« Sur terre la vie devait apparaître » (Michel Galiana). C’est le sous-titre du troisième livre scientifique sur les origines que vient de publier cet aimable contributeur de ce blog, en particulier sur le thème de l’origine du temps (post 99). Nous y apprenons que la flèche du temps n’existe qu’à notre échelle humaine, mais pas à celle de la mécanique quantique. A celle de la cosmologie, il y a un espace-temps que la matière déforme par gravité, donc pas de variable temps indépendante.
Les scientifiques font débuter le temps avec le « Big Bang » il y a 13,8 milliards d’années et pensent que notre univers observable s’éteindra par mort thermique dans une perspective beaucoup plus lointaine. Leur analyse ne peut dépasser ces limites. Mais pour les croyants, il y a un Créateur hors du temps et de l’espace qui a décidé du Big Bang.
« La création est une œuvre qui se pense sans cesse intensément. À tout moment elle s’interroge sinon elle serait achevée. Et que serait cet achèvement sinon la négation de Moi-même Qui suis le commencement et la fin de toutes choses ? Dans cette gestation perpétuelle dont tu fais partie. Il t’appartient de donner un sens à la matière » (Message reçu par Gilles en 1997, post 77 §4).
Avec sagesse, Michel ne défend pas une position matérialiste ou scientiste, il nous présente une synthèse objective et actualisée des connaissances scientifiques, surtout physico-chimiques, qui peuvent expliquer l’apparition de la vie sur notre planète. Il ne se risque pas à exprimer des positions personnelles sur les grandes questions qui dépassent les limites de la science comme la cause première, l’ajustement fin des lois et constantes de l’Univers ou l’existence d’un projet divin derrière l’évolution.
Pouvoir aborder le sujet de l’origine sans tomber dans la polémique est bénéfique pour notre société fracturée où athées, agnostiques, et croyants conditionnés par leurs religions, ferraillent sur les sujets de société comme le début et la fin de la vie (post 110). Nous l’avons constaté avec les débats sur l’IVG et l’euthanasie. La confrontation de points de vue antagonistes sur la vie et la liberté n’a pas permis de réfléchir posément au sens de ces mots, du point de vue philosophique ou spirituel à partir des textes sacrés que les croyants invoquent sans les approfondir de manière autonome.
Par souhait d’apprendre pour nous ou de transmettre à nos proches ou nos enfants, le livre objectif de Michel est d’une grande utilité pour parler de la vie sur notre planète.
1 Vie matérielle, charnelle et spirituelle
Antoine : Tu dis dans ton épilogue : « j’espère ne pas avoir heurté les lecteurs croyants en présentant ici l’apparition de la vie en tant qu’événement purement matériel. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, mon propos n’exclut nullement l’existence d’un Créateur ». Après avoir lu attentivement ton livre, je te confirme qu’il ne peut heurter que les croyants sectaires tenant à convertir les autres à leurs convictions.
Michel : J’en suis heureux, car je n’aime pas m’opposer aux idées religieuses. Ce serait pour moi, une démarche stérile, pour ne pas dire toxique. Comme le chanoine Georges Lemaître, l’inventeur du Big Bang, je place science et religion sur des plans distincts. J’aime bien la phrase d’Einstein : « Pour moi, la bigoterie du non-croyant est aussi ridicule que celle du croyant. »
Antoine : Je m’oppose résolument aux idées religieuses à partir de leurs textes sacrés, mais pas à celle d’un Dieu Créateur. De plus, je te connais mieux maintenant, et j’ai pu constater que ta vie privée est d’une grande tolérance. Ton épouse est chrétienne et tu ne t’es jamais opposé à son choix d’éducation spirituelle pour vos enfants.
Michel : Oui, la croyance est quelque chose de très personnel et intime, et il m’a semblé qu’il ne m’appartenait pas de dicter quoi que ce soit à mes enfants sur ce point.
Antoine : Tu nous parles dans ton livre de matière et donc de vie charnelle. Or j’intègre à mes convictions la Parole révélée en 1974 par Jésus ressuscité qui affirme : « L’homme est de chair, d’esprit et d’âme ». Dans la plupart des cultures et dans les langues sémitiques et sanscrites, la distinction entre esprit et âme n’est pas claire. Ainsi, si je parle de vie spirituelle par contraste avec la vie matérielle, cette expression est floue, parce que notre esprit et notre âme, de notre vivant sur cette terre, utilisent notre corps charnel. Mais pour le croyant, sa fin inéluctable n’est pas la fin de notre conscience. Je sais que tu prévois de réfléchir au sujet de la conscience dans un prochain livre.
Michel : Je suis d’accord sur le fait que la distinction entre esprit et âme soit difficile. Pour moi, c’est la même chose. Par ailleurs, je pense que vie charnelle et vie spirituelle sont indissociables. Dans un sens, je suis dualiste comme Descartes, car tout à fait conscient que l’esprit est distinct de la matière. Mais je suis aussi moniste comme Spinoza, car je pense que les deux sont deux facettes d’un même phénomène, c’est-à-dire l’émergence de la pensée dans un cerveau devenu immensément complexe.
Antoine : En tout cas, l’hypothèse que la conscience individuelle survit à la mort du corps physique n’est pas limitée aux croyants, sans même parler du mythe de la réincarnation inventée dans les Upanisads par les brahmanes pour justifier leur suprématie sociale. Beaucoup de gens sont troublés par deux types d’expériences récurrentes, les expériences de mort imminente et les communications avec des esprits décédés. Tu me diras qu’on sort alors de la méthodologie scientifique : on ne peut les mettre en équation et ce sont des expériences non reproductibles ?
Michel : Oui, ces expériences n’étant pas reproductibles, elles n’entrent pas vraiment dans le champ de la science. Cela n’implique pas qu’elles soient fausses, mais simplement que certains y croiront et d’autres non, et que la notion de preuve scientifique ne pourra pas les départager. Le savoir scientifique est forcément limité, et il le sera certainement à tout jamais. Il existera donc toujours des connaissances lui échappant sur lesquelles chacun devra se faire sa propre idée. Je pense tout particulièrement aux interrogations les plus fondamentales citées plus haut.
Antoine : À l’évidence, l’esprit se sert du réseau neuronal directement, ce qui peut être mesuré par des électrodes, mais rien ne prouve qu’il ne peut rien faire en dehors de cet outil. Sinon comment expliquer les très nombreuses expériences de télépathie et de prémonition dont Gilles, entre autres, a témoigné dans notre livre ?
Michel : Si tu me permets Antoine, je ne dirais pas que l’esprit « se sert » du réseau neuronal. Pour moi, les deux sont consubstantiels. Comme P. Teilhard de Chardin, je vois l’esprit comme une propriété émergente survenant lorsque le cerveau atteint un certain degré de complexité. Le nôtre inclut 80 milliards de neurones, chacun connecté à 10 000 autres. Ce sont ces 800 000 milliards de connexions, modelées par l’expérience, dont on sait qu’elles se font et se défont avec plasticité, qui forment l’esprit. Toutefois, je reconnais que l’on peut interpréter cela de différentes façons. Pour certains, comme moi, le cerveau est un « Walkman » qui inclut sa propre cassette porteuse de la musique. Pour d’autres, il est plutôt un « lecteur MP3 » qui reçoit la musique d’ailleurs. (Pardonne moi cette image triviale : j’ai été longtemps le président de Sony France !).
Antoine : Image saisissante pour nos générations ! Mais il y a aussi l’âme qui transcende encore davantage les limites de la matière. Le dernier post en a parlé. Là nous sortons totalement des bornes de la science, mais l’âme est aussi une expérience concrète que chacun peut vivre. En particulier par une discipline de vie développée dès les rishis inspirés dravidiens et dont le yoga occidental moderne, très réduit dans ses ambitions et ses savoirs, est un vague écho, à quelques exceptions près comme Swami Félix (post 101). Que penses-tu des expériences individuelle directes ?
Michel : Je ne connais pas ces expériences. Il me semble que ce que tu évoques est très personnel. Je comprends aussi que collectivement, on puisse se sentir uni par de telles pratiques.
Antoine : Le livre de dialogue entre le moine tibétain Mathieu Ricard et un neurologue (Cerveau et méditation) réduit la méditation à ce qui se traduit par une activité électrique. Les neurologues peuvent constater des effets de la méditation, mais indirectement. Or les expériences de vie intérieure comme la prière, la méditation et la contemplation sont accessibles à tous après quelques efforts. Chacun peut constater qu’elles sont beaucoup plus riches que ce qui est scientifiquement mesurable (post 80). Il en est de même pour les émotions qui ne se réduisent pas à des jeux d’hormones et sont aussi mobilisées dans l’exercice de la vie spirituelle.
Michel : Je ne pense pas un instant que l’on puisse réduire la méditation, ainsi que tout autre activité intellectuelle ou émotive, à des courants électriques ou à des hormones. Ce sont des phénomènes infiniment plus complexes qui naissent de l’assemblage de ces 800 000 milliards de connexions. Les scientifiques les plus réductionnistes cherchent toujours à expliquer les choses en revenant aux particules et aux quatre forces naturelles. Mais c’est peine perdue : il faut prendre la pensée comme un objet propre qui s’est constitué à un niveau extrêmement élevé de complexité et qu’il faut chercher à comprendre en soi, sans forcément se référer aux neurones et encore moins, aux particules.
2 Le Créateur répond aux questions de Gilles en 1997
Antoine : Tu peux intervenir où tu veux dans ce chapitre, mais comme il se situe en dehors de tes convictions, tu n’es pas obligé de réagir à ces citations du Message.
L’inspirateur se nomme sans ambigüité : Entends, homme, ce que j’ai à te dire…Je suis au-delà de la perception de toutes les créatures, car Je suis le Créateur et l’Univers créé.
Il affirme : La création est une œuvre bien au-delà de ta pensée. Tu ne fais qu’entrevoir sa grandeur à l’échelle de ta compréhension. Et Il nous informe : Il est dans l’Univers des intelligences très supérieures à la tienne, ce qui répond aux questions sur la vie extra-terrestre évoquées dans ton livre p. 229. Il ne dit rien sur la manière dont ces vies fonctionnent. Mais Il répond indirectement à ceux qui s’inquiètent d’une invasion guerrière d’extra-terrestres : Il connait toute Sa Création et elle se soumet à Sa Volonté.
Gilles se pose des questions universelles auxquelles Il répond : Tu me demandes ce qu’est ta place dans cette immensité ; tu veux savoir pourquoi tu es là et Je vais te le dire… Tu veux savoir pourquoi le Mal existe, pourquoi la souffrance ? J’ai créé le Mal pour que tu pressentes la grandeur du Bien. J’ai créé la Souffrance pour que tu prennes la mesure de la Joie.
Il affirme que l’homme s’élève très au-dessus du règne animal : Si tu n’avais pas ce savoir, tu serais comme l’animal qui vit et agit sans savoir ce qu’il fait. Ta vocation est de choisir ta voie, de choisir en conscience, puisque je t’ai donné cette faculté redoutable.
La conscience humaine sur laquelle tu réfléchis est donc spécifique aux hommes.
Et Il ajoute : Mais, en t’élevant à ce degré de connaissance, Je n’ai fait qu’entrouvrir pour toi l’ordre du monde. Car la création est une œuvre qui se pense sans cesse intensément. À tout moment elle s’interroge, sinon elle serait achevée. Et que serait cet achèvement, sinon la négation de Moi-même Qui suis le commencement et la fin de toutes choses ?
Tu trouves là une réponse inspirée à la question qui traverse ton livre et va au-delà des limites de la science : qu’y avait-il avant le Big Bang et y aura-t-il une mort thermique du cosmos (évoquée p. 65) ? Tu as la sagesse de réserver ta réponse. Au passage, c’est une réponse universelle sur la causalité descendante évoquée dès la page 29 pour un orage et pour les grands systèmes complexes.
Je clos ce chapitre avec la remarque logique que l’hypothèse que le cerveau de Gilles a inventé ce Message ne résiste pas à l’analyse du contenu, des circonstances de son inspiration, et de la personnalité de Gilles. J’espère ne pas t’avoir « barbé » avec ces extraits hors du radar scientifique.
Michel : Non Antoine, tu ne m’as pas barbé, car je trouve le message de Gilles beau et émouvant. Pour moi, le jour où il l’a écrit, des pensées inconscientes chez lui et très riches, ont accédé soudainement à sa sphère consciente. Il est heureux qu’il ait pris le stylo pour les noter.
3 Le Dessein qui nous dépasse : ordre et chaos
Antoine : A propos des sciences de la complexité, tu traces p. 70 un petit dessin sur l’existence d’une frange étroite entre l’ordre et le chaos qui ne ressemble guère à une courbe de Gauss. Or le Créateur a bien un Dessein : Je suis mon propre Dessein qui t’est pour toujours étranger. Pour le croyant, l’univers n’est pas limitable à des lois ou à du hasard, même si nous avons une intelligence qui permet de l’observer.
Michel : Mon message était de dire que dans l’Univers, il existe d’immenses territoires qui sont, soit chaotiques (la fournaise du Soleil, les nuages turbulents, etc.), soit trop ordonnés (la planète Mercure, les astéroïdes, les nuages de gaz froid, etc.). Je dis qu’à la frange entre les deux, se trouvent marginalement des endroits côtoyant le chaos et le désordre, le chaud et le froid… Certaines planètes, comme la Terre, sont de tels lieux où une grande complexité peut se développer (sans la nécessité d’une intervention divine).
Antoine : Le Dessein du Créateur évolue avec nous : En contribuant au Bien, vous inclinez mon Dessein en votre faveur. L’interaction entre le Créateur et Ses créatures est centrale dans ce Message, de l’avis de Gilles qui l’a reçu.
Michel : Ces pensées me sont étrangères.
Antoine : Tu reconnais que le réglage fin de l’univers reste un des grands mystères de la science. Pour moi, il fait le lien avec le Dessein illimité du Créateur.
Michel : L’ajustement fin dit que si l’on déplaçait même très faiblement, la valeur de telle ou telle constante de la physique, aucun monde complexe ne se développerait. D’où la question de l’origine de ce réglage. Soit un être supérieur a placé tous les curseurs au bon endroit, soit on est conduit à imaginer que notre Univers n’est qu’un dans un très vaste ensemble d’autres Univers et que, bien évidemment, nous avons éclos dans le bon. Je suis intimement convaincu que, tant que l’humanité existera, l’homme n’aura pas de réponse formelle à cette question. Il lui appartient donc de croire en ce qui lui paraît le plus plausible ou ce qui fait sens pour lui.
Antoine : Or les récits de la Création évoquent tous l’existence d’une sorte de chaos sombre et indéterminé avant que le Big Bang n’ait lieu. C’est le cas dans les genèses biblique et coranique. Mais il y a plus dans le Rig Veda, dans ses versets monothéistes : le Créateur unique, par le pouvoir de la chaleur, décide par amour de créer l’univers.
Michel : Ce que je disais de l’Univers s’applique autant aux sociétés. Les civilisations se bâtissent ou se détruisent toujours à la frange entre l’ordre et le chaos, ou entre Charybde et Scylla si tu préfères.
Antoine : Ton épilogue, p. 240 nous dit : « Que l’on soit croyant ou non, on ne peut que s’émerveiller devant cette somptueuse histoire que l’humanité découvre chaque jour. Elle suscite beaucoup d’interrogations, ainsi qu’une forme de vénération : celle du Créateur qui en serait à l’origine ou bien tout simplement celle de la nature belle et généreuse (ou les deux à la fois dirait Spinoza : Deus sive Natura ».
Spinoza a bâti un monument de la pensée logique, mais rappelons le contexte de vie de cet homme qui était de culture juive. Il a subi une tentative d’assassinat par un fanatique exaspéré par sa brillante remise en question de la tradition juive. Il a été exclu de la synagogue, ce qui correspondait à une mort sociale dans une Europe où sévissait l’antisémitisme (posts 32 et 93) orchestré par l’église romaine. Par prudence, son « Ethique » n’a été publiée qu’après sa mort et il a été très circonspect dans ses expressions comme Deus sive Natura, répétitive dans son œuvre (qu’on peut traduire par : « Dieu ou la Nature », ou « Dieu, c’est-à-dire la Nature »).
Michel : Si je suis si motivé par les sciences, l’Univers, la vie, l’Homme, etc., c’est par l’amour de la nature. Je la vénère et, aussi longtemps que je vivrai, elle me surprendra. Je me sens tout petit par rapport à elle : dans un Univers immense et dans un écosystème terrestre d’une si grande complexité, je ne suis qu’un tout petit phénomène extrêmement éphémère. Voilà pourquoi les notions de nature et d’immanence de Spinoza me séduisent.
Antoine : Comme moi et la plupart des humains, tu laisses parler tes émotions en parlant de ton « admiration pour cette histoire grandiose du Big Bang à l’homme ». Je suppose qu’au-delà de ton intérêt pour les disciplines scientifiques, les émotions liées à la réflexion et à la compréhension sont une motivation décisive pour tes recherches ?
Michel : Absolument. Avant le plaisir d’écrire et d’être lu, je ressens égoïstement, celui de me lancer dans les grands mystères de la nature, comme le ferait un explorateur, et de les comprendre, en partie bien sûr !
Antoine : Gilles parle de l’importance de l’immersion dans la beauté de la nature qui nous entoure pour entretenir notre lien avec les mondes spirituels.
Michel : J’aime bien cette idée d’immersion. Dans ma vie, j’ai parcouru des milliers de kilomètres en courant dans les forêts. Ma plus grande joie était de découvrir des cervidés, des rongeurs ou des oiseaux sauvages, et de me rendre compte qu’ils étaient parfaitement adaptés à leur milieu. J’en arrivais presque à les envier de vivre là, heureux dans un milieu d’une telle beauté.
Antoine : Même si ce n’est que pour restaurer un peu d’ordre et de sagesse pour compenser cette vie chaotique dans un monde agité et trop urbanisé, nous avons besoin de nous retrouver au milieu de la vie exubérante mais apaisante de la nature pour respirer et nous mettre à son rythme.
Michel : Pendant 17 ans, je me suis dédié à redresser des entreprises en difficulté, un métier difficile et exténuant. Je tenais bon dans les situations les plus dures, simplement parce que, tous les matins, je partais courir dans la nature. Je me souviens qu’avant le lever du Soleil, en hiver, il m’arrivait souvent de réveiller les animaux le long de mon trajet. Cela me faisait rire.
Antoine : Je suppose que tu découvres comme moi des avantages à la vieillesse du corps qui nous oblige à ralentir sans perdre la jeunesse de l’âme ?
Michel : Je n’irai pas jusque-là, car j’aimerais bien ne pas ressentir les limites physiques dues à l’âge. Mais, comme toi, je suis convaincu que l’on peut rester parfaitement jeune dans un corps qui, lui, subit les affres du deuxième principe de la thermodynamique.
4 LUCA et sapiens parlant : un axe de complexité
Antoine : Mais revenons sur terre et à l’analyse de ton livre. Il convoque aussi une discipline qui fait des progrès fulgurants, la génétique. Elle pointe vers un ancêtre commun à toutes les formes de vie appelé LUCA, sorte de bactérie primordiale. Les généticiens ont cherché à remonter les arbres généalogiques du vivant à partir des génomes et parlent de 3 à 4 milliards d’années, à peu près la date donnée le plus souvent pour l’apparition des premières formes de vie sur terre.
Michel : LUCA est une bactérie « théorique » que l’on extrapole à partir du génome des bactéries actuelles en remontant dans le temps avec des algorithmes. Mais LUCA n’est en aucun cas l’origine de la vie. C’est pourquoi, dans mon livre, il n’apparaît qu’à la fin. Pour résumer, je pars du minéral et je cherche le cheminement qui a pu mener à des formes plus élémentaires de vie, pour finalement aboutir à ce que nous connaissons : les bactéries (et donc LUCA).
Antoine : Dans ton livre, tu construis, pour les lecteurs de formation non-scientifique, un récit séduisant et simple d’un processus d’apparition de la vie sur terre, qui se situerait d’abord dans les cheminées hydrothermales aux interstices entre plaques tectoniques sous-marines.
Michel : Oui, il me semble que ces cheminées par lesquelles remontent du sous-sol, des fluides chargés d’énergie chimique et de minéraux, sont le lieu le plus fertile existant dans les océans et pouvant avoir été le berceau de la vie : ces cheminées apportent une source d’énergie abondante et très stable dans le temps (une cheminée peut durer 100 000 ans). Elles développent facilement toute la chimie exubérante du carbone. Enfin, leur structure alvéolée et la présence de nombreux métaux, leur confèrent une vertu catalytique pouvant exercer une forte sélection parmi la grande variété de molécules de la chimie organique.
Antoine : Je n’avais jamais pensé à cette hypothèse de l’apparition de la vie biologique dans cet environnement exceptionnel, là où les plaques tectoniques en mouvement permanent permettent des échanges entre le magma souterrain et le milieu marin. J’avais été émerveillé, comme beaucoup d’autres sans doute, par ces vidéos que nous commençons à connaître de la vie exubérante et unique dans ce profondeurs sous-marines chaudes et sans lumière, avec des espèces animales endémiques. Les progrès scientifiques permettent l’immersion dans des endroits encore jamais visités avec des caméras. Cousteau était vraiment un précurseur !
Michel : Oui certainement. À l’époque de Cousteau, on croyait que la vie était concentrée dans les faibles profondeurs et que le fond des océans était presque stérile. Pourtant, lorsque, dans le début des années 1970, en cherchant des sites pétroliers à 4 000 m de profondeur, on a découvert les cheminées hydrothermales, on a été surpris par l’écosystème extrêmement riche des espèces qui s’y développaient : bactéries à l’intérieur, petits vers mangeant les bactéries, puis mollusques, crustacés et finalement poissons. On a calculé qu’une seule cheminée (il en existe des milliers) fabriquait 2,5 kg de biomasse par heure. On a aussitôt compris à quel point ces endroits très particuliers étaient propices à la vie.
Antoine : Jusqu’il y a peu, on ne découvrait dans les reportages que des espaces sous-marin des profondeurs très sombres avec une petite quantité d’animaux aux formes et fonctionnement extravagants, souvent capables de produire de la lumière. Et soudainement, la beauté et la diversité de l’écosystème des cheminées marines nous émerveillent !
Michel : L’immensité des profondeurs correspond bien à la situation stérile que tu décris. Il faut comprendre que les cheminées hydrothermales n’existent que dans des endroits très particuliers : le long des dorsales, c’est-à-dire ces lignes le long desquelles deux plaques tectoniques se séparent. Elles se situent au milieu des océans, souvent dans un axe Nord Sud. En ces endroits, les bords des plaques s’éloignent, laissant une plaie ouverte par laquelle remontent des matières souterraines. C’est la rencontre de ces matières avec l’eau froide, qui provoque l’apparition des cheminées.
Antoine : Ainsi l’hypothèse émise dans ton livre de l’apparition des premières formes de vie dans ce milieu très particulier n’en devient que plus crédible. Tu la fais à partir d’interactions physico-chimiques sans lien avec l’intervention du Créateur.
Michel : L’exubérance de l’écosystème actuel autour des cheminées n’est pas une preuve, mais une présomption. J’ai cherché comment les propriétés chimiques uniques en ces endroits aurait pu créer progressivement des formes de plus en plus complexes, débouchant finalement, sur la vie. Tu as raison de dire que je cherche des mécanismes naturels survenant spontanément. Mais cela n’exclut pas l’existence du Créateur : comment s’est créé un environnement si fertile sur une planète elle-même si particulière ? Plus largement, le schéma que je décris prend sa place dans l’évolution cosmique telle que P. Teilhard de Chardin la décrivait. Toute cette évolution a-t-elle pu se faire sans un projet divin ? Je pense que oui, mais je ne peux pas rejeter l’hypothèse divine, qui, je le reconnais, a le mérite de simplifier grandement les choses.
Antoine : En croyant intense non aligné sur les théories religieuses, j’apprécie cette analyse qui me renvoie à ce que disent nos frères juifs : après avoir créé, YHWH se retire pour laisser la création évoluer à sa manière et n’intervient que par exception.
Michel : Depuis que j’ai découvert la thèse divine de Spinoza et celle d’Einstein, je me dis que si j’étais croyant, j’épouserais cette conception de Dieu : un être suprême immanent et « non-interventionniste ». L’immanence est évidente pour ce qui est des lois de la nature : une simple particule les contient toutes en elle-même. Ces lois pénètrent tout l’Univers, y compris le vide ! Quant à l’intervention divine, je pense qu’il faut la voir en amont, et non dans le day-to-day business. J’ai toujours été frappé par cette citation du chanoine Lemaître, l’inventeur du Big Bang, parlant de l’Univers : « Il ne s’agit pas du déroulement, du décodage d’un enregistrement ; il s’agit d’une chanson dont chaque note est nouvelle et imprévisible. Le monde se fait, et il se fait au hasard ».
Antoine : Comme exception, je retiens l’écrasement d’une météorite géante mettant fin à la course au gigantisme des dinosaures et inaugurant le règne des mammifères, puis des homos .Il est facile pour le Créateur de dévier le cours d’une météorite pour l’empêcher de causer un désastre sur terre ou réorienter l’évolution de la vie.
Michel : Je ne crois pas qu’il faille voir dans la fin du Crétacé, un ajustement divin dirigeant la météorite sur la Terre, tel un obus d’artillerie. D’abord, on sait qu’en parallèle de ce cataclysme se déroulait un autre tout aussi polluant : les sorties de lave du Deccan en Inde, couvrant une surface identique à celle de la France. Quant aux dinosaures, leur déclin était déjà amorcé : il existait des mammifères qui s’alimentaient de… dinosaures. La météorite du Yucatan n’a fait que contribuer à l’évolution.
Antoine : Un axe se dégage de ton analyse. Tu l’évoques dès la p. 20, celui de la complexité croissante de la vie qu’il faut rendre compatible avec cette loi physique de l’entropie qui tend vers l’inverse. Tu en fais même p. 69 l’objet de ton livre.
Michel : Oui, c’est là un des grands paradoxes de l’entropie, ou dégradation universelle. Schrödinger disait que la vie évoluait en sens inverse de l’entropie, ce qui semblait contraire au deuxième principe de la thermodynamique. Le mystère a été levé dans les années 1960, par le prix Nobel Ilya Prigogine. Il montre que oui, globalement, tout système évolue vers les états les plus désorganisés (entropiques). Mais que localement, l’existence de contraintes pouvait provoquer la création de structures organisées, pourvu que ces dernières contribuent à dissiper encore plus d’énergie en accroissant l’entropie globale. C’est très exactement ce que fait l’organisme vivant : il organise la matière à un degré élevé, et, ce faisant, il consomme beaucoup de matière et d’énergie qu’il dégrade en dégageant de la chaleur (100 Watts pour un être humain). Globalement, la biosphère est une gigantesque machine, incroyablement organisée (faiblement entropique) et redoutablement efficace pour dissiper de l’énergie en chaleur. Non seulement, ma vie est compatible avec le deuxième principe, mais je vais jusqu’à dire qu’elle en provient.
Antoine : Teilhard de Chardin, un prêtre paléontologue et philosophe, parlait d’un troisième infini (l’infiniment complexe, adossé à l’infiniment grand et à l’infiniment petit de Pascal), faute duquel on ne peut comprendre le monde. Il voit deux lois qui sous-tendent sa vision de l’évolution : la loi de complexité croissante et la loi de complexité-conscience. Le pouvoir romain s’est toujours méfié de sa créativité mentale, il l’a révoqué de sa chaire mais sans l’excommunier. De nos jours, une partie de ses thèses sont dépassées par les dernières découvertes, mais Rome n’oserait plus défendre bec et ongles sa théorie fumeuse du péché originel fondée sur une lecture biaisée du texte déjà altéré de la Genèse biblique.
Michel : Je ne connais pas les textes comme toi et je peux difficilement commenter l’attitude de Rome. J’admire chez Teilhard sa vision de l’évolution cosmique : il connaissait le Big Bang (pour lui, le Point Alpha), et il voyait, depuis là, une complexification croissante de l’Univers. Je trouve très triste qu’il ait dû s’exiler, et que, de son vivant, il ait renoncé à publier ses thèses les plus fondamentales. Il a payé extrêmement cher sa fidélité à l’Église et j’imagine que, pour un intellectuel de son calibre, cette autocensure a dû être très douloureuse.
Antoine : Comme tu le dis ensuite, ceci nécessite d’élargir la notion de causalité.
Michel : Oui, depuis Newton, nous vivons sur une conception de la causalité très fertile, mais aussi restreinte. C’est ce que j’appelle le modèle « boule de billard » : sur la table de billard, la boule reçoit une impulsion (l’état initial) ; ensuite son mouvement est calculable par des équations différentielles ; et il dépend aussi du choc avec les bandes ou les autres boules (les conditions aux limites). Reposant sur le calcul intégral inventé par Newton, ce modèle sous-tend tout aussi bien la relativité générale et la mécanique quantique. Cependant, il est inadéquat pour expliquer le vivant, ne serait-ce que parce que lesdites conditions aux limites changent en permanence et présentent une forte valeur causale. De plus, le propre de la vie est de reposer sur des causalités circulaires, c’est-à-dire « se mordant la queue. »
Antoine : En tout état de cause, nous constatons que la complexité croissante est une caractéristique indéniable de la vie sur Terre et elle semble aussi s’appliquer aux observations cosmologiques récentes ?
Michel : Oui, c’est le cas, à mon avis pour deux raisons. La première est réelle (ontologique) : c’est le fait que l’Univers est né dans un état très simple, une parcelle d’énergie, dotée de lois physiques ; puis, il a formé un gaz quasi-homogène d’hydrogène et d’hélium. Quoi de plus simple ? Je décris la suite dans mon premier livre Les Clés Secrètes de l’Univers, la merveilleuse histoire de la montée vers la complexité. La seconde raison est épistémologique : le fait que nous disposons de théories et de moyens expérimentaux de plus en plus fins, dont la résolution permet de percevoir de plus en plus la subtilité des phénomènes cosmiques.
5 Les processus physico-chimiques de la vie
Antoine : Dès la p. 27, pour illustrer la vie comme système émergent, tu parles de la mort animale. Une minute avant la mort, toutes ses cellules étaient en place et fonctionnaient, une minute après, elles fonctionnent toujours. Et pourtant le chien est mort. C’est une énigme qui m’a toujours interpellé, et tu expliques que c’est le réseau des liens qui les unissaient qui se désagrège, et non les cellules elles-mêmes (en l’absence d’accident). Certains liens se brisent entraînant une cascade de ruptures dans l’organisation sophistiquée du vivant. Comme dans l’intrication quantique, il nous faut admettre que tout est relié.
Michel : Oui, j’aime bien ton analogie avec la mécanique quantique. L’être vivant doit être vu comme un tout, et ce tout fonctionne plus par les liens établis entre les parties, que par les parties elles-mêmes. C’est la même chose dans le fonctionnement du cerveau : les 800 000 milliards de liens entre neurones, déjà évoqués, supportent la pensée, alors que chaque neurone pris individuellement ne peut pas comprendre quoi que ce soit à ce qu’il fait.
Antoine : On parle de règnes minéral, végétal et animal, mais peut-on parler de vie dans ces trois règnes ?
Michel : Non, je pense que la vie ne concerne que le végétal et l’animal, tout en se rappelant que, même aujourd’hui, le gros de la biomasse terrestre est fait de bactéries. Il existe un fossé immense entre le minéral, et une bactérie, un objet extrêmement sophistiqué. L’objet de mon livre est une tentative de combler ce fossé.
Antoine : Commençons par la mort d’un volcan. Lors d’un voyage sac à dos au Guatemala, j’ai pu m’asseoir à proximité d’un volcan et le contempler, j’ai eu l’impression de l’entendre parler et gronder et se fâcher, comme une vie minérale, celle qui a d’abord animé notre planète. Un de mes camarades de l’X, passionné de volcans, est allé récemment en visite chez des amis en Auvergne et m’a dit avec humour « au cas où un volcan se réveillerait ! ». En Ethiopie, un volcan vient de se « réveiller » après 12 000 ans d’inactivité. Est-ce un abus de langage de parler de vie volcanique ?
Michel : Ce que tu dis est amusant, car ce matin, j’ai lu un article expliquant que l’on avait détecté des bruits sismiques persistants en Auvergne. Il n’est pas impossible qu’un de ses volcans se « réveille ». Nous employons ainsi des termes propres à la vie, pour décrire le monde minéral, mais je pense que par-delà les usages du langage, il ne faut pas confondre les deux. C’est pour cela que tout ouvrage sur l’origine de la vie commence immanquablement par une définition de ce qu’elle est, qui la distingue forcément du minéral.
Antoine : Quand on voit un lichen, on se demande si cet être discret et symbiotique est en vie ?
Michel : Si on le regarde au microscope, il n’y a aucun doute. On voit bien des cellules vivantes associées à un champignon, lui-même vivant. C’est une magnifique symbiose où les cellules apportent la respiration par photosynthèse, et les champignons, l’alimentation en minéraux.
Antoine : C’est pourtant une forme extraordinaire de vie rattachée aux champignons, car elle est relativement tardive dans l’évolution (au Dévonien) et ne fonctionne qu’en symbiose permanente avec un autre champignon. Elle s’intègre à un super organisme d’une multitude d’associés avec des stratégies évolutives différentes, parfois antagonistes, parfois complémentaires.
Michel : Oui, tu décris là toute la complexité du vivant. La symbiose assure un rôle important dans l’évolution, un rôle que l’on a longtemps sous-estimé. C’est Lynn Margulis qui nous a éclairés dans les années 1960, notamment en conjecturant que les cellules des animaux et des végétaux (les eucaryotes) provenaient d’une symbiose très ancienne entre bactéries de types différents.
Antoine : Sa reproduction, un des sujets de ton livre, est très atypique, car elle peut être par division du thalle, leur corps végétatif, ou reproduction sexuée. De plus le lichen le plus résistant vivrait jusqu’à 4000 ans ! Et sans eux, des animaux comme les rennes peineraient à se nourrir.
Michel : C’est bien la preuve que le tout (l’écosystème) dépend des espèces, comme celles-ci dépendent aussi du tout. Cela me rappelle, ce qui me semble la définition la plus pertinente de la vie, due à E. Kant : « Les parties existent pour et grâce au tout, le tout existe pour et grâce aux parties. » C’est ce que plus haut, je qualifiais de causalité circulaire.
Antoine : Au-delà de cette illustration étonnante de la complexité de la vie, revenons à ton livre. On ne peut ici résumer la remarquable construction du puzzle scientifique que tu y élabores pour expliquer par des phénomènes naturels l’émergence de la vie sur cette planète. J’ai appris beaucoup de choses en te lisant. D’abord tu parles de manière simple et actualisée des découvertes et thèses que les savants ne cessent de publier. J’y retrouve ton talent, déjà évident dans tes ouvrages précédents, pour être compris sans tomber dans la vulgarisation réductrice. Tes exemples, petits graphiques, et points d’étape font merveille pour les lecteurs qui perdent le fil.
Michel : Merci pour ces louanges, Antoine. Depuis le jour où j’ai entrepris l’écriture de mon premier livre, je me suis convaincu qu’il y a moyen de faire comprendre au lecteur suffisamment curieux, les parties les plus difficiles de la science, sans pour autant tomber dans ce que tu qualifies avec justesse, de vulgarisation réductrice. S’agissant de la vie, il faut faire appel tour à tour à l’astrophysique (la formation de notre planète), les sciences de la Terre (la tectonique des plaques), la physique et la chimie, et enfin la biologie… plus un peu de philosophie. Comme tout le monde n’est pas formé à toutes ces sciences, il faut les présenter de la façon la plus simple possible.
Antoine : Dans ce puzzle, tu commences à parler de membranes et de frontières qui permettent à la fois à la vie d’émerger puis de s’individualiser. Ton exposé est parsemé d’images judicieusement choisies comme celle des bulles de savon, éphémères d’abord, qu’il faudra ensuite stabiliser et complexifier pour permettre des échanges avec l’environnement
Michel : Oui, curieusement, la formation de cellules fermées par une membrane et capables de division cellulaire, est un phénomène purement physique et spontané, survenant dès qu’une bonne quantité de lipides est mélangée à l’eau. Le spécialiste des protocellules, David Deamer, explique sa surprise lorsqu’il a dissous un prélèvement de pierre issu de la météorite de Murchison, connue pour sa richesse chimique. Dans l’œilleton de son microscope, il a vu apparaître des cellules, sortes de bulles dans l’eau. Elles grossissaient par fusion, et, parvenues à une certaine taille, elles se divisaient un peu comme une bactérie.
Antoine : Tu parles ensuite de catalyse et du rôle des surfaces en contact, un processus qui peut créer des difficultés de compréhension pour les non-scientifiques, mais que tu expliques très bien
Michel : Oui, c’est certainement là que j’ai dû le plus travailler la pédagogie. C’est essentiel, car la catalyse est au centre de la vie. C’est bien connu des chimistes : certaines substances favorisent, par leur seule présence, telle ou telle réaction. Une fois qu’une réaction chimique est ainsi catalysée, elle se répète en abondance. La catalyse opère une sélection naturelle extrêmement discriminante au sein de l’immense variété des molécules issues du carbone. Dans ton armoire à médicament, tu possèdes peut-être une cinquantaine de molécules qui ont été sélectionnées par la médecine, parmi les millions de molécules connues. Cela te donne une image de ce que la catalyse a pu faire naturellement en sélectionnant certaines molécules, en leur permettant de prédominer, et finalement, de se combiner pour former la vie.
Antoine : Tu passes au rôle déterminant des contraintes auxquelles tous les processus physico-chimiques, et donc les formes de vie, sont soumis.
Michel : Oui. Plus haut nous avons déjà parlé des contraintes, comme les bandes du billard qui dévient la boule. Lorsqu’on observe le comportement des organismes vivants, on constate que les contraintes y jouent un rôle essentiel. Par exemple, le métabolisme du corps humain comprend 5 000 réactions chimiques. L’ensemble de ces réactions est catalysé par 7 000 catalyseurs appelés enzymes. Elles contraignent toutes les réactions essentielles de notre corps. Les membranes présentes partout à la surface et à l’intérieur des cellules, sont d’autres contraintes, physiques cette fois.
Antoine : Tu exposes ensuite l’exubérante chimie du carbone, au centre de la vie sur Terre, mais qui pourrait être remplacée par d’autres molécules dans des vies extra-terrestres ?
Michel : C’est un point très débattu. Le silicium est un autre élément proche du carbone, qui théoriquement, pourrait aussi donner une grande variété de composés. Le problème est qu’il se lie très fortement à l’oxygène pour former la silice (le sable !) et que ce composé, très stable, piège définitivement le silicium. À mon avis, il est difficile d’imaginer une forme de vie qui ne soit pas centrée sur le carbone.
Antoine : Ce qui te conduit à ton point d’étape sur la chimie prébiotique p. 131 conduisant à des protocellules. Des systèmes ouverts, dissipatifs, éloignés de l’équilibre, individualisables grâce à une frontière, capables de régénérer leurs propres composants et capable d’évolution. Le puzzle a vite avancé !
Michel : Oui, tu résumes-là la définition que je donne de la vie au début de l’ouvrage. On y parvient effectivement étape par étape. Concrètement, ce cheminement débouche sur le tout premier stade de la vie, avec des protocellules. Il s’agit de cellules (des « gouttes d’eau dans l’eau ») qui sont capables de reproduction, et qui incluent, protégées par leur membrane, un métabolisme, c’est-à-dire un ensemble de réactions chimiques catalysées. Je dis qu’à ce stade-là, l’évolution darwinienne peut s’enclencher et déterminer la suite.
Antoine : Tu évoques le problème de la reproduction puis de l’hérédité à la p. 148. Tu cites Kauffman : « la vie est apparue comme un tout et elle est restée ainsi ». Tu mentionnes la chimie des systèmes qui s’est récemment développée. Je trouve remarquable cette progression logique compatible avec ma conviction d’un Créateur unique. Je crois que le Créateur a conçu la vie et notre cerveau pour que Son existence ne s’impose pas irréfutablement. Nous allons vers lui librement, sans être poussés vers un tunnel de pensées ou d’observations à sortie unique.
Michel : Il est vrai que toute l’histoire que je raconte dans mes livres est faite d’une succession considérable d’étapes montant vers la complexité. Pour moi, elles sont naturelles, mais on peut penser que le chemin était en quelque sorte prédéterminé, ou, a minima, qu’il avait été rendu possible.
Antoine : Tu passes à des concepts plus complexes mais toujours simplifiés par de petits schémas et sans ces équations qui rebutent les non-scientifiques. La fermeture causale peut expliquer par des causes matérielles ce que nous observons de la vie. La vie comme système écologique et continuum biologique. Mais, selon toi, le rôle des gènes reste encore très mal éclairé par la science.
Michel : Ce n’est pas tant que le rôle des gènes soit mal éclairé, mais plutôt que nombre de savants imaginent à tort que la vie a démarré par un gène autoréplicateur. Cette direction de recherche est pour moi une impasse, tout simplement parce qu’un gène (d’ADN ou d’ARN) ne peut pas apparaître chimiquement dans le milieu minéral, même dans celui, très fertile, des cheminées hydrothermales. L’un de mes auteurs favoris, H. Morowitz, dit que chercher l’origine de la vie sous la forme d’un gène originel, c’est un peu comme vouloir construire une maison en commençant par le toit. Beaucoup de choses ont dû se passer avant qu’apparaisse le premier gène.
Antoine : Je ne peux ici que survoler le contenu de ton livre en espérant motiver des lecteurs à enrichir leurs connaissances pour satisfaire leur curiosité en répondant à certaines de leurs questions. J’y ai retrouvé avec plaisir la vision du génial Héraclite, un grand précurseur de la philosophie. Il disait « tout coule ».
Michel : En effet je cite souvent la rivière d’Héraclite. Il disait que l’« on ne se baigne jamais dans la même rivière ». En effet, si tu viens te baigner deux jours de suite, la rivière te semble identique, alors que l’eau où tu t’es baigné la veille n’est plus là le lendemain : elle est descendue en aval, un ou deux kilomètres plus loin. L’être vivant est ainsi fait : son contenu se renouvelle en permanence. Le lecteur sera peut-être surpris d’apprendre qu’en 3 semaines en moyenne, tous les composants de chacune de ses cellules se sont dissouts et ont été remplacés par des composants fraichement régénérés. Aucun des atomes constituant ton corps aujourd’hui, n’y était il y a 10 ans : ils ont tous été recyclés entre temps. Cette qualité de reconstituer son contenu, appelée autopoïèse, est au centre de ma définition de la vie. Elle me paraît plus fondamentale que la notion de gène.
6 Vie et mort : où se situe la conscience ?
« Ta vocation est de choisir ta voie, de choisir en conscience, puisque Je t’ai donné cette faculté redoutable. Dans cette gestation perpétuelle dont tu fais partie, il t’appartient de donner un sens à la matière ». (Message de 1997)
Antoine : Cette faculté de la conscience est un immense sujet, un des thèmes favoris des sciences humaines, philosophie, psychologie, psychanalyse et qui maintenant mobilise les neurologues. Chacun y apporte des réponses variées et souvent incompatibles
Michel : J’aime bien « il t’appartient de donner un sens à la matière ». En effet, il me semble qu’en l’absence d’observateur, l’Univers est dénué de sens. C’est l’Homme qui lui donne un sens (et peut-être quelque autre être pensant quelque part dans la galaxie ou dans une autre). J’ajouterai que la notion de sens reste essentiellement individuelle, même si la culture et la religion permettent à une société d’élaborer des sens collectivement.
Antoine : Ce sujet te contraint à déborder à la marge vers la philosophie, tu cites Kant et Aristote, mais on ne peut en rester là pour aborder sérieusement les questions philosophiques. Même en se limitant au monde occidental, il faut intégrer à une réflexion sérieuse Hegel, Husserl, Bergson et bien d’autres.
Michel : Tu as certainement raison, mais je suis moins doué dans ce champ des connaissances. Il me semble que depuis l’ère scientiste positiviste remontant au XIXe siècle, la science a trop eu tendance à repousser la philosophie en la considérant comme un moyen peu adéquat de représenter les choses. Heureusement, aujourd’hui, elle revient sur le devant de la scène pour aider les scientifiques à expliquer ce qui est le plus difficile : la mécanique quantique, la vie, le cerveau, la conscience, et même l’intelligence artificielle…
Antoine : Cette conscience que la mort nous attend semble être spécifique à Homo et les distinguer de tous les animaux. On a constaté des sortes de rites funéraires chez les animaux, comme les éléphants, mais c’est probablement un regroupement émotionnel autour d’un individu dont ils appellent la présence.
Michel : Oui, c’est très exactement ce que je pense. Je lisais récemment « les animaux sont immortels parce qu’ils ne savent pas ce qu’est la mort ». Ainsi, vivants, ils ne peuvent penser à la mort. Et quand, arrivés à la fin, leur cerveau se débranche, ils ne s’en rendent pas compte. Ensuite, ils ne sont plus là. À vrai dire, autant qu’on le sache aujourd’hui, Homo est le seul être vivant qui ait développé le sens du temps en distinguant le passé, le présent et le futur. Un auteur exprimait sur ce sujet une expérience de pensée amusante : l’idée est d’enfermer son conjoint et son chien dans le coffre de sa voiture pendant quelques heures, puis d’observer leurs réactions lorsqu’on ouvre le coffre. Le chien vous fait la fête, car vous venez de le sauver d’un mauvais pas !
Antoine : La conscience de notre mort individuelle implique nécessairement la conscience de soi comme individu séparé. Il est très difficile de déterminer dans quelle mesure elle existe chez les animaux. Par exemple chez les insectes très organisés comme les fourmis et les abeilles ?
Michel : Question bien difficile, car elle suppose que l’on s’accorde sur ce que l’on entend par conscience. Je ne crois pas qu’elle existe chez l’insecte. En revanche, les animaux les plus évolués, comme les mammifères, les oiseaux et certains céphalopodes, forgent vraisemblablement un modèle du monde dans lequel ils savent se situer (« je suis ici, le prédateur ou la proie est là »).
Antoine : Avec le test du miroir, on constate l’apparition chez les primates supérieurs de la compréhension que le reflet n’est pas d’un autre individu, conscience qui n’apparait pas immédiatement chez le nouveau-né humain et fait partie des tests de développement normal de son réseau de neurones.
Michel : Oui, le test du miroir donne une indication précieuse sur ce plan. Il montre que, même chez ces familles animales les plus évoluées, la conscience réflexive, à savoir la capacité d’intégrer un modèle de soi dans le modèle de l’environnement, reste en général absente. Seule une dizaine d’espèces du règne animal le réussissent : trois singes, trois cétacés, trois corvidés, et l’éléphant. Chez Homo, elle apparaît un peu après un an.
Antoine : La conscience de soi est un inépuisable sujet philosophique, voir par exemple l’article en ligne de l’encyclopédie philosophique.
Michel : Je te remercie pour ce lien. Ce texte probablement un peu difficile, semble assez complet sur le sujet, avec beaucoup de références. Je l’étudierai, en vue peut-être d’un prochain dialogue ?
Antoine : Mais toutes ces analyses sur la conscience faites sur des êtres vivants ne nous disent rien sur ce que devient la conscience à la mort du corps physique. Car nous passons à l’extérieur du domaine scientifique en faisant référence à des expériences non reproductibles, à des convictions personnelles logiques, ou à des idées issues d’une foi héritée. Quand elles sont profondément ancrées chez des personnes croyantes, il leur est très difficile d’y réfléchir sereinement et d’en débattre sérieusement. La sagesse est celle pratiquée par Bouddha : évitons les questions ne tenant pas à édification et les débats polémiques.
Michel : Tu me rappelles une citation de Saint Augustin qui me sert de réponse lorsqu’un auditeur me demande ce qu’il y avait avant le Big Bang. Quand on lui demandait « vous dites que Dieu a créé le monde, mais qu’y avait-il avant Dieu ? », il répondait « il y avait un enfer pour les gens qui posent ce type de question ».
Antoine : Les neurologues équipés d’instruments de mesure les plus modernes ont beaucoup cherché si la conscience pouvait être localisée dans une zone du cerveau. En vain. Elle est répartie et mobile.
Michel : Tu mets le projecteur sur l’une des limites importante des neurosciences. Nous avons deux façons d’observer le cerveau :
- L’une est macroscopique : elle permet de voir les zones qui s’illuminent lorsque le cerveau exécute telle ou telle tâche. Sa résolution est extrêmement basse : lorsque l’on parle d’une zone, il s’agit de centaines de millions de neurones que l’on observe en masse sans pouvoir les distinguer.
- L’autre est microscopique : en glissant des électrodes dans le cerveau d’un animal, on observe les décharges des neurones individuels, mais on ne peut le faire au-delà d’une centaine de neurones.
Entre ces deux échelles, 100 neurones et 100 millions de neurones, c’est un grand vide de 6 ordres de grandeur, dans lequel aucune observation n’est possible. On comprend la difficulté à laquelle les neuroscientifiques doivent faire face.
Antoine : On entre vite dans la réduction scientiste si on cherche à comprendre la conscience de l’extérieur en faisant abstraction de notre expérience individuelle. Car qui d’autre que nous peut ressentir notre conscience individuelle comme un tout indivisible ? Qui d’autre que nous peut intégrer le fonctionnement du réseau neuronal de notre cerveau avec le fonctionnement du réseau hormonal, si important dans nos émotions ? Qui d’autre que nous peut prendre conscience du réseau énergétique des chakras, bien défini par une très longue expérience de multiples méditants sur des dizaines de milliers de millénaires ? la science occidentale est encore bien jeune et souvent vaniteuse et réductrice, donc incapable d’approfondir seule ce sujet.
Michel : Cela donne la mesure du chemin restant à parcourir. Je commence à étudier ce domaine, et, comme toi, je trouve que beaucoup expriment des « vérités » avec des mots creux qu’ils ne savent définir qu’à partir d’autres mots aussi creux, et le tout assorti d’une grande vanité.
Antoine : Arrivé à ce stade de la réflexion, on ne peut isoler la réflexion scientifique de nos pratiques de vie, émotionnelle, sociale et spirituelle.
Michel : Un grand défaut de la science, qui fait en même temps sa force, est le réductionnisme de Descartes. Toujours décomposer les problèmes ou les systèmes en sous-ensembles qu’on analyse séparément, est une démarche qui trouve ses limites lorsque l’on parle du vivant et de l’humain. Même si la science a beaucoup progressé de cette façon, et continuera de le faire, je n’aime pas la vision mécaniste que Descartes a apportée.
7 Vie émotionnelle, vie sociale, vie intérieure
Antoine : Ce qui distingue, à mon avis, les émotions des sapiens modernes de celles des autres créatures vivantes est leur capacité à un amour transcendantal, universel qui le rend capable de sacrifier sa vie pour ceux qu’il aime ou ce qu’il aime. Il dépasse l’instinct naturel de conservation. Mais cette capacité d’amour infini le rend aussi capable d’une haine et d’une volonté de détruire illimitée, surtout quand sa réflexion ne suffit pas pour éviter les manipulations par les non-sapiens au pouvoir (l’ivresse du pouvoir fait souvent perdre la raison et presque toujours la sagesse).
Michel : Oui, je crois qu’une des grandes différences de sapiens par rapport aux autres espèces, est de se préoccuper, au-delà de son moi, de celui des autres. Il est capable d’intégrer dans son esprit, un modèle de l’autre : c’est l’empathie. Et cela va plus loin : saisir l’intérêt collectif de la famille, du clan, de la société, et plus encore avec la religion. Même s’il existe de nombreuses et malheureuses exceptions, cela reste une qualité unique de notre espèce.
Antoine : Bouddha enseignait l’importance de karuna, la compassion, qui va bien au-delà de la simple empathie. Les animaux ont aussi une vie émotionnelle, à en juger par leurs expressions faciales, leurs cris ou leurs attitudes, mais en l’absence de la capacité à communiquer par la parole qu’ont les humains, elle reste assez basique et difficile à sonder en profondeur. Seul l’amour maternel, peut-être en partie instinctif, s’observe partout à des degrés divers chez les êtres vivants à reproduction sexuée.
Michel : L’émotion est certainement très répandue, telle celle du mammifère découvrant qu’un léopard rôde dans les environs. L’amour maternel aussi. En revanche, l’altruisme reste limité à quelques espèces supérieures comme les singes ou les cétacés.
Antoine : Les propriétaires d’animaux domestiques, surtout de chiens, ont tendance à projeter leurs sentiments sur des comportements animaux qui résultent d’un apprentissage de ce qu’attend leur maître. Ce transfert se fait beaucoup dans nos sociétés vieillissantes ou sévit un isolement social au détriment du sentiment de fraternité à l’égard des autres humains. Ne serait-ce qu’en mobilisant l’attention des maîtres, ce qui restreint leur capacité à faire attention aux autres. Je le constate aussi bien en environnement urbain que rural. Ainsi l’amour du sapiens est complexe et se développe par un acte de volonté où l’âme est déterminante.
Michel : Oui, sapiens est doté de capacités uniques dans l’amour et l’altruisme. Malheureusement, la société moderne tend à flatter l’égo au détriment du sentiment collectif. Cela commence au plus jeune âge, en laissant l’enfant s’affirmer au détriment d’autrui. Ensuite, c’est l’autisme induit par des réseaux sociaux addictifs. Demain, ce sera l’IA qui peut-être, réduira les capacités cognitives des générations suivantes… Gageons que sapiens saura développer l’amour dans ce contexte nouveau.
Antoine : Tu es comme moi un sapiens d’espérance ! L’émotion d’amour liée au désir de trouver un autre sapiens complémentaire est probablement la plus puissante et la plus complexe, le désir de couple. Il débute par un bouleversement à l’adolescence des équilibres hormonaux lié à la maturation sexuelle. Chez les animaux, il se limite aux périodes de reproduction, mais il est permanent chez les sapiens. C’est une pulsion qui peut être légitime si elle refuse la violence et respecte la réciprocité, mais c’est une des plus difficile à contrôler. Là encore, une âme forte est indispensable pour maîtriser le corps et l’esprit.
Le couple de sapiens est la matrice de vie des générations futures. Cette alliance du yin et du yang se vit dans la chair, mais c’est avant tout une union d’âme au quotidien. Nous avons tous deux fondé une famille, nous en avons l’expérience. Mais comment traduire la transcendance de cet amour sublime en langage et en pensée scientifique ? Je pense qu’il atteint vite ses limites.
Michel : Ce n’est certainement pas le domaine de la science. Quand tu parles de l’amour du couple, voici encore quelque chose qui change rapidement de nos jours : divorces en série, changements fréquents de partenaire, perte de l’envie d’avoir des enfants ensemble, recherche du « sexe augmenté », etc. Sapiens dans deux ou trois générations sera certainement très différent de ce que toi et moi avons connu. Mais après tout, nos petits-enfants seront peut-être plus à l’aise dans cette nouvelle société. Pour ma part, je vois dans ces changements une raison d’aspirer à terminer ma vie un jour, car je ne me sens pas capable de m’adapter à ces changements, qui, de surcroît s’accélèrent à la vitesse grand V.
Antoine : Ce qui t’immunise face à la peur de la mort. En dépit des nombreuses révolutions sociales et expériences marginales, la fidélité en amour chez les sapiens est un ciment incontournable pour stabiliser une famille et élever les enfants dans un contexte favorable. C’est une belle école de la vertu. Chez les animaux, on observe des situations très variées, de celle du mâle dominant avec son harem à celle de la sexualité libre comme régulateur social chez les bonobos, à celle du couple fidèle jusqu’à la mort chez les grues du Japon. Chez les animaux, difficile de savoir si ces différences sont le fait de l’évolution ou du hasard et de l’imitation ?
Michel : Il y a toujours une part de hasard et une part d’adaptation (le hasard et la nécessité de Démocrite). Chez l’Homme, c’est bien plus complexe, car désormais, c’est la culture qui nous fait évoluer, et non le gène.
Antoine : Selon les théories convaincantes de René Girard, le désir mimétique est une pulsion puissante commune aux singes évolués et aux hommes modernes. Elle empêche les singes de former un groupe nombreux car il finit par éclater en sous-groupes rivaux. Mais les sapiens modernes ont pu constituer des groupes beaucoup plus nombreux grâce à une résolution des tensions par une crise, celle du bouc émissaire, qui explique cette omniprésence des sacrifices dans les religions anciennes.
Je pense que cette analyse est crédible, mais ne s’applique qu’à ce qui s’est passé après la sortie des sapiens parlants d’Eden, quand ils ont commencé à se multiplier exponentiellement, ce que le récit biblique décrit. Ainsi la complexité des relations sociales que nous connaissons à notre époque a une longue histoire. Et la complexité des émotions chez les sapiens se multiplie exponentiellement avec leur capacité à une vie sociale riche et instable.
Michel : À titre d’illustration, je citerai l’effet des réseaux sociaux. Naïvement, lorsque je les ai vus se développer, j’ai pensé qu’une communication intense entre des êtres tous connectés unifierait la pensée. Cela m’évoquait un peu la noosphère de Teilhard de Chardin, se terminant en point Omega. Je me souviens qu’un grand scientifique travaillant chez Sony m’avait donné l’idée inverse : la communication facile entre les hommes à grande échelle, va, au contraire, renforcer des clans opposés dans leurs goûts et leurs idées. Je crois qu’il avait raison. Par exemple, aujourd’hui, un antivax peut trouver sur le net autant d’écrits et de vidéos qu’il le souhaite pour expliquer que le vaccin tue. Plus il les lira, plus il sera convaincu que ses idées sont universelles, face à une minorité d’individus obtus ou ignorants, refusant obstinément d’y croire. Dans cet esprit, je salue ton initiative de dialoguer avec ceux qui ne partagent pas forcément tes idées, et d’utiliser Internet pour propager cette ouverture d’esprit.
Antoine : La multiplication des sapiens et leur déploiement sur toute la planète fut fulgurante à l’échelle de celle des Neandertal et des Denisova. Les os de Denisova sont rares : les fouilles ont été moins nombreuses qu’au Proche Orient. L’éruption de Toba (-73 000) et l’excursion du pôle magnétique terrestre (-33 000) ont causé des catastrophes naturelles dans les endroits où ils vivaient. Mais ils sont apparus plus de 200 000 ans avant les sapiens archaïques, comme les Neandertal, et étaient certainement beaucoup plus nombreux que les sapiens. Les premiers fossiles de sapiens datent de -183 000 en Ethiopie et sont rares jusqu’il y a environ 50 000 ans. Brusquement, ils migrent et se répandent sur tous les continents, ce qui suppose une explosion démographique dont les savants ignorent les causes.
Michel : Je n’ai pas d’idée ferme sur le sujet, mais je pense que sapiens a cumulé deux qualités liées à l’intelligence. D’une part, la souplesse dans les modes d’alimentation, lui permettant, au contraire de son cousin Neandertal, de mieux s’accommoder des changements du climat et de l’environnement. D’autre part, une plus grande aptitude au langage favorisant la transmission du savoir.
Antoine : Les genèses bibliques et coraniques donnent la réponse. Le Créateur a décidé ponctuellement de doter ce petit groupe de nos ancêtres génétiques d’attributs uniques, partagés avec Lui à un moindre degré, comme la parole, l’individualité, l’amour et la liberté. C’est l’épisode fameux du Jardin d’Eden, situé en Mésopotamie, ce qui recoupe les itinéraires possibles de migration. Avec ces attributs spécifiques, les sapiens parlants font un bond dans leur capacité d’abstraction, de communication et d’organisation sociale. Leur intelligence individuelle et collective suivra avec une bien meilleure capacité à organiser le réseau neuronal (préexistant chez les sapiens archaïques). On ne sait rien du réseau neuronal des Neandertal, seulement leur volume crânien, et la forme de l’intérieur de leur boîte crânienne, reflétant celle du cerveau, mais même le nombre brut de neurones ne dit rien sur leur organisation en réseau qui détermine la complexité de la pensée qu’elle permet.
Michel : C’est vrai que tout cela est bien mystérieux et que les fossiles nous renseignent peu sur les capacités cognitives. Toutefois, il me semble que l’évolution partant d’Homo habilis pour arriver à sapiens est un continuum, avec des périodes de stase et d’autres d’accélération, comme c’est toujours le cas dans l’évolution… et cela, sans coup de pouce divin à mon avis.
Antoine : Cette richesse de la pensée, de la vie émotionnelle et sociale chez nos contemporains peut se traduire par une grande richesse intérieure ou par une agitation physique et mentale stérile. Tout dépend de notre lumière intérieure et donc de notre pratique spirituelle quelle qu’elle soit. Les sapiens ont des maîtres de sagesse comme Bouddha et Jésus. J’ai beaucoup réfléchi à leurs enseignements pour les mettre en pratique. Les sutras de Bouddha m’ont d’abord permis de dépasser ma rigidité mentale il y a un demi-siècle et de commencer une pratique sérieuse du yoga. Elle m’a donné l’expérience directe d’une perception des nadis et des chakras. Beaucoup en parlent, mais seule l’expérience directe impose l’évidence de ces circuits et centres d’énergie vitale (prana) qui fonctionnent en parallèle avec nos circulations sanguines, nos fluctuations hormonales et nos émotions.
Michel : Ce vocabulaire m’échappe. Mais peut-être suis-je capable de parler en prose comme M. Jourdain ?
Antoine : C’est du sanscrit. Ce post ne me permet pas de développer comme je l’ai fait dans le 101, mais disons brièvement que l’anahata chakra, situé près du cœur est central parmi les 7 principaux répertoriés et que toutes les émotions nobles passent par lui. C’est pourquoi la tradition parle du cœur comme centre de l’amour.
Le chakra de la gorge est mobilisé dans la parole et la communication, puis l’ajna chakra au-dessus des yeux pour la concentration mentale, d’où l’importance, à mon avis démesurée, accordée par certains maîtres bouddhistes à la méditation mentale. C’est une étape mais pas un aboutissement.
L’aboutissement, correspondant à l’extase des mystiques ou à la contemplation, est l’activation du sahasrara chakra au sommet du crâne. L’image traditionnelle est qu’il s’ouvre aux mondes spirituels comme une fleur de lotus aux 1000 pétales.
Tout ceci peut paraitre fumeux et fantaisiste vu de l’extérieur, mais quand cela devient une expérience personnelle, l’évidence est là. Nul besoin de chercher à se convaincre soi-même par le raisonnement, par l’analogie ou par la croyance. A l’inverse, on peut toujours douter des certitudes scientifiques, car l’histoire des sciences montre à quel point elles progressent en se contredisant.
Michel : Je crois en la vertu de la méditation même si je ne la pratique pas (ou si je le fais sans trop en être conscient). Elle fait appel à des représentations mentales. C’est aussi le cas de la science : elle n’est rien d’autre qu’un vaste corpus de représentations mentales, souvent exprimées sous forme de modèles mathématiques. J’ai beaucoup d’admiration pour Niels Bohr, le père de la mécanique quantique, qui, dans ses débats animés avec Einstein, présentait sur lui un avantage dû à sa jeunesse. Son père s’intéressait à la philosophie et réunissait régulièrement de grands esprits chez lui. Il invitait son jeune fils à assister à leurs discussions. Un jour, à Einstein qui prétendait que la mécanique quantique (de nature intrinsèquement probabiliste) ne pouvait représenter le réel, Bohr avait répondu : Albert, n’oubliez pas qu’en tant que physicien, vous ne traitez pas du réel, mais des représentations mentales que nous en faisons.
Antoine : Sauf que la méditation vise justement à imposer une pause à l’agitation mentale, ce que les neurologues arrivent à mesurer.
Par raisonnement et par expérience, je peux dire que notre vie de sapiens modernes est potentiellement d’une richesse et d’une complexité qui transcende tout ce qu’on peut observer dans les autres formes de vie. Je ne vois pas un continuum biologique dans l’évolution des sapiens mais une solution de continuité au sens littéraire, une rupture majeure qui se passe vers -50 000. Je ne vois pas comment la relier à ce que tu appelles une transition de phase.
Michel : L’apparition de la culture chez sapiens ressemble beaucoup à une transition de phase. Revenons à l’exemple-type d’une transition de phase : la vapeur d’eau qui se condense à 100°C. Lorsque la température est élevée, les molécules d’eau s’agitent librement dans l’espace. Autrement dit, chaque molécule ne perçoit pas les autres, sauf accidentellement lors d’une collision. C’est l’état gazeux. À l’inverse, en dessous de 100°, avec la diminution de l’agitation moléculaire, les molécules se rapprochent et se collent, tout en restant libres de tourner les unes autour des autres. C’est l’état liquide, dans lequel chaque molécule est en contact en permanence avec plusieurs voisines et corrèle son comportement avec celles-ci.
On peut transposer cette transition à sapiens. Avant le développement du langage, chaque individu vit relativement séparément des autres, même s’il existe la tribu, le feu, la chasse en meute, etc. Au contraire, avec le développement du langage, chacun communique beaucoup plus avec autrui, et le savoir se partage de façon fluide et intense. Ainsi naît la culture et toutes ses conséquences sociales. Il ne faut pas être surpris que le changement soit fulgurant.
Antoine : A la différence que la transition de phase chimique est réversible en fonction des conditions. Et que l’élaboration d’un langage mental sophistiqué a pris environ 20 000 ans pour les sapiens, avant l’apparition du langage spirituel par contact avec la Parole du Créateur.
Cette réflexion porte sur nous dans notre chair mortelle, mais après la mort ?
8 Après la vie charnelle, où va la conscience ?
Belle est la chair mortelle…La présence (du Bien) soutient l’édifice qui converge vers Moi (Message de 1997)
Antoine : Malgré ta rigueur d’auteur, je ne peux que contredire ce que tu dis en p.78, en dehors de ton domaine d’expertise. Tu dis que « le concept d’un Dieu Créateur de toutes choses dont la vie, l’homme, sa conscience, débute avec le christianisme ». Or ce mot n’apparait qu’à Antioche bien après la crucifixion de Jésus fils de Marie. Alors que la Genèse biblique, longtemps transmise oralement, ne commence a être mise par écrit que plusieurs siècles après Moïse, quand apparait l’écriture hébraïque. Moïse est datable d’environ -1250, il enseignait sans ambigüité le Créateur unique.
Michel : Oui, j’aurais dû plus réfléchir ou me renseigner avant d’écrire cette phrase.
Antoine : De plus tu ajoutes que « cette idée ne se retrouve pas dans les religions asiatiques ». Or l’écriture du Rig Veda, la référence historique pour l’hindouisme, est datée d’environ – 1500 et on y constate la coexistence de versets monothéistes qui parlent de Création et d’éternité et de versets parlant de dieux multiples et de sacrifices, un concept typique des religions indo-aryennes des envahisseurs nomades venus du Nord en Perse puis en Inde. Les Gathas de Zarathoustra, écrits bien avant en vieil avestique, sont également monothéistes, mais tu ne penses peut-être pas à la Perse comme en Asie ?
Michel : Oui, j’ai associé le monothéisme avec la chrétienté, et tu fais bien de me reprendre. Cela, dit, ces deux précisions ne changent rien au message que j’exprimais, à savoir qu’à mon sens, la vie sur Terre était un phénomène naturel probable, contrairement à ce qu’enseignent généralement nos religions et nos sciences.
Antoine : Quoiqu’il en soit, ceci prouve selon moi que le monothéisme était déjà la base des convictions des peuples de langues dravidiennes qui vivaient en Inde depuis plus de 35 000 ans comme le prouve la concentration géographique de cette famille de langues et leur métissage avec des homos Denisova disparus depuis. Donc, contrairement aux idées reçues de la tradition abrahamique, c’est bien plutôt le polythéisme ou les diverses variantes de panthéisme qui sont une idée apparue tardivement chez les peuples de sapiens. Par contre, il est possible que les Neandertal et les Denisova avaient des conceptions très vagues à propos de Dieu et de l’au-delà.
Michel : D’après les fossiles, on trouve quelques rites funéraires chez Neandertal et je présume aussi chez Denisova. Cela laisse effectivement penser que leur spiritualité était limitée. En revanche, lorsqu’on visite les grottes préhistoriques de Cro-Magnon (vers – 30 000), on est frappé du développement de l’imaginaire et du symbolique. Je présume que la religion est apparue à ce moment-là, sous une forme primitive.
Antoine : Dans tous ces anciens textes sacrés et certainement dans les convictions des peuples qui les ont portées, la conscience ne s’arrête pas à la mort du corps physique. J’ai parlé dans le post 36 de résurrection vs. réincarnation parce que la complexité des croyances dans la tradition indienne est très méconnue. Par contre l’idée de résurrection y a été importée par l’islam. Elle avait commencé à apparaître bien avant et progressivement chez les prophètes bibliques.
Michel : Le non-croyant doit assumer l’idée qu’il n’y a rien après la mort : vient un jour où le film s’arrête avec la mention « THE END ». Ce qui est le plus douloureux pour moi, ce n’est pas la mort, car avec l’âge le corps se fatigue et à un certain stade, on peut souhaiter que le film s’arrête et rentrer chez soi pour dormir. Ce qui me chagrine, c’est plutôt le déchirement des liens avec la famille et les amis. Ce que je déplore aussi, c’est que l’immense savoir qu’un être humain accumule avec l’expérience d’une vie entière, parte un jour en fumée. On peut éviter en partie ces désagréments en songeant à une survie de l’âme dans l’au-delà, mais ce n’est pas mon cas (malheureusement !).
Antoine : Ma conviction personnelle, étayée par des décennies d’immersion dans les textes abrahamiques, de méditation et de prière, est que les enseignements des prophètes successifs de Noé à Muhammad constituent une continuité prophétique ascendante que les religions installées n’ont pas voulu suivre. Elle porte l’empreinte du Dessein du Créateur. Les clergés juifs se sont figés sur Moïse et les clergés chrétiens sur les écrits attribués à Jésus. L’unité et la clarté des Messages inspirés par le Créateur se sont alors affaiblies dans la pensée occidentale, linguistiquement éloignée des cultures sémitiques. Par contre, même si nos frères juifs se focalisent sur la vie de ce monde, la perspective de la Résurrection est une conviction largement partagée chez les près de 4 milliards de croyants se référant au juif Jésus fils de Marie et dont la majorité se trouvent maintenant en Asie et en Afrique.
Michel : J’admire ta conception originale relativisant l’enseignement des religions, par rapport à celui des prophètes. Elle me rappelle un peu Spinoza critiquant les rabbins.
Antoine : Le Dessein enseigné dans cette continuité prophétique est une eschatologie du salut individuel qui dépend de l’âme, une prérogative des sapiens parlants, et du salut collectif qui interviendra au Jour. Alors ce sera Mon Jour, d’un geste J’arrêterai l’astre sous vos pieds, il n’y aura plus ni jour ni nuit, mais Ma Lumière couvrira tout sans cesse (Parole de 1974, 31/8). Ce sera la fin du temps humain pour la conscience collective des sapiens. Mais rien ne dit que l’extraordinaire expansion de l’Univers observable cessera, car le Créateur est là, toujours et partout. Les sapiens passeront à un niveau supérieur de conscience collective, ce que les sapiens ayant développé leur âme anticiperont.
Michel : Et là, tu me rappelles plutôt Teilhard de Chardin.
Antoine : Notre camarade Olivier Bonnassies a coécrit un livre, un best-seller, pour rallier à ses convictions catholiques sur la base d’une analyse, avec des « preuves scientifiques », la danse du soleil à Fatima, observée par des milliers de personnes, ou le suaire de Turin qui rend perplexe les nombreux scientifiques qui l’ont étudié.
C’est une démarche respectable et pacifique. Mais, en particulier dans notre contexte français sceptique et déspiritualisé, je ne suis pas sûr que ses espérances de convertir au catholicisme seront comblées. Au moins nos frères catholiques, qui se sentent assiégés depuis quelque temps, y trouveront du réconfort. Mais l’impasse faite sur le Coran n’a pas de justification objective pour un chercheur sans préjugés.
Michel : Je crois que le livre d’O. Bonnassies apporte une forte confirmation aux lecteurs déjà convaincus de l’idée divine. Personnellement, même si je ne partage pas nombre des assertions sur lesquelles repose ce livre, je vois d’un bon œil cette œuvre, car je ne souhaite pas la sécularisation. Je suis né dans la culture chrétienne et je crains de la voir s’effriter au profit de … rien.
Antoine : Ma conviction sur le destin individuel après la vie charnelle est maintenant ancrée dans mon observation intérieure. Ma vie intérieure, difficilement partageable ou communicable, est du domaine de l’âme pour qui la Présence du Créateur est une évidence quotidienne. Je ne peux nier la puissance de l’énergie que je ressens et qui circule de mon vivant dans mes nadis et mes chakras, en particulier quand mon esprit calme son agitation et que ma conscience se concentre sur mon âme, lors de méditations ou de prières. Je ne sens pas vieillir mon âme, mais je constate indéniablement le vieillissement de ma chair et celui de mon cerveau. Les dynamiques des trois parties de ma personne sont à l’évidence différentes.
Je n’ai jamais eu peur de la mort, car en personne logique, même quand je fus agnostique, il n’est pas sage de craindre l’inéluctable, il faut s’y préparer. Avec deux hypothèses, soit c’est le néant et il n’y a plus rien à craindre, soit quelque chose de ma conscience subsiste et tous ceux qui parlent de l’au-delà disant que notre expérience post mortem dépend du Bien que nous faisons dans cette vie. De plus, la sagesse m’a enseigné comme à tous que pour être heureux, il faut avoir la conscience tranquille. La voie à suivre est donc simple, celle de la lumière et pas celle de l’ombre.
Michel : Oui : que nous croyions ou non en une vie ultérieure, nous sommes sûrs de mourir en paix si nous avons fait le bien durant notre vie. Encore une caractéristique de sapiens !
Antoine : Ma conviction sur le destin collectif de l’humanité, les sapiens pensants et parlants, fait suite à une analyse logique et de bon sens. Je ne vois pas comment tous ces prophètes et messagers ont pu inventer chacun dans leur époque, dans leur langue et au milieu de peuples si variés, une telle cohérence d’enseignements à partir d’imaginations mentales personnelles. A partir d’un certain degré d’improbabilité, mon cerveau logique tire sa conclusion et fait de moi un croyant solide et intense. Mais je ne cherche à convaincre personne, je dialogue et j’écoute avec plaisir, car le dialogue est un moyen irremplaçable de progresser dans sa pensée.
Michel : Je pense que tous ces enseignements des prophètes ne sont pas « tombés du ciel ». Pour moi, ils correspondent à des ressentis et des aspirations très profondes liées aux caractéristiques très particulières de sapiens. D’où leur cohérence. Dans ce sens, j’y suis sensible et je les respecte.
Conclusion, pour aller plus loin
Antoine : Tu évoques les sapiens p. 227. Or je vois une rupture majeure entre les sapiens archaïques et les sapiens modernes il y a environ 50 000 ans. C’est ce que nous dit le Coran, révélé au prophète Muhammad et ce que commencent à nous dire les paléo archéologues : ils constatent une explosion démographique brutale de cette sous espèce qui coexistait avec d’autres sous espèces d’homo, Néandertal et Denisova avec lesquels nous nous sommes métissés avant qu’elles ne disparaissent.
Il n’y a aucune explication scientifique crédible à ce succès imprévisible d’une population très minoritaire, trop rapide à l’échelle de la théorie de l’évolution. Et les généticiens nous affirment que les 8 milliards d’humains si divers descendent tous d’un petit groupe de sapiens. Dans la logique des possibilités de migrations, ce groupe est situable dans un espace géographique restreint, comme en Mésopotamie. Ce qui rejoint le récit des Genèses bibliques et coraniques.
Je vois donc un bon sujet pour ton prochain livre scientifique en allant explorer la pointe la plus avancée de l’axe de la complexité du vivant accessible actuellement à l’homme : lui-même, le sapiens parlant.
D’ici là, en cette période de cadeaux, je donne un conseil utile à nos lecteurs : procurez-vous ce livre. Cadeau durable pour vous, vos amis ou vos enfants, tous ceux qui ont maintenu leur curiosité et souhaitent mieux comprendre ce monde exubérant qui nous émerveille. Cadeau conçu dans un réseau de neurones français, vivant dans un des contextes les plus complexes de notre planète, l’écosystème culturel français…
Je te laisse conclure notre dialogue amical.
Michel : J’admire ta capacité à échanger avec ceux dont les idées s’écartent (en partie) des tiennes. Un grand merci pour ce dialogue et pour tes questions aussi pertinentes que profondes et inspirantes.
DU MINÉRAL AU VIVANT – Sur Terre, la vie devait apparaître. Édition EDP-Sciences. 2025.