Les résultats du millésime 2022 des législatives ont surpris ces politiciens et journalistes qui réfléchissent dans un univers mental très confiné, mais ils montrent que l’intelligence collective des électeurs français dépasse largement la leur. Les français sondés avaient déclaré aux deux tiers qu’ils ne voulaient pas donner trop de pouvoirs au président, c’est fait malgré les appels de ses soutiens. Ils ne veulent plus d’une Assemblée Nationale de notables orgueilleux inféodés aux partis, c’est fait : la moitié des élus sont des nouveaux dont la très symbolique Mme Kéké et une cinquantaine s’étaient présentés sans étiquette. Ils rejettent le mythe du « front républicain » contre le RN ou les consignes de vote ; sans attendre que les pouvoirs aient rétabli une dose de proportionnelle pour une meilleure représentativité, c’est fait. Hommage à notre intelligence collective !
D’après le dernier baromètre de confiance politique du Cevipof, 23% seulement des français font très ou plutôt confiance aux partis politiques (le score le plus bas des organisations, l’hôpital étant au plus haut avec 82%), 38% font confiance à l’Assemblée Nationale, mais 63% au Conseil Municipal. Les politiciens s’agitaient pour présenter cette élection comme cruciale, les électeurs ont manifesté clairement leur défiance avec plus de 50% d’abstention et plus de 70% chez les moins de 30 ans.
Le résultat final est une nouvelle Assemblée Nationale dont nous allons subir les lois pendant 5 ans (sauf dissolution décidée par le président). Les deux risques majeurs ont été écartés, une chambre d’enregistrement soumise au président ou sous l’emprise d’un mouvement majoritaire populiste. Une majorité incertaine avec plusieurs groupes autonomes et des députés indépendants contraindra l’Assemblée à des débats et compromis chapeautés par ces trois grands blocs partisans très mal élus : en soutien électoral au premier tour législatif, ils sont très en dessous de 10% des 67 millions de français à qui ils imposeront leurs lois.
Comparons les résultats du premier tour des législatives et la présidentielle de 2022 : ENSEMBLE a obtenu 5,8 Mn de voix au premier tour à comparer à 9,8 pour Macron ; la NUPES a recueilli 5,8 Mn à comparer aux 7,7 pour Mélenchon + 1,6 pour Jadot + 0,8 pour Roussel + 0,6 pour Hidalgo, soit un total de 10,8 Mn (sans compter l’extrême gauche) ; le RN est à 3,6 contre 8,1 pour Le Pen (+ les 2,4 de Zemmour) ; LR est à 1,4 contre 1,7 pour Pécresse. Le soutien direct est en baisse brutale pour tous les partis, et balaie le rêve mélenchonien d’un déferlement de votants qui l’aurait propulsé comme premier ministre pour « soumettre » le président élu.
Lors de ces législatives, nous avons assisté plus que jamais à une confrontation agressive d’ambitions de partis et de personnes étouffant la possibilité d’un **débat **public de qualité sur les enjeux majeurs. La pseudo démocratie française montre son vrai visage : une mascarade d’ambitieux.
1 Abstention et refus de voter ; vote blanc ou nul
Le message majeur de ces élections législatives, c’est le refus de voter, une tendance qui s’accélère depuis plus de 30 ans en France. Il prouve le rejet par les français du monde des partis et des politiciens et disqualifie les prétentions des pouvoirs à nous représenter et à nous gouverner. En 2022 l’abstention aux législatives est à 54% plus 2,5% de blancs et 1% de nuls, à peine moins que celle de 2017 qui était de 57% (pour les électeurs le résultat était connu d’avance, une nette majorité pour le parti du président). Les résultats en pourcentage ne signifient rien, ce qui compte, c’est combien d’électeurs ont soutenu chaque député élu dès le premier tour.
Le rôle central du vote dans le choix des pouvoirs politiques français a été progressif. Le pouvoir passe d’abord de la monarchie absolue à la République au suffrage censitaire (celui des propriétaires payant assez d’impôts directs), puis au suffrage mâle en 1848 qui fit passer le corps électoral de 250 000 à 10 Mn, et enfin au vrai suffrage universel incluant les femmes en 1944, bien après l’Australie en 1901, la Finlande en 1908, l’Allemagne en 1918 ou la Turquie en 1934. L’activisme des « suffragettes » et les massacres des guerres mondiales ont eu un rôle déterminant dans ce progrès majeur. L’implication populaire dans le processus de vote en résultera : on s’inscrit sur les listes électorales et la notion de « devoir citoyen » apparait.
L’abstention en France va osciller autour des 20% entre 1924 et les années 70. En 1969, avec la consigne du PC dans le duel Pompidou Poher, l’abstention aux présidentielles dépasse 30%, puis revient à moins de 20% avant d’augmenter inexorablement, près de 30% en 2022. L’abstention aux législatives décolle rapidement, dépassant 30% dès 1988, 40% en 2007 et 50% en 2017. Celle des européennes est traditionnellement forte, sans tendance nette, variant de 39% en 1979 à 59% en 1979 et 50% en 2019. L’abstention aux référendums est très variable, entre 20 et 70%. Les régionales, départementales et municipales connaissent aussi une abstention forte et en progression rapide dépassant les 60% en 2021 et presque autant aux municipales de 2020.
La classe politique française suit son chemin comme si de rien n’était mais commence à s’inquiéter de sa base de légitimité. La quasi-totalité des démocraties européennes a le même problème d’abstention croissante. Aux USA, elle a toujours été forte, autour de 50%, c’était bien l’intention des « pères fondateurs » qui craignaient les factions et les règles majoritaires sans limite. Leur système politique est organisé autour de la rivalité entre les deux grands partis, avec des élections à un tour et 10% des élus qui étaient seuls en lice. Il est marqué par la puissance de l’argent et des lobbys, avec une Constitution quasi inamovible et une puissante Cour Suprême.
Dans les médias et la pensée commune, l’abstention est interprétée à tort comme un désintérêt pour les affaires publiques voire de la paresse. Les diverses études faites sur le sujet montrent qu’il faut d’abord distinguer les « abstentionnistes constants » qui pourraient correspondre à cette idée (en baisse relative, ils sont à peine 15%) et les « abstentionnistes intermittents », largement majoritaires, qui décident après réflexion s’ils vont voter et comment. Leur comportement est cohérent et prévisible quand on les interroge. Il faut ensuite intégrer la rupture générationnelle qui fait que 70% des moins de 30 ans s’abstiennent, ce qui à mon avis prouve que le modèle de démocratie électorale est périmé car ce sont eux surtout qui paieront les pots cassés de la gestion calamiteuse de nos générations (endettement, gaspillage, destruction de l’environnement…).
Le rapport pour l’Assemblée nationale sur l’abstention rédigé par le think tank Fondapol en 2021 montre que les pouvoirs en place ont conscience de l’ampleur de la crise de la démocratie représentative, et il consacre un chapitre à « l’abstention comme choix protestataire ». Certains constats du rapport sont pertinents mais il n’apporte pas de réponses satisfaisantes car il ne sort pas du cadre d’un gouvernement du peuple confisqué par des élus, bureaucrates et juristes, ce système que le Créateur rejette.
Ce rapport admet que « l’abstention s’inscrit désormais dans un ensemble de pratiques et de nouveaux usages de la citoyenneté ». Il reprend la distinction entre une abstention « dans le jeu politique », (offre électorale jugée insuffisante qui peut aussi se traduire par le vote blanc), estimée aux deux tiers des abstentionnistes lors du scrutin présidentiel de 2002, et une abstention « hors du jeu politique ». « Dans un contexte de crise de la démocratie représentative, cette abstention est un vecteur d’expression d’un mécontentement, d’une défiance, d’une protestation à l’égard du pouvoir politique ».
Mes choix électoraux personnels s’inscrivent dans cette cohérence protestataire : je vote pour un marginal sympathique au premier tour, ce qui permet de l’encourager et de faire baisser les performances des grands partis et je peux voter au deuxième tour contre un candidat que j’estime extrémiste et incompétent pour gérer, et donc au bénéfice d’un candidat raisonnable. Je me suis volontairement abstenu au deuxième tour des législatives afin d’affirmer ma désapprobation du système des gouvernés qui se prétendent mandatés pour nous représenter et ainsi confisquer notre souveraineté de citoyens.
Ce rapport affirme : « la protestation par le non-vote sanctionne aussi l’incapacité de l’action publique à régler certains problèmes et s’ajoute aux protestations directes comme le mouvement des Gilets Jaunes et les manifestations d’opposition à la réforme des retraites. Ainsi, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2002, 80% des Français estimaient que l’issue du scrutin ne permettrait pas ou peu d’améliorer la situation en France. En dépit de l’attachement des Français à la liberté de vote, l’abstention trouve un nouveau terreau favorable dans cet affaiblissement de la croyance dans la démocratie représentative ».
2 Cuisine partisane et campagne législative de 2022
Je me suis toujours défié des partis politiques, mais comme je m’intéresse à nos libertés, aux mécanismes de pouvoirs et à l’avenir de la démocratie, j’ai fait une expérience brève et instructive avec le Modem au moment de son lancement. Je suis allé à des réunions locales, ai cotisé et participé au Forum de Seignosse qui devait engager un débat interne sur les orientations du parti. Beaucoup de jeunes côtoyaient les anciens de l’UDF et nous avons pu échanger sans entraves sur nos idées respectives et l’avenir de notre société. Je savais que Bayrou y était la personnalité déterminante et ses positions me paraissaient généralement acceptables.
J’y ai découvert trois choses qui m’ont dissuadé de persévérer. D’abord les jeunes venaient sans arrière-pensées et apportaient leur enthousiasme et leurs compétences dans les réseaux et nouvelles technologies, mais les anciens UDF et quelques nouveaux membres étaient là avec l’arrière-pensée de candidatures électorales et voulaient se faire remarquer pour une investiture du parti. Ce sont les intrigues classiques des ambitieux de la politique.
La deuxième découverte est que les vieux routards des partis distinguent les « militants » dont ils exploitent l’enthousiasme et la naïveté, ils sont là pour distribuer des tracts, coller des affiches, organiser les réunions, mais pas pour réfléchir en toute autonomie, et « l’encadrement », coopté par les pontes du parti qui pourra espérer une investiture ou participer aux débats internes restreints qui font les décisions. Le formalisme démocratique reste, mais tout se joue en coulisse sur des rivalités d’ambitions plus que d’idées.
La troisième chose est le culte du leader, chef intangible et accroché à son pouvoir : les bousculades pour l’approcher, la fierté d’être connu de lui, les applaudissements tonitruants de ses discours, et la mise sous surveillance de ceux qui osent le contester. La peoplisation a encore de beaux jours en politique, j’en ai fait l’expérience de près. J’ai donc tourné la page des partis. Les dérives du Modem profitant des budgets européens sans contrepartie de travail pour l’Europe ont confirmé un manque d’éthique et le décalage entre les grands discours et les pratiques réelles. Le scandale de Mme Fillon qui a fait chuter son mari candidat était de même nature. Le monde politique a peu de scrupules pour profiter de l’argent du contribuable discrètement ou officiellement par le financement de campagnes ennuyeuses et de promesses électorales illusoires.
Il y a la cuisine à l’intérieur d’un parti et les marchandages entre partis qu’illustre l’aventure de la NUPES avec sa resucée d’un programme commun de gauche sous la férule de Mélenchon. Personnage contesté, ancien trotskiste et franc maçon, il fut condamné en 2019 pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », après s’être exclamé lors d’une perquisition : « La République, c’est moi ! ». Homme très ambitieux, fin connaisseur des coulisses de la politique, surfant sur les performances misérables des partis traditionnels, Mélenchon, après avoir refusé toute négociation avec eux, va reprendre en position de force relative (grâce à sa troisième place à la présidentielle) les jeux d’alliances électorales pour se partager le gros gâteau des circonscriptions et se présenter comme premier ministrable. Son coup médiatique s’avère payant, c’est un polémiste et les médias ont soif d’audience.
Il rallie la plupart des politiciens de gauche et de leurs partis et focalise sur sa personne la campagne législative. Une alliance impose un candidat unique, et même les écologistes, en panne de postes de députés, y adhèrent. Pour un parti, un poste de député, c’est une tribune et des subventions publiques, une avance de campagne remboursable si mauvaise performance plus un pactole pour chaque député élu. Les hasards des jeux de circonscriptions permettent à la NUPES de transformer ses 5,8 Mn de bulletins du premier tour en 131 postes de députés, le parti LFI passant de 17 à 84, un jackpot pour ses troupes et sa caisse.
Selon les sondages, un tiers des français se sont intéressés aux campagnes législatives, mais les financements de campagnes et de partis coûtent aux contribuables plus de 100 Mn d’euros par an. Je me suis forcé à lire et écouter leur campagne, j’en ai retenu surtout l’agressivité des députés de LFI dont l’obsession était de dénigrer Macron et de le rendre responsable de tous les problèmes de notre société. Par contraste, même si l’idéologie xénophobe du parti de Marine Le Pen me répugne, son parti a beaucoup changé par rapport aux propos outranciers de son père et de ses 35 députés élus lors de l’unique expérience de proportionnelle en 1986 où ils réclamèrent le rétablissement de la peine de mort. Les candidats RN m’ont paru plus mesurés et leurs thèmes de campagne sur le pouvoir d’achat aux présidentielles, puis « ne laissez pas les pleins pouvoirs à Macron » aux législatives étaient pertinents et ont bien fonctionné.
La campagne de terrain était amorphe. Je n’ai vu que de petites équipes de tracteurs communistes et fans de Zemmour près de ma commune, jamais la LREM dont la réunion électorale était trop éloignée. Je les ai vu lors d’une cure à Chatel-Guyon, j’ai parlé des réformes institutionnelles à la candidate, une fonctionnaire territoriale très basique, elle m’a rapidement demandé si j’étais électeur dans sa circonscription avant de me tourner le dos en apprenant que j’étais inscrit ailleurs. Les marchés pour les partis ne sont pas une occasion d’échanger sérieusement avec les citoyens, ils sont là pour tracter et recruter des électeurs comme les témoins de Jéhovah vont dans la rue pour parquer des moutons dans leur troupeau à coup de fausses promesses.
Lors de la campagne LFI a martelé son appel à piocher dans les poches des riches ou dans les dividendes du CAC 40 (au même niveau qu’en 2006, alors que les salaires ont beaucoup augmenté). Un des poids lourds de l’indice, Air Liquide, a créé beaucoup d’emplois et est devenu leader mondial grâce au soutien de petits actionnaires fidèles qui ont travaillé, épargné, et pris le risque d’investir dans l’industrie. Les dividendes les protègent des crises à venir ; faut-il confisquer le produit de leur épargne ? LVMH a un gros actionnaire, mais Louis Vuitton investit, crée des emplois en France, et des japonais viennent ici pour acheter ses produits en enrichissant notre industrie touristique. On ne peut se contenter de slogans populistes, il faut trouver comment établir plus de justice sociale sans stériliser la capacité de la nation à produire des richesses. Par contre, le salaire du PDG de Total est une provocation néfaste (sauf s’il en donne 50% aux pauvres comme Zachée dans l’Evangile).
Le débat organisé entre tous les partis sur France info a été la désolante preuve de la réduction de la politique à des confrontations partisanes : les candidats se coupaient la parole pour marteler leurs slogans et parlaient en même temps dans la plus grande confusion pour les auditeurs.
3 Le pouvoir législatif et le travail de député
La Constitution parle de « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », mais verrouille aussitôt son exercice : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Elle oint les partis s’ils se soumettent à la « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et affirme « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». Dans la Déclaration de 1789, « la loi est l’expression de la volonté générale« , en réalité, elle résulte des marchandages entre « représentants ». Une pseudo-démocratie représentative !
La séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) est traditionnellement la marque d’une démocratie, mais dans la France actuelle l’exécutif a préséance et le judiciaire est le parent pauvre, qualifié de simple « autorité » et dont les juges sont censés être la « bouche de la loi ». Les constituants ne voulaient ni d’une « République des juges » du type anglo-saxon, ni du chaos des rivalités de partis de la quatrième République.
L’exécutif domine par son droit de dissolution, très dissuasif des deux côtés, son recours au référendum, et les domaines réservés au président comme la politique étrangère. Il dispose aussi de l’article 49-3 qui permet de passer en force et contourner les stratégies d’obstruction partisane : le Premier ministre peut engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale (ou d’un autre projet par session). Il est alors adopté, sauf motion de censure déposée dans les vingt-quatre heures. Les membres du gouvernement ont de plus accès aux deux assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent, alors que le temps de parole de chaque député est limité.
D’après la Constitution, le Parlement, Assemblée Nationale et Sénat « vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement, évalue les politiques publiques ». A part la grosse artillerie de la motion de censure, le rôle réel des députés individuellement et collectivement pour contrôler l’action du gouvernement est faible. Ils l’interpellent par des questions, orales ou écrites, et le gouvernement doit répondre en séance publique. Leur rôle est encore plus marginal pour l’évaluation des politiques publiques compte tenu de la puissance de l’administration. Il y a des missions d’information temporaires, des groupes d’études, des commissions d’enquête qui peuvent publier des rapports. Les opportunités de travail fructueux ne manquent pas, mais la disproportion de moyens avec le pouvoir exécutif et l’administration est considérable.
Un député isolé a peu d’influence, à part sur des détails touchant sa circonscription ou un de ses électeurs, ce qui explique le rôle déterminant du travail en commissions qui préparent le débat en séance plénière. Chaque député appartient obligatoirement à l’une des huit commissions permanentes de l’Assemblée où sa présence est requise : affaires culturelles et éducation, affaires économiques, affaires étrangères, affaires sociales, défense nationale et forces armées, développement durable et aménagement du territoire, finances et lois
La fonction déterminante de l’Assemblée est donc de voter la loi républicaine en séance plénière après un éventuel aller-retour au Sénat. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel mais public, ce qui permet aux chefs de partis de voir si leur troupe a suivi les consignes. Certains votes sont secrets comme l’élection interne du président de la commission des finances, un poste très convoité par les oppositions.
Les bancs de l’Assemblée quasi vides lors de séances publiques et le député introuvable dans sa circonscription pendant la semaine ont donné une mauvaise image du rythme de travail d’un député. L’expression popularisée par les fables de La Fontaine de « train de sénateur » évoque une vie tranquille menée à un rythme lent. En réalité, un député consciencieux ne chôme pas, partagé entre le travail à Paris du mardi au vendredi, cadré par le collectif, et le travail plus individuel dans sa circonscription où il doit être assez actif pour espérer être réélu. L’Assemblée ayant amélioré sa communication, chacun peut vérifier le travail de son député, ses présences et ses initiatives. Ceci a mis un peu de pression pour faire travailler les moins zélés et justifier leur coût. Le député reçoit 7.239,91 euros bruts par mois plus un crédit de 10 581 pour payer ses collaborateurs, des remboursements de frais et certains postes bénéficient d’une indemnité spéciale.
Après tractations, compliquées pour les 131 députés élus grâce au train Mélenchon, les groupes de la nouvelle assemblée sont : LREM/Renaissance 172, RN 89, LFI 75, LR 62, Modem 48, Socialistes 31, Horizons 30, Ecologistes 23, Communistes+ 22, Territoires 16 et 9 non inscrits. Cette fragmentation peut nous apporter une expérience de démocratie délibérative dans un contexte d’alliances ou de compromis.
Le comportement des groupes extrémistes sera intéressant à observer. Leurs députés seront-ils plus pragmatiques et conciliants, surtout les nouveaux et les jeunes ? LFI était connu pour l’invective et l’obstruction quand ils n’étaient que 17, ils seront moins tentés de le faire à 75. De même, les députés du RN, longtemps exclus par le front républicain, sont aux marches du pouvoir dont ils rêvent. Ils changeront peut-être leur posture idéologique, leurs priorités et leurs propositions. Dans le discours de la cheffe la xénophobie toujours présente passe derrière le pouvoir d’achat et le thème de la liberté prend de l’ampleur.
Ainsi un débat public argumenté et solide sur l’immigration choisie et l’accueil des réfugiés pourra peut-être enfin s’enclencher à l’Assemblée. La carence de la réflexion publique sur le sujet de l’immigration a nourri l’ignorance et la xénophobie : seulement 57% des Français (contre 76% des Allemands) reconnaissent comme un devoir « d’accueillir dans notre pays des réfugiés qui fuient la guerre et la misère ». De la pédagogie pour éclairer l’opinion publique sera utile pour un autre enjeu important, l’âge de la retraite. Une majorité de français la voudrait à 60 ans sans intégrer les difficultés prévisibles des régimes liés au creusement de la pyramide des âges et qui seraient accentués par une tentative d’arrêter l’immigration.
Les profils individuels variés de la nouvelle Assemblée sont un atout. Mme Kéké et bien d’autres connaissent la valeur du travail et s’attelleront à la tâche avec conscience, d’une manière très différente des barons du pouvoir balayés par les électeurs comme MM. Ferrand et Castanier. Cette diversité peut faire monter d’un cran l’intelligence collective de cette Assemblée et la rendre digne de celle des électeurs. La vraie solution à l’abstention, c’est que les députés méritent notre respect par leur travail et leur capacité à améliorer notre bonheur collectif. Cela passera par moins d’acharnement pour nourrir l’avalanche de textes de lois et plus de zèle à contrôler l’action du gouvernement et de son administration pour protéger nos libertés. Et elle doit faire des économies en acceptant de réduire ce magma échauffé et pagailleux de 577 personnes. La moitié, 289 députés, c’est largement suffisant quand la majorité des lois se font en Europe.
Le député n’est donc pas là pour nous représenter, il peut recueillir quelques informations du terrain, mais il doit faire le travail législatif et contrôler les dépenses publiques. Cette nouvelle assemblée devrait servir de chambre de résonance et d’enregistrement pour des délibérations sur les enjeux concrets soulevés par les textes de loi débattus en partant des désaccords de la société. Elle devrait se garder des confrontations d’idéologie ou de discours entre les ténors de la politique. Le fera-t-elle ?
Les récentes législatives australiennes illustrent les tendances de fond des évolutions démocratiques que peut obtenir la pression des électeurs. Le nouveau premier ministre travailliste a remplacé le conservateur avec le soutien d’un tiers des sièges seulement, et 10% des 151 députés étaient non encartés. L’analyse détaillée des résultats montre que les électeurs y rejettent le bi partisanisme et le concept d’électorat national.
4 Où va la « démocratie » française ?
Six formes différentes de régime ont été présentées dans une enquête européenne sur une bonne façon de gouverner. Le modèle de la démocratie représentative (« avoir un Parlement élu qui contrôle le gouvernement ») réunit le plus large soutien (82%), suivi par le modèle de la démocratie directe à 72%, formulé ainsi : « les citoyens et non un gouvernement décident ce qui leur semble le meilleur pour le pays ». Les autres régimes proposés aux sondés étaient ceux de l’homme fort, des experts et des militaires. Si la démocratie directe est largement souhaitée, sa mise en œuvre concrète est la principale difficulté.
Les européens veulent surtout préserver la liberté d’expression (98%), de voter pour les candidats de leur choix (96%), de participer à la prise de décision (96%), de pouvoir manifester, aller dans la rue, contester (87%). Le vote reste incontournable au niveau européen en complément des prises de décision par consensus après délibérations laborieuses. James Bohman considère que le processus européen s’appuie sur trois types de légitimité : formelle, populaire et délibérative. A ce niveau de complexité, il n’y a pas de solution unique.
Selon le rapport Fondapol de 2021, les français sont plus insatisfaits que la moyenne européenne et considèrent à 53,5 % que la démocratie fonctionne mal, 56% n’ont pas confiance dans leur Parlement, 71% dans leur gouvernement et 89% dans leurs partis politiques. La confiance se mérite par le travail et un changement radical de comportement du monde politique, cela prendra du temps et un renversement de perspective : le gouvernement ne gouverne pas le peuple, mais il devrait au moins gouverner l’administration censée lui être soumise.
Qui pilote notre administration dans le sens du bien public ? On entend souvent dire à gauche que la solution à nos problèmes est d’augmenter le nombre de postes de fonctionnaires comme si l’administration n’était pas déjà pléthorique, surtout la territoriale. Personne ne conteste l’importance cruciale des services publics de la Santé et l’Education, mais leur situation est très contrastée. Nous sommes très bien soignés malgré la pression croissante du vieillissement et des virus qui ne chôment jamais et malgré des moyens trop faibles. Nous ne pouvons indéfiniment abuser du dévouement des soignants, il faut recruter, bien les payer et donner plus de liberté aux soignants au lieu de les étouffer sous des procédures uniformisées.
Par contre sur l’Education nos performances mesurées par les tests PISA se dégradent et nous avons un ministère pléthorique et trop centralisé, qui détermine d’en haut les programmes scolaires et envoie ses inspecteurs pour contrôler les enseignants sur la base de ses propres critères. Les parents d’élèves, les plus concernés par l’avenir de leurs enfants et comme contribuables sont marginalisés dans les décisions. Les puissants syndicats veillent à leur intérêt et sont très efficaces pour réclamer des postes, contribuant à alourdir les horaires surchargés des collégiens et lycéens. On peut rendre un bien meilleur service pour bien moins cher car l’enseignant de base et les équipes pédagogiques restent motivées à exercer ce beau métier mais n’ont pas assez de liberté pour s’adapter aux situations réelles. Il est temps de mettre l’éducation au service de l’avenir de nos jeunes et de la libérer de l’emprise du système centralisé et de programmes nationaux inadaptés.
Très motivé pour améliorer l’école, je fus élu président d’association à l’école primaire, puis au conseil d’administration du collège et la principale m’a demandé d’animer le débat national sur l’avenir de l’École de 2005. Une idée centrale était la « communauté éducative » dont les syndicats ne voulaient pas pour garder leur pouvoir. Le puissant SNES a fait obstruction « On a bien fait d’être dedans car ça nous a permis d’avoir une action syndicale, de dire après qu’on y était et que le gouvernement n’en a pas tenu compte. » Après 26 000 réunions publiques, un forum internet avec un million de participants, une commission d’experts, 250 auditions et deux rapports de synthèse, une loi d’orientation sur l’avenir de l’École fut adoptée en commission mixte paritaire. Le Conseil constitutionnel la censura partiellement pour retourner « à la procédure réglementaire, le travail en coulisses de quelques dirigeants syndicaux et représentants ministériels » (Alice Mazeaud dans Politix).
La première décision à prendre au CA du collège était de choisir les questions traitées. Les parents d’élèves élus y sont à parité avec les enseignants, mais en sont le maillon faible : ils disparaissent à la fin de la scolarité de leurs enfants et ont des idées variées. Avant le vote les enseignants avaient décidé en bloc du choix de questions liées à leurs intérêts corporatistes alors que les parents ont débattu pendant la réunion et étaient divisés. Les questions de fond comme celle des programmes ont été balayées d’entrée par le bloc des enseignants.
Je pensais naïvement qu’améliorer l’école pour nos enfants était l’objectif commun, mais j’ai assisté à un jeu de pouvoirs où le syndicat dominant, le SNES, avait donné ses consignes pour que le pouvoir reste à eux et au courant « républicain » qui s’opposait aux « pédagogues » selon les expressions des journalistes spécialisés. Pour Mme Mazeaud « l’introduction de ce dispositif participatif voulait rendre gouvernable un secteur marqué par les grèves à répétition et les réformes avortées dans un monde enseignant symbole du corporatisme à la française, connu pour la solidité et la stabilité des relations nouées entre des émissaires ministériels et certains syndicats ». Elle aurait pu remettre en question ce jeux d’acteurs politiques, mais le débat a débouché sur « la reprise du jeu routinier autour des acteurs traditionnels du processus de décision ».
Le débat sur l’avenir de l’école de 2005 a illustré la difficulté à réformer le système français, mais il faut persévérer, c’est ce qu’a fait le président réélu en lançant en 2019 le « Grand débat national » qui sera le sujet du post 59.
5 Une nation ingouvernable ou refusant d’être gouvernée ?
Il nous faut retrouver la voie de la Sagesse en écoutant ce que nous dit le Sage par excellence qui avertit : « J’ai interdit qu’on s’empare de l’héritage de Mon Peuple et de son gouvernement que J’ai laissé à tous » (1974-27/5), « Ne te lasse pas de dire aux riches, aux puissants…qu’ils ont mis en lois leurs rapines, leur injustice en alliances qu’ils font habilement sceller par ceux qu’ils dominent pour les corrompre, les tromper, les voler » (27/8). « Quatre générations ne suffiront pas pour accomplir la Parole… la Loi qui sera » (24/2 et 28/8), « La vérité, c’est que le monde doit changer ». Notre direction comme porteurs de la Parole est donc d’agir dans la progressivité pour nous libérer des gouvernants. Certes nous récusons la « loi des rats » (XIX/24) mais nous résistons dans la non-violence et l’initiative de propositions et d’actions réalistes comme Gandhi l’avait fait.
De Gaulle avait eu ce mot d’esprit devenu célèbre : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromage ? » Après les législatives françaises, la plupart des grands médias étrangers s’inquiètent d’un pays devenu ingouvernable. Mais dans l’avenir, il y a aura encore plus de fromages français et ce pays serait beaucoup plus agréable avec moins de gouvernement et plus de liberté!
A court terme et dans le cadre des institutions actuelles, je propose une solution très simple pour améliorer la démocratie, réduire les risques de blocage institutionnel et faire des économies :
- Dans 6 mois ou un an (il est maître du calendrier) le président annonce qu’il lancera un référendum pour faire aboutir la réduction du nombre des parlementaires envisagée dans sa loi constitutionnelle (cf. post 58)
- Le référendum intervenant dans un an ou à mi-mandat, le oui devrait passer pour réduire les dépenses publiques malgré la réticence des partis qui tiennent à leur fromage parce que 86% des français dans le grand débat national étaient en faveur de la réduction du nombre de parlementaires ; la suppression du Conseil Economique, Social et Environnemental y a été souvent évoquée,
- La réduction du nombre de députés déclenchera logiquement une dissolution de l’Assemblée avec un redécoupage des circonscriptions qui passeraient de 577 à 403 et mieux encore à 289 si l’option 50% de réduction est proposée et décidée dans le référendum
- Les nouveaux députés auront eu le temps de nous prouver qu’ils savent travailler ensemble au lieu de s’invectiver et de conforter leur ancrage local. L’opinion n’y verra pas une décision jupitérienne de revanche électorale mais une conséquence de la décision des citoyens. Elle permettra un échelonnement dans le temps souhaitable entre les présidentielles et les législatives et devrait réduire l’abstention.
Après ce succès référendaire prévisible un autre référendum majeur pourrait être déclenché avant la fin du quinquennat pour poser la question du passage de la République « une et indivisible » à un Etat fédéral. Le oui n’est pas acquis, mais le débat sera vraiment lancé. Comme pour le référendum sur la régionalisation, le passage à l’Etat fédéral pourrait intervenir après le mandat présidentiel actuel, ce qui permettrait de disposer de temps pour bien l’organiser, en particulier pour les territoires excentrés en pour éviter de créer une inutile complexité. Ce serait aussi l’occasion de supprimer le département, maillon faible et coûteux du millefeuille administratif. Le président actuel entrerait alors dans l’Histoire comme un des grands refondateurs de la nation française.
Le premier référendum offrirait trois options : nombre inchangé ou – 30% ou – 50% pour l’Assemblée et le Sénat, et – 30%, – 50% ou suppression pour le CESE. On pourrait y inclure la proposition de Hautes Autorités Citoyennes prenant le relais d’une représentation de la « société civile » via le CESE inapproprié dans un pays qui se défie des corps intermédiaires et instaurant une représentation des citoyens au cœur du débat public pour améliorer et rendre plus acceptables les grandes décisions publiques. Les économies possibles portent sur les budgets suivants : 562 Mn d’euros pour l’Assemblée Nationale, 338 pour le Sénat et 46 Mn pour le CESE (les CESE Régionaux nous coûtent déjà 60 Mn !). Il y a des frais fixes, on peut difficilement couper en deux leurs palais, mais les enjeux d’économie sont considérables face au coût d’une petite dizaine de hautes autorités citoyennes permanentes de 27 personnes motivées bénéficiant d’indemnités modestes.