Ce post achève l’analyse des Bêtes du pouvoir (post 60). Elles sévissent à des degrés divers, mais sont plus dangereuses dans les pays qui entretiennent les plus grandes armées du monde : USA, Chine (68), Inde (67), Iran (64) et Russie (61). Leurs rivalités géopolitiques peuvent embraser la planète.

La Bête du pouvoir, c’est un système qui fait perdre à son peuple son humanité (« compréhension et compassion envers ses semblables »). Le pouvoir est d’autant plus aveugle aux besoins réels des hommes qu’il est puissant et centralisé. Il devient une Bête écrasante. La Bête iranienne ou russe politique sévit surtout contre ses citoyens et ses voisins. Mais dans une hyperpuissance comme les USA (post 71) avec un régime présidentiel, les décisions du président, bonnes ou mauvaises, ont un impact mondial.

Le risque pour le monde est de voir à la tête des USA un président semant la domination, le chaos, voire la guerre. Les hasards des élections peuvent conduire au pouvoir des présidents douteux n’hésitant pas à mentir pour soutenir des guerres comme Nixon et Bush junior. Au fil de son histoire, la culture politique des USA hésite entre repli sur son territoire et interventionnisme mondial.

 Avec Trump, le choix du repli atteint des sommets. Le mensonge rebaptisé « fake news » s’allie au mépris grossier d’autres nations et des engagements pris. Il retire les USA de l’Accord de Paris sur le climat et de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Il se désengage de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, de l’Unesco et du Pacte mondial pour les réfugiés.

A l’opposé du spectre de ses idées politiques figure Brezinski qui cofonde avec David Rockefeller la commission Trilatérale en 1973. C’est un groupe d’influence partisan d’une gouvernance mondiale où siègent des personnalités de 27 Etats membres. En 1976, Brezinski devient le principal conseiller aux affaires étrangères de Carter. C’est un des artisans du soutien des moudjahidines afghans qui provoquera l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Il reconnait en 1979 avoir incité la Chine et la Thaïlande à soutenir les Khmers rouges cambodgiens face au Vietnam. « Pol Pot était une abomination. Nous ne pouvions en aucun cas lui assurer notre soutien, mais la Chine le pouvait ». Ces calculs de rivalités de puissance créent ou laissent faire des massacres. A Moi la Puissance nous dit le Créateur (1974/39-3), les rêves de puissance des humains les poussent à oublier l’amour universel et le respect de la vie humaine.

Il est important pour le reste du monde que le président US soit réfléchi et prévisible. En cas de dérive, des contre-pouvoirs solides peuvent limiter les dégâts qu’il pourrait causer par endoctrinement idéologique ou par ignorance. A l’époque des grands bouchers de l’humanité comme Hitler, Staline ou Mao, leurs peuples leur ont fourni des armées de serviteurs serviles, civils ou militaires pour commettre leurs crimes. La société américaine éduquée peut résister si elle n’a pas le réflexe patriotique de se ranger derrière son président quoi qu’il fasse.

1 Biden au pouvoir, un sage expérimenté et déterminé

Le président en exercice, Joe Biden, vient de décider de se représenter. Il fut d’abord élu en 1972, à moins de 30 ans, comme sénateur et constamment réélu avant de devenir vice-président sous Obama en 2008. Nous avons donc une grande visibilité sur ses décisions passées et ses valeurs personnelles. C’est un homme courageux. Il a surmonté le handicap d’un bégaiement de jeunesse et le drame d’un accident qui emporta son épouse et sa fille et blessa gravement ses jeunes fils.

Dans son autobiographie, Il liste les valeurs fondamentales « chères aux américains, la compassion, l’honnêteté, l’intégrité, la générosité, la liberté, l’espoir ». Il répugne au mensonge et tient à ses engagements. Même si la situation peut l’obliger à les réviser comme la vague d’immigration déferlant au Sud après le Covid et le chaos vénézuélien. Ces valeurs qu’il veut incarner ont été foulées au pied par des présidents comme Nixon ou Trump. Le mensonge est de plus en plus facile avec l’I.A., les manipulations de textes et d’images. Comme les fakes news qui posent un problème politique mondial : comment savoir qui est sincère et où est la vérité factuelle ?

Biden a beaucoup appris lors de sa longue carrière politique. Il n’a jamais hésité à aller sur le terrain pour se faire un avis personnel sur les actions à entreprendre. Membre du comité des affaires étrangères du Sénat, il est l’un des premiers, au milieu des années 1990, à demander la levée de l’embargo sur les armes à destination des musulmans de Bosnie après avoir écouté des victimes de crimes de guerre et rencontré Milosevic qu’il qualifiera de criminel de guerre.

Alors que les présidents européens, y compris Chirac, détournent les yeux par calcul politique, il réussira à convaincre Clinton puis le Congrès qu’il faut bombarder l’artillerie serbe, ce qui mettra fin au carnage à Sarajevo et ailleurs. Cette expérience lui a permis de comprendre l’urgence du soutien à l’Ukraine agressée alors que les européens tergiversaient. Il y a des interventionnismes américains qui sont justes et nécessaires pour protéger les victimes. Mais il leur est difficile d’appréhender de loin la situation des zones en conflit et les conséquences possibles des interventions.

L’avantage d’un président expérimenté est qu’il peut agir vite. Dès le soir de son investiture, Joe Biden signe 17 décrets. Dont le retour immédiat des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat et un autre rendant obligatoire le port du masque de protection dans les lieux publics fédéraux pour contrer la crise sanitaire. Il met fin à la « Commission 1776 », créée par Trump pour promouvoir un programme d’histoire conservateur dans les écoles américaines. Et à son décret « Muslim Ban », interdisant l’entrée des citoyens irakiens, iraniens, libyens, somaliens et soudanais sur le territoire américain. Il réintègre l’Organisation mondiale de la santé. IL signe un moratoire sur les forages d’hydrocarbures sur les terres et les eaux fédérales, et annonce l’organisation par les États-Unis d’un sommet de dirigeants sur le climat le 22 avril 2021, le jour de la Terre.

Le Congrès adopte son plan de relance à 1 900 milliards de dollars avec la distribution de chèques de 1 400 dollars à 90 millions d’Américains et la réduction de moitié de la pauvreté infantile à travers une série d’aides et d’allègements fiscaux. Pour financer son plan d’investissement de 2 300 milliards de dollars dans les infrastructures, il augmente le taux d’imposition sur le bénéfice des entreprises de 21 à 28 %. Il promulgue la loi sur la réduction de l’inflation en baissant les prix de différents produits tels que les médicaments. Il suspend l’expulsion des sans-papiers, et annonce l’annulation d’une partie de la dette contractée par les étudiants américains. Près de 43 millions de personnes vont bénéficier de cette mesure. C’est un beau programme conforme aux valeurs de solidarité !

Poursuivant le mouvement initié par Trump, il annonce le retrait total des troupes américaines d’Afghanistan. Les talibans en profitent pour lancer l’offensive et prendre Kaboul, alors que Biden pensait « très improbable que les talibans prennent complètement le contrôle du pays ». Les américains sont évacués dans la précipitation, sa cote de popularité devient négative. Il est associé à une image d’incompétence et de désinvolture comme Carter lors de la crise des otages américains en Iran. Il annonce la fin de l’ère des interventions militaires américaines et un recentrage de la force militaire du pays vers les « intérêts nationaux plus essentiels ».

Quelle que soit la qualité et l’expérience de leur président, le peuple américain et ses élus seront toujours handicapés par leur ignorance notoire sur ce qui se passe à l’extérieur de leurs frontières. Surtout dans le monde musulman : les américains musulmans ne sont que 0,9% de la population et le « melting pot » conduit assez rapidement les immigrés à se fondre dans la culture US.

2 Les guerres mondiales et l’émergence de la Bête du pouvoir aux USA

La centralisation et la militarisation des USA sont venues progressivement dans l’histoire du pays. Dans la rédaction de la première Constitution, le fédéraliste Hamilton joue un rôle déterminant. Mais l’impuissance diplomatique et commerciale de l’Etat confédéré et son incapacité à se financer impose un rééquilibrage. Washington, élu en 1789 fait appel à Madison qui convainc les « pères fondateurs » d’adopter une Constitution fédérale qui anticipe toute dérive tyrannique avec trois pouvoirs séparés et équilibrés.

Pour rassurer les opposants au pouvoir central, une Déclaration des Droits est ajoutée en 1791 avec dix amendements qui énumèrent les droits des citoyens. Le législatif y a la prééminence théorique, mais le judiciaire est important avec une Cour Suprême et des juges fédéraux qui tranchent les litiges dans la tradition anglaise des « us et coutumes », très différente de la tradition française d’interprétation par des juristes du texte fondateur.

Depuis la doctrine Monroe en 1823 qui s’autorisait à dominer tout le continent au nom d’un « destinée providentielle », les pouvoirs du président n’ont cessé d’augmenter malgré les précautions constitutionnelles. Plusieurs présidents ont utilisé les situations de guerre et de tension pour accroître leurs pouvoirs, leurs successeurs en profiteront sans les remettre en cause.

Quatre objectifs majeurs ont guidé historiquement la politique internationale des USA : la puissance pour défendre les intérêts nationaux, la paix garantie par un nouvel ordre mondial, la prospérité économique par le commerce et la défense de principes comme le soutien aux peuples opprimés et à la démocratie. Un idéalisme à géométrie variable. Elle ne les a pas empêchés de devenir après la guerre contre l’Espagne une puissance coloniale en avalant leurs possessions dont les Philippines.

Le peu d’intérêt des USA pour ce qui se passe en dehors du continent se modifie avec la seconde guerre mondiale. En 1917 avec l’accord du Congrès, Wilson déclare la guerre à l’Allemagne qui menace la liberté des mers et a coulé le Lusitania. Des effectifs militaires modestes sont envoyés, mais les USA renforcent leur armée, évolution qui s’accélère en 1941 avec Roosevelt après Pearl Harbour. Le pays s’engage résolument dans la guerre contre le Japon et l’Allemagne. Il devient une superpuissance mondiale dans une logique multilatéraliste en pilotant la création de l’ONU.

Roosevelt lance le New Deal pour sortir de la grande dépression et déjoue un putsch (post 47). Son vice-président Truman prend sa suite à sa mort en 1945. IL lance le plan Marshall pour aider l’Europe à se reconstruire. Ces deux présidents piloteront la montée en puissance économique et militaire des USA, le budget militaire passe au-dessus de 10% du PNB. La posture guerrière s’accélère avec la guerre froide et les guerres ouvertes de Corée en 1952, du Vietnam en 1964, de l’Irak en 2008 et les « opérations spéciales » comme l’invasion ratée de Cuba ou le renversement d’Allende.

La CIA, la puissante agence de renseignements des USA est fondée en 1947, de même que le National Security Council (NSC). Tous deux deviennent des administrations avec leur existence propre, concurrençant le département d’État et le département de la Défense. La NSA, National Security Agency, a été officiellement créée en 1952. Cette agence de renseignement se spécialise dans le traitement des communications électromagnétiques. Les progrès des satellites et des drones lui donnent maintenant les moyens d’écouter sans contrôle partout dans le monde. Après les attentats de 2011, la guerre sans fin contre le terrorisme sert de prétexte pour accroître des programmes de surveillance de masse. Ils feront scandale car l’espionnage s’étend aux alliés européens. En mai 2015 le Sénat rejette le projet de limiter les pouvoirs de la NSA.

Les lanceurs d’alerte comme Assange et Snowden sont harcelés par la machine guerrière US sans respect pour leur motivation de citoyens défendant la liberté et la vie privée. Assange risque 175 ans de prison pour espionnage s’il rentre aux USA, il se réfugie à l’Ambassade d’Equateur à Londres entre 2012 et 2019 avant d’être incarcéré par la police anglaise, et c’est la Russie qui accorde à Snowden l’asile. Les autres Etats n’osent pas aider ces citoyens courageux sous la pression américaine. La majorité des citoyens US, endoctrinés au patriotisme, considère ses initiatives comme néfastes.

Avec un budget militaire de 732 milliards $, les USA écrasent le reste du monde, la Chine est deuxième avec 261 milliards, suivie par l’Inde et la Russie avec 70 milliards, mais les USA sont technologiquement très en avance. Ils n’ont cessé d’augmenter leurs dépenses, poussés par le lobby de l’industrie militaire.

L’avertissement solennel du président Eisenhower quand il quitte le pouvoir en 1961, n’a pas été écouté : « Gardons-nous de toute influence exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques. Pour que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble ».

3 La montée en puissance du pouvoir du président US

La Constitution US est restée pratiquement inchangée, mais les aléas de l’histoire et les orientations des présidents successifs ont bouleversé les équilibres institutionnels. En théorie, les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont séparés et autonomes, et les américains sont très attachés à leurs institutions, mais les situations d’urgence ont constamment accru le pouvoir présidentiel, dès la guerre de Sécession où Abraham Lincoln suspend l’habeas corpus et transfère des fonds du Trésor sans l’accord du Congrès qui approuva rétroactivement ses décisions.

L’évolution majeure aux USA est l’émergence des deux grands partis, absents de la Constitution car ses rédacteurs se méfiaient d’eux. La logique partisane commence avec le clivage entre les républicains qui suivent Jefferson et les fédéralistes regroupés autour d’Adams. Il continue avec la diversification des sensibilités avec des démocrates pro ou anti-esclavage, des whig et des libertariens. Il se stabilise avec la fondation du parti républicain en 1854 qui regroupe ceux qui ne se reconnaissent pas dans le parti démocrate.

L’élection serrée de Lincoln en 1860 face à Douglas cristallise le bipartisme et le clivage géographique. Le Nord abolitionniste vote Lincoln, le Sud esclavagiste vote Douglas. Les dépenses croissantes pour les campagnes électorales, le rôle des lobbys et des grands donateurs aboutissent au duopole actuel républicains contre démocrates. Les partis de l’éléphant et de l’âne ne laissent pratiquement aucune chance aux candidats indépendants. L’argent devient déterminant pour prendre le pouvoir et rester influent. Le super PAC (250 Mn $) constitué par Trump sous prétexte de financer les recours juridiques de contestation de l’élection présidentielle lui permet de menacer les sénateurs qui ne l’appuient pas de financer des candidats concurrents aux prochaines élections.

Un autre changement majeur par rapport aux intentions de départ est l’affaiblissement de la Chambre des 475 représentants. Ils n’ont que deux ans de mandat et le clivage partisan a redécoupé les circonscriptions pour rendre très difficile la bascule d’un parti à l’autre. Ce ne sont pas des postes prestigieux et ils sont déterminés par les choix partisans. Les 100 sénateurs sont plus stables, mieux payés et peuvent lancer une commission d’enquête pour contrôler l’exécutif.

Les USA en 2023 sont un pays de plus en plus clivé entre les républicains et les démocrates avec des lignes de fracture sur plusieurs sujets majeurs. Dans ce contexte, même si le président ne peut dissoudre le Parlement comme en France, son rôle de chef du parti victorieux aux élections renforce son pouvoir. Même en période de cohabitation (possible à mi-mandat) avec un droit de veto surmontable à la majorité des 2/3 des deux assemblées, quasi irréalisable avec deux grands partis en équilibre. Seule la procédure complexe d’impeachment peut être réellement dissuasive.

Des pouvoirs du président sont listés dans la Constitution, mais il dispose de fait de pouvoirs implicites nécessaires pour agir dans sa fonction. Elle confie au président le devoir de veiller à l’exécution fidèle des lois. Si un chef de département de la branche exécutive gêne le processus, il peut le révoquer. Aux USA, les principaux postes de la haute administration sont attribués aux membres du parti présidentiel. L’alternance partisane conduit à un renouvellement important. Il n’y a donc pas ce contrepouvoir comme en France d’une haute administration légitimée par ses compétences et non par son orientation politique.

Les juges restent un pouvoir puissant aux USA, surtout la Cour Suprême qui peut s’opposer aux décisions du président. Mais il n’y a que 9 juges nommés à vie par le président après approbation du Congrès, donc un parti qui tient le pouvoir assez longtemps peut faire basculer la Cour Suprême dans son camp. C’est le cas actuellement avec les républicains les plus conservateurs. Il serait certainement judicieux, si les américains veulent conserver la nomination à vie, qu’ils portent à 18 juges l’effectif de la Cour Suprême. Par exemple en en ajoutant trois de plus tous les quatre ans. Ceci réduirait les risques des basculement de majorité et améliorerait la qualité de la réflexion collective. Mais il est très difficile de réformer les institutions US.

C’est surtout dans les situations de guerre que le président étend ses pouvoirs. Truman fut le premier chef de l’exécutif à initier une guerre importante sans passer par le Congrès ; agissant aux termes de deux résolutions passées par le Conseil de sécurité de l’ONU, il ordonna l’usage de la force armée contre la Corée du Nord en 1950 et le Congrès validera rétroactivement ses décisions. La guerre nucléaire sera évitée de justesse grâce à la fermeté et au sang-froid de Kennedy lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.

Le président américain est devenu déterminant dans l’équilibre mondial, sa puissance s’affirme pour le meilleur et pour le pire. Nixon lance la désastreuse guerre au Vietnam. Bush père patronne la guerre du Golfe contre l’Irak, affaibli par sa défaite dans la guerre contre l’Iran. Les bombardements intensifs en Irak détruiront ses infrastructures et tuent 100 000 soldats et autant de civils ! Il envahit Panama pour chasser le dictateur Noriega.

4 La dérive guerrière et sécuritaire sous les mandats de Bush junior (2001-2009)

Après les mandats présidentiels de Bush père (1989-1993) et de Clinton (1993-2001), Georges W. Bush remporte l’élection face à Al Gore avec 550 000 voix de moins, en raison du système archaïque des grands électeurs que le conformisme américain n’a jamais permis de réformer. Il avait été élu gouverneur du Texas dès 1994, et pendant son mandat 153 condamnés à mort ont été exécutés, alors qu’il dispose du droit de grâce. Il s’affirme comme pieux chrétien de confession méthodiste. Mais il a toujours soutenu la peine de mort sous prétexte de son effet dissuasif. Ceci n’a jamais été prouvé alors que les erreurs judiciaires l’ont été. Etrange christianisme !

Ses décisions ont été influencées par les idées des néoconservateurs. Il nomme Wolfowitz et Perle, deux représentants du mouvement, comme secrétaire adjoint à la Défense et président de la commission de la politique de défense. Ils bénéficient de la protection du vice-président, Dick Cheney, pour s’imposer à d’autres courants comme la droite chrétienne, évangélique et morale. Ou l’aile « réaliste » du parti républicain, représentée par Colin Powell ou George Bush père.

Leurs principes sont résumés dans le manifeste publié en 1996 par leur think tank « Project for the New American Century » : clarté morale et hégémonie bienveillante ; empêcher l’émergence d’une puissance rivale ; fin de la « complaisance » envers les dictatures ; refus du déclin de la puissance américaine comme première puissance démocratique du monde ; revalorisation de l’outil militaire. Ils les mettent en œuvre avec la volonté d’employer rapidement la force militaire, un dédain pour les organisations multilatérales car les USA peuvent agir de manière unilatérale et une tendance à voir le monde de manière binaire où les américains sont toujours du bon côté.

Les attentats de 2001 furent un traumatisme pour les américains sur leur territoire qu’ils pensaient hors de portée mais ils seront l’occasion pour Bush d’appliquer les méthodes des néoconservateurs. Immédiatement après, il s’adresse au Congrès afin revendiquer son autorité statutaire pour agir contre les Talibans et Al-Qaida en Afghanistan et, plus tard, contre l’Irak. L’invasion de l’Irak était déjà envisagée depuis 1998 par quelques proches de Bush convoitant ses gisements de pétrole. Le mensonge à la tribune de l’ONU sur les armes de destruction massive a permis sa mise en œuvre. Vingt ans après, la situation reste catastrophique dans les deux pays. Sa croisade pour la « démocratie » est un échec flagrant.

 Le Congrès approuve le USA Patriot Act de Bush qui efface la distinction juridique entre les enquêtes des services de renseignement extérieur et les enquêtes criminelles du FBI si elles impliquent des terroristes étrangers. Il crée aussi les statuts de combattant ennemi et combattant illégal permettant au gouvernement de détenir sans limite et sans inculpation toute personne soupçonnée de projet terroriste. Il y a eu quelques résistances, plus de 360 villes et comtés ont refusé d’appliquer le Patriot Act.

En 2002, Bush signe une directive secrète autorisant la NSA à mener un programme de surveillance sans l’autorisation judiciaire requise. Et il crée le Département de Sécurité Intérieure regroupant douanes et services d’immigration avec un commandement militaire unifié de défense du territoire accroissant le rôle du Pentagone. Les menaces d’un « Big Brother » décrit par Orwell deviennent une réalité ainsi que le mépris pour la liberté et la vie des étrangers. Les institutions US ne se préoccupent que de protéger leurs citoyens et ferment les yeux sur les exactions US dans d’autres pays. La création de la prison de Guantanamo près de Cuba, où les détenus sont emprisonnés sur décision des militaires et subtilement torturés en est l’illustration sordide.

Face à l’indignation d’une partie de l’opinion américaine et de l’opinion mondiale, la Cour Suprême réagit tardivement en juin 2004 avec l’arrêt « Enemy Combatant Cases ». Elle reconnaît aux détenus de Guantanamo le droit de comparaître devant des tribunaux américains. Les journaux américains saluèrent cette décision : « l’état de guerre n’est pas un chèque en blanc émis en faveur du président ». En 2006, elle réaffirme qu’elle est compétente pour connaître des affaires impliquant des personnes soupçonnées de terrorisme. Elle invalide les commissions militaires que l’administration Bush avait prévues pour les détenus de Guantanamo Bay.

Le Congrès détenant les cordons de la bourse, Murtha, un élu démocrate siégeant au House Appropriation Subcommittee on Defense, inclut une clause dans les projets de loi de budgets du Pentagone pour 2005 et 2006 interdisant l’usage de fonds fédéraux pour toute opération visant à obtenir des informations par des moyens qui violeraient le quatrième amendement protégeant la vie privée des citoyens américains. La réaction du public et du Congrès concernant la mise sur écoute de citoyens américains par la NSA fut plus ou moins étouffée par les déclarations du président Bush.

Voici les conclusions de l’article de 2006 par Louis Fisher (Les pouvoirs inhérents du président américain, une menace pour les valeurs démocratiques ?) : les contrepoids préservant les fondements d’un gouvernement constitutionnel ne dépendent que de la réaction du Congrès, du pouvoir judiciaire, des médias et du public. Quand les pouvoirs inhérents ne sont plus contrôlés, l’État de droit est réduit à la définition qu’en donne le président, et le gouvernement US se dirige de manière inquiétante vers l’autocratie.

5 Face à un président US trop puissant, une mission de rééquilibrage pour l’Europe ?

Les optimistes peuvent espérer que la dérive calamiteuse du président Bush junior n’est qu’un épisode malheureux de l’histoire US. Mais rien ne prouve qu’un autre président élu ne fera pas pire encore car le mensonge, on l’a vu avec Trump, est devenu un outil banal du discours politique et un cancer de la société américaine. Le lobby militaire n’a a jamais été aussi puissant.

L’idéologie de Bush était : « vous êtes avec moi ou contre moi », il a attisé le réflexe patriotique (support our troops). Sa stratégie a abouti à une cote personnelle élevée en 2003, même si elle s’est effondrée en 2008, quand les américains ont commencé à prendre conscience des dégâts commis. Les ingrédients du succès pour un populiste restent présents dans la culture US.

Obama, malgré sa posture de conciliateur et son talent d’orateur, n’a pas changé grand-chose dans la politique extérieure américaine. A part le redéploiement vers l’Asie des priorités américaines. Il a peu réagi à l’annexion la Crimée. Il n’a pas hésité à utiliser des drones tueurs et à envoyer des militaires pour assassiner Ben Laden au Pakistan. Il n’a pas tenu sa promesse de fermer Guantanamo et refusera de faire juger les suspects de l’attentat du 11 septembre par un tribunal civil.

Trump s’est beaucoup agité en déclarations sans suite et en imprécations. Mais à part le retrait de l’accord nucléaire avec l’Iran, il a pris peu de décisions lourdes de conséquences en politique étrangère. On peut même dire qu’en maniant la carotte et le bâton, il a relativement bien géré les menaces du dictateur coréen flatté de sa visite. Mais il s’est laissé manœuvrer par Poutine et a accentué la politique de confrontation avec la Chine.

Si Biden est réélu, nous aurons encore pour quelques années un président sage et réfléchi, sachant écouter et négocier. Mais ce sera son dernier mandat et tout peut arriver après 2028. Biden avait proposé à l’époque de Bush une partition de l’Irak entre chiites, sunnites et Kurdes. Ce n’est peut-être plus possible maintenant et dépendra en partie des résultats de l’élection turque. Comme l’Irak, l’Afghanistan est confronté au piège des Etats nations artificiels postcoloniaux (post 45).

Face aux autres puissances, Biden semble vouloir poursuivre la politique de confrontation avec la Chine suivie par son prédécesseur. Il n’a aucune illusion sur le clan Poutine, mais nul ne peut savoir quand sa mafia finira par disparaître dans les poubelles de l’histoire pour permettre enfin un dialogue constructif avec le peuple russe. En attendant, il est fort probable que les USA continueront à dominer la scène militaire mondiale.

Que peuvent faire les européens pour réduire les risques de guerre dans ce monde troublé ? Malgré mon pacifisme affirmé, le réalisme me fait dire que l’Europe doit s’affirmer comme puissance militaire en sortant de la pratique du « chacun pour soi » des nations européennes. On peut espérer que le drame ukrainien servira de leçon aux européens prenant le rôle de l’agneau face au loup de la fable. Ils ne doivent plus attendre des USA qu’ils jouent le rôle de gendarme du monde. Surtout si le gendarme est trop puissant et qu’il couve des voleurs. Un rééquilibrage multipolaire est en cours et l’Europe divisée est insignifiante.

Une armée commune et une politique européenne dans le secteur de l’armement sont donc incontournables, en partie pour se protéger du risque russe, mais aussi pour défendre les victimes des guerres ailleurs dans le monde, en Afrique et au Moyen Orient, en particulier, en raison de leur proximité géographique et des risques de conflits. Certes l’héritage du colonialisme rend difficile pour les européens d’aider des régions, mais il peut être dépassé. Revoyons nos politiques d’immigration (post 54) pour tenir compte des besoins de nos voisins du Sud. Soyons plus humains !

Le génocide au Rwanda, les 4 millions de morts au Congo, la guerre en Ethiopie, toutes ces horreurs auraient pu être minimisées voire empêchées si l’Europe s’était donné tous les moyens politiques, militaires, économiques et financiers pour mettre hors d’état de nuire les seigneurs de guerre et leurs suppôts. Sous la pression des ONG, on commence à demander des comptes à ceux qui blanchissent en Europe de l’argent douteux. Il faut une politique européenne qui rende les contrôles et saisies vraiment dissuasives.

Il y a un peuple américain avec ses forces et ses faiblesses qui peut limiter le risque d’une Bête du pouvoir refaisant surface dans ce grand pays. Ce peuple porte des valeurs de liberté, de charité chrétienne, et on peut espérer qu’il se libérera des clergés religieux -ce que nous ne pouvons faire à sa place-. Ils retrouveraient alors le Message de l’Evangile. Voir en l’étranger un frère, aimer son ennemi et lui pardonner, est plus digne que se soumettre aux décisions arbitraires des pouvoirs institutionnels et des légistes et policiers qui les servent. Surtout quand ils décident de tuer, la peine de mort est un archaïsme qui les rapproche des sociétés rétrogrades.

Il n’y a pas un mais des peuples européens, le risque y est faible de voir émerger une dangereuse Bête du pouvoir, mais ceci rend laborieuses les négociations pour définir une unité d’action dans les domaines où elle est nécessaire car elle doit s’accompagner du respect et de la promotion de la diversité dans les domaines où la décentralisation est la meilleure solution. Ce qui pose aussi la question des valeurs qui nous sont communes (post 74) au-delà des fondamentaux, liberté et respect de la vie humaine.