La prière a été définie au post 80 comme un mouvement de l’âme tendant à une communication spirituelle avec Dieu dans une pratique solitaire ou collective lors d’un culte. Ce post présente des témoignages de prière de croyant(e)s de sensibilité spirituelle variées qui ont pris goût à une pratique régulière de piété personnelle. Ils ne se limitent pas à participer à un culte religieux, réclamer à Dieu des faveurs ou implorer Son aide dans la souffrance, voire des miracles.

Dans notre société que la religion traditionnelle a éloigné de Dieu, Lui parler naturellement comme à un Père invisible mais présent est impensable pour beaucoup. L’hygiène du corps au quotidien est intégrée au programme de la journée moderne. Mais pas celle de l’âme pour qui la prière est aussi vitale que respirer l’est pour le corps. Dans ce contexte, il est bon de témoigner que la prière bénéficie au bien-être individuel comme aux relations humaines. Elle est une joie et non une corvée.

J’ai demandé aux priant(e)s qui témoignent ici de parler de leur itinéraire spirituel qui les a conduits à leur foi actuelle, de leurs expériences de prière et de leurs perspectives d’avenir spirituel. « Etablis partout les femmes dans leur mérites » nous dit la Parole de 1974 citée au post 30. Le premier témoignage sera un dialogue avec Myriam reprenant nos échanges et le témoignage écrit qu’elle m’a gentiment adressé. Le second est un échange avec Renée qui puise dans les spiritualités chrétiennes et hindouistes. Le troisième est celui d’une croyante musulmane dont je connaissais bien l’époux, pour qui j’ai un profond respect. Le dernier est celui d’un croyant de sensibilité proche du judaïsme, que je connais depuis plusieurs décennies.

1 Témoignage de prière de Myriam

Nous avons récemment vécu avec elle et un bon groupe de retraitants l’expérience d’une retraite de 5 jours dans une institution fondée par Marthe Robin (https://www.martherobin.com). Marthe est une grande mystique qui a su dépasser sa culture d’origine, tout en étant imprégnée de la tradition catholique comme Ma Ananda Moyi (post 9) l’était de la culture hindouiste. Dans un cadre paisible animé par une équipe laïque de culture catholique, nous avons partagé en silence des repas, des prières, des ateliers et des conférences. Le dernier jour fut l’occasion de parler pour se connaître et échanger nos ressentis.

Antoine : Au premier abord, tu donnes l’impression d’être une femme solide, bien plantée dans ta vie spirituelle et exerçant un noble métier à quelques années d’une retraite bien méritée.

Myriam : Il ne faut pas se fier aux apparences ! Ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille, mais la prière m’a aidé à surmonter toutes les difficultés. Je suis infirmière en position d’encadrement dans un hôpital et la pression gestionnaire rend de plus en plus difficile d’exercer avec bienveillance ce travail difficile.

A. : Ceci recoupe ce que me disent beaucoup de professionnels de santé. Certes, une bonne gestion est incontournable compte tenu des ressources limitées d’une société vieillissante qui tient à l’excellence des soins. Mais la personne humaine devrait être au centre des décisions, les malades comme les soignants. Tu étais très assidue aux activités spirituelles organisées lors de la retraite. Et tu m’as dit participer assez souvent à des formations, retraites spirituelles et pèlerinages ?

M. : C’est bien le cas et je compte profiter de ma retraite professionnelle pour donner plus à Dieu et témoigner de ma foi chrétienne. Depuis dix ans, je me sens appelée par le Seigneur à être animatrice de groupes de prières. Ma rencontre avec le renouveau charismatique a révélé cette mission de service à l’écoute de mes frères et de leurs prières. Je découvre les merveilles que le Seigneur fait en moi et à travers moi. Ma prière personnelle demande surtout Son aide pour bien accomplir ma mission.

A. : Au-delà de ta solidité apparente et de ta volonté d’agir, j’ai senti une femme très sensible que les épreuves n’ont pas épargné, peut-être dès ta jeunesse ?

M. : C’est vrai, je suis née dans une famille pratiquante avec une mère autoritaire qui m’a mis en pension dès le collège avec des religieuses chrétiennes dont certaines étaient malveillantes. J’ai beaucoup souffert en me retrouvant si jeune loin du cocon familial. Des troubles physiques ont montré la tristesse profonde qui m’accablait. Je me réfugiais dans la chapelle du pensionnat où je priais Dieu comme si je dialoguais avec Lui.

A. : Les épreuves de la jeunesse peuvent imprimer un traumatisme durable dans le cœur. As-tu trouvé du secours humain à cette époque ?

M. : J’ai eu la Grâce de croiser un prêtre qui encadrait une catéchèse bien moderne pour l’époque. Il nous aidait à construire une image personnelle de Dieu en chantant Ses louanges. C’était une personne aimante, présente à mes côtés, et pleine de miséricorde. Il m’a appris à pardonner. Il disait, « restez au ras des pâquerettes pour goûter à la joie d’être fille de Dieu ». Nous étions quatre adolescentes à poursuivre l’aumônerie avec ce prêtre qui nous ouvrit un chemin de Vérité et de Vie en suivant le Christ.

A. : Il est réconfortant d’entendre un témoignage positif du travail d’un prêtre catholique avec des jeunes filles. Les médias nous envahissent des pires histoires, c’est leur fonds de commerce. Mais je pense qu’il y a plus de bons pasteurs de terrain dans toutes les confessions que de mauvais. C’est comme dans ton métier : au contact de la souffrance des corps et des cœurs, tout humain ressent de la compassion. Dieu appelle à résister à l’indifférence et a fortiori aux abus face aux faibles.

M. : Grâce à l’aide de Dieu et de personnes qui m’ont accompagné, j’ai pu rester une enfant qui profitait de tous les instants de bonheur qui s’offraient à moi. Je Le sentais présent, me protégeant des nuages qui flottaient au-dessus de ma vie pour ne voir que la beauté du monde. Tout est simple avec le Seigneur. Il m’aime, je l’aime. Je veux tout faire pour rendre mon entourage heureux pour l’Amour de Dieu que je souhaite partager autour de moi. C’est la « petite voie » de Thérèse de Lisieux (post 30 et 31) que je n’ai jamais abandonnée.

A. : Effectivement, bien que tu te sentes assez isolée au quotidien dans ton milieu professionnel et familial comme croyante à la foi profonde, tu as tenu bon. Tu sembles plus forte que jamais à l’aube d’une nouvelle tranche de vie parce que tu t’es donnée une mission d’apostolat, de rayonnement.

M. : Ma vie de foi, mon oraison, ont ancré en moi cette soif de Dieu comme Amour absolu. Sans le savoir ou le vouloir, cette soif m’a ouvert un chemin de purification et de guérison de mes blessures. Dans des relations et situations compliquées, la prière m’a permis de ne pas m’effondrer ou me perdre. Je suis passée par des périodes de frustration, de colère, car je n’arrivais pas à la hauteur de mon idéal. Mais mon phare demeure le Seigneur Qui me guide : « Sa Main me saisit et Sa Droite me conduit ». J’apprends à mes dépouiller des choses et pensées inutiles grâce à l’enseignement de la Parole. Ma vie s’éloigne ainsi des chemins communs aux hommes.

A. : Tout en restant au milieu d’eux avec ta sensibilité rare ! Tu as évoqué cette situation où tu répondais à la demande de ta jeune nièce d’expliquer ta prière du rosaire.

M. : Oui, j’ai hésité car je ne suis pas son éducatrice. Il est donc essentiel de ne pas créer de difficulté avec ses parents. Je lui ai parlé simplement de mon chapelet. De sa voix d’enfant, elle m’a affirmé : « Je vois Marie nous sourire ». Ma joie fut immense. Je ne l’ai pas vue mais n’ai pas de raison de douter. Car les enfants dans leur innocence voient beaucoup de choses qui nous échappent. J’apprends donc à ne pas passer à côté des Signes d’encouragement que le Ciel nous envoie.

A. : Je te remercie de tout cœur de ce témoignage de prière qui peut émouvoir certains lecteurs. Voire leur donner ce goût pour la prière que nous partageons. Nos convictions et nos parcours de vie sont assez différents, c’est tout l’intérêt d’un dialogue. Mais nous nous rejoignons sur le fond.

De mon côté, lors de cette retraite, j’ai assez rapidement décidé de me dispenser des chants collectifs et messes catholiques trop décalés par rapport à ma foi. Je les remplaçai par la prière et la lecture de la Parole dans ma chambre, comme Jésus l’enseignait (post 77). Les enseignements sous forme de prédication par un prêtre étaient pesants en dogmatique romaine, mais aucune des activités proposées n’était obligatoire.

2 Echanges sur la prière avec Renée

Le témoignage de prière suivant sera celui de Renée dont j’ai croisé la route il y a quelques années.

Antoine : D’abord, je tiens à te remercier de porter témoignage de ta prière dans ce post. Car tu es un des rares personnes parmi mes amis qui a une expérience sérieuse de la prière comme de la méditation. Elles ont été successivement intégrées à ta vie spirituelle où elles s’harmonisent. Je crois savoir que la religion chrétienne a marqué ton enfance. Dans cette région plate, on voit de loin les églises qui surplombent chaque village. Quel était ton expérience d’enfant avec la prière ?

Renée : Enfants, avec ma sœur et mon frère, nous faisions tous les soirs la prière pour demander à Jésus de protéger notre famille. Plus tard, je priais Marie avec mes amies en espérant qu’elle vienne nous apparaître.

: As-tu conservé la foi et la pratique de prière comme adolescente puis comme adulte ?

R : Oui, chaque fois que j’avais besoin de soulager mon cœur, j’allais prier.

A : Tu m’as confié vivre la prière dans l’émotion en la reliant à une intention, une demande. Peut-être parce qu’il en était ainsi dès ton enfance ?

R : Oui sans doute…

A : La méditation s’est invitée tardivement dans ta vie. C’est ton fils qui t’a fait découvrir heartfulness et son ashram de Montpellier. Tu en es devenue une membre active et pratiquante régulière. Ce qui ne t’a pas empêché de rester en lien avec les catholiques et de continuer à prier dans la jolie petite église de Carnon. Est-ce que la méditation a fait évoluer ta pratique de prière personnelle ?

R : Ce sont deux choses différentes. La méditation, c’est ce centrer sur son cœur. Dans une église, c’est le seul endroit où je peux demander, pleurer, me ressourcer par la prière.

A : Peu de gens gardent un lien fort avec deux traditions religieuses différentes. Ceux qui se « convertissent » à une autre religion ont souvent tendance à rejeter catégoriquement leurs convictions antérieures et leur réseau d’amis croyants. C’est trop souvent le cas des conversions à l’islam, aux groupes évangéliques ou aux témoins de Jéhovah. Tu es une bonne illustration de ce refus d’un sectarisme de nouveau converti. Dirais-tu qu’il est plus facile de rester ouvert quand on adhère à un mouvement spirituel comme heartfulness ?

R : Daaji, le guide spirituel actuel de heartfulness, le quatrième dans la lignée, nous encourage à garder nos religions. Il nous fait comprendre que nous sommes tous unis par le cœur.

A : Que souhaites-tu partager de ton expérience de méditation avec leurs méthodes incluant  la méditation de nettoyage des chakras ?

R : C’est un peu comme redevenir une enfant : la méditation sur le cœur ouvre le cœur et je suis devenue plus pure.

A : Une des caractéristiques de ce mouvement qui le distingue des autres membres de la Fédération Védique de France est qu’il est présent dans beaucoup de pays. Mais aussi très présent en Inde dont ses membres sont majoritairement issus. Tu es allée en Inde à ces rassemblements organisés dans leur ashram central de Kaana. Un très grand nombre de pratiquants venus de partout viennent y célébrer l’anniversaire d’un des quatre gurus historiques de heartfulness. J’imagine que c’est une expérience marquante ?

R : Quand on reste dans un ashram. Mais dès qu’on voyage un peu en Inde, on croise la misère.

A : Tu es retraitée après une vie de dévouement à un métier de santé, une profession qui favorise naturellement l’empathie. Tu as donc du temps à consacrer à la vie spirituelle et quelques années de recul après avoir intégré la méditation à ta pratique spirituelle. J’aimerais que tu nous parle de la complémentarité entre prière et méditation.

R : Si j’avais connu la méditation lorsque j’étais encore en activité, j’aurais pris beaucoup plus de hauteur. La prière restera toujours pour moi une bouée de secours.

A : C’est une belle synthèse, car la prière, c’est avant tout se mettre face à Dieu qui nous donne le Souffle de vie et la méditation est un effort d’ascension vers l’Absolu, Dieu pour ceux qui en ont conscience. Vois-tu d’autres choses à dire aux lecteurs de ce blog ?

Renée : Je suis en chemin et je remercie Dieu de me permettre de vivre cette belle vie terrestre et l’expérience de heartfulness.

Antoine : Merci de tout cœur pour ce témoignage précieux dans l’esprit de ce blog qui est de dépasser les clivages entre traditions religieuses et culturelles.

3 Echanges sur la prière avec une croyante musulmane

Par discrétion, nous appellerons Aïcha cette personne même si ce n’est pas le prénom choisi par ses parents. Elle est mère de quatre enfants et déjà grand-mère. Elle a choisi d’épouser d’un homme qui s’est mis assez jeune au service d’assemblées de croyants et est devenu fin connaisseur du Coran. Je la remercie d’avoir accepté d’apporter ici son témoignage de la piété musulmane au féminin.

Question d’Antoine : Le Coran nous dit « Croyants, soyez constants, rivalisez de constance ! Courage, soyez fidèles, peut-être aurez-vous le bonheur (3/200) ». De nos échanges, j’ai gardé l’impression que votre vie déjà bien remplie s’est caractérisée par une grande constance dans la foi et la piété ?

Réponse d’Aïcha : Je suis la septième d’une famille de neuf enfants. J’ai eu la chance d’avoir un père solidement ancré dans la foi musulmane. Immigré de la première génération, il a travaillé dur avant d’épouser ma mère encore bien jeune. Elle est devenue très pieuse après son premier pèlerinage à La Mecque. Elle a dû attendre assez longtemps avant d’avoir les moyens de l’accomplir. Et dans mon couple, servir Allah est au centre de nos vies

Q. : Même si la foi est d’abord un choix personnel, la transmission familiale est souvent déterminante. Les jeunes enfants sont perméables à l’ambiance qui règne autour d’eux. Ils écoutent avec confiance leurs parents. Votre père et un de vos frères ont joué un rôle important pour vous accompagner dans votre jeunesse ?

R. : Indéniablement ! A l’époque, quand on vivait au milieu d’autres familles nombreuses de confession musulmane avec un père travaillant dur et une mère dévouée, sans les problèmes actuels de trafic de drogues, il était plus facile de grandir paisiblement dans la foi.

Q. : Vous vous êtes mariée assez jeune, mais c’est vous et personne d’autre qui avez proposé le mariage à l’homme de votre choix. Son engagement spirituel le plaçait dans des conditions matérielles assez précaires mais vous lui avez fait confiance, touchée par la dignité de son comportement. Et vous faisiez totale confiance en Dieu pour vous guider. La situation financière des pasteurs de l’islam est un problème trop longtemps ignoré en France. Ils jouent pourtant un rôle déterminant pour éduquer et pacifier la jeunesse. Avant que votre budget familial ne s’améliore progressivement, vous avez certainement connu des périodes de précarité pendant lesquelles la foi et la prière vous ont aidées ?

R. : Avant notre rencontre, nous étions déjà très ancrés dans la régularité de la prière et la volonté de nous mettre au service de Dieu. Dans un couple uni par l’amour, les épreuves renforcent le lien conjugal et nous avons vécu l’arrivée d’enfants comme une Bénédiction d’Allah. Notre situation matérielle était parfois difficile, surtout avec des enfants à élever, mais nous avons toujours trouvé des solutions. Nous n’avons jamais été contaminés par la convoitise des objets ou le souhait de paraître.

Q. : Vous êtes une croyante très engagée dans les œuvres sociales, faisant de grands repas pour les nécessiteux. Dans votre vie spirituelle, la foi et les œuvres sont indissociables ?

R. : Cela correspond sans aucun doute à ma sensibilité et à mon éducation. Je ne peux rester indifférente aux souffrances des autres et ce sentiment me pousse à agir concrètement.

Q. : L’exemple donné à vos enfants est plus important que vos paroles pour transmettre votre foi et vos valeurs. Vos quatre enfants ont bien réussi au plan professionnel (en dépit de tous les préjugés que certains ont contre les descendants d’immigrés). Pouvez-vous nous parler de votre expérience d’éducatrice ?

R. : J’ai choisi de travailler la nuit dans une institution s’occupant d’enfants handicapés. Cela m’a permis d’avoir du temps à consacrer à mes enfants pendant la journée et de leur montrer l’exemple de l’indépendance personnelle par un travail qui par surcroît m’attirait. Nous leur avons aussi montré l’exemple d’un couple uni respectant l’autonomie de chaque conjoint, nous avons tous deux des personnalités affirmées. Nous étions en phase dans le choix d’élever nos jeunes enfants dans un cadrage éthique très clair, celui de respecter les valeurs universelles enseignées dans le Coran. Quand ils ont grandi, nous les avons accompagnés avec un profond respect pour leurs futurs choix, au fur et à mesure que leurs personnalités respectives s’affirmaient. Une fratrie pleine de vie est aussi très enrichissante pour le développement du caractère de chacun et de la capacité à s’adapter aux autres.

Q : Tous les parents souhaitent transmettre de solides valeurs à leurs enfants. Mais la transmission de notre foi dans le contexte français actuel est difficile. Les jeunes sont influencés par leurs pairs dans une culture de matérialisme, de superficialité et d’ignorance des textes sacrés. Comme avez-vous géré cette situation, en particulier dans la période difficile de l’adolescence ?

R. : Nous avons décidé de scolariser nos enfants dans une école chrétienne afin de favoriser leur ouverture au monde. Ce choix s’est avéré bénéfique car il y avait une bonne ambiance et ils n’y ont jamais été ostracisés pour leur foi différente. Et comme parents, nous avons été constamment présents et attentifs. Notre amour pour le Coran n’était pas difficile à partager dans la vie quotidienne.

Q : Le prophète Muhammad a veillé à avoir de bonnes relations avec les juifs et les chrétiens en dépit du contexte difficile dans lequel il était placé. Vous attachez de l’importance aux relations pacifiées avec les autres communautés de croyants et avez pu faire un voyage en Israël organisé par un évêque chrétien.

R. : Ce fut une expérience inoubliable, à la fois par les échanges libres et chaleureux avec les participants et par les visites des lieux sacrés pour les trois religions du Livre.

Antoine : Dans ma prime jeunesse, il n’y avait pas de musulmans à proximité. Ils sont venus plus tard travailler dans les usines textiles de Vosges. Ma recherche spirituelle m’a conduit à me rapprocher du Coran et a faire la connaissance de musulmans dans de nombreux pays. Mais ce n’est que lors de mon pèlerinage à La Mecque il y a 13 ans que j’ai pu côtoyer naturellement des priantes musulmanes. Récemment, j’ai choisi de vivre quelque temps dans le quartier de Mosson, classé comme difficile. Il y a beaucoup de pauvreté et une forte majorité de marocains, Je n’ai pas eu de problème avec les résidants. Mais compte tenu des habitudes sociales, je n’ai pu échanger et prier qu’avec les hommes, pas avec les femmes pour qui un espace à part est réservé dans les mosquées. Les médias, quand ils parlent d’islam, nous montrent un groupe d’hommes se prosternant ou interviewent un imam.

Q. : Diriez-vous de votre expérience qu’il y a dans la piété musulmane féminine une spécificité ? Est-elle liée à cette situation où vous priez plus souvent dans l’intimité de votre foyer plutôt qu’en groupe dans une mosquée ?

R. : C’est probablement vrai, mais il m’est difficile de parler du sujet intime de la piété. Nous parlons beaucoup entre femmes, mais plutôt sur des sujets de la vie quotidienne et familiale.

Antoine : Je vous remercie chaleureusement pour ce témoignage très vivant.

4 Témoignage de prière d’un croyant hébraïsant

Voici enfin le témoignage de Jérôme Nathanaël, thérapeute (https://jeromenathanael.com)

En m’interrogeant sur ma pratique de la prière, vous me donnez l’occasion d’exprimer un point de vue et une expérience quelque peu iconoclaste dans un contexte occidental marqué par la tradition chrétienne.

Dans cette tradition, la prière se définissait par rapport à la foi en un Dieu personnel qui s’est fait chair et s’est montré aux hommes, sous les aspects de Jésus, le Christ, deuxième personne de la Trinité. Le fidèle, vivant dans le monde créé par le Père, implorait Sa miséricorde en s’adressant au Fils et espérait la grâce qui peut-être lui viendra par l’Esprit Saint. Ce dogme trinitaire provoquera la rupture définitive du christianisme avec sa source juive, les sages du judaïsme voyant dans ce Dieu à trois têtes une trahison de l’unicité divine et dans la divinisation de Jésus un retour au paganisme. Quelque 400 ans plus tard, le message coranique reprendra cette même accusation de trahison par les clergés chrétiens de la foi pure en un Dieu unique.

Ce concept d’un Dieu fait chair en Jésus donne au croyant l’illusion de personnaliser Dieu, de se le représenter comme un être auquel il est possible de s’adresser dans une relation intime. Des milliers de religieuses vivront dans la conviction d’avoir épousé Jésus et de pouvoir lui consacrer leur existence. Je respecte toutes ces démarches de foi à travers lesquelles hommes et femmes chrétien(e)s ont cherché à trouver un chemin vers l’amour et le bien.

Je reste complètement étranger à cette sensibilité et à cette approche. Je ne suis pas né dans une famille religieuse et la foi sous une forme définie a été absente de mon éducation. Ma foi, s’il m’est possible d’utiliser ce mot, ne s’exprime pas dans l’adoption de concepts ou de représentations préétablies du monde et de notre condition. Elle est plutôt, dès l’adolescence, une certitude intuitive que notre présence au monde, et à l’univers dans son ensemble, ont un sens qui ne peut se limiter à une lecture matérialiste et scientiste, une sorte de pressentiment d’une dimension sacrée où l’infime et l’immense se rejoignent. Cette intuition m’a lancé très jeune dans une quête spirituelle nourrie d’une exploration des traditions religieuses et des philosophies humaines ouvertes sur ces questions.

J’ai surtout été, dans mon enfance et ma famille, mais également en moi-même, confronté à la complexité et aux contradictions de l’être humain, capable du meilleur comme du pire, de la plus grande joie comme du plus profond désespoir. Cette multiplicité de tendances et d’impulsions qui nous traversent signe notre absence de maîtrise réelle de nous-mêmes. Sans l’effort de les réduire et de les soumettre à une volonté de bonification de soi, elle devient cause de beaucoup de malheurs et de violences, qui commencent à un niveau personnel puis se diffusent dans nos sociétés.

Très vite ce constat m’a poussé à rechercher un chemin de sagesse et de transformation concrète de soi, plus qu’il ne m’a jeté dans les voies d’une prière de demande ou de confession. Habité dès mon adolescence par une exigence de liberté dans la dimension sociale et politique, mais également dans le choix libre et en conscience qui je veux être. Je ne peux donc considérer l’homme comme dépendant du bon vouloir d’un Dieu seul déterminant de son existence et qu’il faudrait supplier pour obtenir ses faveurs.

La prière au sens commun n’a donc aucun sens pour moi. Mais j’ai reconnu en certains textes une origine suprahumaine. Je veux parler des récits fondateurs des grandes traditions spirituelles, qui nous sont parvenus souvent avec des altérations, mais qui témoignent tous, au-delà des symboles et des contextes, d’une voie possible pour nous libérer des affres du mal, de la souffrance, de la violence et de l’injustice. Cette voie simple demande d’abord d’éveiller notre conscience à une dimension plus vaste que celle de nos intérêts immédiats de survie matérielle, pour percevoir que nous prenons part à l’immensité d’une vie infinie, dont nous sommes chacun un aspect spécifique. Sa richesse est un potentiel que nous pouvons concrétiser et accomplir dans nos existences limitées.

Il s’agit donc de transformer notre rapport au monde, en échappant à nos déterminismes familiaux, sociaux et culturels, basés sur la séparation et la division du monde et du réel en fragments antagonistes et parfois inconciliables, pour entrer dans une conscience unifiée et harmonieuse. Ceci implique de se travailler presque comme une « œuvre d’art », et de trouver des outils pour favoriser ce travail et cette conscience. Psalmodier des textes « sacrés » participe alors non d’une demande, d’une supplique ou d’une confession, mais de la réactivation régulière de cette conscience qui s’éveille, et du renforcement de notre volonté et possibilité de la concrétiser dans des changements de pensée, d’émotion et de comportement.

Notre sensibilité peut se tourner, pour des raisons parfois difficiles à expliquer ou comprendre, vers certaines langues ou traditions qui correspondent sans doute plus profondément à notre cheminement intérieur et à nos ressentis. Pour moi, il s’agit de la langue hébraïque et du mode de pensée spécifique au monde juif, qui accorde tellement plus d’importance au faire qu’au croire, à la manière dont nous nous mettons notre vie en accord avec le sacré. L’élan de l’interrogation et de l’étude des textes, du débat contradictoire et de la dialectique, ne s’y est par ailleurs jamais enfermé dans des dogmes imposés, ce qui a en préservé le renouveau et les évolutions.

Que ce soit dans la psalmodie individuelle qui engage tout l’être, esprit, cœur et corps, ou dans la prière collective qui y ajoute, selon la pensée juive, la puissance du groupe pour se mettre en « résonance » avec le sacré, ou dans l’approfondissement multidimensionnel du sens à travers l’interrogation de soi face aux textes, il s’agit toujours de développer une présence plus vaste à soi-même et à l’univers dans sa dimension la plus haute, afin d’activer un changement, une bonification de soi, un cheminement d’activation de tous nos potentiels de Fils du Ciel par le corps de la Terre, pour reprendre une image du Rig Véda.

Voilà donc comment je peux répondre à votre questionnement sur la prière. Il reste que c’est un outil parmi d’autres, puisque je pratique aussi la méditation, outil de connaissance qui permet de voir profondément en soi et d’apaiser les tensions intérieures et le mental et, à certaines époques ou circonstances de ma vie, une sorte de pratique mantrique par la répétition de phrases en hébreu.

Antoine : Je remercie Nathanaël pour ce témoignage riche et engagé que j’ai à peine simplifié, en particulier sur le sujet des dogmes chrétiens, déterminants pendant longtemps et explicatifs des ruptures avec les mondes juifs et musulmans. Mais comme ce blog le souligne, ils ont beaucoup perdu de leur importance dans la pratique de prière des chrétiens. Je constate cependant que quand je parle de Dieu à mes frères juifs ou musulmans, leur regard s’illumine, alors que celui des chrétiens trahit une certaine confusion. Ils pensent immédiatement à Jésus, à la messe, aux prêtres ou aux saints. Cette confusion a certainement joué un rôle majeur dans la regrettable déshérence de la pratique de prière chez la plupart des chrétiens.