendum d’initiative partagée) ; le référendum constituant (article 89) ; les référendums territoriaux (article 72). Elle l’impose pour la ratification de l’adhésion d’un État à l’Union européenne (article 88). Le référendum est précisément encadré par des dispositifs préventifs, un contrôle en amont par le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel contrôle notamment que l’initiative est conforme à la Constitution.
Ce blog a évoqué la pertinence de deux référendums, le premier sur la réduction du nombre de parlementaires qui serait applicable rapidement, et le suivant sur l’éventualité d’une organisation fédérale pour la France qui serait plutôt prospectif (post 57 et 63). Dans les deux cas, la logique voudrait qu’ils soient déclenchés à l’initiative du président, donc dans le cadre de l’article 11 qui permet au président de la République, « sur proposition du gouvernement ou proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au peuple un projet de loi qui peut porter sur différents sujets ».
Pour le premier, le oui est très vraisemblable compte tenu des sondages tenus à l’occasion du Grand Débat National, mais il serait difficile à mettre en place après 2027 parce qu’il ne va pas dans le sens de l’intérêt financier des partis, surtout les partis extrémistes dont la caisse est tendue et que les élections renflouent en fonction du nombre d’élus. Un référendum est toujours coûteux, mais celui-ci permettra des économies rapides qui le rendront très rentable pour le contribuable.
Pour le second le non est vraisemblable, mais le débat sera vraiment lancé et l’enjeu est majeur pour l’avenir de notre nation complexe tiraillée par ses divisions. Comme dans le cas du référendum gaullien sur la régionalisation, et même en cas de vote positif, le passage à l’Etat fédéral prendra des années voire des décennies car sa mise en œuvre nécessite un réglage très précis pour éviter une inutile complexité. Ce serait aussi l’occasion de supprimer le département, le maillon faible du millefeuille administratif.
Ces référendums entent dans les prérogatives du président réélu qui est maître du calendrier et de la formulation des question posées. En les initiant, il entrerait dans l’Histoire comme un des grands refondateurs de la nation française qui aura bien anticipé le risque de votes extrémistes en 2027. Car beaucoup d’électeurs des partis extrêmes votent plus par dépit ou provocation que par conviction et ces référendums affaibliront leur position et leurs récriminations.