La référence de ce blog est la Parole, toute la Parole. Méditation et prière dépendent du milieu culturel dans lesquelles elles sont pratiquées. Or ces deux mots ont un sens profane et un sens spirituel qui ont fortement évolué dans la pensée commune. Il convient d’abord de préciser leur sens dans la théorie et dans la pratique.
La méditation, c’est une pensée réfléchie et concentrée sur un sujet particulier, profane ou spirituel, pouvant concerner le domaine artistique (Lamartine), métaphysique (Descartes) ou religieux (Bossuet). La prière, c’est un mouvement de l’âme tendant à une communication spirituelle avec Dieu dans une pratique solitaire ou collective lors d’un culte. En pratique, le mot prière est surtout associé aux cultes religieux et au sens profane, ce n’est qu’une formule de politesse.
Le post 77 a exposé l’exemple et l’enseignement sur la prière des trois grands prophètes, Moïse, Jésus et Muhammad. Dans le Coran, l’Appel à la prière individuelle ou collective est omniprésent. La notion de méditation ne se trouve qu’en 34/46. Dis : « Voici mon seul conseil : levez-vous devant Allah, à deux ou seul, et méditez ». Le mot arabe implique une réflexion active. La Parole de Jésus en 1974 appelle à méditer sur la Parole et donne cette définition de la prière : « Prier, c’est proclamer Ma Parole pour L’accomplir ».
Dans les grandes traditions orientales, étudier les textes sacrés a plus de valeur que méditer pour la transformation personnelle. Les colonisateurs brahmanes (post 6) noyèrent les inspirations des rishis du Rig Veda dans leur religion sacrificielle. La piété populaire indienne est devenue superstitieuse, associée à des représentations de divinités ou à des cérémonies au temple orchestrées par les prêtres brahmanes. Dans l’enseignement de Bouddha (post 4), l’octuple sentier portait sur une dynamique spirituelle inclusive mais n’entrait pas dans les détails pratiques. Dans les langues classiques du bouddhisme, méditation, bhāvanā signifie développement mental.
Nous parlerons d’abord de la méditation spirituelle, puis des manières possibles de méditer, des effets qu’on peut en ressentir, enfin de la complémentarité entre méditation et prière.
1 Quel sens spirituel donner au mot méditation ?
La tradition mystique chrétienne, juive ou musulmane, relie la méditation aux textes sacrés. Elle peut préparer à des états de conscience plus élevés : contemplation, perception intense de Dieu, du Soi ou de l’Absolu, voire extase. Au fil des siècles, de grandes figures comme Thérèse d’Avila (posts 30 et 31) en particulier, en ont parlé d’expérience.
La riche tradition de l’Inde, à l’origine de méthodes de méditations spirituelles, a nourri des êtres d’exception. Avant tout Bouddha dont l’enseignement s’est répandu sur toute la planète. Sa démarche part de la compréhension juste, un préalable canalisant les efforts de maîtrise du mental et donc de l’émotion, avant de tendre vers le samadhi. Elle est complémentaire de la démarche hindouiste qui part de l’émotion. Celle qui peut provenir de la lecture des textes sacrés, des chants védiques, de la prononciation de mantras comme Om̐. Ou du yoga, le travail sur la respiration et les chakras qui énergise l’organisme et prépare la méditation.
Plus proche de notre siècle, il y a Ramakrishna (1836-1886), un grand mystique qui a successivement expérimenté les voies de l’hindouisme, du christianisme et de l’islam. Gandhi (post 41) est un homme d’action mondialement connu pour ses méthodes non violentes de libération du colonialisme anglais. Il y a aussi Aurobindo (post 10), un philosophe devenu guru qui fonda son ashram à Pondichéry, Ramana Maharishi (post 11), un renonçant exemplaire, et bien d’autres. Au sommet des nobles gurus, je place la grande sainte de l’Inde moderne, Ma Ananda Moyi (1896-1982, post 9).
Ses études scolaires furent élémentaires, mais dans son enseignement sur la méditation (paru chez Albin Michel), ses explications sont aussi lumineuses qu’exhaustives. « Le but de la méditation est de frayer un chemin vers la Lumière, vers ce qui est Eternel. Le devoir spécial de l’homme est de se souvenir qu’il existe pour Dieu seulement. Si le sadhaka (chercheur spirituel) ne peut garder un ferme contrôle sur son esprit, il sera exposé à voir et entendre des choses mêlées, à la fois authentiques et illusoires. Appliquez-vous aux exercices spirituels tranquillement et discrètement. L’excitation émotionnelle et l’Amour Suprême ne sont en rien comparables.
Les écritures sacrées et les sages indiquent pour guérir l’âme désorientée plusieurs préceptes, plusieurs modes de vie différents. Il n’existe qu’un but, qui est toujours le même. Les chemins divers que suivent les hindous et les musulmans finissent par se rejoindre à la porte de l’Être divin. Concentrez votre esprit sur la pensée de Dieu en éveillant le désir de savoir qui vous êtes réellement. Maintenez l’esprit éveillé dans le courant de la Réalité où l’Insondable, l’Unique se révèle dans son Infinité.
Sans la Grâce divine, vous ne pouvez être attirés vers Dieu, mais pour mériter cette Grâce, il faut un effort continuel et rester sans cesse sur le qui-vive. Essayez de brûler ce qui peut être brûlé par la connaissance et de faire fondre ce qui peut être fondu par la foi et la dévotion : alors le Suprême se révélera. La voie de la discrimination conduit à la réalisation de l’essence de la Connaissance et la voie de la dévotion à la révélation de l’essence de l’Amour ».
Loin en dessous des sommets atteints par Moyi, la méditation tronquée qui se répand en Occident ne vise la plupart du temps que le confort psychologique. La relaxation physique et mentale réduit le stress, la méditation de pleine conscience consiste simplement à se concentrer sur ce qu’on perçoit et fait. Ce ne devrait être qu’une étape préalable, mais cela suffit à la plupart de nos contemporains.
2 La pratique de la méditation
Au sixième siècle avant J.-C., Bouddha après avoir suivi puis dépassé l’enseignement de six gurus successifs, enseigne une discipline de vie pour atteindre la libération et aider tous les êtres vivants à l’atteindre. C’est l’octuple sentier avec la compréhension juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes, l’effort juste, l’attention juste, la concentration juste ou samadhi. Moyi le qualifie de « sommet de l’illumination », le but ultime des méditants hindouistes.
Quelques siècles après Bouddha, les yoga sutras (attribués à Patanjali), synthétisent la tradition dravidienne et divisent le yoga en huit branches. Les deux premières étapes, partagées par toutes les traditions religieuses, consistent à respecter les devoirs moraux élémentaires et développer ses vertus. Les deux suivantes, typiques du yoga visible, sont les postures du corps (asana) et le contrôle du souffle (pranayama). Ensuite viennent les deux concentrations, par retrait des sens puis fixation du mental. Enfin viennent les deux dernières, la méditation et la contemplation (samadhi).
Dans la vie spirituelle, comme dans l’entraînement sportif ou la carrière professionnelle, il n’y a jamais de résultat probant sans constance dans l’effort au quotidien. Une pratiquant sérieux consacre au moins 30 à 40’ une fois par jour à la méditation et le double ce temps d’autres exercices, contrôle du souffle et nettoyage des chakras. Dans des circonstances plus propices, vacances ou retraite, il est bon d’y consacrer au moins deux heures par jour. C’est moins que ce que nous consacrons en moyenne aux écrans. Dans la tradition indienne organisée autour des âges de la vie, après le temps de l’éducation jusqu’à 20 ans, et celui consacré à sa vie familiale et professionnelle, il est d’usage que vers l’âge de 60 ans, l’homme ordinaire puisse donner la priorité à sa vie spirituelle et rechercher la libération.
A mon modeste niveau, je peux parler par expérience du yoga débuté vers 25 ans. Sa pratique régulière est devenue épisodique sous la contrainte d’une vie familiale et professionnelle exigeante. Je privilégiai alors l’apostolat de porteur de la Parole et la prière, plus faciles à pratiquer en tout lieu et en tout temps. Vers 65 ans, plus libre de mon temps, j’ai pu enfin reprendre une méditation assidue. Ma pratique des asana et pranayama s’est adaptée. Mais mon corps et mon mental vieillissants ont bénéficié de ma longue pratique antérieure.
La lecture de l’enseignement de Moyi donne un bon cadrage pour trouver le chemin individuel le plus adapté aux progrès spirituels. Pour des indications pratiques, on trouve des livres exposant des postures et des exercices de respiration que chacun peut tester. Certains conseillent de chercher un maître ou un prof, je ne l’ai jamais fait par indépendance d’esprit. Il y a beaucoup d’enseignants de yoga aux connaissances très superficielles et de « maîtres » douteux qui pensent à leur propre intérêt, la prudence s’impose. De plus les grands spirituels ont progressé par leurs propres efforts et en toute autonomie.
Dans l’autodiscipline spirituelle le jeûne occasionnel est une composante très importante. Surtout dans notre monde occidental où la soif de nourriture et de distractions mentales est excessive et inextinguible. Le jeûne de paroles futiles, de jugements et de pensées mauvaises complète le jeûne alimentaire. Il permet d’améliorer notre intelligence émotionnelle et spirituelle et nos relations avec autrui.
Les postures sont d’abord utiles comme un entraînement sportif, pour assouplir et équilibrer le corps. Mais les asanas facilitent la méditation en permettant de maintenir confortablement une position stable avec la colonne droite. Le pranayama est essentiel car 80% de notre énergie vitale vient de la respiration. Son pratiquant apprend à respirer plus efficacement comme les nageurs et les coureurs de fond entraînés. Puis il obtient un bon niveau de concentration applicable à l’un ou l’autre des chakras.
La méditation sur le chakra du cœur est une méthode simple et efficace. Il est associé à la compassion universelle et stimulera aussi les autres chakras. Elle permet de rééquilibrer nos émotions et notre résilience aux chocs de la vie. C’est la méthode recommandée par heartfulness, initiée par Ram Chandra (post 12) qui pratique la pranahuti. D’après leur expérience, ceux qui réduisent leur intention au contrôle du mental gagneront en sagesse humaine. Mais ils ne stimuleront guère que l’ajna chakra et pas le sahasrara qui peut s’ouvrir pour mieux laisser passer l’énergie divine.
La Parole affirme l’importance du cœur au sens spirituel. La Chema Israël dit : « les Paroles des commandements que je te donne aujourd’hui seront dans ton cœur ». Et la Parole dictée à Arès : « La tête est faible, remplie d’orgueil, le cœur est empli de son Dieu ». Elle nous appelle à l’unification intérieure : « Sois un dans toi ».
3 Que peut-on ressentir grâce à la méditation ?
Au début de la pratique yogique, le bien-être ressenti est sensible par l’apaisement de l’agitation physique et mentale qui permet de mieux connaître son propre corps. Après une pratique sérieuse, on améliore la conscience de ses organes physiques, la maîtrise des battements du cœur. Puis on ressent la dynamique de la prana ou souffle vital. Cette énergie est invisible mais perceptible, elle circule par des canaux, les nadis comme le sang circule dans les veines visibles.
On découvre la réalité des sept chakras qui fonctionnent comme des nœuds de circulation de la prana et sont complémentaires. La méditation permet de les purifier et les stimuler. Ces chakras, beaucoup plus que les organes physiques, peuvent se contracter ou se dilater. Ils sont d’autant plus reliés entre eux que la pratique progresse. Les trois chakras inférieurs sont localisables sur l’axe de la colonne vertébrale, du chakra racine à celui du plexus. La pratique de sports de combat permet aussi de les ressentir. Le chakra du cœur (anahata), décalé vers la gauche, fait le lien avec les trois chakras supérieurs, celui de la gorge, celui situé entre les yeux (ajna) et celui du sommet du crâne (sahasrara).
Certaines techniques de pranayama pratiquées sans supervision doivent l’être avec prudence et progressivité. En particulier l’accélération du souffle qui peut activer la kundalini, l’énergie qui circule entre les chakras. C. G. Jung a popularisé cette notion en Europe sans les années 30. Si le yogi laisse cette énergie remonter à partir du chakra de base (muladhara) sans la contrôler, elle peut déclencher de puissantes réactions négatives. Les chakras supérieurs doivent être aux commandes et mettre en place des bandhas, des verrouillages à trois niveaux du corps. L’énergie spirituelle doit d’abord descendre d’un chakra supérieur avant de remonter.
Depuis que la méditation a été mise à la mode, par les bouddhismes tibétain et japonais, des scientifiques ont étudié méthodiquement les effets d’une pratique régulière. Dans le journal du CNRS, le neuroscientifique Lutz affirme : les bienfaits cliniques de la méditation sont particulièrement bien établis dans les troubles de l’humeur et de douleur chronique. En plus d’agir au niveau mental, elle peut influencer indirectement notre santé, et notre système immunitaire en particulier. Anatomiquement, la paire de nerfs vagues, très complexe, parcourt le corps avec des nœuds correspondant à certains chakras dont l’anahata. La stimulation électrique de ces nerfs induit la production d’acétylcholine.
La méditation ne produit d’effets positifs stables que si elle s’insère dans un effort constant tourné vers le Bien. Avant et surtout après en tirant profit de sa dynamique pour bien écouter les autres, observer sans juger, développer le souhait de les aimer et s’intégrer harmonieusement à tout l’univers créé. Nous surmonterons mieux les inévitables épreuves de la vie qui ne pourront altérer une sensation profonde de sérénité et de joie. La prise de conscience de l’impermanence ou la réflexion sur la cocréation conditionnée enseignée par Bouddha nous prépareront aux imprévus de la vie. L’équanimité, rester « zen » suivant l’expression populaire n’est pas un objectif en soi, mais une conséquence naturelle des efforts faits.
Une étude sérieuse a donné d’intéressants résultats sur trois groupes pratiquant des méditations quotidiennes pendant 9 mois. Respectivement de pleine conscience, de prise de conscience de la perspective d’autrui, et sur la bienveillance. Sans surprise, C’est le troisième groupe qui a le plus amélioré ses comportements prosociaux observés par des psychologues. Des changements structuraux plus importants dans leurs cerveaux ont été constatés par IRM.
Le but fixé est donc déterminant. Le méditant hindouiste cherche à atteindre « l’éveil » et le bouddhiste, à libérer tous les êtres de la souffrance. Le méditant croyant veille à se rapprocher d’un Créateur bienveillant, attentif à toutes Ses créatures. Comme la prière, la méditation aide à dépasser les vices courants, l’envie, l’orgueil, la colère, le ressentiment, la violence…, et à lutter contre l’orgueil. Elle rend la duplicité et le mensonge indésirables, voire insupportables.
4 Complémentarité entre prière et méditation pour progresser spirituellement
La culture occidentale a gardé mémoire de l’utilité de la lecture des textes sacrés et de la prière sous ses multiples formes. Thérèse d’Avila utilise l’image de sept demeures successives. On y entre grâce à la prière vocale avant de passer à divers niveaux d’oraisons, méditative, de recueillement, de quiétude, contemplative, d’union. Elle considère que le niveau d’apostolat, la volonté d’agir au service de Dieu bien illustrée par sa vie d’action, atteint son paroxysme à partir de la sixième demeure. Elle recommandait à ses sœurs carmélites de pratiquer l’oraison au moins deux heures par jour. Le but est de s’éveiller à la présence de Dieu dans le cœur, atteindre la contemplation divine, se laisser transformer par Dieu.
Le Coran est un livre révélé. C’est l’invisible qui parle nous parle, une modalité différente de l’inspiration qui part de notre conscience. Ce livre cosmique et intérieur permet d’accéder au Ciel sans le décrire. C’est la voie suivie par les grands soufis comme Ibn Arabi ou Al-Ghazali. Certains ont suivi un guide spirituel comme Roumi. Leurs recommandations rejoignent celles de Térèse d’Avila ou de Moyi, même si elles sont exprimées différemment.
Elles étaient adaptées à un monde beaucoup moins agité. Servir Dieu dans notre monde moderne implique de s’adapter à ce contexte. Nous pouvons presque tous trouver des plages de temps au quotidien. Pour prier individuellement ou collectivement et pour entamer une pratique même basique du yoga et de la méditation. A partir de cette base, le chercheur de Vérité ou de bonheur pourra progresser et prendre goût à la vie spirituelle.
Pour ceux qui ont de mauvais souvenirs des religions chrétiennes ou des communautés musulmanes, ils peuvent se rapprocher de centres de l’Union bouddhiste ou de la Fédération védique. Dans le bouddhisme tibétain, la prière accompagne la méditation et l’enseignement. Elle est parlée ou chantée avec une intention altruiste. Par contre, la plupart de ces centres ignorent la Présence du Créateur Transcendant et Immanent, conformément à la tradition védique.
Un siècle après le premier samadhi de Moyi, l’Inde est devenue très matérialiste, et sectaire. La persécution des musulmans est l’ADN du parti de Modi. Les violences contre les minorités chrétiennes du Nord n’ont suscité aucune réaction de Delhi. Là comme ailleurs, un apostolat de porteurs de la Parole qui ne se divise ni ne se tait serait bien utile.
En Occident, porter la Parole est ardu dans ce monde moderne où la pensée commune amalgame Dieu, le Donneur de Parole, avec les religions. Elles se réclament de Lui après avoir détourné à leur profit les Messages des prophètes et scandalisé les hommes par leurs exactions et leurs mensonges. Face à ces difficultés, « Le découragement est impiété » (1974, 13/8). Pour contribuer à respiritualiser nos sociétés chacun à notre manière, il convient d’allouer à la vie spirituelle, sous ses diverses formes, une part suffisante de notre temps et de notre attention.
Car la plupart de nos contemporains ont sacrifié en grande partie leur vie spirituelle sur l’autel des préoccupations de ce monde. La mesure, l’équilibre entre les vies personnelle, familiale, professionnelle est essentiel et varie avec les âges de la vie. Normalement nos sociétés vieillissantes devraient revenir à l’essentiel. Parfois, à l’approche de la mort, les hommes se posent des questions et s’angoissent légitimement de ne pas avoir assez fait pour leurs âmes.
Nous pouvons les aider s’ils le souhaitent. Dans cette optique, la synergie entre les bonnes pratiques de méditation et la prière en lien avec la Parole s’avère précieuse pour rendre crédibles nos conseils. Elle ne conduit pas à se détacher du monde mais au contraire à s’y immerger pour mieux l’aimer.