C’est le titre d’un roman de Gilles Cosson. Il a déjà écrit une vingtaine de livres dont des essais sur la spiritualité. Ses 130 pages sont agréables à lire. Vivantes, denses, bien écrites, elles abordent des sujets de société comme la politique, le climat ou la finance. Ou des sujets plus intimes comme la transmission parentale de l’éthique et l’amitié. Ses dernières pages sont une touchante ode à l’espérance en l’avenir.
Ce roman m’a fait réfléchir. J’ai donc lu d’autres ouvrages pour m’imprégner de l’évolution de sa pensée. Je présente ici quelques notes d’une lecture atypique de ce roman. Je pose deux questions qui partent du domaine intime mais causent des tragédies qui impactent toute la société. Où s’introduit subrepticement le mal dans la trame du roman avant d‘avoir des conséquences tragiques ? Le sens du Bien a-t-il fait l’objet d’une transmission éthique par les deux éducateurs parentaux ? Donc les deux mondes qui coexistent en dialoguant difficilement ne sont-ils pas aussi celui des parents face à leurs enfants ?
1 Le mal dans cette fiction d’actualité : convoitise sexuelle suivie de l’adultère
Contrairement aux films américains présentant des caricatures de bons et de méchants, ce roman présente des personnages qui comme nous ont leurs forces et leurs faiblesses. Ils se trouvent parfois désemparés pour réagir face aux événements de la vie par manque de réflexion posée ou de repères éthiques. Il n’est pas écrit pour juger les uns ou les autres ou s’indigner de ce qu’ils font, mais pour réfléchir à des situations qui pourraient nous arriver.
La question du Bien et du mal selon la Parole a été évoquée dans le post 35. Le mal n’est pas défini par une morale à suivre, mais se traduit par l’éloignement de Dieu, de l’Amour qu’il a insufflé en nous, et de l’oubli de ce que nous suggère notre âme. Les personnages de ce livre ne sont pas présentés comme des croyants se référant à un messager du Père, ni même des priants. La plupart subissent notre monde d’agitation matérialiste.
Le mal s’introduit subrepticement dans le personnage principal, un rédacteur en chef parfois troublé par une soif d’absolu jamais satisfaite. Il se dévoue à un travail bien fait qui envahit son quotidien. Il donne trop peu de place à sa vie familiale et spirituelle. Il cherche une compensation par la fuite dans des voyages lointains, à la recherche de solitude, d’espaces naturels dégagés, d’aventures difficiles. Des voyages que ne partage pas son épouse sensible à la propreté et au confort.
Il lui appartiendrait pourtant de rééquilibrer sa vie en travaillant autrement. Mais il se laisse prendre dans la fuite en avant de la réussite professionnelle. Il consacre trop peu de temps pour aimer son épouse Fanny qui lui donne généreusement sa présence sage et affectueuse. Et il se laisse prendre au piège des infidélités passagères que les occasions de rencontres féminines dans son travail lui offrent. Sa femme devine sa dérive. Mais dans sa fatuité masculine, il la croit aveugle.
Au hasard d’une soirée de charité mondaine, il fait la rencontre décisive d’une femme, Frédérique, une violoniste virtuose, belle, libre et convoitée. Il ressent avec amertume la distance entre son monde de journaliste besogneux et l’artiste inspirée qu’il voit en elle. Sans réfléchir, mû par le « désir fou de parler à cet être de chair », de la séduire, il va l’entendre aussitôt à la salle Gaveau et attise cette passion indue. Il s’auto-justifie en pensant que la musique « ouvre l’âme à l’invisible ». Or l’émotion légitime face à la musique ne gagne rien à être mélangée à un désir de chair pour une interprète.
Sa conscience spirituellement immature ne distingue pas entre son esprit agité, capable du meilleur comme du pire et son âme sage qui aurait pu le retenir. S’il avait donné assez de place dans sa vie pour aimer en tout lieu et en tout temps, y compris son ennemi comme l’enseignait le charpentier de Nazareth. Même si l’Amour pour Dieu est une catégorie vide dans son mental d’agnostique, l’amour pour ses proches aurait pu pallier cette absence.
2 Les conséquences de l’adultère : l’absence de couple parental comme modèle
L’adultère est devenu une banalité dans notre monde déspiritualisé, ses conséquences peuvent être dramatiques. Son épouse s’y adapte mais la perte de confiance laisse des traces indélébiles. Que gagne cet homme à céder au mal ? Il affaiblit son âme et crée la souffrance dans le cœur de celle envers qui il s’est engagé.
Il va donc tout faire pour conquérir le corps de cette femme difficile à séduire. Cela lui prendra des années. Il trouvera la faille en jouant sur sa soif d’espace infini qui intrigue Frédérique. La porte est ouverte pour une relation amicale biaisée par son désir de posséder la femme. Une occasion ne tardera pas à se présenter, elle devient sa maîtresse.
Il le fait au détriment de sa présence auprès de Fanny et l’inattendu tombe sur lui, Frédérique commence à s’attacher et souhaite un enfant. Elle lui propose de ne rien changer à sa vie et de cacher la paternité de l’enfant dont elle assumera l’entière responsabilité. Elle lui permet de le croiser occasionnellement comme ami de sa mère. Il accepte, Martin naît sans père officiel.
De son côté, son épouse décide d’avoir une petite Flore avec lui, la maternité compensant peut-être l’insuffisance d’amour conjugal. Le père la regardera grandir sans vraiment s’occuper d’elle, alors que sa mère, qui a aussi sa vie professionnelle, sera beaucoup plus attentionnée. Certainement blessée par son époux infidèle, elle profite de sa liberté légitime pour prendre un amant qui va compenser l’absence de tendresse au foyer conjugal.
Quand son mari l’apprend par une indiscrétion, il se sent « humilié, placé sans l’avoir cherché dans une situation de vaudeville qui lui déplaisait souverainement ». Fanny affirme se soucier du sort solitaire du fils de Frédérique. Elle lui fait comprendre qu’à ses yeux, ses soi-disant nobles aspirations de grand voyageur n’étaient qu’une « distraction bienvenue pour un homme très occupé », une banalité.
Belle leçon d’humilité pour son mari qui ramène à leur juste proportion ses « ambitions spirituelles ». Fanny montre sa noblesse de cœur en pensant d’abord à préserver une jeunesse aussi heureuse que possible aux enfants et en dépassant la jalousie naturelle à l’égard de la femme qui lui a pris son mari.
3 Le drame et la carence de transmission éthique parentale
Frédérique choisit la maternité plus pour elle-même que pour l’enfant, même si elle en prend soin. Tout le monde sait que l’éducation monoparentale est très délicate et qu’à l’adolescence, l’absence d’un père comme référent est souvent dramatique. Elle tenait à sa liberté de femme indépendante, les artistes ont souvent une sensibilité très particulière, mais a-t-elle pensé à la liberté de l’enfant de savoir, d’obtenir des réponses à ses questions ?
Martin qui vénère sa mère réussit à traverser l’adolescence, mais à 17 ans, il exige de connaître son père naturel sans savoir qu’il le connait déjà comme une relation de sa mère. Flore a 14 ans, les parents les font se rencontrer car il faudra leur avouer qu’ils ont le même père. Ces jeunes cœurs sensibles s’éprennent l’un de l’autre et placent les parents dans l’urgence de leur dire la vérité.
Le père se charge de parler à Flore et la mère de parler à Martin. Le père a la grande indélicatesse pour parler à Flore de lui donner un RV à son travail à 11 heures alors qu’il avait une réunion importante pour le déjeuner. Il est évident qu’il n’a pas donné à sa fille toute l’attention qu’elle méritait avant et pendant ce moment critique. On découvre dans leur échange tendu qu’il la connait mal. Il ne l’a pas accompagné suffisamment dans sa période d’adolescence.
La carence du père est grave, il n’a pas l’intuition émotionnelle qu’ont presque toutes les mères, une fille unique privée de fratrie a besoin de plus d’amour parental. Flore s’évanouit en apprenant que Martin est son demi-frère, mais absorbe le choc. Les filles sont généralement plus solides psychologiquement que les garçons et elle a bénéficié de beaucoup d’amour maternel.
La révélation à Martin n’est pas relatée dans le roman. Depuis plusieurs années, il était tourmenté et s’opposait à sa mère. Il avait de bonnes raisons, son refus de dévoiler sa paternité, et ses tournées qui la rendaient souvent absente. Les conséquences sont dramatiques : Martin se suicide le soir même de la révélation après avoir dit adieu à sa Flore et laissé un mot d’adieu à sa mère.
La mort d’un jeune est un drame absolu, pour le monde, car chaque enfant est une espérance pour l’humanité -même s’il peut devenir un Gandhi (post 41) ou un Staline-. Et pour les parents c’est un traumatisme profond, surtout s’ils culpabilisent. Pour le personnage principal, les conséquences de ses adultères sont immenses. Il perd définitivement son fils et aura du mal à retisser les liens avec sa fille, son épouse le quitte pour aller vivre avec son compagnon et sa maîtresse se mure dans son silence et devient inaccessible.
Ce n’est pas un roman noir, car le personnage principal a beaucoup appris de ces drames et se prépare à une nouvelle vie. Un ami proche est de précieux conseil à l’enterrement de son fils. Les dernières pages du roman sont une très belle ode à l’espérance.
4 La faille entre le monde des parents et celui des enfants
Les deux mondes évoqués dans le titre sont le monde des puissants et des journalistes qui les côtoient, et le monde des artistes qui semblent plus libres. J’y vois aussi et même davantage un entre deux mondes, celui des adultes coincés dans leurs habitudes de vie, et celui des jeunes. Riches de promesses mais aussi d’incertitudes à l’heure de faire des choix déterminants pour leur vie future.
Martin et Flore parlent de leurs rêves, de leurs nobles idéaux, de leur indignation face aux injustices de ce monde, toutes choses que leurs parents ont certainement pensé à leur âge, mais qu’ils ont vite oublié. Les adultes, à part Fanny, ne les écoutent pas et les enfants sont victimes des turpitudes, des mensonges et de l’égocentrisme des adultes. C’est bien un des drames de notre siècle.
Quelles leçons de vie spirituelle peut-on retirer de ce roman ?
Notre transmission éthique aux générations qui viennent, à commencer par celle vers nos enfants, est certainement un devoir sacré, porteur de vie future. Il ne faut jamais en sous-estimer l’importance et la nécessité de donner un bon exemple. Ici deux des parents ne sont pas des méchants, mais des irresponsables. Quel modèle le journaliste donne-t-il avec son agitation, ses infidélités qui l’obligent à mentir, sa présence vacillante au foyer ? Quel modèle donne la violoniste avec son obsession pour son indépendance personnelle malgré les tourments légitimes de son garçon ?
Ces deux adultes sont bien insérés dans une société riche, envahis par leur petite vie personnelle facile, fiers d’eux-mêmes et de leur réussite. Mais décalés par rapport à la situation difficile que leurs enfants vont avoir à affronter. Ils n’ont certainement pas consacré assez de temps pour les aimer, donc les écouter et les comprendre, ce qui les aurait tous fait grandir spirituellement. Ce n’est pas l’intensité des émotions du corps et de l’esprit, aussi légitimes soient-elles, qui font grandir l’âme, c’est l’amour du Père -Qui est toujours là si nous nous ouvrons à Lui-, et faute d’ouverture au Sacré absolu, c’est l’amour des êtres humains. Nous aimons nos jeunes. Mais pas pour nos propres satisfactions : pour eux et leur avenir.
Il ne faut pas confondre l’amour universel, l’amour conjugal et l’amour parental. L’amour universel est dû à tous, quelles que soient les circonstances, dans les limites du possible et de situations imprévisibles face à des inconnus. L’amour conjugal est toujours réciproque. Chacun a le droit de s’en retirer après mûre réflexion, la trahison du partenaire de l’engagement de fidélité est une raison légitime de mettre fin à la relation. L’amour parental résulte naturellement de notre décision d’avoir un enfant. C’est un engagement à vie à l’aimer inconditionnellement. Mais aimer, ce n’est pas suivre tous les caprices des enfants. Par contre les enfants n’ont pas demandé à venir au monde. Je considère donc qu’ils sont absolument libres de nous rejeter quelles que soient les raisons (et c’est souvent de notre faute). Nous les élevons pour les aider à prendre leur envol, pas pour les maintenir en cage.
5 Qui suis-je ?
Cette question cruciale est posée dès le début du roman, c’est celle que le noble guru Ramana Maharishi (post 11) demandait à ses innombrables visiteurs de se poser sur eux-mêmes. Le personnage principal se pose cette question après un accident grave suivi d’un coma. Nous devrions de temps en temps nous la poser.
Nous sommes corps, esprit et âme. L’environnement agité et déspiritualisé de nos sociétés ne nous aide pas à prendre soin de notre âme. Or c’est elle qui pourra nous porter vers l’éternité quand notre corps nous fera défaut (voir post 36). Regardons autour de nous les personnes qui ont une vieillesse difficile. Préparons nous à l’échéance inéluctable de le mort, car nous ne savons pas dans quel état sera notre esprit au moment de quitter le corps. Mais si nous prenons soin de notre âme, elle nous sauvera des ténèbres.
Les personnages du livre mobilisent le mot âme pour parler des simples émotions. Le journaliste affirme qu’il a « voué son âme une fois pour toutes » à Frédérique et que « la musique ouvre l’âme à l’invisible » Une bonne compréhension de la notion d’âme telle que la Parole de 1974-1977 la définit est vitale, même si beaucoup l’ont intuitivement.
La beauté de ce livre, c’est que chacun le lira à sa manière sans s’ennuyer et en tirera d’autres leçons à sa guise.