Les rapports entre les souverains et les dieux, les rois et les prêtres, la place du sacré et sa définition dans une société ont varié dans l’histoire humaine (voir post 50). Dans les petites sociétés primitives, le chef guerrier et le sorcier ou chamane sont complémentaires. Dans certaines civilisations anciennes, le pouvoir politique fusionne avec le pouvoir religieux.
Dans le monde moderne, la dimension sacrée a presque disparu du monde politique européen. Mais la collaboration entre pouvoir politique et religieux persiste partout pour dominer leur peuple comme dans la Russie de Poutine (post 61). Leur amalgame est encore en place en Iran avec son guide suprême. Le projet criminel de l’Etat islamique surfait sur le mythe du « calife bien guidé ». On parle à tort de « théocratie » car Dieu respecte la liberté donnée aux hommes. Il s’agit de la mainmise d’un roi blanc religieux sur son pays par endoctrinement (post 65).
En Chine impériale, l’empereur était fils du Ciel. Elle a fait des théories de Confucius une religion comme « opium du peuple » suivant l’expression de Marx. L’idéologie communiste s’est imposée avec Mao, mais elle fonctionne comme une religion athée avec ses portraits et son petit livre rouge. Le nouvel empereur XI Jinping déclare être l’héritier légitime de la religion communiste. Il y ajoute les rêves d’empire économique et militaire avec l’expansion maritime au détriment des voisins.
L’Europe a réussi à se libérer des monarchies absolues et des pouvoirs de droit divin. C’est ce qui a permis l’émergence de l’idée de démocratie en Grèce. Cette idée s’est ancrée dans la culture européenne dont l’Amérique du Nord est une extension géographique. Mais elle est loin de faire l’unanimité dans le monde.
1 L’apprentissage aléatoire des régimes politiques par les grecs
L’humanité adamique date de 50 000 ans (post 42). Mais la politique n’apparait qu’il y a environ 6000 ans comme conséquence du développement exponentiel de la population humaine. Et de l’agriculture intensive et des cités commerçantes qui se développent. Les problèmes de société dans de petits groupes humains vivant en autarcie se traitent plus simplement que dans des populations nombreuses. C’est donc en Mésopotamie et dans la vallée de l’Indus qu’apparaissent les premières structures. Des écrits organisent les relations entre les agriculteurs d’une région et une cité hiérarchisée s’occupant du commerce et de l’administration.
Le mot politique vient de polis, la cité grecque. La population grecque a évolué au hasard des mouvements de population avec l’Asie. D’abord avec les Achéens venus des hauts plateaux anatoliens vers 40 000 avant J.C. Ils constituent une société agraire où le néolithique apparut tardivement. Puis les éoliens et les ioniens, vers l’an 3000 avant J.-C. introduisent l’usage du métal, donc des armes et des hiérarchies guerrières. Au début du IIe millénaire, la région est dominée par la Crète.
De leurs palais, les rois centralisent l’activité économique de leurs territoires de pouvoir grâce à leur maîtrise de l’écriture. Leurs flottes sillonnent les mers, exportant en Égypte et en Syrie des objets d’art raffinés. A partir de 1200 avant J.C., migrations et crises déstabilisent la région. Certains émigrent vers l’Asie Mineure où naissent les premières cités grecques commerçantes, embryons d’un nouveau système politique.
Dans l’organisation politique des Grecs de l’Antiquité, la politeia allie la citoyenneté au mode d’organisation de la cité. Elle partage les responsabilités entre des citoyens plus ou moins égaux devant les instances délibératives et exécutives de la cité. Et devant l’accès aux charges et aux honneurs de la cité. C’est un système social innovant dans le monde antique.
Les grandes familles aristocratiques avaient pris le pouvoir à Athènes en faisant reculer les prérogatives royales. La royauté devient une magistrature annuelle (archonte et polémarque au septième siècle). Mais la boulê, ancien conseil royal de magistrats, dirige la cité sans contrôle de l’assemblée du peuple, l’ecclésia. L’organisation sociale athénienne s’adapte aux crises successives. Appauvrissement des masses paysannes et apparition de commerçants et d’artisans suffisamment riches pour acheter des équipements d’hoplites. La guerre n’est plus l’apanage des aristocrates dont le pouvoir est assis sur la propriété agraire. Il est contesté par les revendications égalitaires de ces nouveaux citoyens-soldats.
Athènes devient le berceau d’une démocratie qui atteindra son apogée sous Périclès. Elle est partielle : femmes, esclaves et étrangers sont exclus des délibérations. Cette cité a trois traits principaux : l’usage du discours rationnel, la publicisation des actes politiques, et la croyance en l’égalité des citoyens devant la loi qui invalide les vieilles coutumes orales. Les législateurs successifs promeuvent une éthique citoyenne et rationalisent la justice. Le criminel n’est plus jugé coupable vis-à-vis de sa victime, mais de la cité entière.
Les lois de Dracon, édictées en – 621, déterminent les punitions sévères imposées aux meurtriers. En – 594, Solon, choisi comme arbitre et législateur suprême, édicte des réformes juridiques. Quand l’ordre social vacille, les grecs ont recours à un tyran comme Pisistrate à Athènes qui gouverne en « bon citoyen ». Ces régimes tyranniques restaurent un équilibre provisoire, mais ne résistent ni aux difficultés de succession, ni aux pressions citoyennes. Elles s’achèvent en révolution, comme avec Clisthène en – 510.
Au sein des autres cités, les grandes familles surfent sur le mécontentement des paysans appauvris ou des nouveaux riches urbains et se disputent le pouvoir. Elles font appel à des puissances extérieures pour renverser les tyrans. Les cités se combattent fréquemment entre elles et connaissent des révoltes durement réprimées. Mais les guerres sont aussi un facteur de cohésion interne.
Chaque cité grecque frappe sa propre monnaie, un nouvel outil de son pouvoir. Le pouvoir religieux local unifie les divinités primitives en intégrant le monde des dieux et la société des hommes dans un panthéon qui hiérarchise des dieux aux attributions diverses. Le développement de cultes communs aux groupes grecs disséminés dans la région renforce la conscience d’une culture grecque. Ainsi, ces cités où la philosophie politique fait son apparition vont tester divers régimes politiques et deux modèles se distingueront : l’oligarchie militaire spartiate et la démocratie athénienne.
Tous les philosophes – Isocrate, Xénophon, Platon, Aristote – pensent à réformer la cité. Les individus réclament leur droit à la liberté contre la loi civique. La pensée socratique affirme l’indépendance de l’individu à l’égard de la cité, ce qui le conduira à un procès et à la mort. Les cultes traditionnels s’affaiblissent, magies et superstitions se développent comme le culte consolateur d’Asclépios. Des confréries plus ou moins secrètes émergent, hétairies aristocratiques ou thiases dionysiaques populaires.
Platon présente la cité juste comme une totalité organisée, soumise à l’autorité d’un roi philosophe, détenteur du pouvoir parce qu’il est détenteur du savoir. Bertrand Russell et Karl Popper ont cru retrouver dans la société de castes imaginée par Platon un prototype de la Russie soviétique. Dans Protagoras, Platon évoque le divin. Les dieux font à l’humanité le don de la politique pour vivre dans des cités stables.
Aristote pense que la vie politique est inscrite dans l’essence humaine et permet une civilisation plus sophistiquée que la vie en association. Mais le passage de l’homme social à l’homme animal politique suppose certaines conditions préalables. Il reproche à Platon de privilégier l’unité de la cité et d’oublier sa multiplicité. « L’art politique » prolonge la nature. Cette technique peut connaître des modalités différentes. Contrairement aux barbares ne vivant pas en cité, les Athéniens forment une politeia de citoyens égaux devant dans la loi, dans des rapports de pouvoir réversibles. Le citoyen commandé peut commander à son tour comme magistrat.
2 Le retour en force des empires et du pouvoir religieux en Europe
La diversité des expérimentations grecques contraste avec la rigidité des peuples soumis à l’autorité d’un despote guerrier soutenu par une caste de prêtres comme dans les empires égyptiens et babyloniens. A Rome et en Macédoine, le pouvoir glisse en faveur d’un commandant en chef qui deviendra roi ou empereur. Les cités grecques finiront par être dominées par l’empire romain puis byzantin. Dans l’histoire violente des hommes, le pouvoir centralisé et guerrier restera longtemps le modèle dominant. Les tentatives démocratiques n’auront duré que quelques siècles dans une minuscule région du monde.
Philippe II de Macédoine fait de son royaume une monarchie centralisée avec de puissants moyens d’action : formations armées (phalange), corps du génie, exploitation des mines d’or du mont Pangée. Il sait utiliser les discordes des cités pour intervenir en Grèce. Partout où il s’avance, il se heurte à des établissements athéniens. Mais la cité éprise de paix néglige le danger qui menace son ravitaillement et son indépendance. Philippe convoque à Corinthe un congrès des cités qui fait de lui le maître de la Grèce. Les cités dites « libres » doivent adhérer à une ligue dont il est le généralissime (hégémon). Quand il se prépare à envahir la Perse, il est assassiné en – 336. Son fils Alexandre le Grand se lance à la conquête d’un immense empire. En – 335, il détruit Thèbes qui s’était révoltée.
La deuxième guerre de Macédoine en – 200 fait de Rome, soutenue par les cités, la puissance régionale. Les romains, comme les russes aujourd’hui, dictent des dispositions constitutionnelles. Ils imposent des modifications territoriales et une politique étrangère proromaine. La culture de l’empire romain avec son pouvoir centralisé autour d’une alliance des guerriers et des prêtres deviendra le modèle dominant dans toute l’Europe.
Au Moyen Âge, le régime politique dominant est la monarchie héréditaire ou élective qui s’impose par la force à ses vassaux. En France, c’est la monarchie absolue de droit divin dont l’archétype est le roi Louis XIV. En Russie c’est le régime tsariste, une autocratie héritée de l’Empire chrétien byzantin. Les princes de la religion catholique décident de ce qui peut être pensé, ils brident la réflexion des philosophes. Ils canoniseront ceux qui vont dans le sens de leur théologie comme Augustin (354-430) et Thomas d’Aquin (1225-1274) qui théorisent la nécessité du pouvoir politique.
Dans la cité de Dieu, Augustin évoque comme Nietzsche plus tard la volonté de puissance. Ce désir de dominer pousse l’humain à la guerre, et pourrait anéantir l’humanité. Un pouvoir politique limitant la violence est donc un bien relatif sur le fond du mal absolu qui stigmatise l’humanité. La cité terrestre ne peut connaître la même paix que la cité de Dieu, où les hommes aiment le Créateur et sont aimés de lui. Mais les pouvoirs publics doivent éviter la violence extrême.
Thomas d’Aquin marquera la doctrine sociale des partis et syndicats catholiques en critiquant l’individualisme. L’institution de la cité se fonde sur les communautés naturelles comme la famille. Mais le lien politique se construit par la raison. La cité poursuit le bien commun, toujours plus divin que celui de l’individu, dans une structure hiérarchique. La politique est un lieu de conflits acceptable si son but est la recherche du bien commun. Tous deux légitiment des institutions politiques autoritaires ou corporatistes qui font passer les droits de l’individu au second plan.
La Renaissance libère progressivement la pensée européenne. Elle remet en lumière les philosophes grecs. Les écrits de Machiavel (1469-1527) puis de Bodin (1529-1596) feront école. Machiavel observe de près la mécanique du pouvoir et le jeu des ambitions concurrentes à Florence. C’est l’un des fondateurs de la politique moderne. Son pragmatisme de l’exercice du pourvoir et sa volonté de séparer la politique de la morale inspireront des théoriciens de l’État comme Bodin et Hobbes. Ils défendront la souveraineté absolue de l’État face aux individus et à l’église romaine.
Le matérialiste Hobbes (1588-1679), dans le Léviathan, expose une vision glaçante de la société. À l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme. Pour préserver sa vie, il renonce à sa liberté au profit d’un souverain garantissant la sécurité collective. Le passage de l’état de nature à la société civile (commonwealth) permet une société pacifiée. L’homme peut y travailler et accéder à une vie meilleure. Pour lui, l’Etat est un moindre mal même s’il est le lieu de passions négatives et de corruptions. En période de guerre civile, il revendique pour l’État souverain le monopole du pouvoir politique ainsi que celui de l’autorité théologique.
Les traités de Westphalie en 1648 ébranlèrent définitivement la légitimité des empires « chrétiens », mirent fin aux guerres de religion et initieront les parcours complexes des États-nations modernes : Grande-Bretagne, États-Unis, France, Allemagne, Russie, Espagne et Pays-Bas.
3 Les penseurs modernes de la philosophie politique
L’histoire européenne illustre le dualisme conflictuel entre les rois blancs des églises et les rois noirs des pouvoirs profanes. Ils s’accordaient cependant pour dominer les peuples et exercer la violence qu’ils prétendaient légitime en jouant sur la crainte et l’ignorance. Le roi blanc menace de l’enfer et le roi noir menace du chaos. Les sociétés modernes sont dans un contexte différent où les lieux de pouvoir se sont multipliés avec l’émergence de nouveaux pouvoirs économiques et financiers. Et le développement de l’éducation populaire complique les stratégies de pouvoir des puissants et des riches.
Libérés du verrou de l’église romaine, la plupart des grands philosophes occidentaux réfléchissent à la politique. L’influent philosophe John Locke (1632-1704) est témoin des guerres de religion, du rationalisme débutant et de l’opposition à l’absolutisme royal. Il participe aux théories émergentes du contrat social, de la loi et du droit naturel et aux prémices du libéralisme. Ses écrits promeuvent la tolérance : le politique s’occupe du monde présent et la religion s’occupe du monde de l’au-delà, les deux ne doivent pas interférer. Il s’oppose à l’absolutisme qui s’impose en France et échoue en Angleterre, en partie grâce à lui.
Il développe la notion d’État de droit : les hommes sont libres et égaux, et dans l’état de nature, nul ne détient d’autorité législative. S’il n’y a aucune loi humainement instituée, tous les hommes doivent suivre la loi de nature, découverte par la raison ou par la révélation d’origine divine. Les lois humaines sont acceptables si elles correspondent à la loi de nature. La liberté n’y est pas licencieuse : les hommes doivent préserver la vie, un don de Dieu, respecter la liberté et les biens d’autrui nécessaires à leur conservation, s’efforcer de mener une vie harmonieuse avec les autres, respecter la parole donnée et les contrats. La violence n’est acceptable que pour la légitime défense.
Après lui, de nombreux philosophes français et allemands vont enrichir la pensée européenne qui se développe par les interactions mutuelles de leurs pensées. Citons ici Montesquieu (1689-1755), Rousseau (1712-1778), Hegel (1770-1831), Tocqueville (1805-1859). Montesquieu analyse les trois options de régime politique (république, monarchie et despotisme). Il insiste sur la séparation des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) pour garantir la démocratie. Rousseau développe l’idée que l’homme est naturellement bon et que la société le corrompt. La recherche de la volonté générale est la clef du contrat social qu’il propose.
Le grand philosophe Hegel voit en l’Etat un accomplissement de la rationalité qui intervient dans la vie économique avec des corporations, et dans la vie de famille à l’aide du droit. Sans l’État et la régulation interne par des institutions juridico-politiques, la vie sociale serait menacée par l’essor de l’industrie, la division du travail et l’aggravation des inégalités. Hegel appelle « société civile » la sphère de la satisfaction des besoins par le travail. Son analyse préfigure la théorie de l’État de droit de penseurs comme Hayek. Enfin Tocqueville a analysé finement les mécanismes de la démocratie américaine.
La pensée anarchique prend son essor en France avec Fourier (1772-1837) puis Proudhon (1809-1865). Il écrit : « la propriété c’est le vol » et définit l’anarchie comme « une forme de gouvernement sans maître ni souverain ». L’américain Thoreau (1817-1862), avec son livre « la désobéissance civile », inspirera Gandhi. En Russie, l’anarchisme se développe avec Bakounine (1814-1876) et un praticien de la révolution, Tolstoï (1828-1910) une grande âme qu’on peut classer dans les anarchistes chrétiens. Son livre « Le royaume de Dieu est en vous » est un témoignage bouleversant de la cruauté des pouvoirs russes. Kropotkine (1842-1921) est un scientifique talentueux et un théoricien respecté du mouvement anarchiste international.
L’anarchisme (du grec « sans pouvoir ») réfléchit à une société sans hiérarchie et à des stratégies pour renverser le système social autoritaire. Ce mot a une connotation péjorative, synonyme de désordre social. Comme si l’absence de pouvoir autoritaire impliquait la désorganisation sociale ! Les anarchistes pensent que l’ordre naît de la liberté et que les pouvoirs engendrent la violence et donc le désordre. Mais beaucoup ne répugnent pas à la violence pour écarter les pouvoirs en place.
On peut relier à la mouvance anarchiste le philosophe Michel Foucault (1926-1984) célèbre pour son analyse des processus de pouvoir et sa critique des institutions comme la prison. Pour lui, le pouvoir génère des résistances qui rendent possible une révolution fonctionnant en guérilla. L’action politique tient compte de l’action adverse mais ne peut la prévoir ni la réduire intégralement. En ce sens, la politique n’est pas une destruction mais une production.
Avec le développement de l’industrie capitalistique et des inégalités sociales, les questions sociales, économiques et financières relèguent la philosophie politique pure au second plan. Marx (1818-1883) impactera durablement la politique mondiale via les communismes révolutionnaires. Ses théories comme la loi d’airain du capital ou la disparition de la religion ne résisteront pas au verdict de l’histoire. Son projet d’une dictature du prolétariat imposant un pouvoir temporaire débouchera sur la tyrannie d’un parti unique manipulé par les ambitieux. Il aidera cependant à prendre conscience des terribles injustices du capitalisme naissant.
D’autres théories politiques modernes favorisent les dictatures. Weber (1864-1920) distingue l’entreprise économique pour se procurer des biens et l’entreprise politique pour se procurer le pouvoir. Il développe le concept du monopole étatique de la violence légitime. A sa suite Schmitt (1888-1985), par sa vision absolutiste de la puissance étatique et son antilibéralisme, inspirera le nazisme qu’il cautionnera.
4 Des philosophes aux juristes : la rédaction de textes constitutionnels
Les analyses de ces philosophes croyants et athées s’expliquent par leur contexte social. Mais certaines de leurs idées ont traversé l’histoire. Elles posent la question de la nature du pouvoir, de sa légitimité, de ses modalités et des moyens de réduire les injustices que les puissants et les riches ont causé ou laissé faire. Souvent avec retard, leurs théories ont impacté l’opinion populaire et contraint les pouvoirs en place à se réformer. Ce qui laissera la place aux juristes.
Dans plusieurs pays occidentaux, la monarchie de droit divin est remise en cause. Les juristes positivistes du XIXe siècle introduisent une définition légale et constitutionnelle de l’État qui aboutira aux régimes parlementaires et aux mythes de « représentants » du peuple. C’est à partir des déclarations de droits qu’a commencé à s’établir ce qui est maintenant appelé « État de droit » avec sa hiérarchie de normes juridiques, sa Constitution, ses lois, décrets et règlements.
La contestation prendra d’abord racine en Angleterre avec les premiers textes libérateurs comme la Grande Charte (1205) et l’Habeas Corpus (1679). La révolution de 1688 instaurera un régime de monarchie constitutionnelle avec le Bill of Rights de 1689. Il limite l’autorité du pouvoir royal et garantit aux anglais quelques droits politiques et personnels.
La guerre d’indépendance des États-Unis, en 1775, leur permet de devenir la première république démocratique moderne. Elle est marquée par la Constitution de Virginie (1776), un texte précurseur qui limite le pouvoir gouvernemental et affirme les droits citoyens. Elle inspirera la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 issu de la révolution française.
En Europe, le congrès de Vienne et la Sainte-Alliance de 1815 rétablissent un équilibre européen fondé sur le modèle monarchique. Il évoluera vers une forme constitutionnelle. Le libéralisme politique et économique de Locke, modèle dominant au Royaume-Uni et aux États-Unis, ne s’impose pas en France et en Allemagne où la révolution de 1848 est un échec. Les unifications allemande et italienne s’accompagnent de la construction d’un État national monarchique autoritaire. En Russie, après l’échec du mouvement de 1825, la révolution de 1905 n’aboutit qu’à une ébauche de régime constitutionnel.
Ces deux types de régimes (monarchie et république constitutionnelles) vont se répandre progressivement, avec plus ou moins de succès, dans une majorité d’Etats. Des révolutions constitutionnelles se produisent en Iran en 1905, dans l’Empire ottoman en 1908 et en Chine en 1911.
Les sociétés modernes s’enrichissent, se complexifient, et les questions d’économie et d’échanges entre Etats prennent une importance déterminante. La référence au sacré est de plus en plus ténue. Le préambule de la loi fondamentale allemande de 1949 commence par « consciente de sa responsabilité devant Dieu« . Même en France, un des pays les plus athées au monde, la Déclaration de 1789 affirme qu’elle est rédigée sous les « auspices de l’Etre Suprême ».
5 La protection des citoyens par les textes juridiques reste limitée
Prenons la Déclaration de 1789, placée en tête de la Constitution actuelle. Elle pose le « bonheur de tous » comme objectif fondamental. Elle déclare dans l’article 2 : « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Elle offre donc une arme juridique solide aux courageux qui résistent aux dérives autoritaires de l’état français et à l’arbitraire de ses bureaucrates.
Elle reste cependant ambigüe avec cette notion vague d’ordre public. Elle facilite les dérives de pouvoir (article 10 : nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi). Elle détourne la souveraineté du peuple avec cette idée de représentants. Surtout dans l’article 6 où la loi est « l’expression de la volonté générale » (cf. Rousseau) et « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ».
Quelques passages du texte de 1789 peuvent aider la résistance à la dérive autoritaire française. Comme l’article 4 : « La loi ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société » qui permettrait un immense nettoyage du fatras des textes juridiques. Ou l’’article 6 : « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents« . Nous pouvons questionner les puissants sur leur talent de gestionnaires et sur leurs vertus. Ou l’article 15 : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » qui devrait faciliter le recours contentieux face à la bureaucratie.
L’habilité des politiciens et des médias à leur service a ensuite transformé une démocratie sur le papier en oligarchie et en ploutocratie. Celle d’une petite minorité d’ambitieux et de juristes habiles à prendre le pouvoir et à le garder. Ils savent bloquer les modifications législatives contraires à leurs intérêts.
La Parole de 1974-27/7 nous avertit : « Ne te lasse pas de dire aux riches, aux puissants, aux impudiques, aux prêtres et aux autres qu’ils tirent maintenant abondance de la terre, de l’or, du fer et du feu, du salaire de l’ouvrier, de l’humilité des petits, des faiblesses des pêcheurs, et qu’ils ont mis en lois leurs rapines, leur injustice et toutes leurs abominations en alliances qu’ils font habilement sceller par ceux qu’ils dominent pour les corrompre, les tromper, les voler ».
Le combat contre les abus des pouvoirs reste partout d’actualité, y compris dans les démocraties européennes. La profonde crise de la démocratie représentative sera analysée au post 45b