1 Rig Veda, inspiration des rishis et textes sacrés
L’hindouisme concerne plus d’un milliard d’humains, leur référence est le Veda (post 29), mais leurs textes sacrés incluent une masse considérable d’écrits où il est très difficile de retrouver une cohérence, d’identifier des sources historiques, des témoins d’une Révélation ou des auteurs.
L’hindouisme distingue la sruti de la smriti. La sruti commence par le Rig Veda. Des rishis (sages dravidiens) en méditation profonde entendent un son à l’intérieur d’eux et le transmettent oralement sous forme poétique. Beaucoup plus tard, les brahmanes développèrent une langue sacrée en s’appropriant l’héritage oral des rishis. Un certain Vyasa (personnage légendaire ?) aurait compilé les Veda durant le deuxième millénaire avant J.C. en sanscrit védique, une langue dont les prêtres se réservaient l’usage en y amalgamant des versets inspirés (au prophète Zarathoustra ou à des rishis), des hymnes de tradition dravidienne et des règles sacrificielles concoctées par les prêtres brahmanes pour asseoir leur domination. Les autres Vedas, Yajur, Sama et Atharvana, sont centrés sur le culte et ses formules. Des écrits plus tardifs et spéculatifs, les Brahmanas et les Upanishads, seront composés entre le septième et le troisième siècle avant J.C. Ils closent la sruti et marquent le passage progressif du védisme au brahmanisme.
La smriti, avec des textes composés entre – 200 et + 400 environ, inaugure ensuite le passage progressif à l’hindouisme populaire. Rédigée dans les langues courantes, elle incorpore des contenus divers. Des codes de lois, des épopées comme le Rāmāyana, le Mahābhārata (où la Bhagavad-Gita a été tardivement alourdie par les brahmanes) et les Purânas, centrés sur un aspect particulier du divin où apparaît la doctrine des avatars, Rama et Krishna. Elle a eu un grand impact sur la dévotion religieuse hindoue, parce qu’elle facilite la vénération du divin sous de multiples formes, Krishna, les statues de Ganesh, le dieu à tête d’éléphant ou les symboliques lingams pour le culte de la fertilité, en vain combattue par les prêtres. L’essor de la Bhakti, la dévotion à Vishnu et/ou Shiva s’inscrit dans la quasi disparition des sacrifices védiques et marquera l’Inde du Cachemire au Sud où se développe le vishnouisme, caractérisé par la doctrine des avatars et marqué par le grand philosophe brahmane Ramanuja (1017-1137 ?).
Dans la Bible, des livres d’hommes rédigés par des scribes et des théologiens ont été amalgamés à une Révélation d’origine transmise par des prophètes témoignant des circonstances et du Message reçu. Ces ajouts furent rédigés dans l’intérêt du pouvoir religieux de l’époque. En examinant par analogie les textes sacrés hindous, en l’absence de témoignage précis sur des messagers, et parce qu’on comprend bien l’intérêt des rédacteurs, il est difficile dans la smriti de distinguer les faits des légendes, la réalité d’un Krishna historique transmettant une Révélation des déformations par les prêtres. Les écrits de la sruti postérieurs aux Vedas comme les Upanisads sont des livres d’hommes.
Il reste alors comme texte sacré en partie révélé le Rig Véda qui évoque Brahman, l’Indescriptible, l’Absolu transcendant et immanent, l’Éternel, et le Principe ultime sans commencement ni fin dans l’univers entier. Nous y retrouvons la Révélation du Dieu unique, Ahura Mazda des Gathas. Les Gathas précèdent de près d’un millénaire le Rig Veda. Les liens entre les divers groupes de migrants indo-européens partageant la même langue sont peu connus des historiens, mais nous savons que Zarathoustra avait marqué son époque et décrédibilisé les clergés de Mithra. Il serait très étonnant que les migrants arrivés beaucoup plus tard en Inde n’en aient jamais eu connaissance. Peut-être ont-ils oublié la source au fil des siècles ? Plus probablement, ils ont voulu en faire une connaissance (le sens de Veda) reçue par leurs rishis de manière autonome. L’idée s’est ensuite développée que les Vedas étaient intemporels et sans auteurs. Une Parole révélée est affirmative, or le Rig Veda est parfois interrogatif (X.129) : « Celui qui a l’œil sur ce monde au plus haut firmament, il le sait sans doute ; et s’il ne le savait pas ? ».
En porteurs de la Parole il nous faut creuser les hymnes des écritures védiques, volumineuses et hétérogènes pour distinguer Révélation et livres d’hommes et éviter les amalgames. Nous respectons l’ensemble des textes sacrés de l’hindouisme comme vecteurs de pratiques spirituelles dont nous n’avons pas à juger. L’hindouisme n’est pas un polythéisme à écarter, la situation est très différente de celle que le prophète Muhammad, le porteur du Coran, a dû affronter en état de légitime défense face aux polythéistes mecquois violents aux pratiques barbares.
2 Un millénaire de védisme, rishis inspirés et brahmanes sacrificateurs
Des groupes de migrants indo-européens, venus des zones montagneuses de la Perse, arrivent en Inde vers le deuxième ou troisième millénaire avant J.C. Ils sont certainement entrés en contact avec les civilisations de la vallée de l’Indus, développées dès l’âge de bronze près de 2000 ans avant eux et qui avaient construit des villes très organisées comme Mohenjo-daro et Harappa (environ 40 000 habitants chacune). Cette civilisation proche des cultures dravidiennes reste méconnue, son écriture aurait été récemment déchiffrée. Elle semble d’après les archéologues avoir été une société pacifique et peu hiérarchisée, centrée sur l’agriculture et le commerce. L’arrivée des migrants aryens, de redoutables guerriers, accéléra probablement le déclin de cette civilisation.
Le grammairien Patanjali, vers 200 avant J.C. est célèbre pour avoir fourni une méthode d’interprétation qui servira de modèle à toute la littérature de commentaire de la scolastique sanskrite. Il délimite le « pays des nobles », les aryens dont il fait partie, qu’il centre sur la région comprise entre le Gange et la Jamna, donc avec la future capitale de l’Inde, Delhi. Le territoire de vie des brahmanes se situe ainsi entre les cultures de la vallée de l’Indus et du Ghandara (au Pakistan), et les dravidiens du delta du Gange, le Magadha, (au Bangladesh), dont la culture essentiellement orale n’a guère laissé de traces analysables par les archéologues.
Après leurs conquêtes au détriment des dravidiens d’un vaste territoire fertile et à l’écart des zones déstabilisées par les rivalités guerrières entre les empires venus de l’Est, ces migrants indo-européens ont longtemps vécu en autarcie sans s’intéresser aux autres cultures. Leur société très hiérarchisée avait à son sommet les brahmanes qui maitrisaient le sanscrit. La position de brahmane n’était pas héréditaire au départ ; la Chandogya Upanishad (IV, 4, 9) affirme : l’homme qui ne peut prouver son lignage est appelé Brâhmane à cause de la vérité de sa parole.
Au bas de l’échelle sociale, les serviteurs dravidiens avaient dû se soumettre à cette hiérarchie. Les pouvoirs surnaturels que prétendaient avoir les prêtres sacrificateurs les avaient peut-être suffisamment impressionnés pour qu’ils acceptent leur statut de dominé. En Europe, la crainte du pouvoir religieux a de même longtemps marqué le christianisme et permis la domination des serfs et du tiers état par la noblesse et les clergés. Les brahmanes dominateurs, convaincus de leur supériorité par la connaissance exclusive des Vedas, n’avaient pas d’activité missionnaire vers leurs voisins. Ils vivaient entre eux, déterminaient en toute autonomie ce qui était texte sacré, développaient entre hommes leurs spéculations métaphysiques, et pratiquaient leur religion sacrificielle censée leur assurer des faveurs magiques tant que les formules rituelles étaient respectées.
L’élaboration collective des textes sacrés est le fruit des débats védiques. Les protagonistes partent du Veda comme incontournable référence, et font des joutes oratoires pour mesurer l’étendue de leurs connaissances. Tous les brahmanes éduqués pouvaient y participer et les vainqueurs acquéraient une enviable notoriété, comme les vainqueurs sportifs des jeux olympiques grecs.
Les érudits du sanscrit vont ainsi noyer le Veda d’écrits qu’ils intégreront dans un ensemble de textes dit sacrés, avec les Brāhmaṇa, les Āraṇyaka puis les Upaniṣhad. Ils restent au sommet de la hiérarchie sociale et cet équilibre plutôt tranquille durera un millénaire, même si des contestations avaient commencé à émerger par certains rois et ksatriyas qui pourraient être les auteurs de certaines Upanishads comme dans le Mundaka 1, 2, 12 : « le brahmane qui considère les mondes comme construits par l’acte (sacrificiel) devrait se désespérer : du créé (vos écrits et actes) ne peut sortir l’incréé (le Brahmane Créateur).
Il va être bouleversé à partir du cinquième siècle avant J.C., d’abord par l’émergence d’enseignements exogènes aux brahmanes, puis par l’émergence d’empires guerriers.
3 La première déstabilisation : Bouddha et Mahâvîra, puis les empires maurya et grec
A la limite Ouest du territoire des brahmanes, Bouddha (post 4) et Mahâvîra, fils de rois donc des ksatriyas de caste inférieure aux prêtres, vont répandre des enseignements qui marqueront l’histoire de l’Inde. Tous deux récusent la violence barbare de la religion sacrificielle et la logique de caste héréditaire des prêtres sacrificateurs. Ils constituent une communauté de fidèles que les brahmanes traiteront d’abord avec condescendance.
René Girard a analysé la fonction sociale du sacrifice humain ou animal qui permettait de limiter la violence résultant d’un désir mimétique incontrôlé. Il a montré que les prophètes de la Bible enseignaient que YHWH ne voulait pas de ces sacrifices. Ce qui fait le sacré. Ce n’est pas la destruction de la vie qui nous réconcilie avec le divin, c’est le sacrifice du mal en nous. Zarathoustra (post 24) avait enseigné la même chose. Mais les brahmanes de l’Inde en étaient restés au paganisme du sacrifice sanglant comme fondement de leur pouvoir. Ce pilier de leur fonction sociale s’effondrera avec l’évolution spirituelle.
L’autre pilier qui va s’effondrer est celui d’une connaissance supérieure réservée à eux. Bouddha et Mahâvîra apportaient un enseignement résultant de leur réflexion et de leur pratique vertueuse. Bouddha partait de la constatation de la souffrance et enseignait le moyen d’y échapper, un thème puissant face auquel l’obscurantisme des brahmanes ne pouvait répliquer. Leurs idées se répandent dans la vallée du Gange et le mépris des brahmanes ne pourra masquer leur défaite idéologique.
Deux siècles après Bouddha s’établit la dynastie Maurya, la première qui unifiera l’Inde sous le même pouvoir par de violentes conquêtes. Son apogée a lieu sous l’empereur Asoka (-304 à -232) qui inaugure son règne avec le massacre de ses frères et sœurs. Il s’appuie sur une puissante armée qu’il mène à la victoire pour étendre son empire. Rassasié de pouvoir et de sang, ce grand homme va se convertir à la non-violence (ahimsa) enseignée par le bouddhisme (post 27) et le jaïnisme. Il protège ces religions et les brahmanes se trouveront marginalisés dans leur territoire.
Asoka devient un propagandiste convaincu du bouddhisme et envoie des missionnaires pour l’enseigner dans son empire et des ambassadeurs aux rois du voisinage. Le Gandhara avec la vallée de l’Indus devient un pôle majeur du bouddhisme qui donnera naissance au Mahayana. C’est un riche carrefour commercial situé sur la route de la soie. L’autre territoire où le bouddhisme s’implante durablement sous la forme du Theravada est Ceylan.
L’empire d’Alexandre le Grand (-356 à -323) s’étendra jusqu’à la frontière Est du territoire des brahmanes et apportera avec lui de nouvelles philosophies et les débats d’idées typiques de la pensée grecque. L’empereur avait laissé ses lieutenants au pouvoir dans son empire, un pont se constitue entre le monde grec et le monde indien.
L’isolement du territoire des brahmanes prend ainsi fin avec ces empires, ils sont encerclés par les bouddhistes qui récusent les castes héréditaires, il leur faudra réagir.
4 La réplique des brahmanes et le développement de l’hindouisme populaire
Au fil des siècles, les brahmanes vont collectivement élaborer une contre-offensive en se battant sur le front social des idées religieuses, politiques et philosophiques. Ils retrouveront lentement leur dominance en Inde.
D’abord, ayant constaté par l’épisode Asoka l’importance de se concilier les rois, ils feront d’importants efforts pour aller vers les puissants et les convaincre de l’intérêt d’une alliance entre le pouvoir guerrier et leur pouvoir religieux. Au fil des siècles, ils convaincront quelques rois locaux qui les soutiendront.
Les rédacteurs des smriti vont créer un lien avec la dévotion populaire en encourageant la bhakti, le culte quotidien à domicile ou dans les temples à Krishna, le Dieu fait homme à la peau bleue, ce pâtre courtisé par ses amoureuses, et les grandes cérémonies religieuses patronnées par les brahmanes. Les smriti canalisent ainsi l’énergie populaire. Comme dans le christianisme, la smriti développe une pensée trinitaire, le trimurti avec les dieux Brahmâ, Vishnou et Shiva qui symbolisent respectivement la création, la préservation et la destruction.
La smriti revitalise la tradition pré védique du yoga. Les quatre voies traditionnelles du yoga sont jnana yoga (connaissance), bhakti (dévotion), karma (action) et raja (méditation). Elles sont exposées dans la Bhagavad-Gita et les Yoga-sûtra. Le Yoga est aussi évoqué dans les Purāṇa et les Upaniṣad. En Occident, le yoga est surtout connu pour les pratiques de hatha yoga, postures (asanas) et respiration (pranayama). Le raja yoga a pour objectif l’union avec le divin par la pratique de la méditation et l’atteinte du Samadhi.
Comme tous les pouvoirs, les brahmanes vont se concocter des lois, celles dite de Manou, un personnage légendaire censé les avoir instruits. C’est un dharmaśāstra, un traité daté du IIe siècle environ, qui reflète l’opinion de certains milieux brahmaniques sur la façon dont une société idéale doit être ordonnée pour respecter le dharma, l’ordre cosmique, naturel, social, englobant des lois et des règles de conduite. Son idéologie met au premier plan la « pureté » de la caste. Les Lois de Manu considèrent qu’en sept générations une lignée de « hors caste » peut retrouver une caste, la plus élevée (celle des brahmanes), grâce aux pratiques purificatrices collectives. Ce fut un puissant outil de rigidification de la société indienne au bénéfice des prêtres brahmanes
L’art affuté du débat védique, attisé par la concurrence du bouddhisme et de la pensée grecque, favorisera l’émergence d’une philosophie indienne ouverte aux controverses intellectuelles. Cette philosophie prend ses distances avec le Veda et les rites sacrificiels tout en affirmant se rattacher à la tradition védique. Ses auteurs les plus connus comme Sabara, Bhartrihari, Kumarila et surtout Sankara, écrivent entre + 500 et + 800.
Sankara était un brahmane très érudit défendant les intérêts de sa caste. Il s’appuie sur son interprétation du Veda et des Upanisad pour affirmer que la connaissance du Brahman via ces textes libère du cycle des renaissances. La pratique des rites brahmaniques n’est donc qu’une étape préalable qu’il faut dépasser. La pensée de Sankara, comme celle de Bouddha bien avant lui, est non dualiste. Il rappelle les célèbres phrases « tat tvam asi » (tu es cela) et « aham brahmasami » (je suis Brahma) pour souligner l’identité du Brama avec le Soi. Il concentrera ses attaques sur les bouddhistes et contribuera à leur marginalisation : Il a fallu plus de 1000 ans aux brahmanes pour écraser la concurrence du bouddhisme, affaibli par sa dérive en religion de monastères, bien loin de la noble attitude de sage errant de Bouddha et de ses premiers disciples.
Dans la Gita rédigée par les brahmanes, Krishna demande à Arjuna de ne pas s’attacher aux résultats de ses actes, mais de s’acquitter de son devoir dans la société sans poser de questions. La connaissance de la nature du Soi est un préalable à la libération au bout d’un long processus de réincarnations successives déterminées par le comportement approprié à la couche sociale de naissance. Au fil des siècles, en s’associant aux pouvoirs guerriers, en encourageant la dévotion populaire, en réintégrant l’héritage dravidien et les pratiques du yoga et en récupérant à leur profit la théorie de la réincarnation et de la rétribution karmique, les brahmanes vont déterminer l’hindouisme moderne et figer leur société en castes. Deux nouveaux chocs historiques vont affaiblir cette domination brahmanique savamment construite.
5 Deux nouvelles déstabilisations pour la société indienne : l’irruption de l’islam et la colonisation
L’islam arrive d’abord par le Sud, pacifiquement, par les contacts commerciaux : dans l’état du Kerala en 642, une première mosquée est élevée à Kasagorod. Mais les musulmans du Nord sont des guerriers envahisseurs : après leur victoire sur l’empire perse des sassanides, l’invasion omeyyade en Inde commence (712-740).
La dynastie fondée en 977 à Ghazna dans l’actuel Afghanistan, conquiert le Penjab, puis au début du douzième siècle, ses attaques prennent un objectif de conquête générale. En 1192, Muhammad Ghûrî vainc une confédération des Indiens Râjputs menée par le prince de Delhi et il entre dans la ville. En 1206, il est assassiné par son général qui fonde le sultanat de Delhi qui durera de 1206 à 1526.
Ces musulmans oppriment la population avec le soutien de rois locaux qui tenaient à conserver un pouvoir. Les paysans et les ouvriers vivent dans la misère sous le sultan Ala ud-Din Khalji et paient en impôts la moitié de leur revenu. Par sectarisme religieux, de nombreux couvents et temples hindouistes furent détruits avec leurs livres sacrés. Les hindous devaient payer l’impôt des incroyants, ce qui suscita une haine envers les conquérants; cette scandaleuse oppression a marqué la mémoire du peuple indien.
En 1526, Bâbur, vainc le sultan de Dehli et fonde l’empire Moghol, qui allait persister jusqu’en 1857. L’empire moghol établira une souveraineté stable fondée sur la politique mais pas sur la religion. En 1563, l’impôt spécial sur les hindous fut abrogé, et les hindous purent accéder aux postes publics. En 1583, Akbar annonça un édit de tolérance religieuse dans une société religieusement diversifiée après l’arrivée tardive des chrétiens via les colonies portugaises, le développement du soufisme musulman et le début du sikhisme.
Les soldats britanniques prirent Delhi dès 1803. Le pouvoir passe à la couronne britannique après la révolte des Cipaye contre la Compagnie des Indes en 1858 et Victoria devint impératrice des Indes en 1877. Les britanniques introduisent la culture et la technologie occidentale, améliorent les infrastructures. L’esclavage, dont ils avaient d’abord profité, tomba en désuétude grâce à l’esprit des Lumières. Les britanniques traitent leurs colonies comme une vache à traire. Ils appauvrissent les masses de paysans et ruinent la production locale de textile, mais ils s’assurent la collaboration de la bourgeoisie locale qui bénéficie de la situation.
En 1885, les musulmans et les hindous d’Inde fondèrent ensemble le congrès national indien, qui se prononça pour l’indépendance de l’Inde, puis les opposants musulmans à la domination britannique fondèrent en 1906 à Dacca la Ligue musulmane, qu’Ali Jinnah rejoignit en 1913. La rivalité entre musulmans et hindous, attisée par l’empire britannique, se polarisa sur les questions politiques et aboutit au drame de la partition de 1947, cinquante millions de réfugiés. Le nouvel Etat, le Pakistan, entamera une escalade de tensions guerrières avec l’Inde allant jusqu’à l’armement nucléaire. Le Bangladesh se séparera dans la douleur en 1971 des politiciens de l’Ouest.
Dans les années 1990, les conflits entre musulmans et hindous reprirent à Ayodhya considérée comme sacrée par les hindous. Un cadre du parti BJP exigea la démolition de la mosquée de Babri, construite en 1528 sur les restes d’un temple hindou. En 1992, une foule fanatisée détruisit la mosquée, mais le gouvernement central interdit la construction d’un temple hindou à cette place. Sur la base des fouilles réalisées sur place, la Cour Suprême autorisa finalement la restauration d’un temple dédié à Rama et attribua un autre terrain aux musulmans pour y établir une mosquée.
Les chocs successifs que l’inde a subis dans son histoire ont profondément modifié leurs conceptions religieuses. La caste des brahmanes reste une réalité sociale avec 6% de la population et un haut niveau d’éducation, mais leur influence est limitée. La religiosité hindouiste est très diverse, mais sans les violentes rivalités internes que le christianisme a connues et que l’Islam connait encore. La non-violence, popularisée par cette grande âme, le mahatma Gandhi, reste une valeur centrale dans la culture indienne.
Les hindouismes actuels sont une mosaïque de concepts philosophiques, de pratiques cultuelles, de créativité artistique et de savoirs comme le yoga et la médecine ayurvédique qui partagent un substrat religieux vécu dans un syncrétisme tolérant où la référence au Veda est devenue lointaine mais la dévotion reste une pratique quotidienne.
6 Quel avenir spirituel pour l’Inde dans un monde inter communicant ?
Le peuple indien, maltraité par l’histoire, est resté profondément attaché à sa vie spirituelle sous ses diverses formes, mais il a beaucoup souffert des dominateurs et des divisions que la Bête du pouvoir attisait. Cet historique de rivalités sanglantes a conduit à la sage décision de faire de l’Inde une fédération d’Etats avec une affirmation de la laïcité parmi les principes communs.
L’avenir spirituel de ce géant humain est celui que le peuple indien fera dans l’esprit d’unité que prône ce mantra du Rig Veda : Samani va âkuti, samana hridyani va, samanam astu vo mano, yatha va su saha asti: «Soyez unis dans vos buts, dans vos cœurs, dans vos esprits et que votre unité se renforce sans cesse». L’unité viendra de la base et non des soi-disant élites.
L’Inde est la terre de naissance de l’hindouisme, du jaïnisme, du bouddhisme et du sikhisme et le zoroastrisme, le christianisme et l’islam s’y sont implantés dès le Ier millénaire. C’est un grand carrefour spirituel qui peut être déterminant pour reconstruire une unité spirituelle universelle autour de la Parole et par la connaissance (le sens du mot Veda). Co-naître, c’est naître avec l’autre en l’aimant, donc en partant sans préjugé de son propre point de vue pour mieux le comprendre.
Aimer le musulman, c’est chercher à mieux comprendre le Coran qui illumine sa vie spirituelle et aimer l’hindouiste, c’est en faire autant avec le Veda. Aimer l’autre, c’est aussi respecter l’intimité de sa relation avec Dieu, de sa prière, et le musulman et l’hindouiste prient ou méditent comme ils veulent et où ils veulent.
Les invasions d’hommes et d’idées extérieurs à l’Inde ont été souvent sanglantes et oppressantes, mais il n’en est plus ainsi de nos jours. Beaucoup de touristes et chercheurs de vérité occidentaux se tournent vers l’Inde pour s’enrichir spirituellement et bénéficier de la connaissance des yogas et de la médecine ayurvédique. Ces échanges seront mutuellement bénéfiques pour les jeunes générations et les nobles gurus y aideront.
Nous avons évoqué des gurus indiens dans les posts 15 (Aurobindo) et 22 (Ram Chandra), les nobles gurus peuvent jouer un rôle important dans la nécessaire revitalisation spirituelle de ce grand peuple. Voici ce qu’écrit Ram Chandra en 1945 : « toute l’atmosphère (de l’Inde) est surchargée de préjugés et rivalités, les jalousies entre sectes sont la principale cause de la chute de notre civilisation, il n’y a pas moins de 3000 castes en Inde et chacune d’elle constitue une unité séparée. Toute la société marche ainsi vers la désintégration. L’amour universel, véritable base de la religion ayant totalement disparu, la religion que l’on considérait comme un lien entre l’homme et Dieu est au contraire devenue un obstacle. La spiritualité commence où la religion finit ».
Pour un porteur de la Parole, c’est la Parole libérée des livres d’hommes qui permettra de dépasser par la connaissance les divisions religieuses attisées par les pouvoirs. Soixante-dix ans après le constat de Ram Chandra, le pire a été évité et la situation économique de l’Inde est meilleure.
Mais le déchirement entre hindouistes et musulmans reste à réparer (voir post 67). Nous avons du chapati sur la planche !
Pour clore ce post, voici le GAYATRI MANTRA que nous avons chanté en sanscrit dans l’ashram français de Ramakrishna : Nous méditons sur la gloire de l’Être Suprême qui a produit cet univers; puisse-t-Il éclairer nos esprits ! Il n’y a rien là qui devrait choper les monothéistes !