Le post 32 sur l’antisémitisme a été publié il y a près de trois ans. L’histoire s’est accélérée pour le pire depuis le 7 octobre 2023. Mais votre petit bloggeur a progressé dans la connaissance de ses frères juifs. D’abord, j’ai pu sentir à quel point mes amis juifs vivant en France ont été bouleversés par les drames dans cette région historique qu’on peut appeler Canaan pour ne pas être vu comme partial, car si Israël est un Etat bien défini, ce n’est pas le cas des territoires où vivent les palestiniens.

J’ai pu aussi prier dans plusieurs synagogues, consistoriales (ou libérales qui ont ma préférence, car comme à La Mecque, hommes et femmes y prient côte à côte). Dans ces prières collectives ferventes, j’ai eu parfois l’impression que l’histoire sainte s’était arrêtée pour mes frères juifs il y a quelque 3000 ans. Ils attendent toujours l’arrivée d’un Messie. Les enseignements du juif Jésus et du prophète Muhammad sont hors sujet. La référence est Moïse, messager et prophète, et la tradition écrite et orale des rabbins qui s’y réfèrent. On y chante des psaumes attribués surtout au roi David, donc quelques siècles après Moïse, et on commente la Torah.

Or je suis intimement convaincu que les enseignements oraux donnés par Moïse il y a plus de 3000 ans sont difficiles à reconstituer, même si je dispose de ce que dit le Coran à son sujet. Et que, comme Jésus l’enseignait, ils ont été complexifiés par les scribes et pharisiens dont les rabbins sont les héritiers spirituels depuis la destruction du Temple de Jérusalem. De plus, ma référence absolue est ce verset du Coran : pas de contrainte en religion (2/256). Donc je respecte l’importance que la tradition juive donne au respect de la halakha, la loi attribuée à Moïse, mais je n’y suis pas tenu, pas plus qu’à la charia, la loi développée par des juristes se réclamant du Coran.

Un autre point de différence avec mes frères juifs sur l’antisémitisme est que je n’en ai jamais été directement la cible. Je ne peux donc vivre comme eux cette menace terrible, récurrente depuis deux millénaires en Europe. Pour réfléchir à ce problème majeur pour la fraternité entre humains, il faut donc interroger ceux qui sont directement concernés sur leur perception de l’antisémitisme tel qu’eux et leurs proches l’ont vécu. Et réfléchir avec eux sur le long chemin à parcourir pour le vaincre en éradiquant l’ignorance qui le nourrit.

Notre dialogue se fera avec des camarades d’études, dans la même école d’ingénieurs (l’X). Je leur demande de témoigner de leur expérience personnelle et celle de leurs proches, de leur perception de l’antisémitisme et de réfléchir aux moyens d’y faire face. Ce post est le plus long de ce blog, mais je tiens à préserver la richesse des témoignages de mes camarades sur un sujet grave et chaud.

1 Des expériences d’antisémitisme avant 2000

Antoine (AB) : Commençons par YZ, qui a eu l’amabilité de commenter l’entrée sur Gaza de mon blog,

YZ : La génération de mes parents a connu l’exil, il y a 60 ans : partis de Tunisie pour fuir les discriminations juridiques de l’Etat post-colonial. La France nous a très bien accueillis, je lui serai éternellement reconnaissant pour cela. Mais être juif en diaspora, ce n’est pas simple tous les jours. Tout d’abord la prise de conscience du fait d’être juif. J’étais scolarisé jusqu’à la 6e dans des établissements publics, j’allais en cours le chabbat mais ne mangeais pas à la cantine. Mes parents étaient pratiquants et m’ont ensuite envoyé dans une école juive moderne orthodoxe.

C’est en quittant cette école, en classe de 4e que remonte mon plus lointain souvenir sur ma judéité : un garçon m’a demandé si cela ne me dérangeait pas de faire partie du peuple qui a tué Dieu ? Grande nouvelle pour moi, Dieu était mort et nous en étions responsables ! Ce garçon sympathique voulait simplement me dire qu’il savait que j’étais juif car son frère avait eu mon oncle comme prof de maths.

Par la suite, je passais pas mal de temps avec des camarades de classe qui m’emmenaient à l’aumônerie de l’église d’Auteuil. Le plus ardent étant un certain Marc Weizman qui est venu un jour me demander de lui traduire une médaille en hébreu léguée par son grand-père. Les rapports entre juifs et non-juifs ne me semblaient pas compliqués, vécus dans le respect mutuel, et sans violence.

AB : Tu étais mon partenaire de bridge en 1970 et nous nous sommes bien amusés à faire fonctionner nos neurones en tandem. A l’époque, j’ignorais tout de l’antisémitisme. Je ne savais rien de ton contexte familial. Quelle fut ton expérience de l’antisémitisme ?

JP : Je suis juif pied-noir, mes plus lointains ancêtres étaient en Algérie depuis le IIème siècle. Ils ont été éduqués par les Juifs chassés d’Espagne au XVème siècle et sont devenus français en 1870 (mes 16 arrière-grands-parents sont tous de nationalité française !). Nous sommes venus à Nice en juin 1962 juste avant l’indépendance. Les Français n’ont pas bien accueilli les pieds-noirs mais sans antisémitisme. J’ai fait mes études au Lycée Masséna, puis à l’X et ai suivi une carrière d’ingénieur. J’ai passé ma bar-mitzvah avec conscience et croyance en 1964. Mais j’ai cessé de croire en 1971. J’ai très peu ressenti l’antisémitisme sauf peut-être en Algérie où les Français « de souche » étaient très antisémites, comme l’histoire l’a montré depuis 1954. Je suis marié à une chrétienne et mes enfants ont été élevés sans religion.

AB : Ton nom de famille est un marqueur de tes origines juives. Cette identité a-t-elle fait de toi et de tes proches une cible privilégiée pour les antisémites ?

GC : En fait, pour moi, pas vraiment. Je me permets toutefois de mentionner l’expérience de mon épouse : venant de Tunisie elle aussi, elle a commencé en CE2 à Champigny-sur-Marne, et à la rentrée la personne en charge du catéchisme est passée dans sa classe : « Vous allez tous au catéchisme, n’est-ce pas ? » Mon épouse lève le doigt : pas moi ! » « Et pourquoi ? » « Parce que je suis juive ! » Et alors tous les élèves se retournent vers elle en scandant : « Elle a tué le petit Jésus ! Elle a tué le petit Jésus ! » Bel accueil, non ?

Je ne résiste pas malgré tout à citer ma propre expérience, qui n’est pas juridiquement antisémite car ma judéité n’a jamais été évoquée : arrivé en France pour la rentrée 1961 au Lycée Hoche, à Versailles, j’ai dû le quitter avant la fin du 1er trimestre, après avoir été vidé 2 jours puis 8 jours par suite du nombre d’avertissements reçus d’un seul professeur, dont je me souviens de la proximité physique avec un certain Jean-Marie Le Pen… Cela étant dit, c’est la seule fois où j’ai pu ressentir l’antisémitisme.

AB : Ce qui est arrivé à ton épouse me parait inimaginable maintenant car l’idéologie de l’église romaine s’est effondrée en France comme un château de carte en à peine plus d’une génération. Ils avaient pourtant cultivé pendant deux millénaires cet antijudaïsme primitif. J’espère que l’antisémitisme importé de certains musulmans de France et attisé par l’ultra gauche et le conflit palestinien retombera comme un soufflé. Mais il faut le combattre résolument et sans tarder. Beaucoup de nos frères juifs ont dû fuir l’Afrique du Nord à la hâte. Pourquoi ? Ce problème peut-il se répercuter sur les jeunes immigrés ?

YZ : C’est lié à l’indépendance des pays du Maghreb. Les juifs d’Algérie sont partis massivement dans les années 50-60 par crainte des répercussions de la guerre avec la France. Les juifs de Tunisie sont partis massivement dans les années 60 parce que la jeune république tunisienne a réduit la liberté d’action économique des juifs. Le départ du Maroc s’est fait plus en douceur et il subsiste encore une présence juive au Maroc. Ce n’est pas l’antisémitisme ou des attentats qui ont provoqué l’exil, mais la peur de devenir des citoyens de deuxième classe. Arrivés en France, ces juifs d’Afrique du nord n’ont pas été confrontés à un antisémitisme maghrébin dans ces années-là.

AB : Ce sentiment, justifié ou non, d’être un citoyen de deuxième classe est assez largement partagé dans la communauté arabe ici.

YZ : En revanche, la paupérisation progressive des banlieues (surtout 93 et 95), ainsi que l’importation du conflit israélo-palestinien par des prédicateurs malfaisants et des médias donnant trop d’importance à ce conflit, ont provoqué une explosion des actes antisémites par des maghrébins au début des années 2000. Les attentats du 11 septembre, la guerre de l’Occident en Afghanistan puis en Irak ont alimenté un choc de cultures, et une volonté d’en découdre au nom d’une « islamophobie » dont on peut largement discuter la pertinence. Depuis 20-25 ans, la majorité des actes antisémites en France vient de ces milieux.

AB : Mes recherches me font penser que l’islamophobie est un mot imprécis et insidieux.

YZ : Tous les maghrébins ne sont, Dieu merci, pas biberonnés à l’antisémitisme. Mais il y a un fond commun, un sentiment d’injustice lié à la création d’Israël, ressenti du Maroc au Liban, y compris par les chrétiens. J’ai été étonné d’entendre des camarades chrétiens libanais évoquer la naissance d’Israël comme une injustice envers le monde arabe. Le plan de partage de 1947 a été mal expliqué et reste mal accepté.

AB : Un plan de partage onusien n’est pas nécessairement considéré comme juste par les populations concernées. L’attentat contre la synagogue de Copernic, en 1980 fut le premier contre les juifs en France depuis la deuxième guerre mondiale. Après avoir soupçonné les milieux d’extrême droite, l’enquête a établi que les commanditaires venaient du Liban. C’est le début de l’antisémitisme importé de cette région.

YZ : Ce fut une première rupture, la prise de conscience, surtout avec la sortie de Raymond Barre sur les « français innocents », que cette vie facile cache des non-dits. Puis il y eu l’attentat de la rue des Rosiers, en plein été. Et celui, passé plus inaperçu, contre un restaurant universitaire rue Médicis. J’ai fréquenté ce restaurant durant mes années de prépa, nous étions contents de trouver une cantine kasher bon marché.

A l’X, en 1984, nous étions une vingtaine de juifs et l’antisémitisme n’existait pas. Mais à l’armée, c’était une autre histoire. Mes contraintes alimentaires m’ont valu quelques remarques déplacées, et je me souviens encore du regard méprisant des officiers qui fréquentaient le mess de Sarrebourg.

AB : Manger kasher ou hallal est un marqueur social qui arrive tôt dans la vie.

JP : Dans l’ensemble, je n’ai pas subi de remarques malgré mon nom et mes origines. Il est possible que le fait d’être juif m’ait nui dans ma carrière, je ne sais pas.

YZ : Ma vie professionnelle n’a pas été marquée par un antisémitisme flagrant, bien au contraire. Dans mon entreprise, tout le monde ou presque connaissait mes origines, ce qui m’a valu un poste détaché en Israël durant les années de la seconde intifada. La seule remarque déplacée fut celle d’un collègue en 1990, après une attaque de Scud : « Israël ne va quand même pas nous faire chier pour une ou deux petites bombinettes sur la tête ! ». Je n’ai plus déjeuné avec mes collègues durant dix ans…

GC : Pas plus pour moi, si l’on excepte le fait que je n’ai pas pu participer à des projets situés dans des pays arabes… à l’exception notable de l’Aéroport de Bagdad, sur lequel ma mission a été cachée !

2 L’impact des crises au Moyen Orient

YZ : L’intifada de 2000 crée un choc dans les banlieues, très bien relaté dans le livre de Bensoussan (« Les territoires perdus de la République »). Une journaliste américaine m’avait interrogé sur la montée de l’antisémitisme. Je lui avais répondu qu’avec des dizaines de restaurants kasher à Paris on pouvait vivre son judaïsme sans crainte. Difficile de qualifier la France de pays antisémite ! J’étais naïf et manquais de vision.

Plusieurs événements ont tout changé. D’abord l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006. Parce que juif. Puis l’attentat de 2012 à l’école Ozar Hatorah, précédé de l’assassinat de trois militaires. Cela relevait plus pour moi d’un attentat du genre de ceux pratiqués par Action directe, contre le système. Là, on s’en prenait à des enfants – l’image de la petite fille abattue et filmée à bout portant me rappelle immanquablement les images du 7 octobre… Puis il y eut l’hyper cacher, Mireille Knoll, Sarah Halimi.

Alors la France pays antisémite ? Non certainement pas. Mais une partie de la population qui réside en France l’est assurément. Je reste pour ma part farouchement soupçonneux vis à vis des dirigeants du RN. Leur propension à mettre du soutien à Israël ou aux juifs de France est une forme de taqîya (dissimulation pratiquée par les islamistes). Mais il y a surtout l’antisémitisme d’extrême gauche, qui puise sa justification dans le conflit entre Israël et les Palestiniens. Il a pris une forme tangible et beaucoup plus visible en 2014, mais il couvait déjà dans les banlieues. Et ces antisémites-là maquillaient leur haine des juifs sous un antisionisme plus « respectable ». Si quelqu’un passe sa vie à critiquer Israël, cela s’apparente à une maladie. Et l’antisémitisme est une maladie très contagieuse, dont très peu guérissent.

JP : Je me passionne pour l’archéologie biblique (cours de Römer, livres de Finkelstein) et je prends conscience de l’antisémitisme français. Il s’accentue avec le conflit Israël-Palestine et l’accroissement des musulmans ici. Je discerne plusieurs sources : l’une décroissante (l’antisémitisme chrétien) et les autres en pleine explosion. Un antisémitisme traditionnel français, apparu avec le monde industriel – XIXème siècle (les juifs gouvernent le monde, tiennent la finance et les médias…). Drumont et Maurras à droite, Proudhon et Blanqui à gauche. Renforcé au XXIème à l’extrême droite (complotisme), à l’extrême gauche (LFI) et dans les classes populaires pauvres (gilets jaunes). Il est en fait latent dans toute la société française comme le racisme antinoir et anti-arabe. C’est la « crainte de l’étranger » exacerbée par la peur très française du déclassement et de la perte des avantages acquis. Dieudonné et Soral l’ont qualifié d’antisionisme, ce qui permet une « couverture ». Et un antisémitisme musulman à cause de la guerre Israël-Palestine très répandu dans la communauté. Une certaine gauche (LFI, PC, EELV, PS) défendant les opprimés, adopte ce langage, quelquefois par électoralisme.

AB : Constatez-vous une aggravation depuis l’attaque du Hamas en 2023 ?

YZ : Le 7 octobre est venu libérer la parole. L’antisioniste est devenu un antisémite ostentatoire. Une page du « Monde » signée par V. Lemire et l’avocat juif de Mélenchon, distinguait deux antisémitismes, l’un de gauche, résiduel et respectable, le second de droite, structurel et condamnable. À vomir. Il suffit de changer antisémitisme par homophobie, pédophilie ou même islamophobie pour voir que ceci n’a aucun sens.

AB : Aucun antisémitisme ne peut être qualifié de résiduel. C’est une menace qu’il faut combattre sans répit. Mais les antisémites des extrêmes de gauche ou de droite, aussi condamnables l’un que l’autre et dangereux, ne fonctionnent pas à partir des mêmes pulsions et références. Pour combattre un adversaire, il faut bien examiner ses forces et ses faiblesses. Qu’en pensez-vous ?

JP : De gauche comme de droite, c’est le même antisémitisme qui part du XIX° siècle et qui considère les Juifs comme une minorité trop influente et donc responsable des maux. Les dernières sorties de T Portes, D Guiraud, S Chikirou ou S Rousseau auraient très bien pu être faites par M Le Pen ou un de ses députés.

YZ : L’impact de cet antisémitisme dévoilé est énorme. Dans ma famille et parmi mes amis proches, il y a eu des votes RN – ils s’étaient déjà entraînés avec Zemmour. Mais plus tragiquement, l’Alyah, (1% des juifs français, et jusqu’à 2% les années d’attentat) va exploser. Ma famille proche ne voit plus son avenir en France. Mes amis se rendent « liquides » : on vend les appartements, au cas où il faudrait partir vite.

L’antisémitisme est devenu un problème majeur, alors qu’il n’était qu’un souci secondaire durant les 50 premières années de ma vie. Je vis avec, et ma famille aussi, depuis les attentats de Toulouse. À l’école tout d’abord, où la sécurité a été assurée par des policiers, puis par Vigipirate, puis désormais par des parents investis dans un rôle de protection de leurs enfants. Ma synagogue est protégée et ultra surveillée. Mais quand je me rends dans d’autres lieux de culte juifs, je crains toujours un attentat du genre Bataclan. Dans les restaurants kacher, je m’assois toujours face à la fenêtre, pour observer qui passe devant, une pratique adoptée pendant ma vie en Israël à l’époque des attentats à répétition.

AB : J’ai effectivement un ami juif, invité dans un café, qui m’a demandé de changer de place pour être face à la fenêtre.

YZ : Il va de soi que je ne porte jamais de kippa dans la rue. Aucun signe d’appartenance, si ce n’est ma tête de bon juif sépharade que j’ai du mal à cacher.

AB : En allant prier à la synagogue de Beaugrenelle, j’avais pris soin de mettre une casquette même s’il y a des kippas à disposition. L’agent de sécurité nous recommanda d’ôter la kippa en sortant. Je vois assez souvent des juifs avec la kippa dans les rues que je salue d’un Shalom ostensible, mais je comprends la prudence. Une synagogue est une cible pour les détraqués.

YZ : Ma femme m’a offert le pin’s jaune pour demander la libération des otages. Je ne l’ai porté qu’une semaine à cause des regards perçus comme hostiles et insistants dans le métro. La peur, l’angoisse, nous obsèdent.

AB : Je pense qu’il serait mieux d’avoir un pin’s demandant la libération à la fois des otages israéliens et des prisonniers politiques palestiniens. S’il y en avait un, je le porterais mais je sais que ma position d’amour universel est marginale. Quand je suis allé à la manifestation contre l’antisémitisme à Paris, je n’ai vu que des drapeaux français. Ce qui m’a permis de témoigner à certains manifestants de mon refus d’honorer ce chiffon tricolore associé à « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! ». Je ne me lève jamais ni ne chante quand résonne la Marseillaise. S’il fallait utiliser un drapeau, j’aurais pris un chiffon blanc ou bricolé pour cette manifestation en adjoignant les emblèmes d’Israël et de la Palestine. Je ne suis pas sûr que cela soit compris ou apprécié, mais j’ai mes convictions.

GC : Une observation sur ton propos, j’allais dire petite, mais pas tant que ça. On ne peut, on ne doit pas mettre les otages israéliens kidnappés par le Hamas et les prisonniers palestiniens en Israël sur le même plan ! D’abord ce ne sont pas des prisonniers « politiques », ce sont des délinquants, responsables d’attentats.

AB : Je précise. Tous les otages sont incontestablement des victimes. La libération simultanée d’otages et de prisonniers est un point central des négociations, ce n’est pas moi qui les mets sur le même plan. Les médias que je consulte présentent plusieurs témoignages de prisonniers qui ont passé des années en prison sans aucune procédure judiciaire leur permettant de se défendre. L’indépendance du système judiciaire n’est pas évidente en Israël. De plus, il y a partout des condamnés victimes d’erreurs judiciaires. Mais faire la différence entre des prisonniers qui restent dangereux et des personnes mises en prison pour leurs idées ou leur propos n’est pas évidente. D’où mon recours à l’expression « prisonniers politiques ».

JP : Je n’ai pas de remarque, car n’étant pas croyant ni religieux, je ne souffre pas de propos ou d’actes violents.

YZ : Quant au 7 octobre même, ce que beaucoup de compatriotes ne perçoivent pas, c’est qu’en étant la plus grosse communauté juive de diaspora après celle des US, la communauté juive de France a des liens forts avec les israéliens, très forts même. Parmi les familles de victimes, celles des otages, ou celles de soldats tombés à Gaza, nous avons presque tous des connaissances. Le monde juif a un petit diamètre, on en fait rapidement le tour sur un réseau social. Le traumatisme est total. Nous avons connu un pogrom, le premier du XXIème siècle, le premier retransmis en direct sur Telegram. Les séquences vidéo vues dans la nuit du 7 au 8 sont encore gravées dans nos esprits. Tués parce que juifs.

AB : De ce traumatisme de mes frères juifs, j’ai bien conscience. Mais je ne peux dissocier ce drame de ceux que vivent mes frères palestiniens depuis trop longtemps.

JP : J’ai une sœur ultra-orthodoxe qui vit à Jérusalem depuis 30 ans avec sa nombreuse famille. Je prends régulièrement le pouls de la société israélienne. Ils détestent majoritairement Netanyahou, considèrent que les otages sont morts ou quasi, que les Palestiniens n’ont que ce qu’ils cherchent. Ce sont eux qui ont déclenché la guerre et qui refusent de se rendre. De toute façon, il est historiquement prouvé que les dirigeants (Arafat, Abbas, Haniyeh) ne peuvent accepter une solution à deux Etats (qui leur a été offerte sur un plateau par Rabin, Barak et Olmert) et ne veulent que la destruction des Juifs. Et ils éduquent leurs enfants dans ce sens (au biberon comme l’a quasiment dit un sociologue musulman, Smaïn Laacher). En fait, le partage est insupportable car le juif ne peut régner sur une terre musulmane et doit être rejeté dans son statut de dhimmi. Les Israéliens en ont finalement pris leur parti. Pour revenir à l’antisémitisme, dès le 8 octobre, avant toute riposte israélienne, les déclarations anti-israéliennes ont fleuri dans tous les pays…

AB : La lourde erreur ici est d’assimiler tous les palestiniens ou tous les israéliens juifs à leur pouvoir politique, le Hamas ou Netanyahou. La majorité des civils innocents subit la double peine des crimes de guerre et des soupçons de collusion. La solution à deux Etats a été écartée par des dirigeants palestiniens à l’époque du panarabisme et dans une surenchère belliqueuse politiquement payante voulant rejeter l’immigration juive massive orchestrée par les anglais. Même si on ne veut pas comprendre le besoin de nos frères juifs de disposer de la protection d’un Etat à eux et leur attachement à la Judée Samarie, tout esprit réaliste sait qu’ils ne repartiront pas et ont la puissance militaire. Il ne faut pas surestimer ce statut de dhimmi qui n’est pas dans le Coran, un choix d’organisation sociale à l’époque du califat. Il est totalement dépassé, je n’en ai jamais entendu parler dans mes voyages en pays musulmans. Les barbares de Daesh et autres fanatiques ne pourront jamais ressusciter ce qui a fini dans les poubelles de l’histoire.

GC : Alléluia ! Si tu crois vraiment ce que tu dis, tu es encore plus naïf que tu ne croyais !

AB : Je suis sincère et relate mes échanges avec les innombrables personnes à qui j’ai parlé, mais j’étais pour eux soit un occidental en voyage, soit ici un « français de souche ». Certains doutaient de ma foi dans le Coran. Je revendique la naïveté comme une qualité spirituelle (voir post 22 : les matériaux du pilier de non-jugement sont douceur, naïveté, mansuétude, rémission et bienveillance).

YZ : Ce que beaucoup de compatriotes ne perçoivent pas non plus, c’est que dans la campagne antisémite qui sévit en France et ailleurs (les US ou le Royaume-Uni n’en sont pas exempts), nous sommes également victimes d’un discours qui cherche à influencer le public non juif et l’embarquer dans un antisémitisme de bon aloi. D’où ma réaction à ton post sur le mot « génocide ». Détourner des termes comme génocide, apartheid, résistance, Front populaire et maintenant No pasaran, cela fait partie d’une démarche stratégique : vider les mots de leur sens commun, pour créer un discours où le Palestinien est le faible, et le juif le colonisateur.

JP : Oui, de tout temps, pour qualifier la politique d’Israël envers les Palestiniens, sont utilisés sans précautions les termes génocide ou apartheid associés à des expressions criminalisantes comme « nettoyage ethnique » ou « crimes de guerre », voire « crimes contre l’humanité ».

AB : C’est tout le problème des guerres asymétriques. Israël est devenu une puissance militaire dominante dans la région. J’ai bien précisé qu’il n’y a pas de guerre sans crimes de guerre et donc criminels de guerre des deux côtés condamnables par des tribunaux (dont la légitimité n’est presque jamais reconnue de comme le prouve le cas de Poutine). Et je ne me prononce pas sur la validité juridique au regard du droit international humanitaire des termes utilisés par divers médias, ce n’est pas mon job. Les enquêtes judicaires et condamnations ciblent les deux belligérants.

YZ : Voir des compatriotes exploser de joie le soir du 7 octobre – LFI, le NPA, les indigènes de la République -, brandir un drapeau palestinien à l’Assemblée nationale ou défiler à République tous les soirs en criant Palestine willl be free (ce qui équivaut à rayer Israël de la carte, ne te trompe pas), c’est un point de bascule. Voir les candidats de LFI siéger et parader, constitue une menace tangible. Bref, la fin de la communauté juive de France est proche.

AB : J’espère que non ! La France a un réel problème d’extrémisme politique lié au discrédit des politiciens et à leurs surenchères pour faire parler d’eux. Il faut récuser avec force le double déni qui consiste à vouloir priver les palestiniens et les israéliens d’un endroit où ils peuvent vivre en paix avec leurs voisins (le terme utilisé par l’ONU) et bénéficier des services publics qu’ils ont choisis eux-mêmes. La situation actuelle rend la négociation très difficile mais il n’y a pas d’autre solution et nous ne pouvons pas le faire à la place des résidents locaux.

JP : Ce qui est réconfortant, c’est que les « écarts » d’une R. Hassan ou de S. Chikirou sont aussitôt attaqués en justice, mais on ne voit pas venir les condamnations…

AB : Une émigration massive de nos frères juifs serait un drame pour nous et pour la France. Drame spirituel et choc économique car les juifs ont toujours été des créateurs de richesse exceptionnels par leur sérieux au travail, leurs compétences professionnelles et managériales et leur esprit d’entreprise. La France a toujours été et restera, n’en déplaise aux discours d’extrême droite, un pays avec un flux important d’immigration et d’émigration. Une de mes amies a émigré en Israël parce qu’elle s’est mariée avec un juif pieux ultra-orthodoxe, mais c’est un choix spirituel. Partir par peur, c’est autre chose ! La conséquence est que notre société française doit non seulement tout faire pour vous protéger des fanatiques, mais aussi s’efforcer de mieux vous comprendre et de vous aimer car tous les êtres humains méritent d’être aimés, parfois avec vigilance face aux déboussolés qui peuvent vous menacer.

JP : La majorité de la population rejette LFI, mais le RN nous guette…

AB : Oui, il ne faut jamais oublier que les députés ont voté les pleins pouvoirs à Pétain. Je ne crois pas qu’il avait l’intention de persécuter les juifs, mais quand on offre le pouvoir à des hommes et des partis autoritaires, tout peut arriver par la suite. Je ne sous-estimerai jamais le risque du RN et suis atterré par l’irresponsabilité de ceux qui les soutiennent, ne serait-ce que par un vote protestataire. Idem pour LFI.

3 Antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme

AB : j’ai évoqué cette évolution historique dans le post 32. Delphine Horvilleur, qui enseigne dans ma synagogue de cœur, a publié « Réflexions sur l’antisémitisme », et en conclusion, elle nous dit avec son humour brillant : « Comment venir à bout du juif… Il suffit de faire croire au Juif qu’il sait précisément à quoi sa judéité tient ! Et alors, il n’y en aura plus. D’ici là, je crains qu’il (l’antisémite) ne doive faire avec. » Pouvez-vous partager ici vos réflexions sur ce que signifie la judéité et comment vous la vivez ?

JP : Je vis très fortement ma judéité (et pas mon judaïsme, comme vous l’avez compris). D’abord parce que ce sont mes racines : je m’intéresse à l’histoire juive, à celle d’Algérie, de France et du monde. Je la vis également dans mon amour de la musique (Mahler, Bernstein). Enfin et surtout, je vis ce qui se passe en Israël et je ressens de plus en plus l’antisémitisme mondial croissant comme une grande menace pour les Juifs.

YZ : Issu d’un milieu orthodoxe d’origine tunisienne, je me définis comme un « moderne-orthodoxe ». Je respecte la grande majorité des mitsvot, sans être ultra-orthodoxe. Je ne porte pas, par exemple, de ceinture de chabbat, accessoire que je considère franchement ridicule. Je respecte le chabbat et les fêtes juives (avec les deux jours de diaspora), la cacheroute, tout en m’autorisant à manger une salade ou un poisson grillé dans un restaurant non cacher, uniquement quand mon activité professionnelle le requiert. Bref, je vis ma judéité sans problème, et il faut bien reconnaître que c’est plus facile en France que dans certains pays.

Je ne cache ni mes origines et mes pratiques ni mon lien affectif vis à vis d’Israël. J’en parle régulièrement sur mon blog. Quant aux antisémites, ma pratique quotidienne de Twitter m’a montré qu’ils prennent de plus en plus d’importance et s’expriment ouvertement, sans réelles craintes de poursuites. Je suis donc très pessimiste pour la communauté juive de France, qui se pose aujourd’hui des questions sur son avenir.

AB : Peut-on distinguer le sionisme du projet de Herzl, celui de la Déclaration d’indépendance de 1948, et celui de Netanyahou ?

JP : Comme je l’ai dit l’antisionisme n’est qu’une couverture pour cacher son antisémitisme. De plus, le sionisme n’existe plus…

YZ : Pour moi, antisionisme et antisémitisme sont maintenant les deux faces d’une même médaille. Certains pensent que la solution c’est l’assimilation, d’autres pensent qu’il faut au contraire chercher à protéger les juifs religieux. Et quand le premier congrès sioniste mondial se réunit, c’est sous l’impulsion d’un Herzl qui, originellement adepte du premier point de vue, a compris en voyant Dreyfus victime d’une campagne antisémite bien qu’il soit un juif largement assimilé, que l’assimilation n’était pas la solution. L’émancipation était la seule issue.

Y a-t-il une différence entre le sionisme de Herzl et celui de Netanyahou ? Absolument pas. Le sionisme est un concept unique : l’autodétermination du peuple juif. C’est un mouvement d’émancipation un peu équivalent à celui qui a permis à de jeunes Etats européens de se former, en 1848 ou en 1918. Voir le sionisme qualifié de colonialisme est une vaste foutaise, un détournement sémantique comme ceux évoqués plus haut.

AB : Les expropriations décidées par l’Etat, les occupations illégales et les violences abusives exercées par des colons juifs armés expliquent cette référence au colonialisme.

YZ : Israël est un petit pays de 22000 km2 environ, bordé par la mer et des pays arabes qui lui ont été hostiles depuis le début. Son existence est étroitement liée à sa sécurité. Les Etats-Unis ou la France n’ont pas ce problème. L’Egypte ou la Syrie non plus. Mais Israël doit vivre avec. Alors ce qui distingue Netanyahou ou certains de ses ministres d’autres acteurs politiques israéliens, c’est le mode opératoire. Mais absolument pas le projet sioniste.

AB : En vous écoutant, je comprends que le mot antisionisme est devenu obsolète et d’une dangereuse ambiguïté. Mais l’influence des fanatiques qui considèrent que toute la terre du Jourdain à la mer leur appartient n’a cessé de croître dans les orientations politiques et militaires d’Israël. Les massacres à Gaza, par leur ampleur, scandalisent une bonne partie du monde qui risque d’assimiler tous les israéliens, voire les juifs de la diaspora à des soutiens implicites ou explicites au gouvernement Netanyahou. Ce dangereux amalgame existe aussi de l’autre côté quand on assimile les palestiniens de Gaza à des complices des crimes du Hamas.

GC : Et pourtant le 7 octobre tous les palestiniens de Gaza et les populations de tous les pays arabes, j’irais même jusqu’à dire musulmans, ont manifesté leur profonde joie ! Il est largement faux de dire que tous les israéliens sont des soutiens de Netanyahou, il est patent que, sans l’état de guerre actuel, le gouvernement de Netanyahou serait tombé et remplacé par un gouvernement franchement opposé aux extrémistes de l’équipe actuelle !

AB : Je reste prudent sur le sens à donner à des manifestations collectives improvisées à chaud ou organisées par des manipulateurs et impliquant quelques groupes souvent masculins. Je ne peux y voir l’expression d’une profonde joie partagée par tous. Par contre, il y a vraiment un risque de détérioration de l’image d’Israël dans l’opinion publique française à cause de la politique de guerre sans répit de Netanyahou, et je souhaite évidemment qu’il disparaisse rapidement de la scène politique. Nous y verrons plus clair dans les années à venir.

YZ : La création d’Israël est un projet d’autodétermination, sur un territoire sous mandat britannique. Comme l’Inde ou l’Afrique du Sud, Israël aurait émergé un jour ou l’autre, avec ou sans Shoah, l’empire britannique étant appelé à s’effondrer.  La déclaration d’indépendance dit : «C’est là le droit naturel du peuple juif d’être, comme toutes les autres nations, maître de son destin sur le sol de son propre État souverain ».

AB : On peut dire la même chose pour le peuple palestinien…

GC : Sans doute, c’était le sens du partage décidé par l’ONU en 1947 et… refusé par eux.

AB : Ou plutôt refusé par des politiciens successifs en quête de pouvoir.

YZ : Elle ajoute que le nouvel Etat « assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe, garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d’éducation et de culture et assurera la protection des lieux saints de toutes les religions et sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies« . Le respect de toutes les religions est assuré. En Israël, il n’y a pas de débat sur le port du voile, contrairement à ce qui se passe ici, pourtant Etat dit laïc. Des députés arabes siègent à la Knesset, des sportifs arabes, musulmans ou druzes représentent avec fierté leur pays Israël (le gardien de l’équipe de foot israélien, invoque Allah à chaque début de match).

Le mot « massacre » pour Gaza m’attriste, et c’est un euphémisme. Les décomptes des victimes émanent d’un pseudo ministère de la Santé, en réalité organe de communication d’un groupe terroriste paramilitaire qui pratique l’intox et la propagande sans vergogne. Explique-moi comment dans une zone qu’on dit dévastée, sans eau ni électricité, après 11 mois de guerre, un tel organe est capable de donner le nombre de victimes précis dans les 10 minutes qui suivent une frappe israélienne ?

AB : Il n’est ni juste ni sage de minimiser les souffrances des victimes, qu’elles soient juives ou palestiniennes et la disproportion des chiffres de tués est incontestable.

GC : Ton observation semble frappée au coin du bon sens. Mais n’oublie pas deux choses. Tout d’abord le fameux décompte des victimes gazaouies est fait par un soi-disant ministère de la Santé du Hamas. Donc la valeur des chiffres en question est toute relative… Ensuite, que penses-tu de la disproportion des chiffres des populations juive (Israël + USA + France + les epsilons qui restent) et musulmane (quelques milliards) dans le monde ?

AB : La crainte de nos frères juifs d’être exterminé ou nié comme peuple autonome se comprend à la fois par l’histoire et par leur faible nombre dans la population mondiale.

YZ : S’il y a des victimes civiles, ce n’est absolument pas parce que les soldats israéliens s’amusent à les viser, à la manière des nazis, ce que veulent faire croire le Hamas et ses amis de LFI. Le Hamas se cache au sein de la population civile. Les tunnels où ils se terrent et cachent les otages débouchent dans des appartements, des hôpitaux ou des écoles.

AB : Je ne juge jamais des intentions, mais la justification des choix militaires des dirigeants d’Israël de bombardements massifs est indéfendable car tuer des dirigeants du Hamas ou du Hezbollah n’est pas un chemin de paix.

YZ : L’immense majorité des juifs et des israéliens était en faveur d’une opération à Gaza – toi-même l’aurais été si tes proches avaient été massacrés et brûlés vifs dans ta maison. Là où les opinions divergent, c’est sur la durée de l’opération, son mode opératoire (je connais des israéliens de gauche qui regrettent qu’elle n’ait pas été plus courte mais plus violente), et l’absence d’un projet de sortie de crise – probablement parce que Bibi voit dans la prolongation de la guerre le moyen de protéger sa place.

Je te le concède, les ministres comme Smotrich et Ben Gvir sont des idiots dangereux. Les critiquer, ce n’est pas de l’antisionisme, c’est simplement du bon sens. Quand je critique des députés LFI en disant que ce sont des abrutis dangereux, suis-je en train de faire de l’anti-France ? Evidemment non. Tu le vois, utiliser le terme antisionisme, c’est simplement vouloir maquiller son antisémitisme.

AB : Je tiens à ne pas polémiquer sur des sujets aussi compliqués et sensibles, mais je te dois quelques réponses. J’essaie de m’informer de la manière la plus large possible et de rester équilibré. Mon souci est d’abord l’impact sur le français moyen d’images de destructions terribles qui parlent d’elles-mêmes et impliquent un grand nombre de victimes, surtout d’enfants innocents dans un pays très jeune. Et sur les décisions judiciaires internationales qui s’accumuleront contre les responsables politiques israéliens. Il nous faudra lutter pour restaurer une image positive de nos frères juifs dans la population française et pas seulement chez les musulmans.

GC : Pourquoi faudrait-il « lutter pour restaurer une image positive de nos frères juifs dans la population française » ? Les juifs français sont-ils responsables de la guerre à Gaza ? C’est typiquement une phrase qui montre que le conflit est importé en France (et par qui ?), et qui contient un message d’antisémitisme implicite !

AB : C’est comme judéophile que je m’exprime ainsi car j’anticipe des échanges oraux difficiles (je m’exprime beaucoup sur le terrain français au hasard des contacts dans les espaces publics). Et pour revenir à ce que dit YZ, en tant que croyant, le pardon est un fondement de ma foi. Donc non, même si un de mes proches avait été touché, je n’aurais jamais cautionné une opération militaire de cette envergure faisant peu de cas des victimes collatérales et obsédée par les assassinats ciblés. Obsession contre-productive car plus on tue de présumés terroristes, plus on fait d’erreurs et de victimes innocentes et plus on crée de futurs candidats pour les milices qui recrutent.

Malgré leurs victimes, des ONG courageuses essaient de continuer à travailler pour faciliter la vie quotidienne des civils palestiniens. L’eau a bien été coupée à Gaza, c’est inhumain. Dans ce contexte difficile, l’antisémitisme serait-il comme l’hydre de Lerne dont les têtes repoussent quand on en coupe une ?

JP : Ben oui…

YZ : Je suis désolé, mais j’ai rarement vu couper une tête antisémite. Elles ne repoussent pas, elles se multiplient. La véritable analogie, c’est la mauvaise herbe. Elle se répand toute seule, quoi que tu fasses.

AB : Vous confirmez l’impact déterminant de la situation au Moyen Orient sur l’antisémitisme en Europe. Que peuvent faire les européens face à ces drames ?

JP : Les Européens ont perdu toute crédibilité. Ils sont visiblement divisés, changent d’avis tout le temps, traînent les deux casseroles du racisme et du colonialisme et ne sont bons qu’à donner de l’argent. Seuls les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite ont du poids.

YZ : Les Européens devraient arrêter de faire du clientélisme, et de se livrer pieds et poings liés à la propagande antisémite comme l’Angleterre qui clame haut et fort la cessation des ventes d’armes à Israël. Au nom d’une pseudo approche humaniste, Israël fait l’objet de condamnations par les pays européens. Les pays d’Asie, et certains pays arabes comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou la Jordanie, sont beaucoup plus réalistes. Ils ont compris que la paix avec Israël serait bénéfique à toute la péninsule.

AB : Nul n’en disconvient, mais comment faire ? Avez-vous des espérances pour une paix durable entre palestiniens et juifs résidant sur place ?

YZ : Les deux millions d’arabes israéliens sont mieux intégrés à leur société que ne le sont les petits beurs en France. A Haïfa, Jaffa ou Jérusalem, tous les panneaux sont écrits en hébreu et en arabe ! Pour les palestiniens de Cisjordanie ou de Judée-Samarie, j’attends le leader arabe qui leur expliquera que leur niveau de vie s’améliorera le jour où ils accepteront de se rattacher à Israël, plutôt que d’adopter une pseudo-indépendance, à la merci du moindre groupuscule terroriste (l’OLP ou le Hamas).

AB : L’espérance de paix doit tenir compte des réalités de terrain. Dans la population arabe, le culte du leader, du martyr ou de la vengeance est un problème durable. Mais l’exigence de paix, de liberté et d’autodétermination est légitime. Et les pouvoirs en place en Iran comme en Israël ou au Hamas n’ont pas d’intérêt personnel à la paix.

JP : La paix, oui, mais pas pour tout de suite. Il faut que l’Arabie Saoudite –MBS lui-même s’investissant d’une mission divine– prenne une grande initiative, que l’on trouve des interlocuteurs à la Mandela-De Klerk (côté palestinien [Barghouti ? Dahlan ?] et israélien [Lapid ? Gantz ?]), régler la question du retour des réfugiés (dédommagement) et de Jérusalem-Est (échange de population avec les colonies), garantir la sécurité d’Israël, unifier Gaza et Cisjordanie sous une Autorité Palestinienne régénérée.

AB : D’accord avec toi sur les espérances à terme sur MBS qui n’a aucun intérêt politique ou spirituel à la guerre. A cet égard, la récente désignation de Sinwar, un obligé de l’Iran, n’est pas une bonne nouvelle.

4 Répondre à la haine par l’amour, à la violence par le pardon

AB : L’imam Oubrou a récemment publié « Appel à la réconciliation !». Son chapitre 8 est : « L’antisémitisme est un acte blasphématoire ». Pour lutter efficacement contre l’antisémitisme, il faut nous concerter avec le monde musulman. Aux musulmans sectaires, on peut rappeler ces versets (5/48) : « A chacun d’entre vous, Nous avons indiqué une voie générale (shir’a) et une voie spécifique (minha). Et si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté (umma). Il vous éprouve dans vos dons, rivalisez donc en bonnes œuvres. Vous retournerez tous vers Dieu, et Il résoudra vos divergences ». Et 49/13 : « Ô hommes ! Nous vous créons d’un mâle et d’une femelle et vous avons constitué en peuples et tribus afin que vous vous connaissiez les uns les autres. Devant Dieu, le plus noble d’entre vous est le plus pieux, car Dieu sait ».

YZ : La paix dans le monde se fera, indépendamment des religions ou des races, quand les individus respecteront ce commandement universel : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.

AB : Mais un soldat ou rebelle armé qui tue, blesse ou détruit une maison le fait en obéissant à des injonctions de ses supérieurs ou en suivant des idéologies meurtrières. C’est tout le problème de l’éducation spirituelle. Je disais être à la fois juif, chrétien et musulman comme disciple de Moïse, Jésus et Muhammad que j’inclus dans une continuité de messagers de Dieu. Qu’on l’appelle Ahura, Brahman, YHWH, Abba ou Allah, peu importe. Je dois maintenant m’exprimer différemment.

Être musulman au sens de celui qui s’abandonne à Allah et reconnaît Muhammad comme un de Ses prophètes est sans ambiguïté mon cas. Être chrétien au sens de disciple de Jésus peut prêter à confusion car je rejette les doctrines dites chrétiennes comme la trinité ou les charismes supposés des prêtres. Je les vois comme un détournement de l’enseignement du rabbi Yeshouah ben Myriam.

Par contre, se dire juif au sens habituel du terme pose plus de difficultés. Mes frères juifs ne pourraient me reconnaître comme l’un d’entre eux que si j’avais un ancêtre juif, de préférence une femme ou si je me convertissais en acceptant de suivre la halakha, une loi définie par des rabbins.

Or je suis un croyant libéré de sa culture chrétienne d’origine et de toute loi religieuse. Je vis en France qui comporte les plus fortes minorités européennes de juifs et de musulmans. J’assume un biais favorable à l’égard de mes frères de ces minorités. Et mon biais est résolument évangélique, aimer particulièrement ces frères, faire des efforts pour mieux les comprendre en les écoutant et en priant avec eux. Je me sens à la fois judéophile et islamophile, je l’expliquerai dans un projet de livre en dialogue avec un imam et un rabbin. Cela a-t-il un sens pour vous ?

JP : Non. Il y a 15 millions de Juifs dans le monde dont 7 en Israël, 6 aux USA, 440000 en France dont un quart orthodoxe. Il y a 2 milliards de musulmans. A part l’Indonésie, presque tous les pays musulmans vivent sous un régime autoritaire avec une économie déficiente. Je ne vois pas comment on peut faire de comparaison.

AB : Tu parles de sociétés et de politique, je parle de conviction intime. Je vais prendre un autre exemple du domaine de l’amour filial. Il y a de plus en plus d’enfants de couples mixtes avec une mère ou un père juif et un partenaire musulman arabe. Peut-on demander à un enfant de ne pas aimer l’un et l’autre ? Il ne s’agit donc pas de comparer, mais d’englober mes frères juifs et musulmans dans la même sphère d’amour fraternel pour tous les homos sapiens. La différence quantitative considérable n’implique pas de supériorité dans la qualité de l’héritage spirituel transmis par eux.

YZ : Je connais des enfants issus de tels couples. Ce sont des individus tourmentés, qui ont hélas beaucoup de mal à trouver leur place dans une communauté ou l’autre.

AB :  Notre vraie communauté, c’est toute l’humanité. Je crois à l’alliance entre l’amour, du domaine de l’émotion et la raison qui réfléchit. Quand le Lévitique dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », le prochain, est-il aussi le non juif ? Quand, dans le Deutéronome, Moïse fait répéter à tout le peuple « Maudit soit celui qui opprime la veuve, l’orphelin et l’étranger », quel sens donner au mot oppression ? S’applique-t-il à la situation des palestiniens dans les territoires contrôlés par l’armée israélienne ? Et comment lutter contre une oppression avérée ?

YZ : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, certes, mais la relation doit être réciproque. Et à l’heure actuelle, je ne vois pas beaucoup d’amour envers les israéliens, dans le regard des palestiniens des territoires.

GC : Et je rajouterais dans le regard des arabes en France !

AB : Il y a très peu de palestiniens en France et je ne suis pas allé sur place, mais la carence d’amour pour l’autre est malheureusement universelle. L’amour évangélique n’attend pas de réciprocité. Tendre l’autre joue peut faire réfléchir l’agresseur et n’empêche pas un recours ultérieur à la légitime défense. Il faut protéger les futures victimes des hommes violents, ici comme ailleurs. J’ai parlé de vaincre la guerre dans le post 87 et évoqué l’Ukraine et Gaza. La guerre fait toujours des victimes des deux côtés. Les séquelles de la guerre du Vietnam ont prouvé que les victimes sont aussi les soldats qui ont tué et détruit et que leur conscience taraude. Dans les foules juives qui manifestent contre Netanyahou, certains le savent.

YZ : Enfin, tu parles d’oppression avérée. Désolé, c’est encore une fois faux. Les israéliens et les palestiniens qui vivent dans les territoires vivent dans des mondes clos. Les seuls échanges, c’est en cas d’attaque d’un côté comme de l’autre. Si tu remontes le fil du temps, cela provient la plupart du temps d’une attaque contre des israéliens. Et Tsahal intervient pour déjouer des attentats.

AB : L’oppression est un terme utilisé dans la Torah et le Coran. Le sens qui peut lui être légitimement donné dépend des circonstances et de la perception des personnes impliquées. Son appréciation est subjective et je ne vis pas sur place. Mais je serais certainement révolté face à une armée d’occupation qui fait la loi, face à des colons qui clament que toute cette terre est à eux, donc que les arabes peuvent aller au diable après qu’on les ait expropriés parce qu’ils ont la malchance d’habiter depuis des générations à Jérusalem-Est ou près d’une colline convoitée par des juifs qui ont une lecture cadastrale de textes bibliques interprétés à leur sauce et ont décidé d’y créer de toutes pièces leur colonie. Les vidéos aériennes de ces implantations ne sont pas truquées. J’ai suivi les plaidoiries à la CIJ où chaque partie a pu plaider sa cause. La légitimité d’une occupation temporaire de territoires palestiniens dans le cadre d’une guerre préventive ou défensive n’est pas remise en cause, mais les implantations semblent permanentes et les colons se sentent chez eux. Je me demanderais donc comment résister pacifiquement face à l’injustice ? Mais peu importe ce que je pense personnellement. Il y a une opinion publique hétérogène des Français qui n’iront jamais sur place et réagissent à ce qu’ils voient, lisent et entendent. Certains feront l’amalgame entre les exactions des colons, les assassinats et la destruction aveugle de quartiers habités. Et il sera très difficile de plaider la judéophilie comme je souhaite le faire.

GC : Une remarque importante me semble-t-il : lorsque le traité de paix a été signé avec l’Egypte, les implantations juives dans le Sinaï ont bien été rendues aux Egyptiens. Comme le territoire de Gaza quand Sharon l’a fait aux palestiniens en 2005. L’histoire montre donc bien que, si une paix véritable était négociée avec l’Autorité palestinienne, et quel qu’en soit le prix, les territoires dits occupés pourraient bien être rendus – contre des concessions évidentes sur le plan de la sécurité bien sûr. Alors, la permanence des implantations…

Une autre remarque, tu notes bien que les Français (et tout le reste du monde aussi d’ailleurs !) réagissent à ce qu’ils voient, lisent et entendent, c’est-à-dire à ce que les médias montrent. Or, comme je te l’ai expliqué, l’AFP, source de toutes les informations françaises, est représentée en Israël par des propalestiniens, l’information qu’elle donne est toujours biaisée, et les télévisions reprennent dûment cette information ! (A part certains qui, pour des raisons idéologiques plus ou moins abjectes ou inavouables choisissent d’autres points de vue.)

AB : Je voulais vous entendre et vous remercie de tout cœur pour avoir témoigné sur mon blog. Lutter contre l’antisémitisme commence par bien écouter les vécus et perceptions de mes frères juifs. Lutter contre cette interminable guerre qui le réanime est vital, mais difficile pour un Français comme moi.

JP : J’ai mis du temps à m’exprimer car c’est un sujet difficile où on se met un peu à nu.

YZ : My pleasure. J’ai été ravi de cet échange.

GC : Même si le vœu que tu exprimes est ce que l’on nomme en français commun un « vœu pieux », il ne faut jamais décourager les bonnes volontés de bien faire ! Donc toujours prêt à discuter avec toi.

5 Quelques axes de lutte contre l’antisémitisme

AB : Notre dialogue m’a fait beaucoup réfléchir sur la Paix du Saint en Palestine. Comme le dit mon post 79, il est à craindre qu’une paix spirituelle ancrée dans la Parole entre israéliens et palestiniens ne soit pas pour cette génération. De plus, l’influence des Etats européens et a fortiori des citoyens de base comme moi est très limitée.

Les rares palestiniens qui vivent en France ne me semblent pas en danger ou discriminés. Il n’en est pas de même pour le demi-million de nos frères juifs. Certes l’Etat français, titulaire du monopole de la violence légale, semble à l’abri du risque de laxisme face à l’antisémitisme, mais une fraternité équilibrée et active vers nos frères palestiniens et juifs est un devoir pour tout croyant ou homme de bonne volonté.

La menace d’actions antisémites est réelle et s’amplifiera. Qu’on le veuille ou non, le nombre de nos frères musulmans en France va continuer à croître. Une infime proportion d’entre eux détournera leur sensibilité légitime aux drames palestiniens vers des actions violentes dirigées contre les juifs. Ceci peut dégrader l’insécurité réelle ou perçue par nos frères juifs.

En France vit la troisième communauté mondiale de juifs après les USA et Israël, mais dans un contexte très différent. Car il y a très peu de musulmans aux USA et notre situation sécuritaire est totalement différente de celle des juifs qui vivent en Israël. Que peuvent faire concrètement les citoyens français de bonne volonté ?

  • Réfuter cette contre-vérité largement répandue par les clergés chrétiens que le prophète Muhammad aurait inventé le Coran. Je l’ai aussi entendue dans les milieux juifs. C’est une insulte à la probité du prophète Muhammad (post 1), admiré à juste titre par deux milliards d’humains. Il avait déjà été accusé de son vivant par ses ennemis d’être un affabulateur, un « poète ». Et c’est un déni du caractère sacré du Coran. Ce blog a clairement démontré que cette théorie ne résiste pas à l’analyse, par exemple pour les récits du déluge (post 58).
  • Quand les scientifiques contemporains nous affirment que le texte de la Bible n’est pas conforme aux faits historiques, le juif croyant ne se sent pas agressé. Rien ne l’empêche de choisir une voie spirituelle ancrée dans le texte biblique et les interprétations des rabbins. Questionner la fiabilité de la transmission orale juive, ce n’est pas remettre en cause la rectitude et la lucidité d’un grand homme, le prophète et messager Moïse (post 3). Mais attaquer insidieusement le Coran dans une société française très ignorante est dangereux.
  • Participer activement à toutes les initiatives de dialogue et de rapprochement interreligieux, en particulier entre juifs et musulmans.  A Bordeaux, des rencontres judéo-islamiques ont été mises en place par l’imam Tareq Oubrou et le rabbin Hervé Rehby, c’était un bonheur d’y participer. Différentes initiatives locales peuvent être mises en place.
  • Dénoncer les amalgames mélenchonistes qui se diffusent dans les milieux gauchistes qui scandent « Macron destitution » en brandissant des drapeaux palestiniens. Sans respect pour le ressenti des juifs français ni lucidité sur le risque d’exciter des esprits faibles portés à la violence.
  • Un article récent de Ha’aretz se réjouit des manifestations populaires pour contraindre Netanyahou à changer de politique ou démissionner mais déplore que les familles d’otages soient trop peu soutenues par les autres citoyens et affirme avec courage que « ceux qui restent chez eux auront le sang des otages sur leurs mains ». J’ai participé avec conviction à une manifestation contre l’antisémitisme, il est souhaitable qu’il y en ait d’autres pour équilibrer celles pilotées par les extrémistes de gauche qui donnent à l’international une fausse image de l’opinion publique française.
  • Chacun à sa mesure peut imaginer des actions positives, je travaille de mon côté activement à un projet de livre en dialogue avec un imam et un rabbin français.